Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 14 MAI 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10495 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAZXJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/06433
APPELANTE
Madame [V] [R]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Cyril ZEKRI, avocat au barreau de PARIS, toque : C1998
INTIMEE
SAS PLAZA MAD
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Karine COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : P418
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [V] [R], née en 1988, a été engagée par la S.A.S. Plaza Mad, par un contrat de travail à durée déterminée à compter du 26 mars 2018 pour 6 mois, en qualité de responsable commerciale et du développement.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des hôtels cafés restaurants.
Le 4 juin 2018, Mme [R] a vu son accès informatique supprimé.
Par lettre datée du 11 juin 2018, Mme [R] a reçu un avertissement à propos d'absences injustifiées, et son salaire ne lui a dès lors plus été versé.
Demandant la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée et diverses indemnités consécutives à la rupture du contrat, outre des rappels de salaire et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat, non respect de la procédure de licenciement, rupture abusive, et préjudice subi par la délivrance tardive des documents de fin de contrat, Mme [R] a saisi le 27 août 2018 le conseil de prud'hommes de Paris.
Son contrat a été rompu par l'échéance de son terme le 26 septembre 2018.
Par jugement du 3 juillet 2019 auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :
- déclare la demande de requalification de CDD en CDI recevable,
- déclare les demandes additionnelles recevables,
- met hors de cause l'AGS,
- déboute Mme [R] de l'ensemble de ses demandes,
- déboute la société Plaza Mad de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laisse les dépens à la charge de Mme [R].
Par déclaration du 22 octobre 2019, Mme [R] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 23 septembre 2019.
Le 29 novembre 2019, Mme [R] a été invitée par le greffe à signifier sa déclaration d'appel à l'intimé qui n'avait pas constitué avocat.
Le 2 décembre 2019, la société Plaza Mad a constitué avocat.
Par ordonnance du 13 octobre 2020, le conseiller de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d'appel de Mme [R] au visa de l'article 902 du code de procédure civile.
Par arrêt du 17 novembre 2021, la cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance du 13 octobre 2019, rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel, et renvoyer le dossier au conseiller de la mise en état de la chambre 6-1 pour la poursuite de l'instruction de l'affaire sous le n° de RG 19-10495 et condamné la SAS Plaza Mad aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 janvier 2020, Mme [R] demande à la cour de :
- recevoir Mme [R] en son appel et l'y déclarer bien fondée,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [R] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société Plaza Mad,
et statuant à nouveau :
- juger que Mme [R] s'est vu retirer ses outils de travail tout en demeurant à disposition de la société Plaza Mad à compter du 4 juin 2018,
- requalifier le contrat de travail du 26 mars 2018 qui lie Mme [R] à la société Plaza Mad en contrat de travail à durée indéterminée,
- juger que la procédure de licenciement n'a pas été respectée et que la rupture du contrat de travail intervenue le 26 septembre 2018 est nécessairement dépourvue de cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
- condamner la société Plaza Mad à verser à Mme [R] les sommes suivantes :
- 16.000 euros à titre de rappel de salaire à compter du 4 juin 2018,
- 1.600 euros à titre de congés payés y afférent,
- 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution fautive et
déloyale du contrat de travail,
- 4.000 euros à titre d'indemnité de requalification,
- 8.000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 800 euros à titre de congés payés y afférents,
- 4.000 euros à titre d'indemnité de non-respect de la procédure de licenciement,
- 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
- ordonner à la société Plaza Mad la délivrance à Mme [R] de bulletins de paie de juin à septembre 2018 rectifiés sous astreinte de 100,00 euros par document et jour de retard à compter de la décision à intervenir,
- se réserver le droit de liquider cette astreinte,
- condamner la société Plaza Mad à payer à Mme [R] la somme de 2.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Plaza Mad n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 mars 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION:
Aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.
Sur la demande de rappel de salaire:
Pour infirmation du jugement, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement des salaires au titre des mois de juin à septembre 2018, la salariée fait valoir que l'employeur lui a interdit l'accès à l'entreprise et lui a coupé sa messagerie à compter du 5 juin 2018 puis a cessé de lui fournir du travail mais qu'elle s'est maintenue à sa disposition et que son salaire lui est en conséquence dû.
Le conseil de prud'hommes a retenu pour rejeter la demande de la salariée, que si la suppression de l'accès à l'outil informatique est bien établie, la prétendue faculté de travailler à distance est sérieusement contestée, invalidant la demande de la salariée.
Il est constant que le salarié qui se tient à la disposition de son employeur a droit à son salaire, quand bien même ce dernier ne lui fournit pas de travail.
En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats par la salariée que la société Plaza Mad lui a adressé un sms le 4 juin 2018 en ces termes 'je ne doute pas de ton implication mais ça n'avance pas assez vite, je veux arrêter là, rapproches toi du comptable pour les détails administratifs et juridiques.désolé.' Il est par ailleurs établi que sa messagerie a été coupée le 5 juin 2018. Il ressort encore des échanges de correspondances entre les parties que la salariée a toujours été contrainte de travailler de son domicile, car ne disposant pas sur le lieu de travail d'un bureau, et d'une connexion internet, et s'est trouvée, du fait de l'employeur qui souhaitait mettre fin à la relation contractuelle dans l'impossibilité de travailler tout en se maintenant à sa disposition.
Par infirmation du jugement, la société Plaza Mad sera condamnée à lui payer la somme de 16 000 euros au titre des salaires de juin, juillet, août et septembre 2018, outre la somme de 1 600 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée :
Pour infirmation du jugement Mme [R] fait valoir que la société Plaza Mad ne justifie pas de l'accroissement temporaire d'activité mentionné au contrat, que ses fonctions de 'responsable commerciale et du développement' correspondait à l'activité normale de l'entreprise et que le lancement d'une activité ne constitue pas en soi un motif de recours à un contrat à durée déterminée .
Le jugement du conseil de prud'hommes a retenu, pour rejeter la demande de requalification, que l'augmentation attendue de la charge de travail n'était pas absorbable avec les effectifs habituels puisqu'il n'est pas contesté que l'entreprise n'employait aucun salarié avant l'embauche de Mme [R] et que cette embauche s'appuie sur une tâche précisément définie pour assurer la continuation de l'activité en relançant rapidement les moyens à affecter au développement.
Conformément aux termes de l'article L 1242-1 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanent de l'entreprise.
Aux termes de l'article L 1242-2 du code du travail, un tel contrat ne peut être conclu
que pour l'exécution d'une tâche temporaire et notamment pour remplacer un salarié absent, pour un accroissement temporaire d'activité de l'entreprise ou dans le cadre d'emploi à caractère saisonnier ou dans les secteurs d'activité définis par décret, par convention ou par accord collectif de travail étendu où il est d'usage de ne pas recourir aux contrats à durée indéterminée.
L'article L 1242-12 du code du travail dispose que le contrat à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
En l'espèce, les parties ont conclu le 20 mars 2018 un contrat à durée déterminée pour une durée de 6 mois, le motif visé étant 'un accroissement d'activité'.
Or, outre le fait que l'exemplaire du contrat produit n'est pas signé des parties, que le motif ne précise pas que l' accroissement d'activité serait 'temporaire', la société Plaza Mad ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un accroissement temporaire d'activité ce qui ne peut résulter, au regard notamment des fonctions de la salariée, du seul fait que celle-ci aurait été embauchée pour assurer la continuité de l'activité de la société en relançant rapidement les moyens à affecter au développement.
Par infirmation du jugement la cour requalifie le contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée.
Il y a, en conséquence lieu de condamner la société Plaza Mad à payer à Mme [R] la somme de 4 000 euros au titre de l'indemnité de requalification visée à l'article L1245-2 du code du travail.
Dès lors que le contrat a été requalifié un en contrat à durée indéterminée sa rupture par la seule survenance de l'échéance du terme s'analyse en en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société Plaza Mad sera en conséquence condamnée en application des dispositions de l'article L 1235- 3 du code du travail à payer à Mme [R] la somme de 3000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre la somme de 800 euros au titre des congés payés afférents.
Il résulte par ailleurs de l'article L 1235-2 du code du travail que les irrégularités de la procédure de licenciement n'ouvrent droit à une indemnité spécifique que si le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
Mme [R] sera en conséquence déboutée de la demande faite à ce titre.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail:
Pour infirmation du jugement, Mme [R] fait valoir que son employeur n'a pas respecté son obligation de loyauté en supprimant ses outils de travail à compter du 5 juin 2018 l'empêchant d'exécuter ses fonctions contractuelles, en ne versant plus de salaire à partir de juin 2018, en tentant de reprocher abusivement à la salariée un abandon de poste et en résistant abusivement au remboursement des notes de frais.
Le conseil de prud'hommes a retenu que la salariée ne justifiait d'un préjudice.
Aux termes de l'article L222-1 du code du travail le contrat de travail doit être exécuté de bonne fois.
En l'espèce les manquements invoqués par la salariée sont établis et l'ont empêchée d'exécuter la mission pour laquelle elle a été embauchée ce qui constitue un préjudice.
Par infirmation du jugement la société Plaza Mad sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Sur les autres demandes:
Il y a lieu d'ordonner la remise des bulletins de paie de juin à septembre 2018 conformes à la présente décision dans le délai de 2 mois à compter de sa signification, le prononcé d'une astreinte n'apparaissant pas nécessaire.
La cour rappelle par ailleurs que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes, et que les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue.
Pour faire valoir ses droits en cause d'appel Mme [R] a dû exposer des frais qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.
La société Plaza Mad sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté Mme [V] [R] de l'ensemble de ses demandes, et statuant à nouveau:
REQUALIFIE le contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée.
CONDAMNE la SAS Plaza Mad à payer à Mme [V] [R] les sommes de:
- 16 000 euros à titre de rappel de salaire pour la période de juin à septembre 2018
- 1 600 euros au titre des congés payés afférents
- 2 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
- 4000 euros d'indemnité de requalification
- 8 000 euros d'indemnité compensatrice de préavis
- 800 euros au titre des congés payés afférents
- 3 000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
DÉBOUTE Mme [V] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure.
ORDONNE la remise des bulletins de paie de juin à septembre 2018 conformes à la présente décision dans le délai de 2 mois à compter de sa signification, le prononcé d'une astreinte n'apparaissant pas nécessaire.
CONDAMNE la SAS Plaza Mad à payer à Mme [V] [R] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la SAS Plaza Mad aux dépens d'instance et d'appel.
La greffière, La présidente.