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07/05/2024 | FRANCE | N°23/11192

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 07 mai 2024, 23/11192


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 07 MAI 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/11192 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH3EX



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Juin 2023 -Président du TJ de PARIS 17 - RG n° 22/57470





APPELANTES



S.A.S. [14], RCS de Paris sous le n°[N° SIREN/SIRET 5], pr

ise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 8]



S.A.R.L. [12], RCS de Bordeaux sous le n°[N° SIREN/SIRET 6], agissa...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 07 MAI 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/11192 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH3EX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 21 Juin 2023 -Président du TJ de PARIS 17 - RG n° 22/57470

APPELANTES

S.A.S. [14], RCS de Paris sous le n°[N° SIREN/SIRET 5], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 8]

S.A.R.L. [12], RCS de Bordeaux sous le n°[N° SIREN/SIRET 6], agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Johanna DENTROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : K35

INTIMES

Mme [N] [D]

[Adresse 2]

[Localité 7]

M. [P] [D]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Mme [T] [D]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentés par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant Me Julien ANDREZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P334

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Mars 2024, en audience publique, devant Michèle CHOPIN, Conseillère et Laurent NAJEM, Conseiller, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Le 12 janvier 2014, M. [O] [D] a acquis auprès de la société [14] un véhicule Aston Martin de type BD5.

La société [14], créée en 1996 et présidée par M. [O] [D] jusqu'à son décès, est spécialisée dans la distribution, la vente et la réparation de véhicules Aston Martin en France.

Les sociétés [12] et [13], respectivement créées en 2006 et 2009, sont des filiales de la société [14].

Le 22 mai 2021, M. [O] [D] est décédé, laissant pour lui succéder son épouse Mme [N] [D] et ses deux enfants M. [P] [D] et Mme [T] [D] (les consorts [D]).

Le 18 mars 2022, les sociétés [14], [12] et [13] ont été cédées à la société [9], présidée par M. [J].

Le 19 avril 2022, M. [P] [D] a informé M. [J] vouloir récupérer le véhicule Aston Martin immatriculé [Immatriculation 17], propriété indivise des consorts [D], demeurant dans les locaux de la société [14].

Par courriel du 20 avril 2922, M. [J] a opposé son refus à la restitution du véhicule.

Par courrier recommandé du 25 avril 2022, M. [J] a été mis en demeure par le conseil des consorts [D] de restituer le véhicule dans les 20 jours de la réception du courrier.

Par courrier du 18 mai 2022, les sociétés [14] et [12] ont informé les consorts [D] de l'exercice de leur droit de rétention sur le véhicule jusqu'au complet paiement des sommes dues au titre de sa rénovation.

Le 26 juillet 2022, les consorts [D] ont fait sommation à la société [14] de restituer le véhicule.

Par exploit du 27 septembre 2022, les sociétés [14] et [12] ont assigné les consorts [D] devant le tribunal judiciaire de Paris, aux fins de condamnation solidaire de l'indivision successorale d'[O] [D], ainsi que de M. [P] [D] et Mme [T] [D], tant à titre personnel qu'en leur qualité d'héritiers d'[O] [D], à leur verser la somme de 2 413 400 euros en réparation du préjudice subi.

Par exploit du 28 septembre 2022, les consorts [D] ont assigné les sociétés [14] et [12] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir :

condamner solidairement les sociétés [14] et [12] à leur restituer leur véhicule Aston Martin de type BD5 dont le numéro de châssis est le DB5/1366/R et le numéro d'immatriculation est [Immatriculation 17] et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

condamner solidairement les sociétés [14] et [12] in solidum à leur verser une indemnité provisionnelle d'un montant de 10.000 euros au titre de leur préjudice consécutif à la rétention illicite de leur véhicule ;

condamner solidairement les sociétés [14] et [12] in solidum à leur payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner solidairement les sociétés [14] et [12] aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire du 21 juin 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

rejeté l'exception d'incompétence ;

condamné in solidum les sociétés [14] et [12] à restituer à Mmes [D] et M. [D] le véhicule Aston Martin de type BD5 dont le numéro de châssis est le DB5/1366/R et le numéro d'immatriculation est [Immatriculation 17] ainsi que sa carte grise et ce, sous astreinte provisoire de 400 euros par jour de retard à compter du trentième jour ouvrable suivant la signification de la présente ordonnance ;

dit n'y avoir lieu à se réserver la liquidation de l'astreinte ;

rejeté la demande de provision formulée par Mmes [D] et M. [D] ;

débouté les sociétés [14] et [12] de leur demande de condamnation de Mmes [D] et M. [D] pour procédure abusive ;

rejeté le surplus des demandes ;

condamné les sociétés [14] et [12] in solidum à payer à Mmes [D] et M. [D] la somme de 4.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné les sociétés [14] et [12] aux entiers dépens.

Par déclaration du 23 juin 2023, les sociétés [14] et [12] ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 29 février 2024, elles demandent à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile et 2286 du code civil, de :

les déclarer recevables et bien fondées en leur appel ;

réformer l'ordonnance de référé du 21 juin 2023 en ce qu'elle les a condamnées in solidum à restituer à Mmes [D] et M. [D] le véhicule Aston Martin de type BD5 dont le numéro de châssis est le DB5/1366/R et le numéro d'immatriculation est [Immatriculation 17] ainsi que sa carte grise et ce, sous astreinte provisoire de 400 euros par jour de retard à compter du trentième jour ouvrable suivant la signification de la présente ordonnance, et à payer à Mmes [D] et M. [D] la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Et statuant à nouveau :

débouter les consorts [D] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et notamment de leur demande de restitution sous astreinte du véhicule Aston Martin DB5/1366/R ;

ordonner la restitution par les consorts [D], à ces dernières, du véhicule Aston Martin de type BD5 dont le numéro de châssis est le DB5/1366/R et le numéro d'immatriculation est [Immatriculation 17] ainsi que sa carte grise, sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter du trentième jour ouvrable suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;

débouter les consorts [D] de leur demande de provision et confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté leur demande à ce titre ;

condamner solidairement les consorts [D] à leur verser, à chacune, 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 27 février 2024, les consorts [D] demandent à la cour, au visa des articles 490, 835, 905-2 du code de procédure civile et 2286 du code civil, de :

confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

*rejeté l'exception d'incompétence ;

*condamné in solidum les sociétés [14] et [12] à restituer à Mmes [D] et M. [D] le véhicule Aston Martin de type BD5 dont le numéro de châssis est le DB5/1366/R et le numéro d'immatriculation est [Immatriculation 17] ainsi que sa carte grise et ce, sous astreinte provisoire de 400 euros par jour de retard à compter du trentième jour ouvrable suivant la signification de la présente ordonnance ;

*débouté les sociétés [14] et [12] de leur demande de condamnation de Mmes [D] et M. [D] pour procédure abusive ;

*condamné les sociétés [14] et [12] in solidum à payer à Mmes [D] et M. [D] la somme de 4.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

*condamné les sociétés [14] et [12] aux entiers dépens.

l'infirmer en ce qu'elle a rejeté leur demande de provision ;

Statuant à nouveau :

condamner les sociétés [14] et [12] in solidum à leur verser une indemnité provisionnelle d'un montant de 30.000 euros au titre de leur préjudice consécutif à la rétention illicite de leur véhicule ;

Ajoutant à l'ordonnance entreprise :

débouter les sociétés [14] et [12] en toutes leurs fins, demandes et conclusions ;

en particulier, juger irrecevables et défaut mal fondée toute demande de restitution du véhicule aux sociétés [14] et [12] ;

juger dans son arrêt à intervenir que le véhicule doit rester en possession des appelants ;

condamner les sociétés [14] et [12] in solidum à leur payer la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner les sociétés [14] et [12] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire, il y a lieu de relever que la cour n'est pas saisie de l'exception d'incompétence qui avait été soulevée par les sociétés [14] et [12] (rejetée par le premier juge), ni de la demande de dommages intérêts pour procédure abusive qui avait été formée par ces dernières (rejetée par le premier juge), l'ordonnance déférée n'étant pas remise en cause de ces chefs.

En application de l'article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Le trouble manifestement illicite découle de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

En application du même texte, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée. Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Selon l'article 2286 du code civil, «Peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose :

1° Celui à qui la chose a été remise jusqu'au paiement de sa créance ;

2° Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l'oblige à la livrer ;

3° Celui dont la créance impayée est née à l'occasion de la détention de la chose ;

4° Celui qui bénéficie d'un gage sans dépossession

Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire.»

En l'espèce, les consorts [D] agissent en leur qualité d'héritiers de leur époux et père décédé, sur le fondement du trouble manifestement illicite visé à l'article 835 du code de procédure civile, en restitution du véhicule Aston Martin de type BD5, propriété d'[O] [D] et demeuré dans les locaux des sociétés [14] et [12] après le décès de ce dernier.

Lesdites sociétés leur opposent un droit de rétention sur le véhicule, se prévalant d'une créance indemnitaire à l'encontre des héritiers de leur ancien dirigeant [O] [D].

Elles font valoir que ce dernier a acheté le véhicule le 12 janvier 2014 à la société [14], au prix de 85.000 euros et en a confié la restauration à la société [12] qui le 12 mars 2015 a établi un devis pour un montant supérieur à 325.000 euros, outre le prix d'un moteur acheté plus de 30.000 euros à la société [18] et plus de 10.000 euros de pièces acquises auprès de la société [16]; qu'entre 2015 et 2021 le véhicule est resté dans les locaux des sociétés [14] et [12] pour y être restauré et qu'un rapport d'expertise en date du 7 avril 2021 confirme la restauration complète du véhicule et le valorise à 900.000 euros.

Les sociétés appelantes précisent qu'après leur cession à la société [9], les nouveaux dirigeants ont découvert des malversations commises par [O] [D] au détriment des sociétés et à son profit personnel, lesquelles ont été poursuivies par ses héritiers : acquisition en mars et mai 2021 par [O] [D] à la société [14] de deux Aston Martin de collection à un prix inférieur à la moitié de leur valeur réelle, qui ont été revendus quelques mois après le décès d'[O] [D] par ses héritiers à leur valeur réelle ; disparition d'immobilisations dans les inventaires de la société ; acquisition au début de l'année 2014 par [O] [D] de trois véhicules Aston Martin, dont le véhicule litigieux, qu'il a fait restaurer par les sociétés et à leurs frais sans établir aucune facture ni effectuer le moindre règlement ; que l'instance au fond qui a été engagée le 27 septembre 2023 par les sociétés, après vaines mises en demeure adressées aux héritiers, tend à la réparation de leur préjudice pour un montant total de 2.413.400 euros ; que les consorts [D] ont entrepris d'agir en référé aux fins de restitution du véhicule litigieux dès le lendemain de cette assignation au fond.

Elles soutiennent être fondées à opposer leur droit de rétention sur ce véhicule alors que contrairement à ce qui a été jugé en première instance, elles établissent bien la réalité des travaux de restauration réalisés, confirmée par un rapport d'expertise et par les salariés des sociétés, que leur créance indemnitaire est certaine et que le lien de connexité entre la détention et la créance est caractérisé, le véhicule leur ayant été remis par [O] [D] pour une complète restauration, qu'ainsi les travaux effectués sans le moindre paiement, le droit de rétention en résultant et la procédure au fond déjà en cours pour avoir paiement des sommes dues constituent à minima une contestation du trouble allégué qui ne peut dès lors être manifestement illicite.

Les intimés soutiennent pour leur part :

- que la demande de restitution du véhicule par les appelantes est irrecevable car elle n'a pas été formée dès leurs premières conclusions d'appel en date du 13 juillet 2023, et que lorsqu'elles ont signifié une seconde fois leurs conclusions par RPVA, le 28 août 2023, la restitution du véhicule avait déjà eu lieu, de sorte qu'elles sont mal fondées à soutenir que la question de la restitution est née postérieurement à leurs premières conclusions ; qu'elles sont aussi mal fondées à prétendre que cette demande de restitution serait la conséquence, l'accessoire ou le complément nécessaire des prétentions présentées dans leurs premières écritures, alors que l'article 566 du code de procédure civile ne constitue pas une exception au principe de concentration des moyens mais a trait à la possibilité de former en appel des demandes qui n'avaient pas été formées en première instance ;

- qu'en outre, la demande de restitution est mal fondée car le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire de la chose et qu'en l'espèce, les sociétés appelantes se sont dessaisies du véhicule en exécutant volontairement la décision de première instance sans avoir discuté son exécution provisoire ; qu'une fois la cession des sociétés intervenue le véhicule, qui était exposé en vitrine par la société [14] par [O] [D], aurait dû être restitué à ses héritiers ; qu'il n'est pas sérieux de conditionner la restitution au paiement d'une somme de 400.000 euros alors qu'il n'est pas fait la preuve d'une créance certaine : le devis de 2015 n'est pas signé , il n'est produit aucun écrit d'[O] [D] attestant qu'il a accepté ce devis, il n'y a pas preuve d'un contrat comme l'a retenu le premier juge, les fiches d'atelier produites sont manuscrites et n'ont pas date certaine, elles n'ont aucune entête et sont inintelligibles, il n'est communiqué aucune facture établie par la société [11] au nom d'[O] [D] ; au surplus la preuve est déséquilibrée car les consorts [D] sont dans l'incapacité d'avoir accès aux documents des sociétés, lesquelles peuvent produire ce qu'elles veulent ; qu'en première instance les sociétés ne démontraient pas détenir l'objet de la rétention alléguée ; qu'en outre le lien de connexité entre la détention et la créance alléguée n'est pas établi, les réparations en cause, à s'en tenir aux fiches d'atelier, étant achevées depuis octobre 2017, soit cinq ans avant la demande de restitution, et le véhicule avait été laissé dans les lieux pour servir de promotion en vitrine et non dans l'attente du paiement d'une hypothétique facture, si bien que c'est un commodat qui fondait la détention du véhicule et non un prétendu contrat d'entreprise ;

- que la décision de première instance devra être infirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de provision des consorts [D], alors qu'il n'existe pas de contestation sérieuse quant à l'obligation de restitution du véhicule, lequel a une grande valeur, et que les appelants ont subi une perte de chance de le vendre pendant le temps de sa rétention.

Sur la recevabilité

L'article 910-4 du code de procédure civile dispose :

«A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées les prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.»

Les appelantes ont déposé et signifié leurs conclusions d'appel le 13 juillet 2023, soit avant que le véhicule litigieux ne soit restitué aux intimés suivant procès-verbal de constat de commissaire de justice en date du 17 août 2023, cela en exécution de la décision de première instance, assortie de l'exécution provisoire de droit.

C'est donc sans contrevenir au principe de concentration des prétentions posé par l'article susvisé que les appelantes n'ont pas formé leur demande de restitution du véhicule dès leurs premières conclusions du 13 juillet 2023, la question de la restitution étant née postérieurement à ces premières conclusions, et il est indifférent que les premières conclusions des appelants aient été à nouveau notifiées le 28 août 2023.

Au demeurant, la demande de restitution du véhicule se trouvait implicitement contenue dans la demande d'infirmation de l'ordonnance entreprise et de débouté des consorts [D] de leur demande de restitution du véhicule sous astreinte, lesquelles ont été formées dès les premières conclusions.

La fin de non-recevoir sera donc rejetée.

Sur le fond du référé

Il n'est pas discuté en appel que le véhicule litigieux était en la possession des sociétés [14] et [12] lorsque les consorts [D] ont sollicité sa restitution.

Il est aussi constant, et résulte d'une facture établie le 12 janvier 2014 par Aston Martin Paris au nom d'[O] [D] ainsi que d'un extrait du «grand livre auxiliaire par général» de la société [14], que ce véhicule a été acquis à titre personnel par [O] [D] au prix de 85.000 euros.

Il résulte d'un devis établi par [10] pour la société [12], le 12 mars 2015, que des travaux de rénovation de ce véhicule ont été chiffrés pour un montant total de 325.05,07 euros.

Sont produites des fiches d'atelier attestant de ce que le véhicule a bien été restauré par la société [12], ainsi qu'un rapport d'expertise aux fins d'assurance, établi le 7 avril 2021 par un expert en automobile pour la société [14], qui atteste que le véhicule a été complètement restauré et qu'il vaut désormais 900.000 euros.

La restauration du véhicule par les sociétés [14] et [12] se trouve confirmée par les réponses qui ont été apportées par deux salariés de la société [12] lesquels, sur sommation interpellative délivrée le 18 novembre 2022 à la requête des sociétés [11], ont déclaré au commissaire de justice que le véhicule en cause est resté environ trois années dans l'atelier d'Auto performance [Localité 15], de 2015 à 2018, l'un des deux salariés précisant avoir travaillé sur ce véhicule à la demande de son ancien patron.

Il est ainsi démontré que le véhicule litigieux, acheté par [O] [D] au prix de 85.000 euros, a été restauré aux frais des sociétés [14] et [12] , ce qui lui a conféré une valeur de 900.000 euros, et que c'est bien [O] [D], alors dirigeant de ces sociétés, qui nonobstant le défaut de signature du devis a chargé les sociétés de cette restauration.

Or, lesdites sociétés indiquent n'avoir pas trouvé trace dans leurs livres d'une facturation de ces travaux de restauration à [O] [D], étant observé sur ce point que si les consorts [D] n'ont pas accès aux documents des sociétés depuis leur cession ils ont, en leur qualité d'héritiers d'[O] [D], accès aux documents personnels de ce dernier, mais ils ne prétendent pas avoir trouvé trace d'une facture qui aurait été adressée par les sociétés [11] à [O] [D] et que celui-ci l'aurait acquittée.

La réalité d'une créance détenue par les sociétés [11] envers [O] [D], portant sur le véhicule litigieux, apparaît ainsi établie, de même que la conservation du véhicule dans les locaux des sociétés jusqu'au moment du décès d'[O] [D] et de la demande de restitution formée par ses héritiers, la cour observant que le fait que le véhicule ait pu servir d'objet de promotion en vitrine après sa restauration achevée en 2018 d'après les déclarations des salariés de la société [12], ne contredit pas l'existence d'un lien de connexité entre la créance des sociétés et la détention par elles du véhicule.

Enfin, les sociétés [14] et [12] ne se sont pas volontairement dessaisies du véhicule en le restituant aux consorts [D], ayant été contraintes à cette restitution en exécution de la décision de première instance, assortie de l'exécution provisoire de droit, sauf à encourir la radiation de leur appel.

Les sociétés appelantes apparaissent ainsi fondées à opposer un droit de rétention aux héritiers du propriétaire du véhicule en garantie du paiement de leur créance, de sorte que les consorts [D] ne peuvent être quant à eux fondés à se prévaloir d'un trouble manifestement illicite en ce que la restitution leur a été refusée, la rétention du véhicule ne constituant pas dans ces conditions une violation manifeste de leur droit de propriété.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a ordonné la restitution du véhicule aux consorts [D] et la cour fera droit à la demande des sociétés [11] en restitution du véhicule, selon les modalités prévues au dispositif.

Par voie de conséquence, la demande de provision des consorts [D] est mal fondée et doit être rejetée, l'ordonnance étant confirmée sur ce point, la cour substituant ses motifs à ceux du premier juge.

Partie perdante, les consorts [D] seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.

La nature du litige et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel, l'ordonnance étant également infirmée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à se réserver la liquidation de l'astreinte,

- rejeté la demande de provision formulée par Mme [N] [D], M. [P] [D] et Mme [T] [D],

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir,

Ordonne à Mme [N] [D], M. [P] [D] et Mme [T] [D] de restituer aux sociétés [14] et [12] le véhicule Aston Martin de type BD5 dont le numéro de châssis est le DB5/1366/R et le numéro d'immatriculation est [Immatriculation 17] ainsi que sa carte grise, dans le mois de la signification du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte de 400 euros par jour de retard courant pendant trois mois,

Condamne in solidum Mme [N] [D], M. [P] [D] et Mme [T] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/11192
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;23.11192 ?
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