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10/05/2024 | FRANCE | N°19/10632

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 10 mai 2024, 19/10632


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 10 Mai 2024



(n° , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/10632 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA2QB



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance d'EVRY RG n° 18/00282



APPELANTE

CPAM 34 - HERAULT ([Localité 3])

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée

par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE

SAS CARREFOUR HYPERMARCHES

[Adresse 1]

[Adresse 7]

[Localité 4]

représentée par Me Corinne POTIER, avocat au barreau de PARIS, toqu...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 10 Mai 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/10632 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA2QB

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance d'EVRY RG n° 18/00282

APPELANTE

CPAM 34 - HERAULT ([Localité 3])

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

SAS CARREFOUR HYPERMARCHES

[Adresse 1]

[Adresse 7]

[Localité 4]

représentée par Me Corinne POTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461 substituée par Me Chloé GAUCHER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Monsieur Philippe BLONDEAU, conseiller

Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Madame Fatma DEVECI , greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault d'un jugement rendu le 10 septembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance d'Evry (RG 18/00282) dans un litige l'opposant à la société Carrefour Hypermarchés.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Madame [N] [D] travaillait au sein de l'établissement Carrefour Hypermarchés de [Localité 5] (ci-après désignée 'la Société'), depuis le 6 décembre 1983, en tant qu'employée commerciale, lorsque, le 25 novembre 2017, elle a informé son employeur avoir été victime d'un accident survenu sur son lieu de travail, que celui-ci a déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault (ci-après désigné 'la Caisse') dans les termes suivant : «A mon retour de pause, en montant les escaliers, mon genou m'a lâché, il a enflé et j'ai mal à l'appui ; siège des lésions :Membres inférieurs (pieds exceptés), genou droit ; nature des lésions :douleur effort, lumbago »

Le certificat médical initial établi le 26 novembre 2017 par un médecin urgentiste de la Clinique du [6] constatait «une entorse du genou droit » et prescrivait un arrêt de travail jusqu'au 7 décembre 2017, arrêt qui sera régulièrement prolongé jusqu'au 25 mars 2018 et accompagné de soins jusqu'au 30 avril 2018, date de la guérison par fixée le médecin conseil.

La Caisse a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels par décision notifiée à la Société le 30 novembre 2017.

La Société a contesté cette décision devant la commission de recours amiable puis, à défaut de décision explicite, a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry.

En application de la réforme des contentieux sociaux issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, l'affaire a été transférée le 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance de Evry.

Par jugement du 10 septembre 2019, le tribunal a :

- déclaré inopposable à la SAS Carrefour Hypermarchés la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident du 25 novembre 2017 dont a été victime madame [N] [D],

- condamné la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault aux dépens.

Pour juger ainsi, le tribunal a retenu que l'heure de l'accident était imprécise et suscitait des interrogations, l'indication «à mon retour de pause » laissant planer un doute sur l'existence du lien de subordination employeur/salarié à l'heure précise de l'accident. Il relevait également que le lieu de l'accident «des escaliers » était imprécis puisqu'il n'était pas mentionné de quels escaliers il s'agissait. Il estimait enfin que le fait accidentel décrit comme « mon genou m'a lâché » était assez peu caractérisé et que la nature des lésions (entorse du genou droit) était peu compatible avec la continuation par Mme [D] de son travail après l'accident pendant plusieurs heures.

Le jugement a été notifié à la Caisse le 1er octobre 2019 qui en a régulièrement interjeté appel devant la présente cour par déclaration enregistrée au greffe le 16 octobre suivant.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 31 octobre 2022 puis, faute pour les parties d'avoir été en état, renvoyée à celle du 3 juillet 2023 et enfin à celle du 20 février 2024 pour être plaidée.

La Caisse, reprenant oralement le bénéfice de ses conclusions, demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable,

- infirmer le jugement rendu le 10 septembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance d'Evry,

- dire et juger que c'est à bon droit qu'elle a reconnu le caractère professionnel de l'accident survenu le 25 novembre 2017 à Mme [D] conformément aux dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale,

- déclarer opposable à la SAS Carrefour Hypermarchés, la décision de prise en charge de l'accident survenu le 25 novembre 2017 à Mme [D] conformément aux dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale et, en conséquence,

- déclarer opposable à la Société, l'ensemble des arrêts de travail et soins se rapportant à l'accident du travail dont Mme [D] a été victime, conformément aux dispositions des articles L. 411-1 et L. 433-1 du code de la sécurité sociale,

- rejeter la demande d'expertise médicale.

La Société, développant oralement ses conclusions, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré inopposable à son égard la décision de prise en charge de l'accident du travail de Mme [N] [D],

- dire et juger inopposables à son égard les arrêts de travail prescrits à Mme [N] [D] au-delà du 17 février 2018.

A titre infiniment subsidiaire, la Société demande à la cour d'ordonner une mesure d'expertise médicale dans les conditions de l'article R. 142-16 du code de la sécurité sociale, afin que les pièces médicales afférentes aux soins et arrêts de travail consécutifs à l'accident du travail du 25 novembre 2017 soient débattues de manière contradictoire et ainsi, déterminer l'imputabilité des soins et arrêts de travail à ce sinistre.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 20 février 2024 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 10 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Moyens des parties

Au soutien de son recours, la Caisse fait valoir que le tribunal ne pouvait déclarer inopposable à la Société sa décision de prendre en charge, au titre du risque professionnel, l'accident survenu au préjudice de Mme [D] puisque, contrairement à ce qu'il à retenu, elle disposait d'un faisceau d'indices graves et concordants établissant la matérialité d'un accident survenu au temps et au lieu du travail. Elle rappelle qu'elle a établi l'existence d'un événement survenu à une date certaine à savoir le 25 novembre 2017 à 14 h30 qui a consisté en une faiblesse du genou qui 'a lâché' alors que la salariée montait les escaliers et qu'il s'est produit sur le lieu de travail. L'accident a entraîné une lésion corporelle puisque le certificat médical initial fait état d'une entorse du genou droit ce qui corrobore les dires de la victime tels que reportés sur la déclaration d'accident du travail. Elle fait valoir que contrairement à ce qui est plaidé, la constatation médicale effectuée le lendemain du fait accidentel ne peut être considérée comme tardive de même que la poursuite de l'activité professionnelle le jour de l'accident ne permet pas de remettre en cause le caractère professionnel de l'accident d'autant que le poste occupé était un poste assis.

La Société ne rapportant pas la moindre preuve d'une cause totalement étrangère au travail susceptible de détruire la présomption d'imputabilité, la décision de prise en charge de l'accident du travail survenu au préjudice de Mme [D] doit lui être déclarée opposable.

En réponse, la Société fait valoir essentiellement qu'il n'existe aucun élément objectif permettant d'attester de l'existence d'un fait accidentel qui serait survenu le 25 novembre 2017 et de prouver que la lésion médicalement constatée le 27 novembre 2018 est imputable aux faits déclarés. Elle relève qu'aucun témoin n'a été mentionné par Mme [D] qui a d'ailleurs été en mesure de poursuivre son activité alors qu'une douleur due à une entorse est telle qu'il parait difficilement possible qu'elle ait pu monter les escaliers, marcher jusqu'à son poste de travail, rester en position assise, puis quitter son poste de travail sans se plaindre d'une quelconque douleur. Elle relève encore que la salariée a attendu le lundi matin, à son retour de week-end, pour prévenir la responsable caisse de ce qu'elle aurait ressenti une douleur au genou le samedi, après sa pause alors qu'aucun élément ne permet d'expliquer la déclaration tardive de l'accident. Dès le jour de son accident Mme [D] était en mesure d'informer son manager ou encore le point sécurité ce qu'elle s'est abstenue de faire. Elle relève que la première constatation médicale n'est intervenue que le lendemain des faits, le temps écoulé entre le prétendu fait accidentel et la constatation médicale rendant le lien entre le sinistre et la lésion aléatoire d'autant qu'il n'y a eu aucun fait traumatique de décrit. La Société relève ainsi qu'une entorse du genou survient après un traumatisme (choc, chute) de sorte que rien ne permet d'établir que les faits décrits en soient à l'origine. La Société conclut que la présomption d'imputabilité ne trouve pas à s'appliquer au cas de Mme [D].

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale,

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, ou chefs d'entreprise .

L'accident du travail est ainsi légalement caractérisé par la réunion de trois éléments :

- un fait accidentel, c'est-à-dire que l'accident repose sur la survenance d'un événement qui n'a pas nécessairement les caractéristiques d'un fait soudain, la soudaineté pouvant s'attacher soit à l'événement, soit à la lésion, mais dont la date est certaine, cette exigence ayant pour but d'établir une distinction fondamentale entre l'accident et la maladie laquelle est normalement le résultat d'une série d'événements à évolution lente et ne doit pas être rattachée au risque accident du travail,

- une lésion corporelle : c'est-à-dire que l'accident doit porter atteinte à l'organisme humain, physiquement ou psychiquement, peu important l'étendue et l'importance de la lésion ainsi que ses caractéristiques ;

- un lien avec le travail c'est-à-dire que l'accident doit être survenu par le fait ou à l'occasion du travail ; cela ne signifie pas toutefois que l'accident doive se dérouler sur le lieu et durant le temps de travail mais si tel est le cas, l'accident survenu au temps et au lieu de travail est présumé d'origine professionnelle.

Cette définition suppose que le salarié soit, au moment des faits, sous la subordination de l'employeur ou en position de subordination. Le salarié se trouve au temps et au lieu du travail tant qu'il est soumis à l'autorité et à la surveillance de son employeur (Ass.plén., 3 juillet 1987, pourvoi n° 86-14.917, Bull.1987 AP N°3).

Il résulte également de cet article une présomption d'imputabilité de l'accident survenu au temps et au lieu de travail laquelle ne peut être combattue que par la preuve d'une cause totalement étrangère au travail. Néanmoins, dans ce dernier cas, il appartient à celui qui invoque le jeu de la présomption d'établir au préalable les circonstances exactes de l'accident autrement que par de simples affirmations et de prouver que la lésion est apparue au temps et au lieu de travail (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, Bull. n° 132).

A défaut de preuve, la victime doit établir la preuve, par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, au sens de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

- de la matérialité du fait accidentel,

- de sa survenance par le fait ou à l'occasion du travail,

- du lien de causalité entre les lésions et le fait accidentel,

les seules affirmations de la victime non corroborées par des éléments objectifs étant insuffisantes.

Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).

En revanche, dès lors qu'il est établi la survenance d'un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celui-ci est présumé imputable aux travail, sauf pour celui qui entend la contester de rapporter la preuve qu'elle provient d'une cause totalement étrangère au travail.

Il est constant en l'espèce que Mme [D] était employée en qualité d'hôtesse de caisse.

La déclaration d'accident du travail a été établie le 27 novembre 2017, faisait mention d'un accident survenu le 25 novembre 2017 dans les circonstances suivantes : «A mon retour de pause, en montant les escaliers, mon genou m'a lâché, il a enflé et j'ai mal à l'appui ».

Le jour des faits, les horaires de travail de Mme [D] étaient de 7 heures 30 à 15 heures 30.

La déclaration d'accident du travail enseigne que l'accident contesté se serait produit à 14 heures 30. Dès lors, et contrairement à ce qu'à retenu le tribunal, l'horaire est parfaitement établi et est compris dans le temps du travail.

Il n'est pas contesté par ailleurs que si le fait accidentel était établi il serait survenu sur le lieu du travail, le seul fait que la salariée ait mentionné « dans les escaliers » alors même que l'employeur n'a jamais remis en cause cet élément, ne permet pas de considérer qu'il s'agissait d'un lieu indéterminé autre que celui d'exercice de l'activité professionnelle de Mme [D].

La salariée était donc placée sous la subordination de son employeur.

Le certificat médical initial daté du 26 novembre 2017 établit pour sa part la réalité de la lésion, à savoir une entorse au genou, et vient ainsi corroborer les déclarations de la victime.

Force est de constater que tant le mécanisme accidentel que la lésion constatée sont cohérents avec l'action de Mme [D] de monter les escaliers.

Contrairement à ce que plaide la Société, la constatation médicale survenue le dimanche 26 novembre 2017, c'est-à-dire le lendemain de la survenance du fait accidentel, ne saurait être considérée comme tardive.

De même, l'absence de témoin ne saurait remettre en cause la survenance de l'accident au temps et au lieu de travail dès lors que l'employeur ne précise aucunement en quoi cette absence de témoin serait anormale au regard des conditions de travail de Mme [D].

Il n'est pas davantage pertinent de soutenir que l'action de Mme [D], qui montait les escaliers, était insusceptible de provoquer de telles lésions, faute de présenter une quelconque démonstration médicale applicable au cas d'espèce en ce sens.

Il est établi de surcroît que l'accident a été connu par l'entreprise le surlendemain des faits, que l'employeur n'a émis aucune réserve dans sa déclaration et qu'il n'en a pas plus émis par la suite. Or, si l'absence de réserves de l'employeur est en soi insuffisante à convaincre de la réalité d'un accident, il n'en reste pas moins qu'elle a constitué pour la Caisse un indice sérieux en faveur de l'absence de doute de sa part et donc de la prise en charge au titre de la législation professionnelle.

Enfin, le fait que Mme [D] ait continué à travaillé ne remet pas en lui-même en cause la matérialité de l'accident, ou sa survenue au temps et au lieu du travail, d'autant que le poste de travail de l'intéressée était un poste assis. En tout état de cause, à défaut d'autre développement ou d'autre élément, la poursuite de l'activité ne permet pas d'invoquer une cause totalement étrangère de la lésion au travail.

Il résulte de ces éléments que dans ses rapports avec l'employeur la Caisse établit la matérialité de l'accident au temps et au lieu du travail de sorte que la présomption d'imputabilité trouve à s'appliquer, présomption que la Société ne renverse pas, ne rapportant pas par ses productions la preuve que l'accident a une cause totalement étrangère au travail, ni que la lésion médicalement constatée le 26 décembre 2017 est indépendante du travail.

Il y a donc lieu de dire que Mme [D] a été victime d'un accident du travail le 25 novembre 2017 dont la décision de prise en charge par la Caisse doit être déclarée opposable à la Société.

Le jugement sera infirmé en ce sens

Sur l'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du 25 novembre 2018

Moyens des parties

Au soutien de son recours, la Caisse rétorque que la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale s'étend aux troubles et lésions qui font suite à l'accident du travail de façon ininterrompue et ce jusqu'à la guérison complète ou la consolidation de l'état de la victime. Contrairement à ce que plaide la Société, la démonstration de la continuité des arrêts de travail et des soins à l'accident n'est pas une condition préalable de l'application de la présomption. Cependant, quand bien même elle n'y est pas tenue, elle produit l'ensemble des certificats médicaux délivrés à la salariée suite à son accident du 25 novembre 2017 desquels il peut être constaté que du 26 novembre 2017 au 30 avril 2018, Mme [D] a toujours bénéficié, successivement ou concomitamment, d'arrêts de travail et/ou de soins. En conséquence, l'ensemble des prestations, soins et arrêts de travail qui lui ont été prescrits bénéficient de la présomption d'imputabilité au travail et il appartient à la Société, qui conteste cette présomption de la renverser, ce qu'elle ne peut faire qu'en prouvant l'existence d'une cause totalement étrangère au travail. Or, au cas présent, elle n'apporte aucun commencement de preuve en ce sens. L'employeur s'appuie essentiellement sur la note technique établie par le docteur [G] qui considère que les arrêts de travail prescrits au-delà du 17 février 2018 ne peuvent être imputés à l'accident du travail du 25 novembre 2017 au seul regard du référentiel relatif à la longueur des arrêts de travail en traumatologie qui préconise un délai moyen de trois semaines lorsqu'il ne survient pas de complications évolutives. Or, ces éléments, fondés sur des considérations générales, ne constituent pas un commencement de preuve d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte ou d'une cause totalement étrangère au travail.

La Caisse s'oppose enfin à la mise en oeuvre d'une expertise, estimant qu'elle ne peut constituer une modalité d'information de l'employeur sur l'état de santé de son salarié. Elle ne peut être déclenchée sur simple demande d'un employeur qui s'estimerait insuffisamment informé du dossier médical de son salarié mais doit être réservée à des situations où l'employeur fait état d'éléments probants quant à une possible cause étrangère au travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En outre, la Société ne produit aucun éléments établissant qu'il existerait un litige d'ordre médical susceptible de justifier le recours à une expertise médicale judiciaire.

La Société fait valoir pour sa part que le nombre de jours d'arrêt de travail (120 jours) est manifestement disproportionné au regard de la lésion initialement constatée. Elle relève que selon les barèmes de la Haute Autorité de Santé, la durée des arrêts de travail pour une entorse du ligament collatéral médial du genou est de 21 jours au maximum pour des salariés portant des charges lourdes de plus de 25 kg ce qui n'est pas le cas de Mme [N] [D].

Elle fait valoir en outre que son médecin consultant, le docteur [W] [G] a considéré que les arrêts de travail délivrés au-delà du 17 février 2018 sont sans rapport avec l'accident du travail de la salariée.

Subsidiairement, la Société estime qu'il convient d'ordonner une expertise médicale judiciaire, seule mesure qui permettrait de lever les doutes sur la prise en charge des soins et arrêts de travail de Mme [D] dans la mesure où la Caisse ne justifie d'aucun élément de preuve quant à une prétendue causalité entre les arrêts de travail et la lésion consécutive à l'accident du travail du 25 novembre 2017

Réponse de la cour

L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il résulte de ce texte que la présomption d'imputabilité dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial de la maladie professionnelle est assorti d'un arrêt de travail, s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, pendant toute la période d'incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement, aux soins destinés à prévenir une aggravation et plus généralement à toutes les conséquences directes de l'accident, fait obligation à la caisse de prendre en charge au titre de la législation sur les accidents de travail les dépenses afférentes à ces lésions.

Ainsi, et sans que la Caisse n'ai à justifier de la continuité de symptômes et de soins à compter de l'accident initial, l'incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.

En conséquence, l'employeur qui conteste le caractère professionnel de l'accident ou des arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident et pris en charge à ce titre, doit détruire la présomption d'imputabilité s'attachant à toute lésion survenue au temps et au lieu de travail, en apportant la preuve que cette lésion est totalement étrangère au travail.

Sauf à inverser la charge de la preuve, ce n'est donc pas à la Caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l'accident du travail, mais à l'employeur de justifier que ceux-ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l'assuré.

De même, il sera rappelé qu'aucun texte ne fait obligation à la Caisse de produire les éléments médicaux communiqués par le salarié à l'appui de sa demande, une telle communication, étant contraire à la protection du secret médical et au respect de la vie privée.

Sur le fond, il résulte des mentions portées sur le certificat médical initial établi le 26 novembre 2017 par le docteur [O] que Mme [D] présentait une entorse du genou droit. Etait prescrit un arrêt de travail jusqu'au 7 décembre 2017.

En produisant un certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail, la Caisse bénéficie de la présomption d'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail laquelle s'étend à toute la durée de l'incapacité jusqu'à la guérison.

La Caisse produit également l'intégralité des certificats médicaux de prolongation d'arrêts de travail qui ont été prescrits de manière continue jusqu'au 26 mars 2018, date à laquelle Mme [D] a repris le travail mais a bénéficié de soins (séances de kinésithérapie) jusqu'au 30 avril 2018, date de la guérison fixée par le médecin conseil.

Il peut ainsi être constaté que le siège et la nature des lésions figurant sur l'ensemble des certificats de prolongation sont identiques à ceux mentionnés sur le certificat médical initial et que ne s'est révélée ni nouvelle lésion ni découverte d'une pathologie intercurrente ou antérieure.

Il appartient donc à l'employeur, qui entend combattre la présomption d'imputabilité, de produire des éléments permettant d'établir, ou à tout le moins de douter, que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail.

Pour ce faire, la Société verse aux débats le référentiel de la haute autorité de santé établi en décembre 2010 et l'avis de son médecin consultant, le docteur [G].

Selon ce dernier, les éléments du dossier établissent que Mme [N] [D] a présenté le 25 novembre 2017 une entorse du genou droit qui a été traitée orthopédiquement (immobilisation par attelle de Zimmer sous couvert d'un traitement antalgique et anti-inflammatoire complété par de la kinésithérapie). Une IRM a été réalisée et n'a pas mis en évidence de lésion méniscale en rapport avec l'accident du travail du 25 novembre 2017. Il relève que l'évolution vers la consolidation médico-légale a été dénuée de complication comme l'indique l'avis du docteur [E] [T] du 16 janvier 2018, qui constate la simple persistance de douleurs du compartiment interne du genou droit moins de deux mois après l'accident et l'absence d'incapacité permanente partielle à la date de guérison du 30 avril 2018. Il estime, au regard des différents référentiels relatifs à la longueur des arrêts de travail en traumatologie, et notamment celui établi par la CNAMTS après avis de la Haute Autorité de Santé, que les entorses du ligament latéral interne du genou, traitées orthopédiquement, évoluent vers la consolidation médico-légale dans un délai moyen de trois semaines lorsqu'il ne survient pas de complications évolutives. Il conclut que, compte tenu de l'âge de Mme [D] et du libellé des différents certificats de prolongation d'arrêt de travail délivrés, « l'arrêt de travail prescrit à la suite de l'accident dont Madame [N] [D] a été victime le 25 novembre 2017 peut être considéré comme justifié jusqu'au 17 février 2018. Au delà, ils sont sans rapport avec les conséquences objectives de l'accident du travail dont Madame [N] [D] a été victime le 25 novembre 2017 ».

Or, la cour ne peut que constater que le médecin, après avoir récapitulé l'ensemble des arrêts de travail et leur motivation, n'évoque ni a fortiori ne démontre que les arrêts de travail auraient été justifiés par un état pathologique antérieur ou intercurrent évoluant pour son propre compte.

L'avis du médecin conseil, qui se limite à indiquer que s'agissant Mme [D], l'arrêt de travail ne peut être justifié au-delà du 17 février 2018, est insuffisant, à défaut de tout autre élément médical applicable au cas de la salariée, pour remettre en cause la présomption d'imputabilité. Au demeurant, le médecin n'explique pas pour quelle raison il retient cette date, le certificat médical correspondant faisant toujours mention d'une pathologie du genou, à savoir «fatigue condyle latéral genou droit en soins ».

Si l'employeur relève que le barème de la Haute autorité de santé prévoit en cas d'entorse une durée de référence des arrêts de trois semaines, il convient de rappeler qu'il s'agit d'une simple estimation de la durée sans appréciation de la situation médicale particulière du patient et, dès lors, purement indicative, ne pouvant à elle seule remettre en cause l'imputabilité des lésions à l'accident ni justifier une expertise médicale sur pièces ni même à justifier une expertise.

D'ailleurs, le barème invoqué précise que la durée proposée correspond à « la durée à l'issue de laquelle la majorité des patients est capable de reprendre un travail. Cette durée est modulable en fonction des complications ou comorbidités du patient ». Il rappelle également que les durées de références « sont indicatives et bien sûr à adapter en fonction de la situation de chaque patient » (souligné par la cour).

Or, aucun élément d'ordre médical ne permet de considérer que la situation de Mme [D] correspondrait aux éléments retenus par le barème.

Ni le caractère supposé bénin de l'accident, ni la longueur de la durée des soins et arrêts de travail prescrits avant consolidation ne constituent, au regard de leur généralité, un commencement de preuve d'une cause extérieure aux arrêts qui justifierait le recours à une expertise, étant rappelé que celle-ci doit trancher un différent d'ordre médical quant à l'état de santé de l'assuré, ce qui suppose que la partie qui la sollicite fasse état d'éléments de nature à remettre en cause, ou à tout le moins de douter, de l'exactitude ou de la pertinence du diagnostic posé par le médecin conseil. Il vient d'être démontré que ce n'est pas le cas en l'espèce.

En conséquence, la demande d'expertise sera rejetée et la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault de prendre en charge, au titre du risque professionnel, les arrêts de travail et les soins prescrits à Mme [D] à compter du 26 novembre 2017, date de l'accident, est opposable à la Société.

Sur les dépens

La Société, qui succombe à l'instance, supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l'appel formé par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault recevable,

INFIRME le jugement rendu le 10 septembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance d'Evry (RG 18/00282) en toutes ses dispositions,

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

DIT que l'accident dont Mme [D] a été victime le 25 novembre 2018 doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle ;

JUGE opposable à la société Carrefour Hypermarchés la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault du 30 novembre 2017 de prendre en charge, au titre du risque professionnel, l'accident survenu le 25 novembre 2017 au préjudice de Mme [D] ;

JUGE opposables à la Société les arrêts de travail et les soins prescrits à Mme [D] à la suite de l'accident du travail dont elle a été victime le 25 novembre 2017 et qui ont été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault au titre du risque professionnel ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la Société aux dépens d'instance et d'appel ;

PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/10632
Date de la décision : 10/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-10;19.10632 ?
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