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02/05/2024 | FRANCE | N°22/09167

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 02 mai 2024, 22/09167


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 02 MAI 2024



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09167 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZMX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Mars 2022 - tribunal judiciaire de Paris - 9ème chambre 2ème section - RG n° 20/06873





APPELANT



Monsieur [S] [W]

né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 5]
r>[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par Me Emilie CHANDLER de l'AARPI NMCG AARPI, avocat au barreau de Paris, toque : A0215

Ayant pour avocat plaidant Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Re...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09167 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZMX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Mars 2022 - tribunal judiciaire de Paris - 9ème chambre 2ème section - RG n° 20/06873

APPELANT

Monsieur [S] [W]

né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Emilie CHANDLER de l'AARPI NMCG AARPI, avocat au barreau de Paris, toque : A0215

Ayant pour avocat plaidant Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Rennes, toque : 164, substitué à l'audience par Me Mathilde GABORIT, avocat au barreau de Rennes, toque : 164

INTIMÉE

S.A. LA BANQUE POSTALE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 421 100 645

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Denis-Clotaire LAURENT de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de Paris, toque : R010, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par MME Pascale SAPPEY-GUESDON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 9 mai 2022 M. [S] [W] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 29 mars 2022 dans l'instance l'opposant à la société La Banque Postale, et dont le dispositif est ainsi rédigé :

'Déboute M. [S] [W] de ses demandes ;

Le condamne aux dépens ainsi qu'à payer à la SA Banque Postale la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.'

***

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 30 janvier 2024 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 28 janvier 2024, l'appelant

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les Directives Européennes, Vu le TUE et le TFUE,

Vu les articles L. 214-1-1, D. 214-0, L. 550-1, L. 561-4 et suivants du Code monétaire et financier,

Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil, Vu les articles 1112-1 et 1231-1 et du Code civil,

Vu l'article 441-1 et 441-3 du Règlement Général de l'AMF,

Infirmer le Jugement de première instance en toutes ses dispositions.

ET STATUANT A NOUVEAU :

A TITRE PRINCIPAL :

- Juger et retenir que la société BANQUE POSTALE n'a pas respecté son obligation légale de vigilance, au titre du dispositif LCB-FT (règles du Code monétaire et financier). A TITRE SUBSIDIAIRE :

- Juger et retenir que la société BANQUE POSTALE n'a pas respecté son obligation légale de vigilance, au titre de son devoir général de vigilance (règles du Code civil).

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

- Juger et retenir que la société BANQUE POSTALE n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de Monsieur [W].

EN TOUT ETAT DE CAUSE ET EN CONSEQUENCE :

- Juger et retenir que la société BANQUE POSTALE est responsable des préjudices subis par Monsieur [W].

- Condamner la société BANQUE POSTALE à rembourser à Monsieur [W] la somme de 35.249,49 €, correspondant à la totalité de son investissement auprès de la société GEMEXPRO, en réparation de son préjudice matériel.

- Condamner la société BANQUE POSTALE à verser à Monsieur [W] la somme de 7.050 €, correspondant à 20 % du montant de l'investissement, au titre du préjudice moral et de jouissance.

- Condamner la société BANQUE POSTALE à verser à Monsieur [W] la somme de 6.000 €, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la même aux entiers dépens.'

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 25 avril 2023, l'intimé

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les articles L. 133-6, L. 133-8 I, L. 133-13, L. 561 et suivants, L. 574-1 du Code monétaire et financier,

Vu l'article 1112-1 et 1231-1 du Code civil,

Vu les articles 514-5, 699 et 700 du Code de procédure civile,

Il est demandé à la Cour de :

- CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Monsieur [S] [W] de toutes ses demandes et l'a condamné, au titre de procédure de première instance, au règlement des dépens et de la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

- DEBOUTER Monsieur [S] [W] de sa demande de transmission d'une question préjudicielle à la CJUE et de sa demande liée de sursis à statuer ;

- DEBOUTER Monsieur [S] [W] de tous ses moyens, fins, conclusions et demandes ;

- CONDAMNER Monsieur [S] [W] au paiement à LA BANQUE POSTALE d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile s'agissant de la procédure d'appel ;

- CONDAMNER Monsieur [S] [W] à supporter l'intégralité des dépens.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

M. [W], client de La Banque Postale, explique avoir été contacté, dans le courant du mois de mars 2017, par la société Gemexpro, se présentant comme étant spécialisée dans le négoce et la revente de diamants dits 'd'investissement'.

Par suite, M. [W] a effectué cinq paiements par carte bancaire le 16 mars 2017, en règlement d'achats de diamants, pour la somme totale de 2 166,70 euros (quatre paiements d'un montant de 426,56 euros et un paiement de 460,46 euros).

Le jugement déféré n'est pas sérieusement contestable en ce que le tribunal a retenu que ces paiements, outre le fait qu'ils ne présentent pas d'anomalies particulières du fait de leurs faibles montants au regard des mouvements du compte de M. [W], ont été effectués au moyen d'un compte 'Upay' ouvert par M. [W] lui-même (à la demande de Gemexpro) sans intervention de la banque, et alors qu'il n'avait été signé aucun contrat avec la société Gemexpro.

En effet, c'est en date du 3 octobre 2017 que M. [W], relancé par la société Gemexpro en la personne de M. [M] [L] l'incitant à réaliser des investissements plus importants pour une meilleure rentabilité, a signé un contrat avec cette société pour l'achat de nouveaux diamants, opération réglée par virement du 24 octobre 2017, d'un montant de 21 181,62 euros, depuis son compte courant ouvert dans les livres de la société La Banque Postale, en faveur de 'Direct Diamonds Kft' à destination de la banque Sberbank. Puis le 13 novembre 2017, M. [W] a signé un second contrat avec la même société, et cette fois a acheté des diamants pour la somme de 11 901,37 euros, acquisition réglée par virement du 23 novembre 2017, également depuis son compte courant ouvert dans les livres de la société La Banque Postale, au profit de 'Best Diam Kft', vers la même banque, Sberbank.

Selon M. [W], son cocontractant lui avait expliqué que les diamants ainsi acquis seraient conservés par la société Gemexpro le temps qu'ils prennent de la valeur, et qu'ils seraient ensuite revendus sur le marché diamantaire, moyennant une forte plus-value. Les diamants pouvaient également être livrés au client, qui devait les conserver durant une période, avant de les remettre en vente.

N'ayant plus de nouvelles de la société Gemexpro depuis la mi-décembre, et constatant la perte définitive des sommes investies, estimant dès lors avoir été victime d'une escroquerie M. [W] a déposé plainte le 28 février 2018 à la gendarmerie de [Localité 4]. À cette occasion, M. [W] indiquait avoir le 9 novembre 2017 perçu un virement émanant de 'Direct Diamonds Kft'. Il expliquait aussi que la banque londonnienne destinataire du premier virement l'avait refusé, dès lors la société Gemexpro lui a communiqué un autre IBAN ce qui a permis la réalisation du virement, réceptionné par Sberbank, qui est une banque russe.

M. [W] est devenu membre de l'Association de Défense des Consommateurs de France, constituée partie civile dans le cadre de l'information judiciaire qui a été ouverte du chef d'escroquerie en bande organisée à l'encontre de la société Diamantin, société française en lien avec la société Gemexpro, et désormais tombée en liquidation judiciaire.

Par acte du 28 juillet 2020, M. [W] a fait assigner la société La Banque Postale devant le tribunal judiciaire de Paris afin, notamment, qu'elle soit condamnée à lui payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 35 249,49 euros en réparation de son préjudice matériel correspondant à la totalité de son investissement, et celle de 7 050 euros en réparation de son préjudice moral et de jouissance.

À hauteur de cour les prétentions et moyens des parties sont identiques à ceux présentés au premier juge.

1 - Ainsi, devant le premier juge, et à nouveau devant la cour, M. [W] soutenait que sa banque est tenue à un devoir de vigilance générale mais également renforcée, au titre des dispositions pertinentes du code monétaire et financier, estimant que c'est à tort que le tribunal judiciaire de Paris, par de précédentes décisions non motivées et non conformes au droit national et communautaire, retient que cette obligation de vigilance renforcée ne peut pas fonder une action en responsabilité de la part des clients des banques victimes d'escroqueries.

M. [W] estime qu'en l'espèce La Banque Postale a manqué à son devoir de vigilance dans la mesure où l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) a publié depuis le mois de mai 2014 de nombreuses alertes et publications sur l'ínvestissement dans les sociétés de diamants, et qu'elle a mis en ligne, le 6 avril 2018, une 'liste noire' des sites d'investissement suspects, dont fait partie la société Gemexpro. Tracfin a également, depuis la fin de l'année 2016, alerté sur la situation des escroqueries aux diamants. Enfin, l'association ADC France, spécialisée dans la défense des consommateurs victimes de placements financiers frauduleux, a publié une enquête sur la société Gemexpro et a actualisé sa propre liste noire, à partir de l'été 2017.

M. [W] fait valoir que dans son virement d'un montant de 21 181,62 euros, il était mentionné 'Gemexpro' et que dans celui d'un montant de 11 901,37 euros, il était indiqué 'GP' avec la mention des biens acquis 'Best Diam Kft'. Dès lors, la banque aurait dû l'alerter, de manière générale, et effectuer un contrôle concernant les opérations réalisées. M. [W] estime que ce rôle incombe à la banque et non pas au client, auquel il ne revient pas de vérifier les alertes en la matière émanant de l'AMF.

Le tribunal a retenu que contrairement à ce que soutient le requérant, l'obligation de vigilance imposée aux organismes financiers en application des articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier n'a pour seule finalité que la détection de transactions portant sur des sommes en provenance du trafic de stupéfiants ou d'activités criminelles organisées. La méconnaissance de l'obligation de l'examen particulier de certaines opérations importantes est sanctionnée disciplinairement ou administrativement par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. M. [W] ne peut pas par conséquent rechercher la responsabilité de la banque sur le fondement de ces textes spécifiques, étant au surplus souligné que les fonds investis n'avaient aucune origine illégale.

En effet, en droit, M. [W] ne saurait se prévaloir des dispositions du code monétaire et financier relatives aux obligations des banques en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, en ce que ces dispositions, qui ne visent pas à protéger des intérêts privés mais constituent un ensemble de règles professionnelles poursuivant un objectif d'intérêt général, ne peuvent servir de fondement à une action en responsabilité civile.

2 - Ensuite, subsidiairement, M. [W] considérait que la banque a failli à son obligation de vigilance quant au fonctionnement du compte, inhabituel en particulier eu égard au montant de ses ressources (fonctionnaire, son salaire net mensuel est d'environ 2 000 euros) au fait que les premiers virements ont été effectués auprés de la banque Natwest de Londres et les autres virements auprès de la banque russe Sberbank. Il importe peu que ces virements aient été effectués au guichet, la banque aurait dû l'avertir quant aux risques de ces opérations. Enfin, la banque considère qu'il était dans une dynamique d'investissement en anticipant les mouvements débiteurs sur son compte, ce qui démontre qu'elle avait connaissance du caractère inhabituel desdits investissements.

Tout d'abord, le tribunal a exactement rappelé que La Banque Postale n'est tenue qu'à une obligation générale de vigilance, en sa seule qualité de teneur du compte de M. [W].

C'est aussi à raison que le tribunal a ensuite rappelé :

' qu'au regard du principe de non-ingérence, la banque n'est pas autorisée à procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l'identité du bénéficiaire ou l'objet de l'opération, ni intervenir pour empêcher son client d'effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts ; elle n'a pas davantage à se préoccuper de la destination des fonds ou de l'opportunité des opérations effectuées ;

' que toutefois, il en va différemment si elle se trouve confrontée, à l'occasion d'opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu'elle se doit de détecter, conformément à son obligation de vigilance.

Ainsi, comme rappelé par le premier juge, le devoir de vigilance de la banque, en cas d'opérations émanant de son client, ne trouve à s'appliquer que :

- en cas d'anomalie apparente, notamment intellectuelle, décelable par un banquier normalement diligent et manifestée par le caractère inhabituel d'une opération, sous réserve d'une évidence particulière pour que le comportement du banquier soit jugé fautif ;

- ou en cas d'irrégularités apparentes.

Or, en premier lieu, il est constant en l'espèce, que la régularité formelle des deux ordres de virement litigieux n'est pas contestée, et que M. [W] ne dénie pas en être l'auteur.

Par ailleurs, le tribunal a pu à bon droit retenir s'agissant du 'fonctionnement anormal du compte', que :

- Sans être utilement contredite, La Banque Postale rappelle qu'avant les opérations litigieuses, des virements conséquents ont été opérés sur les comptes de M. [W]. En effet, alors qu'il détenait une assurance-vie d'un montant de 25 000 euros et Lin PEA de 30 000 euros, le 1er mars 2017, son compte chèque a été crédité d'un montant de 119 144,55 euros à la suite d'une vente immobilière. Entre le 1er mars 2017 et le dernier paiement litigieux du 23 novembre 2017, ce compte chèque a été débité de sommes importantes, notamment un virement interne de 18 950 euros vers le livret A le 2 mars 2017, un débit de 11 267,91 euros le 10 mars 2017 pour rembourser un prêt à la consommation, un débit de 25 000 euros le 18 avril 2017 au profit d'un contrat d'assurance-vie, un paiement par chèque de 25 100 euros le 19 avril 2017, un débit de 30 001 euros au profit de son PEA le 15 mai 2017 et un virement de 10 950 euros vers son livret A le 19 octobre 2017.

- De plus, avant le premier virement, M. [W] a approvisionné son compte par un virement de 10 950 euros le 4 octobre 2017, par trois virements d'un montant total de 6 000 euros le 1er octobre 2017, et avant le second virement litigieux, a effectué un virement de 12 000 euros sur son compte, le 19 novembre 2017.

- Dès lors, replacés dans ce contexte, les deux virements litigieux, de par leurs montants et dates, ne présentaient aucun caractére anormal qui aurait dû alerter la banque. Le seul fait que ces virements aient été destinés à la banque Sberbank ne révèle pas non plus une anomalie particulière dans la mesure où l'IBAN des deux ordres mentionne 'HU', ce qui signifie que les sommes étaient destinées des comptes ouverts dans le livres d'une banque hongroise, donc au sein de l'UE.

En outre, M. [W] estime que la société La Banque Postale n'a pas été vigilante face aux très nombreuses alertes des autorités compétentes s'agissant des achats de diamants d'investissement et plus précisément de la société Gemexpro.

Le premier juge a écrit que s'agissant des deux virements de 21 181,62 euros et de 11 901,37 euros, contrairement à ce que soutient M. [W], il a indiqué comme bénéficiaires respectifs les sociétés 'Direct Diamonds Kft' et 'Best Diam lift' et nullement la société Gemexpro. Le premier de ces virements a été débité sur son compte le 10 octobre 2017, au bénéfice de la société St John Gem Limited, mais a été rejeté le 13 octobre pour être ordonné une seconde fois, au profit de la société Direct Diamonds Kft.

Toutefois, M. [W] maintient - à raison- qu'il était bien indiqué 'Gemexpro' sur la demande de virement de 21 181,62 euros qui sera extourné ' pièce 3 de la banque. M. [W] est donc fondé à reprocher à la banque de ne pas l'avoir alerté quant aux risques encourus à procéder à des investissements avec la société Gemexpro.

Le jugement énonce que ce n'est que le 6 avril 2018, soit postérieurement aux virements, qu'il est justifié que l'AMF a mis en ligne une liste noire de sociétés proposant des investissements suspects, dont la société Gemexpro.

Cependant M. [W] justifie des nombreuses autres actions, antérieures aux opérations litigieuses, à savoir que l'AMF a publié depuis le mois de mai 2014 de nombreuses alertes sur l'ínvestissement dans les sociétés de diamants, que Tracfin a également, depuis la fin de l'année 2016, alerté sur la situation des escroqueries aux diamants, que l'association ADC France, spécialisée dans la défense des consommateurs victimes de placements financiers frauduleux, a publié une enquête sur la société Gemexpro et a actualisé sa propre liste noire, à partir de l'été 2017 - pièces 19 à 21, pièce 23.

En particulier, par une communication du 24 juillet 2017 l'AMF indique : 'L'autorité des marchés financiers annonce la mise à disposition sur son site internet d'une liste d'acteurs proposant des diamants d'investissement sans disposer des autorisations nécécessaires', dans laquelle figure la société Gemexpro, et cette communication à destination des investisseurs incite expressément à la prudence.

Puis, par une communication 6 janvier 2017 renouvelée le 3 avril 2017, l'AMF énonce qu'elle met en garde le public contre les offres de placements dans les diamants d'investissement assorties de promesses de rendement exceptionnels.

Au vu de l'ensemble de ces éléments il ne saurait être soutenu qu'en l'espèce la banque, teneur de compte, ignorait tout de la nature des placements que M. [W] a posteriori considère comme risqués, et qu'elle n'avait connaissance d'aucun indice de nature à lui faire suspecter une fraude justifiant des investigations complémentaires et d'alerter son client.

Dès lors, le rejet opposé par la banque destinataire du virement aurait dû attirer l'attention de La Banque Postale et aurait fondé qu'elle procède à des investigations complémentaires. Tout du moins la banque se devait d'alerter M. [W] sur la particularité de l'évènement, le seul fait que l'intéressé en ait eu lui aussi connaissance ne dispensant en rien la banque de sa propre obligation.

Par conséquent, au contraire de ce qu'a jugé le tribunal, M. [W] n'est pas mal fondé à rechercher la responsabilité de la banque.

3 - Le préjudice subi par M. [W] s'évalue en termes de perte de chance - celle de ne pas réaliser les opérations frauduleuses.

Dès lors, M. [W] considère que sa perte de chance a été acquise dès le 13 octobre 2017, date à partir de laquelle La Banque Postale ne pouvait plus ignorer les anomalies présentes dans le fonctionnement du compte de son client.

Cependant, la réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne saurait être égale à l'avantage que lui aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée - soit préserver le montant des sommes investies. M. [W] ne peut donc prétendre au titre de l'indemnisation de sa perte de chance, à la somme de euros en réparation de son préjudice matériel, correspondant à la totalité de son investissement auprès de la société Gemexpro, par les virements effectués le 24 octobre et le 23 novembre 2017.

Le fait que M. [W] ait poursuivi postérieurement à ce rejet du 13 octobre 2017, ses opérations d'investissements selon le même modus operandi, s'il ne libère pas la banque de sa responsabilité sera toutefois pris en compte dans l'évaluation de la perte de chance, et partant, de son indemnisation.

M. [W] était manifestement déterminé à effectuer les opérations qu'il conteste désormais. En effet, alors que le premier virement effectué le 10 octobre 2017 a été rejeté le 13 octobre, M. [W] l'a ordonné une seconde fois, au profit d'une autre société que la précédente. En outre, le 9 novembre 2017, il a reçu un virement de 1 477,65 euros de la part de la société Direct Diamond Kft, qui ne peut que correspondre à une petite partie de son retour sur investissement, ce qui l'a conduit à verser quatorze jours plus tard, à cette même société, la somme de 11 901,37 euros.

La cour dispose donc d'éléments suffisants en l'espèce pour évaluer la perte de chance indemnisable de M. [W] à 10 %, de sorte que la société La Banque Postale sera condamnée à lui verser la somme de 3 308,30 euros en indemnisation de son préjudice résultant du manquement de la banque à son obligation de vigilance.

En revanche M. [W] ne justifie d'aucun préjudice moral qui mériterait d'être réparé indépendamment du préjudice lié à la perte de chance et sera débouté de sa demande à ce titre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société La Banque Postale, partie qui succombe, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de M. [W] formulée sur ce même fondement pour la somme réclamée de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement déféré

Statuant à nouveau

CONDAMNE la société La Banque Postale à payer à M. [W] :

la somme de 3 308,30 euros en indemnisation de son préjudice résultant du manquement de la banque à son obligation de vigilance,

la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

et DÉBOUTE M. [W] du surplus de ses prétentions indemnitaires ;

DÉBOUTE la société La Banque Postale de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

CONDAMNE la société La Banque Postale aux entiers dépens de l'instance.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 22/09167
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.09167 ?
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