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14/05/2024 | FRANCE | N°23/11019

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 14 mai 2024, 23/11019


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 14 MAI 2024



(n° , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/11019 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH2VA



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Juin 2023 - Conseiller de la mise en état de COUR D'APPEL DE PARIS RG n° 21/13117



DEMANDEURS AU DEFERE



Monsieur [E] [W]

[Adresse 4]

[Localité 14] FRANCE

Re

présenté par Me François DANGLEHANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 246



Monsieur [N] [U]

[Adresse 1]

[Localité 15] FRANCE

Représenté par Me François DANGLEHANT, avocat au b...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 14 MAI 2024

(n° , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/11019 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH2VA

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Juin 2023 - Conseiller de la mise en état de COUR D'APPEL DE PARIS RG n° 21/13117

DEMANDEURS AU DEFERE

Monsieur [E] [W]

[Adresse 4]

[Localité 14] FRANCE

Représenté par Me François DANGLEHANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 246

Monsieur [N] [U]

[Adresse 1]

[Localité 15] FRANCE

Représenté par Me François DANGLEHANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 246

Monsieur [I] [M]

[Adresse 3]

[Localité 11] FRANCE

Représenté par Me François DANGLEHANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 246

Monsieur [I] [L]

[Adresse 5]

[Localité 6] FRANCE

Représenté par Me François DANGLEHANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 246

Monsieur [A] [T]

[Adresse 8]

[Localité 2] FRANCE

Représenté par Me François DANGLEHANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 246

DEFENDEURS AU DEFERE

Monsieur [N] [R] [V]

[Adresse 10]

[Localité 12]

Représenté par Me Tennessee CAEN, avocat au barreau de PARIS

Madame [O] [B]

[Adresse 7]

[Localité 13]

Ayant pour avocat plostulant Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Pierre LEVEQUE, avocat au barreau de Paris, substitué par Me Medhi LOUFFOK, avocat au barreau de PARIS

Association UNION POPULAIRE REPUBLICAINE

[Adresse 9]

[Localité 12]

Représentée par Me Tennessee CAEN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Mme Virginie RENAUD, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme [D] [J] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI

MINISTERE PUBLIC : dont l'affaire a été communiqué le 8 novembre 2023, ayant donné son avis le 5 et 6 décembre 2023

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 14 mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Par ordonnance du 1er juin 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

- mis hors de cause M. [H] [X],

- constaté l'intervention volontaire à l'instance de M. [A] [T],

- annulé l'assignation délivrée le 16 juillet 2020 par M. [X], M. [W], M. [M], M. [L] et M. [U] à l'encontre de M. [V], l'UPR et Mme [B],

- déclaré en conséquence irrecevable l'intervention volontaire à l'instance de M. [T],

- déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts formulée par M. [V] à l'encontre de chacune des parties demanderesses et intervenante volontaire,

- rejeté chacune des demandes des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure

civile,

- condamné M. [W], M. [M], M. [L], M. [T] et M. [U] aux entiers dépens de

l'instance.

MM. [W], [M], [L], [T] et [U], représentés par M. François Dangléhant, avocat, ont interjeté appel de cette décision selon déclaration du 11 juillet 2021.

Par arrêt du 10 mai 2022, la cour a constaté l'interruption de l'instance et renvoyé l'affaire à la mise en état.

Par ordonnance sur incident du 20 juin 2023, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris a :

- déclaré recevables les conclusions des intimés notifiées les 22 et 28 décembre 2021,

- déclaré nulle la déclaration d'appel de M. [N] [U],

- rejeté la demande de nullité des déclarations d'appel de MM. [I] [L], [I] [M], [E]

[W] et [A] [T],

- dit que les dépens de l'incident et les demandes relatives aux frais irrépétibles suivront le sort des dépens de la procédure au fond.

M. [E] [W], M. [N] [U], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T] ont déféré cette ordonnance à la cour.

L'affaire a été appelée à l'audience du 10 octobre 2023 et a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 8 novembre 2023 à la demande des appelants souhaitant que l'affaire soit prise en collégialité.

Par conclusions du 30 octobre 2023 et par 'acte séparé', les appelants ont sollicité la transmission à la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante :

'Le conseiller de la mise en état a-t-il violé les articles 20, 21 et 47 de la CDFUE en annulant

les actes délivrés par Me [N] [U] pour M. [N] [U] ou, le principe de liberté permet-il a un avocat de postuler valablement pour lui-même''et que soit ordonné un sursis à statuer sur le principal dans l'attente de la décision de la CJUE.

L'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 6 décembre 2023 aux fins d'avis du parquet général sur la demande de transmission de la question préjudicielle, puis à l'audience du 16 janvier 2024 aux fins de respect du principe du contradictoire en l'état de nouvelles écritures des appelants ayant formulé, par conclusions du 5 décembre 2023, une demande de saisine pour avis de la Cour de cassation.

Par conclusions notifiées et déposées le 5 janvier 2024, M. [N] [U], appelant sur déféré, et M. [E] [W], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T], en leur qualité d'intervenants volontaires sur déféré (et non plus d'appelants), ont saisi la cour d'une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Le 16 janvier 2024, l'affaire a été renvoyée au 5 mars 2024 aux fins d'avis du parquet général sur la QPC.

Le 28 janvier 2024, MM. [U], [W], [M], [L] et [T] ont formé une demande de sursis à statuer au vu de la procédure en inscription de faux contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la cour, enregistrée le 26 janvier précédent.

L'audience s'est tenue le 5 mars 2024.

Par arrêt distinct du 14 mai 2024, la cour a rejeté la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité et condamné M. [N] [U], appelant sur déféré, aux dépens.

Dans leurs dernières conclusions séparées, notifiées et déposées les 16 janvier 2024 (conclusions n°5 sur déféré), 5 janvier 2024 (conclusions sur demande d'avis à la Cour de cassation) et 27 janvier 2024 (conclusions de sursis à statuer), M. [N] [U], appelant sur déféré, et M. [E] [W], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T], intervenants volontaires sur déféré, demandent à la cour de :

Sur la question préjudicielle :

- transmettre la question préjudicielle suivante à la CJUE et ordonner un sursis à statuer sur le principal dans l'attente de la décision de la CJUE:'Le conseiller de la mise en état a-t-il violé les articles 20, 21 et 47 de la CDFUE et les articles 56 et 57 du TFUE en annulant les actes délivrés par Me [N] [U] pour M. [N] [U] ou le principe de liberté d'établissement permet-il à un avocat de postuler valablement pour lui-même'',

Sur la procédure pour avis à la Cour de Cassation :

- transmettre dans le cadre de la procédure pour avis, à la Cour de cassation la question suivante:

'Existe-il une disposition législative interdisant à un avocat de postuler pour lui-même et en cas de réponse négative à la question précédente, le juge peut-il compléter la loi du 31décembre 1971 en ajoutant, par voie de jurisprudence, une disposition de nature réglementaire, une règle interdisant à un avocat de postuler pour lui-même'',

Sur la demande de sursis à statuer au titre de l'inscription de faux :

- constater que par ordonnance du 5 juillet 2023, le valeureux (sic) juge de la mise en état du tribunal judicaire de Paris a refusé d'annuler des actes de procédure délivrés par Me [N] [U] pour M. [N] [U],

- constater que l'ordonnance du 20 juin 2023 fait l'objet d'une inscription de faux pendante devant le tribunal judicaire de Paris,

- constater que la cour ne pourra pas écarter des débats l'ordonnance du 20 juin 2023 pour l'examen du déféré contre cette même ordonnance,

- ordonner le sursis à statuer sur l'action en déféré, dans l'attente de ce qui sera décidé sur l'inscription de faux formée contre l'ordonnance du 20 juin 2023 et ce, tant que cette procédure ne sera pas terminée,

- ordonner la disjonction du cas de M. [N] [U] du cas des autres appelants, pour l'examen de l'appel contre l'ordonnance du 1er juin 2021, car près de 3 années se sont écoulées depuis le prononcé de cette décision hautement calamiteuse (sic),

Sur le principal :

- constater que la loi du 31 janvier 1971 qui régit la profession d'avocat ne comporte aucune disposition interdisant à un avocat de postuler ou selon de se représenter lui-même et que l'article 5 du code civil, interdit au juge de 'pondrent'(sic) des arrêts de règlement :

- annuler l'ordonnance du 20 juin 2023 en ce que cette décision a annulé l'acte délivré par Me [N] [U] pour M. [N] [U]; idem en ce qui concerne l'ordonnance du juge de la mise en état (sic),

- condamner solidairement les contradicteurs à verser 4500 euros aux appelants (sic).

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 20 février 2024 (conclusions n°4 sur déféré), Mme [O] [B] demande à la cour de :

Sur la question préjudicielle :

- déclarer irrecevable la demande de transmission de la question préjudicielle posée par MM. [N] [U], [I] [L], [I] [M], [E] [W] et [A] [T],

- en tout état de cause, les débouter de leur demande de renvoi préjudiciel à la CJUE,

Sur la transmission d'une question pour avis à la Cour de cassation :

- juger que les conditions prévues par l'article L.441-1 du code de l'organisation judiciaire ne sont pas réunies en l'espèce,

- débouter MM. [N] [U], [I] [L], [I] [M], [E] [W] et [A] [T] de leur demande,

A titre principal :

- débouter MM. [N] [U], [I] [L], [I] [M], [E] [W] et [A] [T] de leur demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'action en inscription de faux formée à l'encontre de l'ordonnance du 20 juin 2023,

- les déclarer irrecevables en leur demande de disjonction d'instance,

- déclarer irrecevables MM. [I] [L], [I] [M], [E] [W] et [A] [T] en leur déféré,

- déclarer recevable mais mal fondé M. [N] [U] en son déféré,

- débouter M. [N] [U] et consorts (sic) de leur demande tendant à voir déclarer nulle l'ordonnance du magistrat chargé de la mise en état en date du 20 juin 2023,

- confirmer, en tant que de besoin, l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 20 juin 2023 en toutes ses dispositions,

à défaut, si par extraordinaire la cour retenait un motif d'annulation de la décision déférée à la cour,

- prononcer la nullité de la déclaration d'appel en date du 11 juillet 2021 formée par MM. [I] [L], [N] [U], [I] [M], [E] [W] et [A] [T],

- constater que M. [N] [U] a renoncé à sa demande tendant à voir déclarer irrecevables ses conclusions au fond,

- débouter, en tout état de cause, MM. [I] [L], [N] [U], [I] [M], [E] [W] et [A] [T] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

y ajoutant,

- condamner M. [N] [U] à lui payer la somme de 15 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner MM. [I] [L], [N] [U], [I] [M], [E] [W] et [A] [T] aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 20 février 2024 (conclusions n°4 sur déféré), M. [N] [V] et l'association Union populaire républicaine (UPR) demandent à la cour de :

Sur la question préjudicielle et la demande d'avis à la Cour de cassation :

In limine litis,

- dire irrecevable la demande de transmission d'une question prejudicielle formée par MM. [U], [L], [M], [W] et [T],

- en toute hypothèse, la rejeter,

- s'abstenir d'exercer sa faculté discrétionnaire de saisine pour avis de la Cour de cassation,

Sur le déféré :

- prononcer la nullité de la declaration d'appel du 11 juillet 2021,

- déclarer nul l'appel de l'ordonnance du 1er juin 2021 par les appelants,

- déclarer recevable l'incident formé par eux le 22 décembre 2021,

- déclarer irrecevables les conclusions d'appelants régularisées le 29 septembre 2021,

- déclarer irrecevable le déféré de MM. [I] [L], [N] [U], [I] [M], [E] [W] et [A] [T],

- débouter MM. [I] [L], [N] [U], [I] [M], [E] [W] et [A] [T] de l'intégralité de leurs demandes à leur égard,

en tout état de cause,

- condamner in solidum MM. [I] [L], [N] [U], [I] [M], [E] [W] et [A] [T] à leur payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens, dont distraction faite au profit de leur avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par avis des 5 et 6 décembre 2023 (déféré et question préjudicielle), le parquet général demande à la cour de :

Sur la question préjudicielle :

- déclarer la question préjudicielle irrecevable,

subsidiairement sur le fond,

- rejeter la demande de transmission d'une question préjudicielle à la CJUE,

Sur le principal :

- déclarer irrecevables MM. [L], [M], [W] et [T] en leur action en déféré contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état,

- confirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance du conseiller de la mise en état notamment en ce qu'elle déclare nulle la déclaration d'appel de M. [U].

SUR CE,

Sur la recevabilité à agir de MM. [L], [M], [W] et [T] :

Les défendeurs au déféré soulèvent, en application des articles 31 et 32 du code de procédure civile, l'irrecevabilité, faute d'intérêt à agir, du déféré formé par MM. [L], [M], [W] et [T] dont la déclaration d'appel a été déclarée recevable par l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la cour et ne leur fait donc pas grief.

MM. [U], [L], [M], [W] et [T] ne répliquent pas sur ce point.

Le déféré contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 juin 2023 a été formé par M. [U], mais également MM. [L], [M], [W] et [T] en qualité d'appelants, lesquels n'y ont pas intérêt, dès lors que le conseiller de la mise en état a jugé recevable leur déclaration d'appel.

Ils doivent être déclarés irrecevables en leur déféré.

Il convient de relever que dans les écritures régularisées en cours de procédure, seul M. [U] est appelant, MM. [L], [M], [W] et [T] étant désormais intervenants volontaires sans que la recevabilité de leur intervention volontaire à la procédure ne fasse l'objet d'aucune critique.

Sur la demande de transmission de la question préjudicielle :

MM. [U], [L], [M], [W] et [T] font valoir que l'ordonnance du conseiller de la mise en état viole l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CDFUE) disposant que toutes les personnes sont égales en droit, l'article 21 de ladite Charte interdisant toute discrimination, l'article 47 de la Charte énonçant que toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre ou représenter, et les articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) interdisant les restrictions à la libre prestation des services, comprennant les activités des professions libérales, à l'intérieur de l'Union, en ce que le conseiller de la mise en état a estimé que M. [U] ne disposait pas des mêmes droits que les autres parties.

Ils demandent en conséquence la transmission à la CJCE de la question préjudicielle suivante :

'Le conseiller de la mise en état a-t-il violé les articles 20, 21 et 47 de la CDFUE et les articles 56 et 57 du TFUE en annulant les actes délivrés par Me [N] [U] pour M. [N] [U] ou le principe de liberté d'établissement permet-il à un avocat de postuler valablement pour lui-même''.

Les intimés et le parquet général font valoir l'irrecevabilité de la demande de question préjudicielle comme n'entrant pas dans le champ des pouvoirs de la cour statuant sur déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état, sur le fondement de l'article 916 du code de procédure civile en application duquel la Cour de cassation a jugé que 'la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui ne lui ont pas été soumis' (Cass. 2e civ., 9 juin 2022, n°21-10.724), en ce que la question préjudicielle est soulevée pour la première fois à l'occasion du déféré et ne l'a pas été préalablement devant le magistrat chargé de la mise en état appelé à statuer exclusivement sur les incidents dont il avait été saisi.

Subsidiairement, ils concluent au rejet de la demande de transmission de la question préjudicielle dès lors que :

- la question préjudicielle dont il est sollicité la transmission porte sur les articles 20, 21 et 47 de la CDFUE, qui ne peut à elle seule fonder la compétence de la CJUE,

- il n'est pas justifié que le conseiller de la mise en état aurait porté atteinte au droit de l'Union européenne ou mis en oeuvre ce droit, condition pour que les dispositions de la CDFUE puissent être utilement invoquées,

- la question préjudicielle soulevée est dénuée de toute pertinence et manifestement vouée à l'échec en ce que la décision a pour fondements légaux et règlementaires les articles 411 et 901-1 du code de procédure civile, ensemble l'article 1984 du code civil, qui procèdent exclusivement du droit national.

S'il résulte des dispositions combinées de articles 914 et 916 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui ne lui ont pas été soumis, il ne saurait être fait grief à MM. [U], [W], [M], [L] et [T] de ne pas avoir saisi le conseiller de la mise d'une demande de transmission d'avis à la Cour de cassation portant sur sa propre décision rendue ultérieurement.

De même, si initialement la question préjudicielle portait exclusivement sur les articles 20, 21 et 47 de la CDFUE qui ne peut à elle seule fonder la compétence de la CJUE en application de l'aricle 51 de la CDFUE, son libellé a été rectifié par MM. [U], [W], [M], [L] et [T] et vise désormais également les dispositions des articles 56 et 57 du TFUE.

La demande de transmission de la question préjudicielle est donc recevable.

Selon l'article 267 du TFUE,

'La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour'.

La CJUE a jugé que même les juridictions nationales statuant en dernier ressort ne sont pas soumises à l'obligation de renvoi préjudiciel dans les situations ci-après exposées :

- la question n'est pas pertinente pour la solution du litige,

- la disposition du droit de l'Union en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour,

- l'interprétation correcte du droit de l'Union s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Elle a en particulier retenu que :

'1. L'obligation de saisir la Cour de justice des questions d'interprétation du traité et des actes pris par les institutions de la Communauté que l'article 177, alinéa 3, du traité impose aux juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne s'inscrit dans le cadre de la coopération, instituée en vue d'assurer la bonne application et l'interprétation uniforme du droit communautaire dans l'ensemble des États membres, entre les juridictions nationales, en leur qualité de juges chargés de l'application du droit communautaire, et la Cour de justice. La disposition précitée vise plus particulièrement à éviter que s'établissent des divergences de jurisprudence à l'intérieur de la Communauté sur des questions de droit communautaire.

La portée de cette obligation doit dès lors être appréciée d'après ces finalités, en fonction des compétences respectives des juridictions nationales et de la Cour de justice.

2. L'article 177 du traité ne constitue pas une voie de recours ouverte aux parties à un litige pendant devant un juge national. Il ne suffit donc pas qu'une partie soutienne que le litige pose une question d'interprétation du droit communautaire pour que la juridiction concernée soit tenue de considérer qu'il y a question soulevée au sens de cet article. En revanche, il lui appartient, le cas échéant, de saisir la Cour d'office.

Il découle du rapport entre les alinéas 2 et 3 de l'article 177 du traité que les juridictions visées par l'alinéa 3 jouissent du même pouvoir d'appréciation que toutes autres juridictions nationales en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit communautaire est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision. Ces juridictions ne sont, dès lors, pas tenues de renvoyer une question d'interprétation de droit communautaire soulevée devant elles si la question n'est pas pertinente, c'est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu'elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige. Par contre, si elles constatent que le recours au droit communautaire est nécessaire en vue d'aboutir à la solution d'un litige dont elles se trouvent saisies, l'article 177 leur impose l'obligation de saisir la Cour de justice de toute question d'interprétation qui se pose'.(CJUE 6 octobre 1982, aff. Cilfit C-283/81).

Ainsi que le relèvent à juste titre les défendeurs au déféré, les fondements légaux et règlementaires de l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la cour sont les articles 411 et 901-1 du code de procedure civile et l'article 1984 du code civil, qui procèdent exclusivement du droit national, et aucune disposition du droit de l'Union n'était en cause ni n'était invoquée par MM. [U], [W], [M], [L] et [T] devant le conseiller de la mise en état qui n'a donc pas fait application du droit de l'Union.

Aucune question d'interprétation du droit communautaire ne s'étant posée devant le conseiller de la mise en état, la question 'Le conseiller de la mise en état a-t-il violé les articles 20, 21 et 47 de la CDFUE et les articles 56 et 57 du TFUE en annulant les actes délivrés par Me [N] [U] pour M. [N] [U] (...)' est dénuée de pertinence.

En outre, la question posée à la CJUE ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige qui porte sur l'application du droit national. En effet, devant la cour, MM. [W], [M], [L], [T] et [U] invoquent la violation de certaines dispositions du droit communautaire au soutien de leur demande de transmission de question préjudicielle, mais sans que soit en cause l'interprétation uniforme de telles dispositions à défaut de production de quelconques décisions faisant application de celles-ci ayant trait à la faculté pour un avocat de se représenter lui-même dans une instance avec représentation obligatoire. De même, ils ne font pas état de la violation de dispositions de droit communautaire au soutien de leur demande d'annulation de l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la cour.

La question étant dénuée de toute pertinence, il n'y a pas lieu d'en saisir la CJUE.

Sur la demande de transmission pour avis à la Cour de cassation :

MM. [U], [L], [M], [W] et [T] sollicitent sur le fondement de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire la transmission pour avis à la Cour de cassation de la question suivante 'Existe-il une disposition législative interdisant à un avocat de postuler pour lui-même et en cas de réponse négative à la question précédente, le juge peut-il compléter la loi du 31décembre 1971 en ajoutant, par voie de jurisprudence, une disposition de nature règlementaire, une règle interdisant à un avocat de postuler pour lui-même' aux motifs que:

- le Conseil constitutionel a jugé (décision du 17 février 2012 QPC N° 2011-223) que le libre choix d'un avocat constitue un principe à valeur constitutionnelle que seul le législateur peut restreindre pour prévenir la sécurité des personnes ou en matière de terrorisme,

- les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles,

- le législateur ne peut en aucun cas prendre des mesures pour restreindre le libre choix de l'avocat,

- la CEDH a jugé que l'Etat qui interdit à un avocat de postuler pour lui-même viole l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH, Masiveric/Serbie, 11 février 2014, Req. N°30671/08),

- l'ordonnance du conseiller de la mise en état méconnaît les articles 20, 21 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 56 et 57 du TFUE.

Les défendeurs au déféré répliquent qu'il n'y a pas lieu à saisine de la Cour de cassation, dès lors qu'il s'agit d'une décision discrétionnaire de la juridiction et que la question de l'impossibilité pour une partie ayant la qualité d'avocat de se représenter elle-même dans une procédure devant une juridiction où la représentation par avocat est obligatoire n'est pas nouvelle, ne présente pas de difficulté et ne se pose pas dans de nombreux litiges en ce qu'elle résulte des dispositions de l'article 1984 du code civil ne souffrant d'aucune ambiguïté et qu'elle a au demeurant été tranchée par les juridictions du fond au visa de cet article, les principes contestés ayant en outre fait l'objet de décisions particulièrement explicites du Conseil d'Etat, en sorte qu'une telle saisine serait vouée à l'échec.

Selon l'article L.441-1 du code de l'organisation judiciaire, 'Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l'avis de la Cour de cassation'.

La cour n'entend pas saisir la Cour de cassation pour avis, la question posée ne présentant pas un caractère nouveau ni une difficulté sérieuse justifiant une telle saisine.

Sur la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision sur la procédure en inscription de faux :

MM. [U], [W], [M], [L] et [T] demandent à la cour d'ordonner le sursis à statuer sur l'action en déféré dans l'attente de la décision rendue sur l'inscription de faux formée contre l'ordonnance du 20 juin 2023 en application de l'article 313 du code de procédure civile, en ce que le prononcé du sursis à statuer est obligatoire quand un acte authentique décisif de la procédure fait l'objet d'une inscription de faux et à plus forte raison s'agissant de l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la cour et qui ne peut être écartée des débats, étant observé que dans l'exercice de sa fonction, le juge est amené à effectuer des constatations sur des faits matériels mais également juridiques.

Les défendeurs au déféré s'opposent à cette demande aux motifs que :

- en application de l'article 378 du code de procédure civile, l'appréciation de l'opportunité de surseoir à statuer relève du pouvoir discrétionnaire du juge du fond,

- l'article 313 du code de procédure civile n'est applicable qu'à la procédure d'inscription en faux portée devant une juridiction autre que le tribunal judiciaire et la cour d'appel et contre les actes authentiques tels que définis par l'article 1369 du code civil, et une décision de justice ou à tout le moins les motifs d'une décision de justice par lesquels les juges apprécient souverainement les faits de la cause et interprètent le droit applicable ne sont pas des actes authentiques,

- la procédure en inscription de faux engagée par MM. [U], [W], [M], [L] et [T] ne tend pas à dénoncer une inexactitude des mentions authentiques de l'ordonnance du conseiller de la mise en état mais à remettre en cause son analyse du droit applicable,

- une telle procédure est manifestement irrecevable, se heurte au plein effet dévolutif des débats s'étant tenus devant le conseiller de la mise en état dont bénéficie la cour statuant sur déféré et a pour but d'empêcher la cour de se prononcer sur la question de droit dont elle est saisie,

- une telle procédure est également manifestement vouée à l'échec,

- la demande de sursis à statuer déposée tardivement, qui participe de la multiplication des demandes incidentes de MM. [U], [W], [M], [L] et [T], présente un caractère dilatoire et le prononcé d'un tel sursis serait contraire au principe d'une bonne administration de la justice en ce qu'il retarderait inutilement les débats alors que la cour dispose de tous les éléments permettant de statuer sans avoir à attendre l'issue de la procédure pour inscription de faux, et paralyserait une procédure initiée depuis déjà trois ans.

Selon l'article 313 du code de procédure civile, 'Si l'incident est soulevé devant une juridiction autre que le tribunal judiciaire ou la cour d'appel, il est sursis à statuer jusqu'au jugement sur le faux à moins que la pièce litigieuse ne soit écartée du débat lorsqu'il peut être statué au principal sans en tenir compte.

Il est procédé à l'inscription de faux comme il est dit aux articles 314 à 316. L'acte d'inscription de faux doit être remis au greffe du tribunal judiciaire dans le mois de la décision de sursis à statuer, faute de quoi il est passé outre à l'incident et l'acte litigieux est réputé reconnu entre les parties'.

Cet article figure dans le chapitre II du code civil intitulé 'L'inscription de faux contre les actes authentiques' inséré dans le sous titre III intitulé 'Les contestations relatives à la preuve littérale'.

L'article 1369 du code civil dispose que 'L'acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter.

Il peut être dressé sur un support électronique s'il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret au Conseil d'Etat.

Lorsqu'il est reçu par un notaire, il est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi'.

Selon l'article 457 du code civil, 'Le jugement a la force probante d'un acte authentique, sous réserve des dispositions de l'article 459".

L'article 459 du code civil précise que 'L'omission ou l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s'il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d'audience ou par tout moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées'.

Un jugement ne fait foi jusqu'à inscription de faux que des faits que le juge y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme ayant eu lieu en sa présence.

MM. [U], [W], [M], [L] et [T] précisent avoir déposé une inscription de faux contre l'ordonnance du 20 juin 2023 en ce que le conseiller de la mise en état a constaté de manière inexacte que l'article 1984 du code civil interdit à un avocat de postuler pour lui-même et a cru pourvoir solutionner la discussion sur la nullité d'une déclaration d'appel, au visa de cette constatation personnelle manifestement inexacte quant au principe posé par cet article, ce qui caractérise un faux en écriture authentique.

La procédure d'inscription de faux contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état porte sur la motivation même de la décision et en particulier son appréciation de l'article 1984 du code civil, laquelle ne constitue pas un fait matériel ou juridique que le juge y a énoncé comme l'ayant accompli lui-même ou comme ayant eu lieu en sa présence, un fait juridique constituant un fait quelconque (agissement intentionnel ou non de l'homme, évènement social, phénomène de la nature, fait matériel) auquel la loi attache une conséquence juridique (acquisition d'un droit, création d'une obligation).

Les dispositions de l'article 313 du code de procédure civile sont donc inapplicables.

Selon l'article 378 du code de procédure civile, 'La décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'évènement qu'elle détermine'.

Outre que la demande de sursis à statuer a été formée par conclusions du 24 janvier 2024 après plusieurs renvois de l'affaire initialement fixée au 10 octobre 2023, ordonnés en raison des multiples demandes successives formées par MM. [U], [W], [M], [L] et [T], la solution du litige ne dépend pas de l'issue de la procédure d'inscription de faux et il relève au contraire d'une bonne administration de la justice de statuer sur le déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état sans retarder davantage l'issue de cette procédure et par voie de conséquence la procédure d'appel contre l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris du 1er juin 2021 initiée depuis presque trois ans.

Il n'y a dès lors pas lieu de surseoir à statuer.

Sur la demande de disjonction d'instance :

MM. [U], [W], [M], [L] et [T] sollicitent que soit ordonnée la disjonction du cas de M. [N] [U] du cas des autres appelants, pour l'examen de l'appel contre l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 1er juin 2021 compte tenu de l'ancienneté de la procédure.

Les intimés répliquent que cette demande est irrecevable, le déféré ne portant que sur l'ordonnance du conseiller de la mise en état et la cour, qui ne statue que dans le champ de compétence d'attribution dudit magistrat, ne pouvant se prononcer sur des demandes incidentes qui n'ont pas été formées devant ce dernier, mais également incompatible avec le principe d'une bonne administration de la justice.

La disjonction d'instance étant une mesure administrative, la demande de disjonction d'instance peut être formée à tout moment. Elle est donc recevable.

Rien ne justifie la disjonction d'instance dès lors que la demande de sursis à statuer est rejetée et que la cour statue sur le déféré.

Cette demande est donc rejetée.

Sur la demande d'annulation de l'ordonnance du conseiller de la mise en état :

Le conseiller de la mise en état a jugé nulle la déclaration d'appel de M. [U] représenté par Me [U] aux motifs que :

- il résulte de la combinaison des articles 411 du code de procédure civile et 1984 du code civil, qu'un avocat, partie à une instance, ne peut pas assurer sa propre représentation en justice,

- ces dispositions applicables dans le cadre des seules procédures civiles avec représentation obligatoire qui restreignent par une disposition légale, l'article 1984 du code civil, la liberté de choix de son avocat, poursuivent un but légitime au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à savoir l'efficacité de la procédure d'appel, la sécurité juridique et une bonne administration de la justice et ne constituent donc pas une violation de l'article 6 de la dite Convention,

- la déclaration d'appel, faite sous la constitution de M. [U] en qualité d'avocat, qui a également la qualité de partie appelante à la décision attaquée, est atteinte d'une irrégularité au fond, consistant dans le défaut de pouvoir de se représenter lui-même et a pour conséquence, s'agissant d'une procédure d'appel avec représentation obligatoire, un défaut de représentation effective de l'appelant, soit une irrégularité de fond au sens de l'article 114 du code de procédure civile ne pouvant être couverte que dans le délai permettant de régulariser cet acte, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

MM. [U], [W], [M], [L] et [T] soulèvent la nullité de l'ordonnance du conseiller de la mise en état dont la motivation juridique est manifestement illégale en ce que :

- la profession d'avocat est régie par la loi du 31 décembre 1971 qui ne comporte aucune disposition interdisant à un avocat de postuler ou de se représenter lui-même,

- le conseiller de la mise en état, en refusant à M. [U] le droit de se représenter lui-même, 'estime donc que M. [N] [U] ne dispose pas du libre choix de son avocat, lorsqu'il engage une procédure, en conséquence, que M. [N] [U] est donc un sous-homme (untermeschen), puisque selon l'ordonnance du 20 juin 2023, il n'a pas le droit de choisir l'avocat qu'il lui convient' et il est étonnant 'qu'un juge français siégeant à la cour d'appel de Paris, ait pu avoir l'idée saugrenue de vouloir rétablir le principe nauséabond édicté en 1933 lors du procès des incendiaires du Reichstag, principe repris par les infames lois dites de Nuremberg, le juge peut 'dégager' un avocat dont le faciès ne lui convient pas' (sic), et la motivation juridique de l'ordonnance litigieuse est plus que contestable et manifestement inopérante,

- l'ordonnance du conseiller de la mise en état interdisant qu'un avocat partie à une instance puisse se représenter lui-même, en violation du principe du libre choix d'avocat et de l'article 1 de la Déclaration des droits de l'homme et citoyens posant le principe d'égalité des hommes en droits, constitue un arrêt de règlement prohibé par l'article 5 du code civil,

- l'annulation de la déclaration d'appel au visa de l'article 117 du code de procédure civile, qui n'a qu'une valeur règlementaire, est manifestement illégale tant sur un motif de droit, seul un texte de valeur législative pouvant porter une restriction au libre choix de l'avocat, que sur un motif de fait, dès lors que M. [U], avocat à la cour, peut postuler pour qui bon lui semble,

- l'article 441 du code de procédure civile oblige l'avocat à réaliser la mission qui lui est confiée et le contrat de mandat entre un avocat et son client se forme par l'acceptation du mandataire, sans que le juge puisse contrôler la licéité du contrat,

- le conseiller de la mise en état a entaché son ordonnance d'un très grave défaut de réponse à conclusions et cru pouvoir annuler la déclaration d'appel délivrée pour M. [U] sur le fondement d'une grave erreur de droit dès lors que le libre choix de l'avocat constitue un principe à valeur constitutionnelle que le législateur ne peut restreindre qu'à titre exceptionnel pour garantir la sécurité des personnes et dans les affaires de terrorisme (décision du Conseil constitutionnel n° 2011-223 QPC du 17 février 2012), et qu'il ne peut être déduit de l'article 117 du code de procèdure civile, à valeur réglementaire, une restriction au libre choix de l'avocat de valeur constitutionnelle, aucune loi ne prévoyant une telle restriction et le conseiller de la mise en état étant tenu de se conforter aux décisions du Conseil constitutionnel,

- la nullité éventuelle de la déclaration d'appel de M. [U] requiert de trancher la question de savoir si un avocat, qui peut postuler devant une juridiction civile, peut postuler pour lui-même devant cette même juridiction civile, et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt CEDH Masirec c/Serbie 11 février 2014 Req. N° 30671/08 (PJ12).) ayant admis qu'un avocat qui est en droit de postuler devant une juridiction peut postuler pour lui-même devant cette même juridiction, le conseiller de la mise en état a violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- l'arrêt Correia De Matos c/ Portugal de la Cour européenne des droits de l'homme est inopérant en l'espèce car il tranche la question de savoir si devant une juridiction pénale de nature accusatoire la loi peut obliger un justiciable à être représenté par un avocat.

Mme [B] réplique qu'il n'est caractérisé aucun excès de pouvoir de nature à entrainer la nullité de l'ordonnance d'incident qui doit être confirmée, en ce que :

- les prétendues violations d'une règle de fond ou de procédure, ou encore de règles et principes issus des articles 6, § 1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne constituent pas un excès de pouvoir,

- au surplus, s'agissant du principe à valeur constitutionnelle invoqué, la décision du Conseil constitutionnel du 17 février 2012 ayant trait aux droits fondamentaux garantis à une personne soupçonnée dans le cadre d'une procédure pénale (Conseil constitutionnel, 17 févr. 2012, n° 2011-223 QPC) n'est pas transposable au présent litige et rappelle la marge de manoeuvre laissée au législateur,

- l'arrêt de grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (Correia de Mateos c/ Portugal) a conclu, dans cette espèce, au caractère nécessaire et proportionné de la restriction aux principes issus de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et partant, à l'absence de violation de celle-ci,

- la demande de nullité de l'ordonnance n'est pas fondée, aucun excès de pouvoir n'étant caractérisé et le magistrat ayant répondu aux moyens invoqués et la cour n'est saisie d'aucune demande d'infirmation ou de réformation de celle-ci,

- en tout état de cause, la déclaration d'appel formée par M. [U] est nulle en ce que :

- la définition du mandat de représentation en justice à l'article 411 du code de procédure civile exclut que les qualités de mandant et de mandataire soient confondues en la même personne,

- le principe d'indépendance de l'avocat implique nécessairement que l'avocat soit une personne distincte de la partie au litige, dont les intérêts personnels ne sont pas en cause dans le litige,

- la représentation obligatoire en justice et l'impossibilité pour un avocat de se représenter lui-même poursuivent un but légitime et sont constitutifs d'une bonne administration de la justice,

- la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la décistion d'autoriser un accusé à se défendre lui-même sans l'assistance d'un avocat ou de désigner un avocat pour le représenter relève de la marge d'appréciation des États contractants, qui sont mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense, et que les juridictions nationales étaient en droit d'estimer que les intérêts de la justice commandaient la désignation obligatoire d'un avocat (CEDH, Correia de Matos c. Portugal, 4 avril 2018, requête n°56402/12), ce dont il se déduit qu'un Etat peut légitimement considérer, d'une part, qu'un accusé est mieux défendu s'il est assisté par un avocat qui a une approche dépassionnée et est préparé sur le plan technique et, d'autre part, qu'un accusé formé à la profession d'avocat peut ne pas être capable de défendre sa cause de manière effective si les accusations le visent personnellement,

- la Cour européenne des droits de l'homme a également jugé que l'interprétation stricte de la loi nationale par la Cour suprême croate interdisant au plaignant, avocat, de se représenter lui-même constituait une violation de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mais uniquement en ce que cette décision avait été rendue alors qu'une divergence d'interprétation des modalités de l'entrée en vigueur de la loi de procédure civile imposant la représentation par un conseil devant la Cour suprême adoptée en 2004 existait entre la Cour suprême croate et la Cour constitutionnelle, de sorte que cette interprétation stricte ne poursuivait ni un but de sécurité judiciaire, ni un but de bonne administration de la justice. Elle a rappelé néanmoins, aux termes de cet arrêt, que l'obligation d'être représenté par un avocat qualifié n'est pas en soi contraire à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conformément à sa jurisprudence constante (CEDH, Masirevic c. Serbie, 11 février 2014, requête n°30671/08),

- les règles de procédure civile française imposant, pour certaines procédures et notamment pour les procédures au fond devant le tribunal judiciaire, la représentation obligatoire par un avocat, poursuivent un but légitime et sont conformes à une bonne administration de la justice, en ce qu'elle permettent une approche dépassionnée de la défense.

M. [V] fait également valoir la nullité de la déclaration d'appel de M. [U] en ce que:

- un avocat ne peut se représenter lui-même en application des articles 760, 901 1°, 411 du code de procédure civile et 1984 du code civil et des articles 1.1 et 1.3 du Règlement intérieur national applicable à la profession d'avocat, mais également de la jurisprudence des ordres judiciaire et administratif français,

- les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public,

- l'impossibilité pour un avocat de se représenter lui-même dans une procédure civile à caractère obligatoire résulte des dispositions des articles 760, 901 1° et 411 du code de procédure civile et 1984 du code civil,

- outre les juridictions judiciaires, le Conseil d'Etat a rappelé l'impossibilité pour un avocat d'être son propre défenseur dans une instance avec représentation obligatoire,

- l'ordonnance du conseiller de la mise en état est bien fondée et ne saurait être remise en cause au regard :

- du principe à valeur constitutionnelle invoqué par l'appelant; alors que la décision du Conseil constitutionnel du 17 février 2012 se réfère aux droits fondamentaux dans le cadre d'une procédure pénale et reconnaît la marge de manoeuvre des Etats et qu'en toutes hypothèses, la restriction éventuelle apportée à ce principe est de nature légale comme procédant notamment de l'article 1984 du code civil crée par la loi du 20 mars 1804,

- du défaut allégué de respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et en particulier de l'arrêt Ma'irevic c/ Serbie du 11 février 2014, simple arrêt de chambre antérieur à l'arrêt de la Grande Chambre Correia de Mateos c/ Portugal ayant conclu, dans cette espèce, au caractère nécessaire et proportionné de la restriction aux principes issus de l'article 6 §1 de ladite convention et, partant, à l'absence de violation de celle-ci, le conseiller de la mise en état ayant répondu aux conclusions des appelants en vérifiant le caractère nécessaire et proportionné de la restriction résultant du droit national applicable,

- l'acte d'appel formé par M. [U] est entaché d'une nullité de fond, et les conclusions de Me [U] n'ont pas régularisé cet acte, en sorte que le délai d'appel est expiré.

Le parquet général est également d'avis que la représentation obligatoire et l'impossibilité pour un avocat de se représenter lui-même poursuivent un but légitime et sont constitutifs d'une bonne administration de la justice.

Une décision de justice peut être annulée dans les cas de nullité prévus à l'article 458 du code de procédure civile - non invoqué- ou, à défaut, en cas d'excès de pouvoir.

Constitue un excès de pouvoir ouvrant la voie de l'appel nullité le fait pour un juge de s'arroger un pouvoir que la loi ne lui confère pas.

La seule erreur de droit, à la supposer établie, n'est pas constitutive d'un excès de pouvoir, celle-ci ne caractérisant pas une méconnaissance par les premiers juges de l'étendue de leurs pouvoirs juridictionnels.

Ni la violation de l'article 455 du code de procédure civile, qui énonce notamment que le jugement doit être motivé, ni plus largement un grief tiré du non respect de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne caractérisent un excès de pouvoir.

L'ordonnance déférée à la cour ne constitue pas un arrêt de règlement dès lors qu'elle est fondée sur des textes législatifs et règlementaires du droit national.

Les critiques formées sur la motivation de l'ordonnance du conseiller de la mise en état en ce qu'il aurait fait une interprétation erronée des textes législatifs et règlementaires du droit national sont insusceptibles de caractériser un excès de pouvoir justifiant la nullité de ladite ordonnance.

La violation prétendue par le conseiller de la mise en état des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du principe à valeur constitutionnelle de la liberté de choisir son avocat et des dispositions du droit communautaire sont également impropres à caractériser un excès de pouvoir.

La demande de nullité de l'ordonnance du conseiller de la mise en état est donc mal fondée à défaut de démonstration d'un excès de pouvoir et doit être rejetée.

En l'absence de demande d'infirmation de l'ordonnance, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le bien fondé de celle-ci.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

M. [U] échouant en ses prétentions est condamné aux dépens d'appel et à payer à Mme Mme [O] [B], d'une part, et à M. [N] [V] et l'association Union populaire républicaine (UPR), d'autre part, une somme de 8 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Vu l'arrêt distinct du 14 mai 2024 par lequel la cour a rejeté la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité et condamné M. [N] [U] aux dépens,

Dit M. [E] [W], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T] irrecevables en leur déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 juin 2023,

Constate l'intervention volontaire de M. [E] [W], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T] à la procédure de déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 juin 2023,

Dit recevable la demande de transmission de la question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne,

Dit n'y avoir lieu à transmission de la question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne,

Dit n'y avoir lieu à la saisine de la Cour de cassation pour avis,

Déboute M. [N] [U], M. [E] [W], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T] de leur demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision rendue sur l'inscription de faux formée contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 juin 2023,

Dit recevable la demande de disjonction d'instance formée par M. [N] [U], M. [E] [W], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T],

Dit n'y avoir lieu à la disjonction d'instance,

Déboute M. [N] [U], M. [E] [W], M. [I] [M], M. [I] [L] et M. [A] [T] de leur demande de nullité de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 juin 2023,

Condamne M. [N] [U] à payer à Mme [O] [B], d'une part, et à M. [N] [V] et l'association Union populaire républicaine (UPR), d'autre part, une somme de 8 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [N] [U] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 23/11019
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;23.11019 ?
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