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03/05/2024 | FRANCE | N°22/08197

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 03 mai 2024, 22/08197


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 03 Mai 2024

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/08197 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNEH



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Juillet 2022 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 21/00963



APPELANTE

CPAM DES HAUTS DE SEINE

[Localité 2]

représentée par Mme [E] [V] en vertu d'un pouvoir spécial



INTIMEE

ENTREPRISE [4]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305 substitué par Me Julie DELATTRE, avocat au barreau ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 03 Mai 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/08197 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNEH

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Juillet 2022 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 21/00963

APPELANTE

CPAM DES HAUTS DE SEINE

[Localité 2]

représentée par Mme [E] [V] en vertu d'un pouvoir spécial

INTIMEE

ENTREPRISE [4]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305 substitué par Me Julie DELATTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

M Raoul CARBONARO, président de chambre

M Philippe BLONDEAU, conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par M.Raoul CARBONARO, président de chambre pour Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, légitimement empêchée et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine d'un jugement rendu le 13 juillet 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny (RG21/963) dans un litige l'opposant à la société Entreprise [4].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Madame [L] [X] était salariée de la société [4] (désignée ci-après 'la Société') depuis le 1er décembre 2015 en qualité d'agent de nettoyage lorsque, le 22 janvier 2019, elle a informé son employeur avoir été victime d'un accident survenu sur son lieu de travail que celui-ci a déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine (ci-après désignée 'la Caisse') en ces termes « en train de nettoyer ; le salarié est descendu par l'escalier comme d'habitude pour effectuer le nettoyage des vestiaires au sous-sol ; elle a glissé sur les marches, elle est tombée sur le dos ».

Le certificat médical initial établi le 23 janvier 2019 par le docteur [G] [D] faisait état d'une « douleur épaule droite, limitation mouvements, bilan à faire lombalgie, douleur coccyx 2 fesses 2 faces post-cuisses ».

La Caisse a reconnu le caractère professionnel de cet accident puis, par décision du 20 octobre 2020, a fixé la date de consolidation de l'état de santé de Mme [X] au 30 octobre suivant.

Considérant qu'il subsistait des séquelles indemnisables à cette date consistant en « une limitation légère de l'ensemble des mouvements de l'épaule » et après avis de son service médical, la Caisse a, par décision du 29 décembre 2020, attribué à son assuré un taux d'incapacité permanente partielle de 10 %.

Estimant ce taux sur évalué, la Société a formé un recours devant la commission médicale de recours amiable afin d'en obtenir sa minoration, laquelle, lors de la séance du 21 mai 2021, l'a déboutée de sa demande et confirmé la décision de sa Caisse.

C'est dans ce contexte que la Société a porté sa contestation devant le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny, lequel, par jugement du 6 décembre 2021, a :

- avant dire droit, ordonné une expertise médicale judiciaire sur pièces qu'il a confié au docteur [K] [C] avec pour mission de :

- prendre connaissance de l'entier dossier médical de Madame [L] [X] constitué par le service médical de la caisse primaire d' assurance maladie, et notamment l'intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l'examen clinique de l'assurée ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision ainsi que le rapport de la commission médicale de recours amiable ou encore ceux transmis par le médecin désigné par l'employeur ;

- décrire les lésions et les séquelles dont Mme [L] [X] a souffert en lien avec son accident du travail en date du 22 janvier 2019,

- émettre un avis sur le taux d'incapacité permanente partielle de 10 % retenu par la caisse présenté par Mme [L] [X] au 30 octobre 2019, date de consolidation,

o en cas de désaccord avec le taux précité, en expliquer les motifs et déterminer le taux en lien avec les lésions et séquelles résultant de l'accident du travail en tenant compte de la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité,

- dire si l'accident du travail du 22 janvier 2019 a seulement révélé ou s'il a temporairement aggravé un état indépendant à décrire,

- dire si un état antérieur évoluant pour son propre compte, sans lien avec l'accident du travail, peut influer sur l'incapacité de Mme [L] [X],

- faire toutes observations utiles pour la résolution du présent litige,

- fixé à la somme de 800 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert judiciaire qui devra être consignée par la Société [4] entre les mains du Régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Bobigny,

- renvoyé l'affaire à l'audience du 14 avril 2022,

- réservé les autres demandes,

- rappelé que la partie succombante pouvait être condamnée à supporter la charge définitive des frais d'expertise.

L'expert a réalisé sa mission le 25 mars 2022 et a déposé son rapport au greffe de la juridiction le 30 mars suivant.

Par jugement du 13 juillet 2022, le tribunal a :

- dit que le taux d'incapacité permanente partielle de Mme [L] [X] , en lien avec les lésions et séquelles résultant de son accident du travail du 22 janvier 2019, opposable à la S.A.S. Entreprise [4] est de 0 % ;

- condamné la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine aux dépens qui comprennent les frais d'expertise ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Pour juger ainsi, le tribunal a constaté que l'expert ne retenait aucune séquelle indemnisable et a considéré que la note médicale produite par la Caisse pour en contester la pertinence n'avait pas à être retenue au motif « qu'il appartenait au service médical de faire valoir ces éléments dans le cadre de la discussion devant l'expert ; que régulièrement convoquée aux opérations d'expertise, la caisse ne s'y est pas fait représentée » de sorte que «ces éléments n'ayant pas été débattus devant l'expert, ils ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions du docteur [K] [C], qui sont claires, précises, étayées et dénuées d'ambiguïté quant aux lésions et séquelles dont a souffert Mme [L] [X] en lien avec son accident du travail du 22 janvier 2019 ».

Le jugement a été notifié aux parties le 1er août 2022 et la Caisse en a régulièrement interjeté appel devant la présente cour par déclaration enregistrée au greffe le 19 août 2022.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 7 février 2024 lors de laquelle les parties ont plaidé.

La Caisse, représentée par un agent muni d'un pouvoir, demande à la cour, au visa de ses observations écrites, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 juillet 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny.

Statuant à nouveau, elle demande à la cour de :

- débouter la société [4] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer dans les stricts rapports employeur / organismes sociaux, la décision de la caisse du 27 mai 2021, ayant maintenu à 10 % suite à l'avis rendu par la CMRA, le taux d'incapacité global attribuable à Mme [X] à la date du 30 octobre 2020, suite à l'accident de travail dont elle a été victime le 22 janvier 2019 au service de la société [4],

- condamner la société [4] aux entiers dépens d'appel.

La Société, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

- entériner les avis des docteurs [C] et [Z] et, en conséquence,

- confirmer le jugement rendu le 13 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu'il a déclaré opposable à son égard, et dans ses rapports avec la caisse primaire d'assurance maladie de Nanterre, le taux d'incapacité permanent partielle de 0 % consécutif à l'accident du travail du 22 janvier 2019 déclaré par Mme [X].

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 7février 2024 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 3 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au soutien de son recours, la Caisse grief au jugement d'avoir refusé de prendre en compte l'avis médical du 8 avril 2022 du docteur [I], médecin conseil, au motif qu'il n'avait pas été soumis contradictoirement à l'expert. Or, le médecin n'est tenu d'adresser à l'expert que les seules pièces médicales, ce qu'il a fait.

Sur le fond, la Caisse rappelle qu'aux termes de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux médical d'incapacité permanente partielle est déterminé selon un barème indicatif d'invalidité qui fixe des taux moyens d'incapacité en fonction de différents critères reposant sur la nature de l'infirmité, l'âge, l'état général, les facultés physiques et mentales de la victime et ses aptitudes et ses qualifications professionnelles.

Au cas de Mme [X], le médecin conseil a retenu le taux de 10 %, ce qui est situé dans la fourchette basse du barème, étant précisé que l'assurée, agent de nettoyage, est amenée, dans le cadre de son activité professionnelle, à effectuer des tâches mobilisant les membres supérieurs. Elle conteste l'analyse de l'expert qui a comparé l'épaule droite avec la gauche alors que cette dernière était déjà diminuée. En tout état de cause, la Caisse estime que l'expert ne pouvait pas dire qu'il n'y avait pas de séquelles pour une diminution de l'amplitude articulaire de l'épaule droite alors qu'il notait lui-même clairement pour cette épaule une antépulsion et une abduction à 120°, une rotation externe à 80°et une rétropulsion à 45°. Ces amplitudes sont bien en deçà de la normale et même s'il existait un état antérieur celui-ci était complètement muet et s'est retrouvé aggravé par l'accident de travail. Elle conclut que son médecin-conseil a fait une juste appréciation du guide barème des accidents de travail et maladies professionnelles en retenant le taux de 10 %.

La Société rétorque que l'expert judiciaire a confirmé l'argumentation de son médecin consultant, à savoir que les limitations de l'épaule résultaient exclusivement d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte. Elle note que les conclusions de l'expert sont claires en ce qu'il indique qu'il existe un « des états antérieurs dégénératifs au niveau rachidien lombaire et épaule droite » et que le taux opposable à l'employeur doit être fixé « à hauteur de 0 % ». Elle relève que la Caisse n'apporte aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'analyse faite par l'expert et le taux retenu par le Tribunal judiciaire de Bobigny

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 434-1 du code de la sécurité sociale

Une indemnité en capital est attribuée à la victime d'un accident du travail atteinte d'une incapacité permanente inférieure à un pourcentage déterminé.

Son montant est fonction du taux d'incapacité de la victime et déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret dont les montants sont revalorisés au 1er avril de chaque année par application du coefficient mentionné à l'article L. 161-25. Il est révisé lorsque le taux d'incapacité de la victime augmente tout en restant inférieur à un pourcentage déterminé.

Cette indemnité est versée lorsque la décision est devenue définitive. Elle est incessible et insaisissable.

l'article L. 434-2 du même code prévoyant

Le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.

Lorsque l'incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, la victime a droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

(...)

Lorsque l'état d'invalidité apprécié conformément aux dispositions du présent article est susceptible d'ouvrir droit, si cet état relève de l'assurance invalidité, à une pension dans les conditions prévues par les articles L. 341-1 et suivants, la rente accordée à la victime en vertu du présent titre dans le cas où elle est inférieure à ladite pension d'invalidité, est portée au montant de celle-ci. Toutefois, cette disposition n'est pas applicable si la victime est déjà titulaire d'une pension d'invalidité des assurances sociales.

Il sera rappelé par ailleurs que les séquelles d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne sont pas toujours en rapport avec l'importance des lésions initiales. De même, les lésions qui demeurent au moment de la date de consolidation (laquelle ne correspond ni à la guérison ni à la reprise de l'activité professionnelle) sont proposées à partir du barème moyen indicatif, éventuellement modifiée par des estimations en plus ou en moins en fonction de l'examen médical pratiqué par le médecin.

Le barème indicatif d'invalidité relatif aux accidents de travail, prévoit que, pour l'estimation médicale de l'incapacité, il doit être fait la part de ce qui revient à l'état antérieur et de ce qui revient à l'accident. Les séquelles rattachables à ce dernier sont seules en principe indemnisables. Mais il peut se produire des actions réciproques qui doivent faire l'objet d'une estimation particulière. Ainsi :

a) il peut arriver qu'un état pathologique antérieur absolument muet soit révélé à l'occasion de l'accident de travail ou de la maladie professionnelle mais qu'il ne soit pas aggravé par les séquelles. Il n'y a aucune raison d'en tenir compte dans l'estimation du taux d'incapacité,

b) l'accident ou la maladie professionnelle peut révéler un état pathologique antérieur et l'aggraver. Il convient alors d'indemniser totalement l'aggravation résultant du traumatisme,

c) un état pathologique antérieur connu avant l'accident se trouve aggravé par celui-ci. Etant donné que cet état était connu, il est possible d'en faire l'estimation. L'aggravation indemnisable résultant de l'accident ou de la maladie professionnelle sera évaluée en fonction des séquelles présentées qui peuvent être beaucoup plus importantes que celles survenant chez un sujet sain. Un équilibre physiologique précaire, compatible avec une activité donnée, peut se trouver détruit par l'accident ou la maladie professionnelle.

Afin d'évaluer équitablement l'incapacité permanente dont reste atteinte la victime présentant un état pathologique antérieur, le médecin devra se poser trois questions :

1° L'accident a-t-il été sans influence sur l'état antérieur '

2° Les conséquences de l'accident sont-elles plus graves du fait de l'état antérieur '

3° L'accident a-t-il aggravé l'état antérieur '

Pour le calcul de cette incapacité finale, il n'y a pas lieu, d'une manière générale, de faire application de la formule de Gabrielli. Toutefois, la formule peut être, dans certains cas, un moyen commode de déterminer le taux d'incapacité et l'expert pourra l'utiliser si elle lui paraît constituer le moyen d'appréciation le plus fiable.

Les barèmes indicatifs d'invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d'incapacité permanente, d'une part, en matière d'accidents du travail et d'autre part, en matière de maladies professionnelles sont annexés au présent livre. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail.

Il résulte de la combinaison de ces textes que le taux d'incapacité permanente partielle, objet de la contestation, doit être évalué tel qu'il existait à la date de consolidation de l'accident de travail ou de la maladie professionnelle suite à la décision de la caisse à l'origine de la procédure, les situations postérieures à cette date de consolidation ne pouvant pas être prises en considération par les juridictions du contentieux technique.

En l'espèce, le certificat médical initial établi par le docteur [D], médecin traitant de Mme [X] le 23 janvier 2019 faisait mention de «Douleur épaule droite, limitation mouvement, bilan à faire, lombalgies, douleurs coccyx, et deux faces postérieures cuisses ».

Aux termes du rapport d'évaluation, le médecin-conseil de la Caisse, a considéré que Mme [X] ne présentait pas de séquelles indemnisables pour le traumatisme lombaire compte tenu de l'état antérieur mais, s'agissant de l'épaule, qu'il existait une limitation légère de l'ensemble des mouvements de l'épaule justifiant l'attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10 %

Ce taux a été confirmé par la commission médicale de recours amiable par décision du 27 mai 2021 « compte tenu des constations du médecin conseil, de l'examen clinique retrouvant une diminution légère de certains mouvements de l'épaule droite dominante chez une assurée agent d'entretien âgée de 53 ans, de l'état antérieur, du retentissement professionnel et de l'ensemble des documents vus ».

Pour contester le taux retenu par la Caisse, la Société avait produit la note de son médecin consultant le docteur [Z] du 19 avril 2021, selon lequel les examens médicaux ne mettaient pas en évidence de lésion traumatique aiguë contemporaine de l'événement et que 'sur le plan médico-administratif', aucune lésion n 'avait été instruite, seuls étaient évoqués des phénomènes douloureux au niveau rachidien. Il s'accordait avec l'avis du médecin conseil pour ne pas retenir de symptomatologie pouvant être considérée comme séquellaire au niveau du rachis lombaire mais il estimait qu'il devait en être de même pour l'épaule droite. Il notait que les mouvements actifs et passifs étant comparables et les diminutions d'amplitudes articulaires aussi importantes à droite qu'à gauche, validant ainsi l'existence de lésions chroniques. Il n'excluait pas que l'accident ait pu doloriser temporairement une structure anatomique présentant un état antérieur, mais estimait que celui-ci avait ensuite évolué pour son propre compte. Il concluait que l'assurée ne conservait aucune symptomatologie en relation directe et certaine avec l'événement du 22 octobre 2019 pouvant justifier un taux d'incapacité permanente partielle.

L'expert judiciaire a confirmé cette analyse et a considéré que le taux fixé par le médecin conseil ne reflétait pas la réalité des séquelles, dès lors que n'était retenue qu'une diminution des amplitudes articulaires sans tenir compte du côté controlatéral et sans tenir compte d'une pathologie rhumatologique préexistante touchant les articulations de façon bilatérale et révélé par une imagerie du rachis lombaire. Il constatait l'existence d'un état antérieur dégénératif aussi bien au niveau de l'épaule droite qu'au niveau du rachis lombaire. Il constatait également que les doléances ne faisaient pas état de douleurs plus importantes du côté de l'épaule droite par rapport à l'épaule gauche et que l'examen clinique ne mettait pas en évidence de diminution des amplitudes articulaires au niveau du membre supérieur droit plus importantes que le côté gauche. Il soulignait en effet qu'il n'existait aucune limitation des amplitudes articulaires au niveau du membre supérieur droit par rapport au côté gauche mais au contraire, les amplitudes articulaires étaient nettement meilleures du côté lésé initialement que du côté non lésé. Dans ce contexte, il indiquait qu'il était impossible de retenir un taux de séquelles pour une diminution des amplitudes articulaires. Il estimait que le fait accidentel de l'instance avait dolorisé transitoirement un état antérieur mais que la symptomatologie à partir de la consolidation, possiblement réelle, était en lien avec l'état antérieur qui évoluait pour son propre compte, la symptomatologie en lien avec le fait accidentel étant épuisée à la date de consolidation fixée. Il n'y avait donc pas de séquelles imputable aux faits de l'accident, le taux d'IP est donc à 0 %

Pour conclure ainsi, l'expert après avoir repris les mesures effectuées par le médecin-conseil, relevait que :

- la radiographie du rachis lombaire mettait en évidence les discopathies L3-L4 et L4-L5, une dorsarthrose étagée et un état antérieur rachidien dégénératif ,

- l'imagerie au niveau de l'épaule droite révélait un état antérieur d'arthropathie de contrainte acromio claviculaire dès le 9 février 2019.

L'expert précisait que le rhumatologue de la patiente avait pensé à l'existence d'une polyarthrite rhumatoïde dès le mois de décembre 2019, qui s'avérait négatif en octobre 2020, mais qu'il existait une hyperuricémie et un rhumatisme microcristallin.

L'expert indiquait que le fait d'avoir des atteintes bilatérales et avoir ces hypothèses diagnostiques émises par un rhumatologue objectivait l'état antérieur par une pathologie rhumatismale en cours d'exploration

La Caisse conteste cette analyse produisant l'argumentaire de son médecin conseil qui estime que l'accident a révélé l'état antérieur et l'a aggravé de sorte qu'il convenait d'indemniser totalement l'aggravation résultant du traumatisme. Il considère que l'accident est le point de départ des douleurs et que tous les examens l'ont été après l'accident ce qui démontre l'absence de symptomatologie antérieure. Il estime qu'il est erroné de soutenir que les amplitudes articulaires à l'épaule droite soient meilleures ne signifie pas qu'elles soient normales

Ce faisant, le barème indicatif d'invalidité des accident du travail prévoit en son chapitre 1.1.2 intitulé « Atteinte des fonctions articulaires », l'évaluation du blocage et de la limitation des mouvements des articulations du membre supérieur, quelle qu'en soit la cause.

S'agissant de la mobilité de l'épaule, le barème indique que « normalement », la mobilité est de :

- 170° pour l'élévation latérale,

- 20° pour l'adduction,

- 180° pour l'antépulsion,

- 40° pour la rétropulsion,

- 80° pour la rotation interne,

- 60° pour la rotation externe.

Il rappelle également que la main doit se porter avec aisance au sommet de la tête et derrière les lombes, et que la circumduction doit s'effectuer sans aucune gêne.

Il prévoit enfin que les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain. On notera d'éventuels ressauts au cours du relâchement brusque de la position d'adduction du membre supérieur, pouvant indiquer une lésion du sus-épineux, l'amyotrophie deltoïdienne (par mensuration des périmètres auxiliaires vertical et horizontal), les craquements articulaires. Enfin, il sera tenu compte des examens radiologiques.

Le barème propose alors, en cas de blocage ou de limitation de l'épaule, les taux suivants:

DOMINANT

NON DOMINANT

Blocage de l'épaule, omoplate bloquée

55

45

Blocage de l'épaule, avec omoplate mobile

40

30

Limitation moyenne de tous les mouvements

20

15

Limitation légère de tous les mouvements

10 à 15

8 à 10

Le médecin-conseil avait constaté, lors de son examen du 19 octobre 2020 que les mouvements actifs et passifs étaient comparables sur les deux épaules. Il retenait les données suivantes :

épaule droite

épaule gauche

Ante-élévation

120

90

Abduction

120

80

Rotation externe

80

45

Rétropulsion

45

30

et notait que la rotation interne allait de main droite en regard de L3, main gauche en regard de la fesse gauche. Il précisait que tous les mouvements sont allégués douloureux.

Le médecin-conseil conteste les analyses de l'expert et du docteur [Z] au motifs que :

- il n'y a pas d'antécédent connu pour l'épaule droite avant l'accident de travail, ni d'arrêt de travail antérieur ayant pour objet l'épaule droite,

- tous les examens réalisés l'ont été après l'accident de travail, ce qui est en faveur d'une absence de symptomatologie antérieure,

- l'imagerie met bien en évidence une lésion osseuse post-traumatique à savoir une tendinopathie des tendons au niveau de l'épaule droite, sans calcification notée, ce qui peut être la conséquence directe d'un traumatisme de l'épaule droite.

Il conclut que « les lésions de l'épaule droite peuvent être secondaires à l'accident de travail. Même s'il existait un état antérieur celui-ci était complètement muet et s'est retrouvé aggravé par l'accident de travail. L 'épaule droite présente des mobilités légèrement diminuées ».

Et c'est exactement en ce sens que doit être analysée la situation.

Au préalable, il sera relevé que c'est à tort que le tribunal a refusé d'analyser cet avis au motif qu'il n'aurait pas été produit à l'expert puisque ni la participation du médecin-conseil à l'expertise ni la production de dire ne sont exigées par les dispositions régissant les opérations d'expertise. S'il est exact qu'il est plus simple qu'un débat s'engage directement entre les médecins, le tribunal doit néanmoins statuer au regard de toutes les pièces qui lui sont produites, parmi lesquelles figure le rapport d'expertise.

Sur le fond, la cour ne pourra pas suivre l'argumentation de l'expert.

D'abord, il ressort des éléments versés aux débats et notamment du rapport d'évaluation du médecin conseil dont les données ne sont pas contestées de l'expert, le constat d'une limitation :

- de l'antépulsion à hauteur de 60° (120° de limitation relevés pour une valeur normale de 180°),

- de la rétropulsion de 5° (45° relevé pour une valeur normale de 40°),

- de l'abduction à hauteur de 50° (120° relevé pour une valeur normale de 170°),

- de la rotation externe (80° relevé pour une valeur normale de 60°),

- la rotation interne D/G : main droite en regard de L3, main gauche en regard de la fesse gauche, ce qui confirme que tous les mouvements apparaissent limités.

Par ailleurs, il a été relevé que :

- l'antépulsion était à 120° à droite contre 90°à gauche,

- l'abduction était à 120° à droite contre 80°à gauche,

- la rotation externe était à 80° à droite contre 45° à gauche,

- la rétropulsion était à 45° à droite contre 30°à gauche,

- la rotation interne à droite était limitée à L3 et à gauche au niveau de la fesse,

de sorte qu'il ne se retrouve bien des limitations des mouvements de l'épaule droite.

C'est alors par une interprétation inexacte du barème que l'expert estime que les amplitudes des mouvements de l'épaule droite étant meilleures comparativement à celles de l'épaule gauche, elle ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation. En effet, si le barème prévoit une étude comparative des membres, il précise cependant «les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain » (souligné par la cour), ce qui n'est pas la cas en l'espèce, l'épaule gauche étant également traumatisée. Si l'argumentation de l'expert était suivie, cela reviendrait donc à nier toute possibilité d'indemnisation en cas d'atteinte des deux membres dès lors qu'elle serait moins importante que celui avec laquelle elle était comparée.

La comparaison effectuée par l'expert est alors en l'espèce dénuée de pertinence.

La question qui se pose alors à la cour est de savoir si l'état antérieur, dont l'existence n'est pas contestée, a été aggravée par l'accident.

Or, force est de constater que l'ensemble des examens exploratoires ne l'ont été qu'à la suite de l'accident, ce qui atteste non seulement que c'est bien l'accident qui a révélé la pathologie antérieure mais également du caractère asymptomatique des lésions antérieures. La référence de l'expert à ces examen n'est donc pertinente que s'agissant de démontrer l'existence d'un état antérieur, mais non pour en déduire que la limitation des mouvements de l'épaule en seraient la conséquence exclusive.

Il sera d'ailleurs relevé que la salariée n'a jamais été prise en charge pour une quelconque pathologie de l'épaule droite avant l'accident et que ni la Société ni son médecin consultant n'évoquent des arrêts de travail en lien avec l'état antérieur.

Aucun des arguments de l'expert ne vient donc démontrer que la limitation des mouvements de l'épaule, non contestée, résulterait exclusivement d'un état antérieur.

Le taux de 10 % retenu par le médecin-conseil, fourchette basse du barème, alors que la victime exerce la profession de femme de ménage et a donc besoin de mobiliser ses épaules en permanence, montre que l'état antérieur a bien été pris en compte et que seule l'aggravation des lésions ont concouru à sa fixation.

Dès lors, le jugement querellé sera infirmé.

Sur les dépens

La Caisse, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l'appel formé par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine recevable,

INFIRME le jugement rendu le 13 juillet 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny (RG21/963) en toutes ses dispositions ;

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

JUGE que le taux d'incapacité permanente partielle de 10 % accordé par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine à Mme [X] à la suite de l'accident du travail dont elle a été victime le 22 janvier 2019 a été correctement évalué ;

CONFIRME la décision rendue le 29 janvier 2020 par la commission médicale de recours amiable maintenant la décision de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine fixant à 10 %, le taux d'incapacité permanente partielle résultant des séquelles de l'accident de travail dont l'intéressée a été victime le 22 janvier 2019 ;

LA JUGE opposable à la société [4] ;

DIT que le coût de l'expertise sera supporté par la société [4] ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la Société aux dépens d'instance et d'appel.

PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La greffière Pour la présidente empêchée


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 22/08197
Date de la décision : 03/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-03;22.08197 ?
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