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14/05/2024 | FRANCE | N°21/09249

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 14 mai 2024, 21/09249


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 14 MAI 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09249 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CET3R



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/07471



APPELANT



Monsieur [Z] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 09 Septembre 1989 à

[Localité 8]



Représenté par Me Marie-Sophie VINCENT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1858



INTIMEE



S.A.S.U. HM [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Jea...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 14 MAI 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09249 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CET3R

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/07471

APPELANT

Monsieur [Z] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 09 Septembre 1989 à [Localité 8]

Représenté par Me Marie-Sophie VINCENT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1858

INTIMEE

S.A.S.U. HM [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean D'ALEMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Isabelle LECOQ CARON Présidente de chambre

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre

Monsieur Daniel FONTANAUD, Magistrat honoraire

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Isabelle LECOQ CARON, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle LECOQ CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [Z] [V] a été engagé par la SASU HM [Localité 7] qui exploitait les hôtels Mercure [Localité 7] Gare de [5] Magenta (MPGE) et Mercure [Localité 7] Gare du [6] (MPGN) sous l'ancienne dénomination Groupe Flora à compter du 5 janvier 2015 en qualité d'homme d'entretien.

Au dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective hôtels, cafés, restaurants, le salarié occupait le poste de responsable technique des hôtels Mercure sis gare de [5] et gare du [6].

A compter du 24 avril 2019, M. [V] a été titulaire d'un mandat de membre titulaire du CSE. Depuis le 7 mai 2019, il était délégué syndical CGT.

Le 13 juin 2019, M. [V] a été placé en arrêt pour rechute d'accident du travail jusqu'au 21 juin, puis du 8 juillet au 12 août 2019. Le 20 décembre 2019, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de l'accident du travail du 18 mars 2019. Le 29 janvier 2020, il se voyait fixer une IPP à hauteur de 11%. Par jugement en date du 20 décembre 2023,le tribunal judiciaire de Paris a débouté M. [V] de son action aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société HM [Localité 7] après avoir retenu dans ses motifs qu'il n'y a pas lieu de retenir l'existence d'un accident du travail.

Le 12 juillet 2019, M. [V] a fait l'objet d'une déclaration d'inaptitude par avis du médecin du travail avec la précision suivante : 'pourrait occuper un poste comparable dans un autre environnement organisationnel. Le salarié peut bénéficier d'une formation compatible avec ses capacités restantes susmentionnées'.

La société HM [Localité 7] a formulé une demande d'autorisation de licenciement le 11 septembre 2019. Une autorisation de l'inspection du travail a été accordée le 3 octobre 2019 et M. [V] a été licencié pour inaptitude par lettre du 10 octobre 2019. M. [V] a formulé un recours hiérarchique le 3 décembre 2019 et l'autorisation de licencier M. [V] a été annulée par décision de la Ministre le 15 juin 2020. M. [V] a formulé une demande de réintégration le 11 août 2020. Il a été réintégré dans l'entreprise à compter du 17 septembre 2020.

Une nouvelle demande d'autorisation de licenciement a été formulée par l'employeur le 22 décembre 2020 et l'autorisation du licenciement a été accordée par l'inspection du travail le 8 février 2021. La société HM [Localité 7] a alors notifié à nouveau à M. [V] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 19 février 2021. Le salarié a alors engagé une procédure administrative en contestation du licenciement.

Suite à la décision de rejet du recours en contestation de l'autorisation de licenciement de l'inspection du travail, M. [V] a engagé une procédure en contestation devant le tribunal administratif de Paris qui par décision du 13 juillet 2022 a rejeté sa demande.

En dernier lieu, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la demande de M. [V] et a donc confirmé l'autorisation de licenciement.

Par décision du 20 décembre 2023, le tribunal judiciaire a rejeté la demande de M. [V] tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Sollicitant à titre principal un rappel de salarie en application de l'article L. 1226-10 du code du travail, à titre subsidiaire la nullité du licenciement au visa des articles L. 1132-1 et L. 2411-1 du code du travail et des dommages-intérêts pour licenciement nul, et à titre infiniment subsidiaire des dommages-intérêts au visa de l'article L. 2422-4 du code du travail, ainsi en tout état de cause que le paiement des indemnités de rupture, d'une indemnité et de dommages intérêts pour harcèlement moral discriminatoire, pour non respect de l'obligation de sécurité, M. [V] a saisi le 12 octobre 2020 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 23 septembre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- déboute M. [V] de l'ensemble de ses demandes et le condamne aux entiers dépens.

Par déclaration du 9 novembre 2021, M. [V] a interjeté appel de cette décision, notifiée le par lettre du greffe adressée aux parties le 22 octobre 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 janvier 2024, M. [V] demande à la cour de :

Infirmer dans son intégralité le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 23 septembre 2021 ;

Statuant à nouveau,

1° Condamner la société HM [Localité 7] à verser à M. [V] la somme de 45.952 € en réparation des préjudices liés au harcèlement moral discriminatoire,

2°) Reconnaître le caractère professionnel de l'inaptitude à l'origine des licenciements de M. [V] ;

3°) en ce qui concerne les conséquences de l'annulation du licenciement du 10 octobre 2019 :

a) A titre principal

Condamner la société HM [Localité 7] en application de l'article L1226-10 du code du travail à verser à M. [V] la somme de 40.487,04 € brute à titre de rappel de salaire consécutif à l'annulation de l'autorisation du licenciement par l'ordre administratif ;

b) A titre subsidiaire,

Condamner la société HM [Localité 7] à verser à M. [V], en application des dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail pour la période allant du 10 octobre 2019 au 13 février 2020, la somme de 7.091,55 € nette ;

4°) en ce qui concerne les conséquences du licenciement du 19 février 2021

Condamner la société HM [Localité 7] à verser à M. [V] :

A titre de rappel sur indemnité spéciale, la somme de 3 997.51€ ;

A titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 5.105,88 € brute ;

Au titre des congés payés afférents, la somme de 510,59 € ;

A titre de dommages et intérêts pour perte de l'emploi, la somme de 15 764 € ;

A titre de dommages et intérêts pour impossibilité d'exercer ses mandats jusqu'à son terme, la somme de 58 552 € ;

5°) Au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5.000 € ;

6°) Ordonner la capitalisation des intérêts et ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à l'arrêt à intervenir.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 janvier 2024, la société HM [Localité 7] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes;

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé recevable la demande au titre de sa réparation pour manquement à l'obligation de sécurité et débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

A titre liminaire,

- constater la renonciation de la demande de dommages-intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité ;

En tout état de cause de :

A titre principal,

- confirmer la décision du ministre du travail ayant rejeté la demande de M. [V] au titre d'un harcèlement moral discriminatoire, elle-même confirmée par la cour administrative d'appel de [Localité 7], et juger que M. [V] ne rapporte pas la preuve d'un harcèlement moral discriminatoire;

- Juger que le licenciement de M. [V] est régulier ;

- Débouter M. [V] de ses demandes ;

- Condamner M. [V] à verser à la société la somme de 6 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire, de limiter le montant de la condamnation à de plus justes proportions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 1er mars 2024 avant d'être renvoyée par la cour à l'audience collégiale du 5 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour relève que dans ses dernières conclusions, le salarié ne soutient plus l'appel du chef du dispositif qui l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'obligation de sécurité.

Sur la demande au titre du licenciement du 10 octobre 2019

Pour infirmation de la décision entreprise, M. [V] fait valoir que le licenciement pour inaptitude du 10 octobre 2019 a été annulé par décision de la ministre du travail le 15 juin 2020 ; que cette annulation opposable à tous, emporte disparition rétroactive de l'acte annulé et si le salarié le demande, réintégration avec maintien de ses avantages ; qu'à la suite de l'avis d'inaptitude du 12 juillet 2019, la société ne l'a pas reclassé dans le délai légal ; qu'il est donc en droit de demander la condamnation de la société à lui verser son salaire à compter du 13 août 2019, à l'issue du délai d'un mois prévu par l'article L. 1226-41 du code du travail, jusqu'à la date de son second licenciement le 19 février 2021.

A titre subsidiaire, il sollicite l'application de l'article L. 2422-4 du code du travail.

La société HM [Localité 7] réplique que seul l'article L. 2422-2 du code du travail a vocation à s'appliquer ; que l'article L. 1226-10 du code du travail conduit l'employeur à maintenir les salaires à défaut de licenciement ; qu'en l'espèce, le salarié a été licencié.

L'article L. 2422-4 du code du travail dispose que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration.

Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.

M. [V] a été licencié le 10 octobre 2019 à la suite de l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail et après autorisation délivrée par l'inspecteur du travail le 3 octobre 2019, mais annulée sur recours hiérarchique par la ministre du travail le 15 juin 2020 de telle sorte que ce n'est pas l'article L. 1226-10 du code travail qui concerne le salarié inapte mais non licencié, qui trouve à s'appliquer, mais l'article L. 2422-4 du même code.

Il résulte des bulletins de paie versés aux débats que l'employeur a repris le versement des salaires à compter du 18 août 2020. Il est admis que M. [V] a trouvé un autre emploi mieux rémunéré en février 2020 et qu'il a perçu des indemnités de Pôle Emploi pour les mois de janvier et février 2020 dont il justifie.

Dès lors, la cour, par infirmation de la décision critiquée, condamne la société HM [Localité 7] à verser à M. [V] la somme de 7 091,55 euros net en ce compris les congés payés, à titre de complément de salaire.

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral lié à une discrimination syndicale et les demandes subséquentes au licenciement du 19 février 2021

Pour infirmation de la décision entreprise, M. [V] soutient en substance qu'il a été victime d'un harcèlement discriminatoire en raison de l'exercice de ses activités syndicales et ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant humiliant ou offensant ; que dès le mois de février 2018 et sa demande d'organisation d'élections professionnelles, il a été soumis à de fortes pressions, à un isolement, un dénigrement ; que ce harcèlement moral discriminatoire a dégradé ses conditions de travail et est à l'origine de son inaptitude.

La société rétorque que l'inspection du travail a considéré que l'inaptitude de M. [V] était étrangère à une dégradation de son état de santé en lien avec son mandat ; que les différents recours exercés par le salarié ont été rejetés et la décision administrative s'impose donc en raison de la séparation des pouvoirs ; qu'un rapport d'expertise de la société Risk'Expert du 25 juin 2019 intitulé 'Intervention situation de tension' a révélé les comportements anormaux du salarié.

Il est de droit que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement pour inaptitude d'un salarié protégé, apprécier la régularité de la procédure d'inaptitude, le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement ; que cependant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à'ce'que'le'salarié'fasse'valoir'devant'les'juridictions'judiciaires'tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à'ses'obligations.

Pour autant, même'lorsque'le'salarié'est'atteint'd'une'inaptitude'médicale susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que celui-ci est envisagé également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec'des obstacles'mis'par'l'employeur'à'l'exercice'de'ses'fonctions'représentatives'est'à'cet égard'de'nature'à'révéler'l'existence'd'un'tel'rapport. (Je n'ai pas réussi à modifier la mise en page de ces paragraphes)

En l'espèce, par décision du 8 février 2021, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. [V]. Le salarié a formé un recours hiérarchique rejeté le 12 octobre 2021 par la ministre du travail.

Le 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours du salarié.

Dans son arrêt du 28 novembre 2023, la cour d'appel administrative de Paris a rejeté la demande de M. [V] de voir annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2022 ainsi que la décision du 8 février 2021 de l'inspecteur du travail et celle du 12 octobre 2021 de la ministre du travail.

Devant la cour administrative d'appel, M. [V] soutenait que 'le licenciement est en lien avec son mandat et aurait dû être refusé pour ce motif ; toutes les mesures prises par la direction de l'entreprise sont contemporaines de sa demande d'organisation des élections professionnelles ; il a subi un harcèlement moral à l'origine de ses problèmes de santé dont la dégradation est en lien direct avec les obstacles mis par son employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives ; le caractère professionnel de sa maladie a été reconnu par l'assurance maladie ; le rapport d 'expertise produit par la direction de l'entreprise est entaché d'un défaut du contradictoire et d'objectivité'.

La cour administrative d'appel a statué ainsi :

' Considérant ce qui suit :

l. La société Hôtel Mercure [Localité 7], qui exploite deux hôtels situés à [Localité 7], a sollicité l'autorisation de licencier pour inaptitude M. [V], employé comme responsable technique et investi des mandats de délégué syndical CGT et de membre de la délégation du personnel du comité social et économique. Par une décision du 3 octobre 2019, l`inspecteur du travail a accordé cette autorisation. Saisie du recours hiérarchique formé par M. [V], la ministre du travail a, par une décision du 15 juin 2020, annulé la décision de l'inspecteur du travail et refusé l'autorisation de licencier M. [V] en raison de l'irrégularité de la convocation de l'intéressé à l'entretien préalable à son licenciement. La société Hôtel Mercure [Localité 7] a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision de la ministre du travail du 15 juin 2020. Par un jugement du 7 juin 2021, le tribunal a annulé la décision du 15 juin 2020 au motif que la société Hôtel Mercure [Localité 7] aurait dû informer le salarié de la faculté de recourir à un conseiller, en violation du dernier alinéa de l'article L. 1232-4 du code du travail. M. [V] a été réintégré en septembre 2020. Le 22 décembre 2020, la société Hôtel Mercure [Localité 7] a à nouveau demandé l'autorisation de licencier pour inaptitude M. [V]. Par une décision du 8 février 2021, l'inspecteur du travail de la 7ème section de l'unité de contrôle 10-18 de [Localité 7] a accordé cette autorisation. Par une décision implicite, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique formé par M. [V] contre la décision de l'inspecteur du travail du 8 février 2021, puis par une décision du 12 octobre 2021, expressément rejeté ce recours. M. [V] a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision de la ministre du 12 octobre 2021, ainsi que de la décision de l'inspecteur du travail du 8 février 2021. Par un jugement du 13 juillet 2022 dont M. [V] relève appel, le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise.

3. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

4. M. [V] soutient que son inaptitude résulte d'une dégradation de ses conditions de travail dès lors qu'à partir de sa demande d'organisation d'élections professionnelles en février 2018, il a été soumis à de fortes pressions de la part de son employeur l'obligeant à consulter le médecin du travail en mars 2018 et qu'i1 s'est vu notifier un courrier en vue d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail alors même qu'il n'avait pas formulé un tel souhait. Il ressort toutefois d'un courriel du 13 mars 2018 que M. [V] avait sollicité une rupture conventionnelle auprès de son employeur à la fin du mois de février et il ressort des pièces du dossier que le salarié a indiqué au médecin du travail, lors de sa visite du 14 mars 2018, avoir obtenu une rupture conventionnelle du fait d'une situation de souffrance au travail mais y avoir renoncé compte tenu de l'arrivée de nouveaux dirigeants. Il résulte de ces éléments que la situation de souffrance au travail était liée à des conflits avec son ancienne hiérarchie et préexistait à la demande d'organisation d'élections professionnelles.

5. M. [V] se prévaut également du fait qu'il a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire le 26 mars 2019, soit le lendemain de sa déclaration de candidature aux élections professionnelles. Néanmoins, cette convocation fait suite à un incident survenu le 20 mars, antérieurement à sa déclaration de candidature, au cours duquel M. [V] s'est présenté sur son lieu de travail en pleine nuit alors qu'il se trouvait en arrêt maladie, et qui n'a donné lieu qu'à un simple rappel à l'ordre le 4 avril 2019.

6. Si M. [V] soutient encore qu'à la suite de sa candidature, la direction aurait exercé une pression sur les salariés afin qu'ils votent pour les candidats du syndicat CFDT, ce fait n'est pas établi par la production d'une attestation d'une salariée ayant quitté l'entreprise, peu circonstanciée et non corroborée par d'autres pièces du dossier.

7. M. [V] fait également valoir qu'à la suite de son élection en tant que membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) le 24 avril 2019, il a fait l'objet d'une évaluation défavorable le 6 mars 2019 alors que ces précédentes évaluations étaient élogieuses. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les évaluations produites par le salarié pour les années 2016 et 2017 comportent des appréciations nuancées et que l'évaluation de 2019 comporte des éléments positifs mais relève que le salarié a créé 'un environnement de travail compliqué, voire une relation malsaine avec sa direction depuis la nomination d'un réceptionniste en tant que 1er de réceptionniste'.

8. Il ressort en effet des pièces du dossier que des difficultés relationnelles entre le salarié et sa direction sont apparues à la suite de la promotion accordée fm novembre 2018 à un autre salarié avec laquelle il entretenait des relations conflictuelles et qu'à compter de cette date M. [V] a refusé de siéger au comité de direction de l'établissement et a sollicité l'organisation de nouvelles élections professionnelles.

9. M. [V] soutient qu'à compter de son élection en tant que membre du CSE et délégué syndical CGT, il aurait subi des pressions et produit le procés-verbal de son dépôt de plainte pour harcèlement moral du 21 mai 2019. Il soutient que des pressions auraient également été exercées par la direction à l'égard d'autres salariés de l'entreprise en produisant des attestations rédigées par d'anciens salariés après leur départ de l'entreprise, indiquant que la direction les aurait forcés à dénoncer le comportement de M. [V], ainsi qu'une attestation d'un ancien stagiaire en janvier 2019 indiquant avoir été témoin du harcèlement, du dénigrement et de l'isolement de ce dernier, ainsi qu'une attestation de sa compagne. Toutefois, la société Mercure France produit également un courriel du 1er février 2019 d'un salarié dénonçant l'hostilité et les mensonges de M. [V] et les dépôts de plainte pour harcèlement moral contre de M. [V] d'un autre salarié du 11 juin 2019, de la directrice adjointe du 4juillet 2019 et de la directrice du 17 juin 2019. Par suite, les attestations produites par le salarié ne sont pas, à elles seules, de nature à établir les discriminations qu'il allègue alors qu'il ressort également des pièces du dossier qu'il a exercé son mandat de façon conflictuelle en multipliant les demandes auprès de la direction, matérialisées par l'envoi, chaque jour, de nombreux mails et de nombreuses questions lors des séances du CSE, qui ont systématiquement donné lieu à des réponses de son employeur et alors que, contrairement à ce qu'il soutient, les réunions du CSE se sont tenues sans entrave de la direction. En outre, par un jugement du 22 octobre 2021 le conseil des prud'hommes de Paris a exclu toute discrimination syndicale à son égard.

10. Enfin, si M. [V] fait état du licenciement de sa compagne, qui exerçait les fonctions de directrice adjointe dans le même établissement, intervenu l5 jours après son élection et annulé par jugement du conseil de Prud'hommes de Paris du 11 octobre 2022, il ressort des pièces du dossier que ce licenciement a été prononcé pour faute grave en raison de faits survenus le 11 avril 2019 et ayant donne lieu au signalement d'un client le 4 mai 2019 alors que la salariée avait déjà fait l'objet d'un premier avertissement au mois de janvier 2019. Par suite, une telle procédure ne peut être regardée comme un indice de discrimination à son égard.

11. Par suite. il ne ressort pas des éléments produits par M. [V] que la dégradation de son état de santé à l'origine de son inaptitude résulterait d'obstacles mis par son employeur à l'exercice de son mandat.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. [V] n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.'

La cour déduit de cette décision définitive de la juridiction administrative que la demande de M. [V] de voir juger par la juridiction judiciaire qu'il a été victime d'un harcèlement discriminatoire en raison de l'exercice de ses activités syndicales et ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant humiliant ou offensant et ce dès le mois de février 2018 et sa demande d'organisation d'élections professionnelles, qu'il a été soumis à de fortes pressions, à un isolement, un dénigrement, que ce harcèlement moral discriminatoire a dégradé ses conditions de travail et est à l'origine de son inaptitude, se heurte à la séparation des pouvoirs, la cour d'appel administrative ayant examiné les faits de harcèlement discriminatoire en rapport avec les fonctions syndicales de M. [V] ainsi que le lien entre la dégradation de son état de santé avec les obstacles invoqués par le salarié qui auraient été mis en place par l'employeur dans l'exercice de ces fonctions. Les moyens et arguments soulevés devant la cour administrative d'appel et sur lesquels celle-ci a statué sont identiques à ceux soulevés devant la cour d'appel de Céans.

Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande au titre du harcèlement moral discriminatoire et de sa demande aux fins de voir reconnaître le caractère professionnel de l'inaptitude à l'origine du licenciement ainsi que de ses demandes indemnitaires subséquentes. La décision entreprise sera confirmée de ces chefs et il sera ajouté que le salarié est débouté de sa demande additionnelle de dommages-intérêts pour perte d'emploi.

Sur la demande additionnelle de dommages-intérêts pour impossibilité d'exercer les fonctions syndicales et représentatives jusqu'à son terme

Au visa des articles 63 à 70 du code de procédure civile, le salarié sollicite l'indemnisation de l'impossibilité de poursuivre ses fonctions syndicales et représentatives jusqu'à son terme consécutive au harcèlement moral discriminatoire antérieure ayant conduit à son inaptitude professionnelle.

La société HM [Localité 7] soulève l'irrecevabilité de cette demande au motif qu'elle a été présentée à une semaine de la clôture des débats en violation du principe de l'unicité de l'instance ; qu'en outre, cette demande n'est pas fondée, le licenciement étant justifié.

L'article 910-4 du code de procédure civile dispose que, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Les conclusions notifiées par RPVA par le salarié révèlent que le salarié n'a pas formé sa demande additionnelle en paiement de dommages-intérêts pour impossibilité d'exercer les fonctions syndicales et représentatives jusqu'à son terme dans ses 1ère conclusions notifiées le9 décembre 2021, mais seulement dans ses 3ème conclusions.

Dès lors la cour juge cette demande irrecevable comme ayant été formulée en violation de l'article 910-4 du code de procédure civile.

Sur les frais irrépétibles

La société HM [Localité 7] sera condamnée aux entiers dépens et devra verser au salarié la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement, dans la limite des chefs de jugement critiqués, en ce qu'il a débouté M. [Z] [V] de sa demande de complément de salaire ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

JUGE irrecevable la demande additionnelle de M. [Z] [V] en paiement de dommages-intérêts pour impossibilité d'exercer les fonctions syndicales et représentatives jusqu'à son terme;

CONDAMNE la SASU HM [Localité 7] à verser à M. [Z] [V] la somme de 7 091,55 euros net en ce compris les congés payés, à titre de complément de salaire ;

DÉBOUTE M. [Z] [V] de sa demande additionnelle de dommages-intérêts pour perte d'emploi ;

CONFIRME le jugement dans la limite des chefs de jugement critiqués pour le surplus;

CONDAMNE la SASU HM [Localité 7] aux entiers dépens ;

CONDAMNE la SASU HM [Localité 7] à verser à M. [Z] [V] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/09249
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;21.09249 ?
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