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07/05/2024 | FRANCE | N°23/16531

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 07 mai 2024, 23/16531


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 07 MAI 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16531 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CILJ6



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Octobre 2023 -Président du TC de PARIS - RG n° J2023000220





APPELANTS



M. [T] [H]

[Adresse 5]

[Localité 10]
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M. [G] [R]

[Adresse 7]

[Localité 9]



M. [S] [A]

[Adresse 4]

[Localité 10]



Intimés dans le RG N°23/16559

Appelants dans le RG N°23/16634



Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SE...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 07 MAI 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16531 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CILJ6

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Octobre 2023 -Président du TC de PARIS - RG n° J2023000220

APPELANTS

M. [T] [H]

[Adresse 5]

[Localité 10]

M. [G] [R]

[Adresse 7]

[Localité 9]

M. [S] [A]

[Adresse 4]

[Localité 10]

Intimés dans le RG N°23/16559

Appelants dans le RG N°23/16634

Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me François BERBINAU, du barreau de PARIS, toque : P496

INTIMES

M. [L] [N] [P]

[Adresse 3]

[Localité 11]

M. [Y] [D]

[Adresse 2]

[Localité 8]

M. [C] [V]

[Adresse 6]

[Localité 12]

Intimés dans les RG N°23/16559 et 23/16634

Représentés par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant Me Louis-Marie MORIN, du barreau de PARIS, toque : J030

S.C.P. BTSG² prise en la personne de Maître [L] [K] en qualité de liquidateur judiciaire de la société CIBILTECH SAS en vertu du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 mars 2023

[Adresse 1]

[Localité 10]

Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Appelante dans le RG N°23/16559

Intimée dans le RG N°23/16634

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Mars 2024, en audience publique, devant Michèle CHOPIN, Conseillère et Laurent NAJEM, Conseiller, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

****

EXPOSE DU LITIGE

La société par actions simplifiée Cibiltech a pour objet la conception, le développement, l'édition, la promotion, la diffusion et la commercialisation de logiciels et programmes informatiques dans le domaine de la santé.

Elle a été constituée le 5 février 2019 par :

- d'une part des professeurs de médecine-chercheurs, Mme [W] et MM. [A], [R] et [H], détenant ensemble 62,2% du capital social (les associés majoritaires),

- d'autre part des non-médecins, MM [N] [P], [Z], [D] et [V], détenant ensemble 31,8% du capital social (les associés minoritaires).

Les actionnaires de la société Cibiltech ont conclu un pacte d'associés le 10 décembre 2019.

Par requête déposée le 14 octobre 2022, la société Cibiltech, MM [N][P], [D] et [V] ont demandé au président du tribunal de commerce de Paris la désignation d'un commissaire de justice afin de réaliser, dans les locaux du Paris Centre de Recherche Cardiovasculaire (PARCC) à l'hôpital européen [13] au sein duquel travaillent les requis, une mesure d'instruction in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, reprochant aux associés majoritaires la violation du pacte d'associés en ayant constitué la société Medykal exerçant une activité (sur la mort subite) concurrente de celle de la société Cibiltech.

Le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette requête par ordonnance du 14 octobre 2022, désignant Me [E], commissaire de justice, qui a diligenté la mesure d'instruction les 17 et 18 octobre 2022.

Le 16 novembre 2022, MM [A], [R] et [H] ont assigné en référé la société Cibiltech et MM [N][P], [D] et [V] devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir prononcer la rétractation de l'ordonnance rendue le 18 octobre 2022 en toutes ses dispositions et relever Me [E], l'huissier désigné aux fins de son exécution, de sa mission de séquestre, lui ordonnant de restituer sans délai à M. [U] l'intégralité des documents saisis. (M.[U] est un staticien doctorant qui a été salarié de la société Cibiltech)

Par ordonnance contradictoire du 6 octobre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

joint les causes RG 2022054851, RG 2022062239, RG 2023024039 sous le numéro RG J2023000220 ;

débouté MM [A], [R] et [H] de leur demande de prononcer la nullité de la requête du 14 octobre 2022 et de l'ordonnance du 14 octobre 2022, pour irrégularité de fond, et de leur demande de restitution à M. [U] de l'intégralité des documents saisis ;

débouté MM [A], [R] et [H] et la société BTSG prise en la personne de Me [K] en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Cibiltech de leur demande de rétractation de son ordonnance du 14 octobre 2022 ;

débouté la société BTSG prise en la personne de Me [K] en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Cibiltech de sa demande d'annuler le constat dressé par la SELARL [E]-Duhamel le 24 octobre 2022 ;

demandé à MM [A], [R] et [H] et à la société BTSG prise en la personne de Me [K] ès qualités, aux fins de préparer la procédure de la levée de séquestre, de faire un tri des pièces séquestrées en trois catégories :

*catégorie A les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;

*catégorie B les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les défenderesses refusent de communiquer ;

*catégorie C les pièces que les défenderesses refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;

dit que ce tri sera communiqué à la SELARL [E]-Duhamel, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;

dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, MM [A], [R] et [H], conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, communiquera au président un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires ;

fixé le calendrier suivant :

*communication à la SELARL [E]-Duhamel et au président du tri des pièces séquestrées avant le 30 octobre 2023 ;

*communication au président du mémoire précisant pour chaque information ou partie de la pièce en cause les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires avant le 20 novembre 2023 ;

*renvoi de l'affaire enrôlée sous le RG J2023000220 à l'audience du 8 décembre 2023 à 14h en cabinet, après contrôle de cohérence par la SELARL [E]-Duhamel ;

condamné au titre de l'article 700 du code de procédure civile MM [A], [R], [H] et la société BTSG à payer chacun la somme de 800 euros à M. [N] [P], chacun la somme de 800 euros à M. [D], chacun la somme de 800 euros à M. [V], déboutons pour le surplus ;

condamné in solidum MM [A], [R], [H] et la société BTSG aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 160,87 euros TTC dont 26,60 euros de TVA ;

commis d'office l'un des huissiers audienciers de ce tribunal pour signifier notre décision à M. [U].

Par déclaration du 9 octobre 2023, MM [A], [R] et [H] ont interjeté appel de cette décision.  

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 5 mars 2024, ils demandent à la cour, au visa de l'article 496 alinéa 2 du code de procédure civile, de :

infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :

*débouté MM [A], [R] et [H] de leur demande de prononcer la nullité de la requête du 14 octobre 2022 et de l'ordonnance du 14 octobre 2022, pour irrégularité de fond, et de leur demande de restitution à M. [U] de l'intégralité des documents saisis ;

*débouté MM [A], [R] et [H] et la société BTSG prise en la personne de Me [K] en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Cibiltech de leur demande de rétractation de son ordonnance du 14 octobre 2022 ;

*condamné au titre de l'article 700 du code de procédure civile MM [A], [R], [H] et la société BTSG à payer chacun la somme de 800 euros à M. [N] [P], chacun la somme de 800 euros à M. [D], chacun la somme de 800 euros à M. [V], déboutons pour le surplus ;

*condamné in solidum MM [A], [R], [H] et la société BTSG aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 160,87 euros TTC dont 26,60 euros de TVA ;

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

prononcer la nullité pour irrégularité de fond de la requête du 14 octobre 2022 et de la procédure subséquente soit de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 14 octobre 2022, des opérations de saisie menées par la SELARL [E]-Duhamel en exécution de cette ordonnance, ainsi que de l'ensemble des procès-verbaux dressés par Me [E] ;

ordonner à la SELARL [E]-Duhamel de restituer à M. [U] l'intégralité des documents saisis, de détruire toute copie des documents saisis et de tous procès-verbaux relatifs à l'exécution de l'ordonnance du 14 octobre 2022, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signfication de la décision de rétractation et de dresser procès-verbal de cette restitution et de cette destruction, dont un exemplaire sera remis à M. [U], à MM [A], [R] et [H] ;

A titre subsidiaire :

prononcer la rétractation de l'ordonnance rendue le 14 octobre 2022 en toutes ses dispositions ;

relever la SELARL [E] Duhamel, commissaires de justice désigné aux fins de son exécution, de sa mission de séquestre, et lui ordonner de restituer à M. [U] l'intégralité des documents saisis, de détruire toute copie des documents saisis et de tous procès-verbaux relatifs à l'exécution de l'ordonnance du 14 octobre 2022, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision de rétractation, et de dresser procès-verbal de cette restitution et de cette destruction, dont un exemplaire sera remis à M.[U] et à MM [A], [R] et [H] ;

En tout état de cause :

débouter MM [N] [P], [D] et [V] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

condamner MM [N] [P], [D] et [V], solidairement, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au versement de 5.000 euros à chacun des trois appelants à savoir MM [A], [R] et [H] ;

condamner solidairement MM [N] [P], [D] et [V] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 5 mars 2023, MM [N] [P], [D] et [V] demandent à la cour, au visa des articles 145, 493 et 875 du code de procédure civile, de :

A titre principal :

juger que la requête ayant donné lieu à l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du 14 octobre 2022 n'est affectée d'aucune irrégularité de fond ;

juger que les mesures d'instruction ordonnées par l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du 14 octobre 2022 répondent à un motif légitime et sont légalement admissibles ;

juger que la dérogation au contradictoire était justifiée ;

En conséquence :

confirmer l'ordonnance en date du 6 octobre 2023 dans toutes ses dispositions ;

débouter MM [A], [R] et [H] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

débouter la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de Cibiltech de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, à l'exception de la demande de prendre acte que la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de Cibiltech s'en rapporte à la cour pour le surplus ;

A titre subsidiaire :

juger que la requête ayant donné lieu à l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du 14 octobre 2022 n'est affectée d'aucune irrégularité de fond ;

juger que les mesures d'instruction ordonnées par l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du 14 octobre 2022 répondent à un motif légitime et sont légalement admissibles ;

juger que la dérogation au contradictoire était justifiée ;

juger que seule la société BTSG en sa qualité de liquidateur de Cibiltech peut être dispensée de préparer la procédure de la levée de séquestre et de faire un tri des pièces séquestrées ;

En conséquence :

confirmer l'ordonnance en date du 6 octobre 2023 dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a demandé à la société BTSG en sa qualité de liquidateur de Cibiltech de préparer la procédure de la levée de séquestre et de faire un tri des pièces séquestrées ;

débouter la société BTSG en sa qualité de liquidateur de Cibiltech de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'exception de :

*la demande d'infirmation partielle de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du 6 octobre 2023, en ce qu'elle a demandé à la société BTSG, en sa qualité de liquidateur de Cibiltech, de préparer la procédure de la levée de séquestre et de faire un tri des pièces séquestrées ;

*la demande de prendre acte que la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de Cibiltech s'en rapporte à la cour pour le surplus des demandes ;

débouter MM [A], [R] et [H] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

Et y ajoutant, en tout état de cause :

condamner in solidum MM [A], [R], [H] et la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de Cibiltech à leur verser la somme de 10.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner in solidum MM [A], [R], [H] et la société BTSG en sa qualité de liquidateur judiciaire de Cibiltech aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 20 février 2024, la société BTSG prise en la personne de Me [K] (désigné en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cibiltech par jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 mars 2023) demande à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, de :

infirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a « demandé à MM [A], [R] et [H] et à la société BTSG prise en la personne de Me [K] ès qualités, aux fins de préparer la procédure de la levée de séquestre, de faire un tri des pièces séquestrées en trois catégories :

*catégorie A les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;

*catégorie B les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les défenderesses refusent de communiquer ;

*catégorie C les pièces que les défenderesses refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;

dit que ce tri sera communiqué à la SELARL [E]-Duhamel, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;

dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, MM [A], [R] et [H], conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, communiquera au président un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires ;

fixé le calendrier suivant :

*communication à la SELARL [E]-Duhamel et au président du tri des pièces séquestrées avant le 30 octobre 2023 ;

*communication au président du mémoire précisant pour chaque information ou partie de la pièce en cause les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires avant le 20 novembre 2023 ;

*renvoi de l'affaire enrôlée sous le RG J2023000220 à l'audience du 8 décembre 2023 à 14h en cabinet, après contrôle de cohérence par la SELARL [E]-Duhamel ;

condamné au titre de l'article 700 du code de procédure civile MM [A], [R], [H] et la société BTSG à payer chacun la somme de 800 euros à M. [N] [P], chacun la somme de 800 euros à M. [D], chacun la somme de 800 euros à M. [V], déboutons pour le surplus ;»

prendre acte qu'elle s'en rapporte à la cour pour le surplus des demandes ;

En tout état de cause :

condamner MM. [N] [P], [D] et [V] à lui payer, ès qualités, chacun la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR

Sur la demande principale d'annulation de la requête et de l'ordonnance du 14 octobre 2022

MM. [A], [R] et [H] sollicitent à titre principal la nullité pour irrégularité de fond de la requête du 14 décembre 2022, pour défaut de pouvoir, faisant valoir que la requête a été présentée au nom de la société Cibiltech sans autorisation préalable du conseil de surveillance, en violation de l'article 12.4 des statuts qui prévoit que le conseil de surveillance « autorise les décisions figurant en Annexe 2 (les décisions importantes) qui ne pourront être prises et mises en oeuvre par le président ou le directeur général qu'à la condition d'avoir recueilli son approbation préalable », parmi les «décisions importantes » figurant « l'ouverture et la conduite de toute procédure judiciaire de quelque nature que ce soit ».

Ils contestent la lecture que les associés minoritaires et le premier juge font de l'annexe 2 des statuts qui énonce les différentes « décisions importantes » et notamment au point (e), « l'ouverture et la conduite de toute procédure judiciaire de quelque nature que ce soit, la conclusion de tout accord transactionnel en qualité de défendeur ou de demandeur et le renoncement ou le retrait de toute procédure administrative, judiciaire ou arbitrage dont le montant dépasserait un million d'euros ».

Ils estiment qu'il ressort de cette disposition et précisément de sa ponctuation (absence de virgule avant « dont le montant dépasserait un million d'euros ») que le seuil d'un million d'euros ne s'applique pas à l'ouverture et la conduite d'une procédure quelle qu'elle soit, les intimés et le premier juge considérant pour leur part que le seuil d'un million d'euros s'applique tant à l'ouverture et la conduite d'une procédure quelle qu'elle soit qu'à la conclusion de tout accord transactionnel en qualité de défendeur ou de demandeur et au renoncement ou au retrait de toute procédure administrative, judiciaire ou arbitrage.

Le premier juge a justement relevé :

- d'une part, que l'autorisation du conseil d'adminstration avant toute action judiciaire serait d'une lourdeur excessive, ainsi par exemple pour mener une procédure d'injonction de payer aux fins de règlement d'une facture ;

- d'autre part, que tous les autres points de l'annexe 2 faisant mention d'un seuil de 1.000.000 d'euros sont rédigés selon la même syntaxe (absence de virgule entre le dernier acte énuméré et la mention d'un seuil).

La cour y ajoute que plusieurs « décisions importantes » visées à l'annexe 2 doivent être autorisées par le conseil d'administration sans condition de seuil, et plusieurs autres avec une condition de seuil, de sorte que si les parties avaient eu dans l'intention de subordonner toute action judiciaire quel que soit sont montant à l'accord du conseil d'administration (contrairement à la conclusion de tout accord transactionnel et au renoncement ou retrait de toute procédure administrative, judiciaire ou arbitrage), elles auraient fait de ce cas un paragraphe distinct.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que les parties n'ont pas entendu soumettre toute action judiciaire à l'autorisation du conseil d'administration de la société Cibiltech et que la requête aux fins de mesure d'instruction in futurum ne visant aucun montant, elle pouvait être engagée sans autorisation.

L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité.

Sur la demande subsidiaire de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête

Selon l'article 145 du code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.»

L'article 493 du code de procédure civile dispose que « L'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ».

Le choix entre la requête et le référé n'est donc pas libre, les mesures sollicitées ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement. A défaut, ces mesures doivent être demandées en référé. Il est donc de jurisprudence constante que les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction doivent exister au jour où le juge des requêtes a statué et être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance. Le juge ne peut en conséquence se fonder sur des faits postérieurs à la requête (2e Civ. , 1er mars 2018, n° 17-10.107).

En l'espèce, les demandeurs ont exposé dans leur requête :

La jurisprudence considère de manière constante que le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse lorsque la mission confiée à l'huissier a plus de chances de succès si elle est exécutée lorsque la partie adverse n'est pas préalablement avertie, et que tel est le cas lorsqu'il existe un risque tout particulier de dépérissement des pièces recherchées et de concertation.

Or, en l'espèce, il existe un risque sérieux de destruction ou de disparition des pièces recherchées, en particulier celles concernant les actes de concurrence déloyale commis par MM. [A], [R], [H], [B] et/ou la société Medykal au préjudice des requérants, dans l'hypothèse d'un débat contradictoire et, partant, d'insuccès des mesures sollicitées aux termes de la présente requête.

En effet, si les personnes visées venaient à avoir connaissance de la présente procédure, il est à craindre , compte tenu notamment de la volonté de dissimulation des actionnaires de Medykal, des échanges de courriels entre MM. [R] et [I] [P] des 29 septembre et 7 octobre 2022, et de l'absence de réponse aux demandes d'information réitérées de M. [P], qu'elles tenteraient certainement de dissimuler ou de détruire tout ou partie des documents recherchés, ce qui est particulièrement aisé s'agissant des éléments sur support électronique (courriels, SMS, échanges Whatsapp/Signal/Telegram) visés par les mesures sollicitées.

Ainsi, et au regard du contexte ainsi décrit, s'il était procédé de manière contradictoire, les requérants seraient confrontés à un risque très important de voir les pièces qu'ils recherchent être détruites ou distraites, ce qui justifie que les mesures sollicitées soient ordonnées sur requête.

Le juge ayant autorisé la requête a motivé comme suit la nécessité de déroger au contradictoire :

Constatons, au vu des justifications produites, que le requérant est fondé à ne pas appeler les parties visées par la mesure ; en effet, si les personnes visées venaient à avoir connaissance de la présente procédure, il est à craindre, compte tenu notamment de la volonté de dissimulation des actionnaires de la société Medycal AG tel que cela ressort des échanges de courriels entre MM. [R] et [I] [P] des 29 septembre et 7 octobre 2022, de l'absence de réponse aux demandes d'information réitérées par M. [N] [P] dans son courriel du 7 octobre 2022, qu'elles tenteraient certainement de dissimuler ou de détruire tout ou partie des documents recherchés, ce qui serait particulièrement aisé s'agissant des éléments sur support électronique (courriels, SMS, échanges Whatsapp/Signal/Telegram) visés par les mesures sollicitées.

Les requérants ont ainsi entendu assurer un effet de surprise afin de prévenir le risque de déperdition des éléments de preuve recherchés en raison du comportement dissimulateur des requis, et ont été suivis en ce sens par le juge ayant autorisé la requête.

Il y a lieu toutefois de relever, comme le soulignent à juste titre les appelants, que les griefs imputés par les associés minoritaires aux associés majoritaires et fondant la mesure d'instruction in futurum étaient connus de ces derniers avant que la requête ne soit déposée le 14 octobre 2022.

En effet, dans un échange de courriels datant des 26 juillet, 29 août, 2 et 29 septembre 2022, les associés minoritaires s'opposent à M. [R] sur la question, centrale dans le litige, de l'intégration ou non dans l'activité de la société Cibiltech des travaux relatifs à la mort subite conduits par les associés médecins-chercheur avec M. [U], doctorant salarié pendant un temps de Cibiltech, les premiers considérant que ces travax font partie dès l'origine de l'activité de Cibiltech alors que M. [R] considère que « la mort subite est un travail d'équipe pluridisciplinaire externe à Cibiltech pendant près de 30 ans qui n'a rien à voir avec l'entreprise », que « Cibiltech n'a réalisé aucun apport scientifique ou de recherche sur la mort subite puisque justement ce sujet ne fait pas partie de ceux que Cibiltech développe ni n'a prévu de développer et qu'il n'y a jamais eu dans la société aucune compétence sur ce sujet.»

Le 29 septembre 2022, M. [P] écrivait par mail aux actionnaires de la société Cibiltech :

«Lors de ma discussion avec [G] (M. [R]) du jeudi 8 septembre, il m'a indiqué que [F] avait créé la société Medykal (en 2020) visant notamment à valoriser les travaux de la mort subite via Medtronic.

A la lecture du site Medikal.com et de ses archives, on apprend que cette société :

- développerait des dispositifs médicaux numériques

- disposerait de solutions de télésurveillance médicale

- disposerait des droits d'exploitation et de propriété intellectuelle pour un algorithme sur la mort subite.

Il s'agit là d'activité directement en concurrence avec celles de Cibiltech, ce qui soulève potentiellement de graves questions de conflits d'intérêts, de loyauté et de respect des statuts de Cibiltech.

Dans l'intérêt de Cibiltech nous devons faire toute la lumière sur cette situation et envisager les suites à y donner, si nécessaire au plan judiciaire. (...)»

Le 7 octobre 2022, M. [P] écrivait à M. [R] : «Tu m'as indiqué que [F] avait créé la société Medykal et il apparaît, à la lecture du site internet de cette société, que ses activités sont directement en concurrence avec celles de Cibiltech (même si l'on fait abstraction du sujet de la mort subite). Cette situation, qui n'est pas contestée, soulève donc des questions de loyauté et de respect des statuts de Cibiltech, puisque les membres du conseil de surveillance ne peuvent pas avoir des liens avec des sociétés concurrentes ou exercer des fonctions susceptibles de créer des conflits d'intérêts. En tant que président de Cibiltech j'ai le devoir de veiller aux intérêts de la société et au respect de ses statuts, ce qui implique donc de tenter de faire toute la lumière sur cette situation et de déterminer les mesures qui doivent être prises. Aucune information ne m'a été fournie à la suite de mon email, alors qu'il est dans l'intérêt de Cibiltech de tirer la situation au clair et de connaître notamment :

- l'objet social de Medykal

- la raisons de sa création en Suisse en 2020

- l'identité de ses actionnaires directs ou indirects et de ses dirigeants et administrateurs

- ses activités et ses projets depuis sa création.

(...)»

Les associés majoritaires étaient ainsi informés plusieurs semaines avant le dépôt de la requête par les associés minoritaires de leurs soupçons sur l'exercice d'une activité concurrente de celle de la société Cibiltech par les associés majoritaires via la société Medikal, en violation du pacte d'associés, et de leur souhait d'obtenir tous éléments de preuve complémentaires pour le vérifier, énonçant ces éléments et exprimant même leur intention d'agir en justice si nécessaire.

En outre, à la demande de la société Cibiltech M. [U] a fait l'objet le 11 octobre 2022, soit trois jours avant le dépôt de la requête, d'une sommation interpellative d'avoir à communiqer sur le champ tout élément de réponse aux questions suivantes :

1. Quels sont vos liens avec MM [G] [R] et [F] [B] '

2. Avez-vous déjà entendu parler de la société Medykal AG '

3. Dans l'affirmative, comment avez-vous pris connaissance de l'existence de cette société et que savez-vous sur cette société, ses associés, dirigeants et/ou projets '

4. Avez-vous conclu de nouveaux contrats en lien avec vos travaux de recherche, depuis que vous avez quitté Cibiltech en 2021 '

5. Dans l'affirmative, quelles sont les personnes avec qui ces contrats ont été conclus et à qui sont accordés les droits de propriété intellectuelle en lien ave vos travaux de recherche '

6. Vos recherches ont-elles fait ou sont-elles en train de faire, à votre connaissance, l'objet d'un dépôt de brevet '

7. Dans l'affirmative, au bénéfice de qui ce brevet a-t-il ou sera-t-il déposé '

Dans ces conditions, il ne peut être valablement soutenu par les requérants que leur demande de communication d'éléments de preuve complémentaires sur la concurrence déloyale pouvant être exercée par les associés majoritaires via une société tierce nécessitait un effet de surprise, alors que les requis étaient déjà informés des données du litige et des éléments requis par les associés minoritaires, de sorte que le risque allégué de dissimulation ou de destruction des éléments recherchés n'était pas à prévenir mais déjà réalisé dès avant le dépôt de la requête, les associés majoritaires ayant disposé d'un temps suffisant pour dissimuler ou détruire des éléments qu'ils auraient entendu soustraire à la connaissance de leurs coassociés, alors en outre que le défaut de communication des éléments sollicités dans le mail de M. [P] du 7 octobre 2022 ne caractérise pas une volonté de dissimulation, et que comme le font remarquer les appelants, de par leur nature les documents sollicités (portant sur la constitution de la société de droit suisse Medykal AG, l'identité de ses associés et dirigeants, les éventuels droits de propriété intellectuelle en lien avec les travaux de recherche sur la mort subite et les accords commerciaux conclus par cette société, notamment avec la société Medtronic) laissent des traces officielles impossibles à faire disparaître.

Le recours à une procédure non contradictoire n'était donc pas justifié en l'espèce, il convenait d'agir par la voie du référé.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité de la requête et des actes subséquents, la cour ordonnant la rétractation de l'ordonnance sur requête du 14 octobre 2022, avec les conséquences de droit précisées au dispositif.

Parties perdantes, MM [N] [P], [D] et [V] seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à MM [R], [A] et [H], ensemble, la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Cibiltech, représentée par son liquidateur judiciaire la SCP BTSG prise en la personne de Me [K].

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité de la requête et de l'ordonnance du 14 octobre 2022,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne la rétractation en toutes ses dispositions de l'ordonnance rendue sur requête le 14 octobre 2022 ;

En conséquence,

Relève de sa mission de séquestre la SELARL [E]-Duhamel, commissaire de justice désigné aux fins d'exécuter la mesure d'instruction in futurum,

Ordonne à la SELARL [E]-Duhamel, dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt, de restituer à M. [U] l'intégralité des documents saisis, de détruire toute copie des documents saisis et de tous procès-verbaux relatifs à l'exécution de l'ordonnance du 14 octobre 2022, et de dresser un procès-verbal de cette restitution et de cette destruction, dont un exemplaire sera remis à chacune des parties (requérantes et requises) ;

Condamne in solidum MM [N] [P], [D] et [V] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Condamne in solidum MM [N] [P], [D] et [V] à payer à MM. [R], [A] et [H], ensemble, la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/16531
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;23.16531 ?
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