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14/05/2024 | FRANCE | N°21/06437

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 14 mai 2024, 21/06437


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 14 MAI 2024



(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06437 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CECIR



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS CEDEX 10 - RG n° F20/08715



APPELANT



Monsieur [B] [H]

[Adresse 1]

[LocalitÃ

© 4] - ETATS-UNIS

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480



INTIMEE



S.A.S. IMMO DE FRANCE PARIS ILE DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

R...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 14 MAI 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06437 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CECIR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS CEDEX 10 - RG n° F20/08715

APPELANT

Monsieur [B] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4] - ETATS-UNIS

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

INTIMEE

S.A.S. IMMO DE FRANCE PARIS ILE DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Florian CARRIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0597

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [B] [H], né en 1973, a été engagé par société GFF gestion, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 avril 1997 en qualité de négociateur immobilier habitation niveau IV, coefficient 290, statut employé selon la convention collective nationale de l'immobilier.

Son contrat de travail a été transféré au sein de la société SAS Immo de France [Localité 5] IDF en 2002 suite à un rachat.

Dans le dernier état des relations contractuelles, M. [H] occupait le poste de directeur commercial niveau C3 de la convention collective.

Par lettre datée du 18 décembre 2013, M. [H] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 30 décembre 2013, puis reporté au 8 janvier 2014 au regard des congés payés du salarié sur la période, et a également été mis à pied à titre conservatoire.

M. [H] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 16 janvier 2014.

A la date du licenciement, M. [H] avait une ancienneté de 16 ans et 8 mois, et la société Immo de France occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des rappels de salaire pour heures supplémentaires, M. [H] a saisi le 21 mai 2015 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 3 juin 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- déboute M. [H] de l'ensemble de ses demandes,

- déboute la société Immo de France [Localité 5] Ile de France de ses demandes reconventionnelles,

- condamne M. [H] au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 15 juillet 2021, M. [H] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 30 juin 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 mars 2022, M. [H] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris rendu le 3 juin 2021 en ce qu'il a jugé:

- que la preuve de la connaissance des faits fautifs incombait au demandeur,

- que les faits reprochés à M. [H] n'étaient pas prescrits,

- que le motif économique du licenciement n'était pas démontré,

- que les faits reprochés à M. [H] constituaient une faute grave et a débouté M. [H] de ses demandes,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'annulation de forfaits jours et en conséquence a débouté ce dernier de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, de travail dissimulé et de dommages et intérêts pour nullité de la convention de forfaits jours,

y accueillant, à titre principal,

- juger que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits,

en conséquence,

- condamner à la société Immo de France à lui verser :

- 18 538 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 853,80 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 31 629, 33 € nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 91 616 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire si la cour jugeait que les faits n'étaient pas prescrits,

- juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et en conséquence de condamner à la société Immo de France à lui verser :

- 18 538 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 853,80 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 31 629, 33 € nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 91 616 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au visa des articles 1231-1, L. 1232-1 du code civil, et L. 1235-2 à L. 1235-4 du code du travail,

à titre infiniment subsidiaire si la cour jugeait que le licenciement était justifié,

- juger que la faute grave ne peut être retenue et en conséquence de condamner la société Immo de France à verser à M. [H] :

- 18 538 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 853,80 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 31 629, 33 € nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

en tout état de cause,

- condamner la société Immo de France à verser à M. [H] :

- 22 345 € bruts au titre de rappel des heures supplémentaires,

- 2 234,30 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 39 264 € nets au titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé au visa des articles L. 8222-1 et suivants du code du travail,

- 6 544 € nets au titre de dommages et intérêts pour nullité de la convention de forfait en jours et absence d'entretien annuel spécifique, au visa de l'article L. 3121-60 du code du travail,

- condamner la société Immo de France à lui remettre les bulletins de salaire des années 2012 et 2013 et l'attestation pôle emploi modifiés et correspondant à l'arrêt qui sera rendu,

- 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- intérêts au taux légal,

- condamnation de la société Immo de France aux entiers frais et dépens,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté la société Immo de France de ses demandes reconventionnelles et de débouter la société Immo de France de son appel incident. ainsi, et sur cet appel il est demandé à la cour de :

à titre principal,

- juger la demande de remboursement de forfaits jours prescrite (L 3245-1 code travail),

à titre subsidiaire,

- juger cette dernière infondée et injustifiée,

en tout état de cause,

- débouter la société Immo de France de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 octobre 2023, la société Immo de France [Localité 5] Île de France demande à la cour de :

1. sur la rupture du contrat de travail :

à titre principal,

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté M. [H] de l'ensemble de ses demandes.

à titre subsidiaire,

- requalifier le licenciement en cause réelle et sérieuse,

en conséquence statuant à nouveau,

- fixer le montant de l'indemnité légale de licenciement à la somme de 28.873,89 € bruts, outre le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis de 18.025,32 € bruts des congés payés afférents à hauteur de 1.082,53 € bruts,

- débouter M. [H] de ses autres demandes.

à titre très subsidiaire,

- fixer le montant des dommages-intérêts accordés à M. [H] au titre d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à la somme de 36.050,64 € bruts, correspondant à 6 mois de salaire,

- fixer le montant de l'indemnité légale de licenciement à la somme de 28.873,89 € bruts, outre le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis de 18.025,32 € bruts des congés payés afférents à hauteur de 1.082,53 € bruts,

2. sur les demandes afférentes à la durée du travail :

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté M. [H] de l'ensemble de ses demandes,

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société Immo de France de sa demande reconventionnelle au titre du remboursement des jours de repos acquis au titre de la convention de forfait-jours,

et, statuant à nouveau,

- condamner M. [H] au paiement de la somme de 8.654,00 € bruts au titre du remboursement des jours de repos acquis en application de sa convention de forfait en jours,

3. sur la demande relative au caractère abusif de la procédure intentée par M. [H] :

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société Immo de France de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive,

et, statuant à nouveau,

- condamner M. [H] au paiement, au profit de la société Immo de France, d'une somme de 15.000 € au titre de la procédure abusive intentée,

4. sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné M. [H] au paiement des entiers dépens,

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société Immo de France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et, statuant à nouveau,

- condamner M. [H] au paiement, au profit de la société Immo de France d'une somme de 6.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de procédure de première instance et 3.000 € au titre des frais de procédure d'appel et le débouter de sa propre demande à ce titre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 décembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 12 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la convention de forfait en jours et les heures supplémentaires

M. [H] fait valoir que la convention de forfait en jours est nulle et sans effet aux motifs qu'elle ne fait pas mention des conditions de contrôle de sa charge de travail et de suivi du forfait et que le droit à la déconnexion n'est pas visé. Il indique également ne pas avoir eu d'entretien sur le suivi du forfait. En conséquence, il sollicite la paiement des heures supplémentaires réalisées.

La société Immo de France rétorque que le salarié n'a jamais sollicité l'organisation des entretiens annuels liés à l'exécution de sa convention de forfait en jours et ne démontre aucun préjudice en résultant ; qu'en tout état de cause, il ne produit pas d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre en fournissant ses propres éléments. A titre reconventionnel, elle sollicite le remboursement des jours de repos acquis au titre de la convention de forfait en jours.

L'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui se réfère à la Charte sociale européenne ainsi qu'à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, garantissent le droit à la santé et au repos de tout travailleur.

En application des articles L.3121-38 et suivants du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n°2008-780 du 20 août 2008, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions. La conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit. Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39, d'une part les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés et d'autre part, les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées. L'article L. 3121-46 précise qu'un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 précise que les accords conclus en application des articles L. 3121-40 à L. 3121-51 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la publication de la présente loi restent en vigueur.

En l'espèce, l'employeur n'établit pas ni au demeurant ne prétend que M. [H] a bénéficié d'entretien annuel individuel portant sur sa charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur sa rémunération. C'est par un moyen inopérant que l'employeur oppose que le salarié n'a pas sollicité la tenue des entretiens annuels.

Il s'ensuit que la convention de forfait en jours conclue le 28 mars 2002 est privée d'effet.

En conséquence, M. [H] est en droit de solliciter le paiement des heures supplémentaires réalisées.

L'article L.3121-27 du code du travail dispose que la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaine. L'article L.3121-28 du même code précise que toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, à l'appui de sa demande, M. [H] présente les éléments suivants :

- des copies d'écran de la messagerie avec mention du jour et de l'heure de l'envoi du message, sans le contenu de celui-ci.

Ces seules copies ne sont pas suffisamment précises quant à l'amplitude horaire travaillée et donc les heures supplémentaires réalisées, pour permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments.

En conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande à ce titre. La décision sera confirmée de ce chef.

En outre le salarié ne justifie pas d'un préjudice spécifique résultant de l'absence d'effet de la convention de forfait en jours et notamment de l'absence d'entretien annuel sur sa charge de travail pour laquelle de surcroît il ne présente aucune précision suffisante. Le jugement qui l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts à ce titre doit également être confirmé.

C'est à juste titre aussi que les premiers juges l'ont débouté de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé formée en conséquence de sa demande de paiement des heures supplémentaires, laquelle n'est pas fondée. La décision sera confirmée de ce chef.

Sur la demande de remboursement des jours de réduction du temps de travail

La cour a retenu que la convention de forfait en jours était privée d'effet. Il s'en déduit que le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de cette convention était indu.

En conséquence, au vu des modalités de calcul non sérieusement contestées présentées par l'employeur, la cour, par infirmation de la décision critiquée, condamne M. [H] à verser la somme de 8 654 euros à la société Immo de France au titre du remboursement des jours acquis en application de la convention de forfait en jours privée d'effet.

Sur le licenciement

Pour infirmation de la décision entreprise, M. [H] soutient en substance que les faits reprochés sont prescrits ; que c'est à l'employeur de préciser la date à laquelle il a découvert les faits ; qu'en tout état de cause, le fait de l'avoir laissé travailler pendant un mois après la connaissance des faits est incompatible avec l'allégation d'une faute grave. A titre subsidiaire, il fait valoir que les faits reprochés ne sont pas établis et que le licenciement repose en réalité sur un motif économique.

La société réplique que les faits graves reprochés sont établis et ne sont pas prescrits ; qu'elle ne rencontre aucune difficulté économique.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Il est constant que le juge a le pouvoir de requalifier la gravité de la faute reprochée au salarié en restituant aux faits leur exacte qualification juridique conformément à l'article'12 du code de procédure civile ; qu'en conséquence, si le juge ne peut ajouter d'autres faits à ceux invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement, lorsque celui-ci intervient pour motif disciplinaire, il doit rechercher si ces faits, à défaut de caractériser une faute grave, comme le prétend l'employeur, ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En application de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Il est constant que ce n'est pas la date des faits qui constitue le point de départ du délai mais celle de la connaissance par l'employeur des faits reprochés. Cette connaissance par l'employeur s'entend d'une 'connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits'. Cette connaissance peut dépendre de la réalisation de vérifications auxquelles l'employeur doit procéder pour s'assurer de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés.

En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi rédigée :

' Nous sommes donc contraints, par la présente, de vous notifier votre licenciement pour faute grave en raison de vos agissements gravement déloyaux vis-à-vis de notre société.

Nous vous rappelons qu'en votre qualité de responsable transaction du centre de profit « [Localité 5] 1 » d'Immo de France [Localité 5] Ile de France, il vous appartenait d'apporter à la société des mandats de transaction - qu'ils aient pour origine le portefeuille de biens immobiliers gérés par le service syndic de copropriétés ou par le service gestion locative, ou bien qu'ils soient recherchés par des actions de prospection commerciale.

Il entrait aussi dans vos attributions de mettre en oeuvre tout moyen permettant la vente et la location de ces biens et de diriger une équipe composée de négociateurs transaction vente et location et d'assistantes commerciales.

Cette activité devait, évidemment, être conduite dans le respect de vos obligations contractuelles, de la réglementation applicable à notre activité et en prenant au mieux en compte les intérêts de nos clients ainsi que ceux de l'entreprise.

Or nous avons découvert, avec stupeur, dans le courant du mois de décembre qu'en contravention des obligations claires et précises souscrites à l'égard de notre société, et de manière gravement déloyale, vous n'avez pas craint de développer une activité directement concurrente de celle que vous êtes censé déployer pour le compte de notre société. Cette activité s'exerce au travers de la société Home Transaction dont vous détenez un tiers du capital social.

Les investigations auxquelles nous avons procédé nous ont en effet permis de constater que, loin de développer une activité exclusive au profit de notre société, conformément aux dispositions du contrat de travail que nous avons conclu, vous avez créé et animé activement une société dont l'activité est directement concurrente de celle pour laquelle vous avez été engagé par notre société.

De tels agissements, dont nous considérons qu'ils revêtent une gravité exceptionnelle sont totalement inacceptables et constituent en outre une violation manifeste de la charte de déontologie intitulée ' principes de déontologie de GFF (aux droits duquel vient Immo de France [Localité 5] Ile de France) qui interdit très clairement toute activité parallèle et concurrente ; nous reproduisons ici les principes figurant dans cette charte à laquelle vous êtes lié et que vous avez transgressés :

- « Service exclusif : (...) Aucun emploi, aucun engagement comme consultant, ni aucune fonction (sauf celles qui relèvent de la vie privée, associative et syndicale ou de mandats électifs publics) ne doit être accepté sans l'approbation préalable et écrit de la hiérarchie. Cette autorisation doit être donnée en conformité avec les textes en vigueur. Les locaux, équipements et l'ensemble des moyens mis à disposition pour l'exercice des fonctions doivent être réservés au seul usage professionnel.

- Refus de conflit d'intérêts : En toute circonstance, l'intérêt de GFF (aux droits duquel vient Immo de France [Localité 5] Ile de France) et de ses clients doit être préservé. Doit être évitée toute situation dans laquelle les intérêts personnels seraient en conflit avec ceux de GFF, de ses partenaires, de ses clients, de ses fournisseurs et de ses personnels.

- Respect des obligations légales et professionnelles: Le respect des obligations légales et professionnelles ainsi que l'intégrité et la loyauté dans la conduite des activités de chacun au sein de GFF, sont des principes constants.

- Principe d'équité et de transparence : Les collaborateurs de GFF étant dans leur grande majorité en contact permanent avec des tiers (...) doivent s'obliger à observer les principes d'équité, d'objectivité et de réserve et à développer la qualité du service rendu dans l'exercice de leurs fonctions et dans leur relation avec les tiers.

Ayant un rôle prépondérant dans l'attribution des marchés d'études ou de travaux, de fourniture de prestations diverses, de baux. ils sont tenus :

* De mettre en oeuvre des pratiques commerciales loyales et honnêtes (...)

* De ne pas recourir aux services de tiers (fournisseurs, entreprises) pour répondre à des besoins personnels ou de nature privée. sauf autorisation expresse du directeur d'établissements (ou du président)

* De ne posséder aucun intérêt financier significatif dans une quelconque entreprise extérieure qui entretient des relations professionnelles ou souhaite en entretenir avec GFF ou est en concurrence avec lui.

(')

Outre ce constat avéré de votre intérêt direct en tant qu'actionnaire et dirigeant dans une activité concurrente à celle d'immo de France [Localité 5] Ile de France, les éléments dont nous disposons nous ont permis de constater que vous avez réalisé une activité effective substantielle pour le compte de cette société concurrente, de surcroît en utilisant les moyens matériels mis à votre disposition par notre société pour l'exercice de votre mission alors même que vous deviez consacrer la totalité de votre temps de travail et de vos efforts à votre emploi de responsable transaction d'immo de France [Localité 5] Ile de France.

De façon aggravante, nous avons également eu connaissance dans le courant du mois de décembre 2013 du fait que, par l'intermédiaire de la société AGP Gestion. exerçant une activité de marchand de biens, dont le dirigeant Monsieur [X] est également co-dirigeant de Home Transaction (dont il détient également un tiers du capital), vous avez mis en oeuvre un montage destiné à opérer un détournement des honoraires dus à Immo de France.

Au mépris de toute règle de fonctionnement de la profession, vous avez conclu un partenariat avec un marchand de biens qui, loin de revendre par l'intermédiaire d'Immo de France [Localité 5] Ile de France les biens qu'il avait acquis auprès d'Immo de France [Localité 5] Ile de France, ainsi que cela se pratique d'ordinaire dans la profession, vendait ces biens par l'intermédiaire de l'entité concurrente que vous avez créée et animée.

Les investigations auxquelles nous avons procédé nous ont permis de découvrir, avec consternation, que vous avez cédé des biens immobiliers dont le mandat de vente avait été confié à Immo de France [Localité 5] Ile de France après une réduction significative et surtout anormale des honoraires versés à l'entreprise pour cette vente, pour ensuite les revendre par l'intermédiaire de la société concurrente que vous animez pour un montant d'honoraires évalués cette fois de façon cohérente avec la valeur réelle du bien et de montant supérieur d'environ 30 % à ceux versés à Immo de France [Localité 5] Ile de France pour le même bien immobilier.

Nous comprenons, à l'examen des éléments recueillis dans le cadre de nos investigations, que pour la réalisation de vos opérations, vous n'avez pas craint de faire procéder à la réalisation de métrés falsifiés.

Par cette pratique frauduleuse, voire constitutive d'une escroquerie, vous avez, à de nombreuses reprises, non seulement détourné les honoraires potentiels qu'Immo de France aurait dû réaliser sur la revente, mais également minoré le chiffre d'affaires de la société, par la réduction fautive et des honoraires fixés au mandat initial confié à Immo de France, portant ainsi atteinte, de manière intentionnelle, aux intérêts de l'entreprise qui vous emploie.

Aussi, eu égard à l'extrême gravité de vos agissements, et indépendamment des suites que nous nous réservons d'y apporter au plan pénal dans les meilleurs délais, nous avons décidé de vous notifier votre licenciement pour faute grave. Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prend donc effet à la date d'envoi de la présente, soit le 16 janvier 2014, sans indemnité de préavis ni de licenciement.'

Il est donc reproché à M. [H] d'avoir exercé une activité concurrente à celle de son employeur au travers de la société Home transaction et d'avoir procédé à des détournements d'honoraires.

Selon l'attestation de Mme [S], assistante commerciale au sein de la direction commerciale d'Immo de France Ile de France, une facture Total au nom de la société Home Transaction M. [H] [B] a été découverte à la fin de l'année 2013 par hasard sur le photocopieur de l'entreprise par la DRH Mme [P] ; la direction l'a alors convoquée et lui a ordonné d'investiguer sur le lien entre la société Home transaction et M. [H] ; que l'enquête a été effectuée en décembre 2013 en reprenant des documents sur les opérations immobilières confiées à M. [H] et M. [U] également impliqué. L'employeur produit également la facture Total du 31 octobre 2013 et le courriel de transmission de cette facture en date du 7 novembre 2013.

La cour en déduit que la société Immo de France a eu connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au mois de décembre 2013 de telle sorte que, le salarié ayant été convoqué à l'entretien préalable au licenciement le 18 décembre 2013, les faits reprochés ne sont pas prescrits. C'est en vain que le salarié oppose que des membres de la direction avaient connaissance de la création de la société Home Transaction étant relevé que ce n'est pas la création de cette société qui est reprochée mais l'exercice d'une activité concurrente et les détournements d'honoraires.

Il résulte des pièces versées par l'employeur que la société Home Transaction avait pour associés à parts égales M. [H] et M. [U] ; que l'objet social de cette société était l'activité d'agent immobilier, d'intermédiation en matière de transactions immobilières et de gestion en matière locative, le conseil en amélioration de l'habitat et plus généralement, toutes activités commerciales en lien avec le secteur immobilier, activités en tout identiques à celles exercées par la société Immo de France. Le bilan comptable de la société Home transaction pour l'exercice 2012/2013 révèle que M. [H] a perçu une rémunération de 1 317 euros en sa qualité d'associé, outre une rémunération non précisée en qualité de consultant. La société Immo de France produit également des éléments établissant la réalité de l'activité de M. [H] lors de la visite d'un bien dans le cadre d'un mandat confié à la société Home Transaction ainsi que l'utilisation par celui-ci de la messagerie et des moyens reprographiques de Immo de France pour le développement de l'activité de Home transaction et l'utilisation de la copie des actes de vente.

Il s'en déduit que le grief tenant à l'exercice d'une activité concurrente à celle de l'employeur en violation de sa charte déontologique et en violation de l'obligation de loyauté est établi.

En outre, sur le détournement des honoraires, les éléments versés aux débats établissent la réalité du stratagème mis en place par M. [H] et M. [U] permettant de vendre à un prix réduit un bien confié à Immo de France afin de le revendre par l'intermédiaire de Home transaction à un prix supérieur détournant ainsi les honoraires normalement dus à la société Immo de France. L'attestation de M. [J], marchand de biens et également consultant au sein de la société Home transaction ne convainc pas la cour.

Le 2nd grief est également établi.

Ces deux griefs constituent des fautes graves de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté M. [H] de sa demande en contestation de son licenciement et en paiement d'indemnités. La décision critiquée sera confirmée de ces chefs.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,

L'abus de droit est le fait, pour une personne, de commettre une faute par le dépassement des limites d'exercice d'un droit qui lui est conféré, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui.

En l'espèce, la société Immo de France ne démontre pas que c'est de manière abusive que M. [H] a saisi la justice en contestation de son licenciement et en paiement de rappel de salaire. La cour confirme le jugement qui a débouté la société de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur les frais irrépétibles

M. [H] sera condamné aux entiers dépens et devra verser à la société Immo de France la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté la SAS Immo de France [Localité 5] Ile de France de sa demande de remboursement des jours de repos acquis en application de la convention de forfait en jours ;

Statuant à nouveau sur le chef de jugement infirmé et y ajoutant ;

CONDAMNE M. [B] [H] à verser à la SAS Immo de France [Localité 5] Ile de France la somme de 8654 euros au titre du remboursement des jours de repos acquis en application de la convention de forfait en jours privée d'effet ;

CONDAMNE M. [B] [H] aux entiers dépens ;

CONDAMNE M. [B] [H] à verser à la SAS Immo de France [Localité 5] Ile de France la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/06437
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;21.06437 ?
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