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02/05/2024 | FRANCE | N°22/09132

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 02 mai 2024, 22/09132


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 02 MAI 2024



(n° , 18 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09132 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZJQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2022 -Tribunal de Commerce de Paris - 6ème chambre - RG n°2020031554





APPELANTES



S.A.R.L. SOCIÉTÉ AGENCE FULLCONTENT

[Adresse 3]

[Localité 4]

N

° SIRET : 397 483 611

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège



S.A.R.L. SOCIÉTÉ LINSEM

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : 479 937 450

prise en la per...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° , 18 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09132 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZJQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2022 -Tribunal de Commerce de Paris - 6ème chambre - RG n°2020031554

APPELANTES

S.A.R.L. SOCIÉTÉ AGENCE FULLCONTENT

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : 397 483 611

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

S.A.R.L. SOCIÉTÉ LINSEM

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : 479 937 450

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

S.A.R.L. JMM SARL

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : 479 894 099

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentées par Me Maude HUPIN, avocat au barreau de Paris, toque : G0625

INTIMÉE

S.A. LCL - LE CREDIT LYONNAIS (dont le siège social est [Adresse 1])

[Adresse 2]

[Localité 5]

N° SIRET : 954 509 741

prise en la personne de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Gachucha COURREGE de la SELARL M&C Avocats, avocat au barreau de Paris, toque : P0159

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre chargé du rapport

M. Vincent BRAUD, président

Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

La S.A.R.L. Agence Fullcontent, précédemment dénommée Editions Mondeos, est une société spécialisée dans le marketing éditorial, co-gérée par Messieurs [P] [K] et [W] [R].

La S.A.R.L. JMM, est une société holding créée et détenue par M. [K], à laquelle ce dernier a apporté les titres qui lui appartenaient dans la S.A.R.L. Agence Fullcontent, alors dénommée Editions Mondeos.

La S.A.R.L. LINSEM est une société holding appartenant à M. [R], à laquelle ce dernier a apporté les titres qui lui appartenaient dans la S.A.R.L. Agence Fullcontent, alors dénommée Editions Mondeos.

Agence Fullcontent, JMM et LINSEM, ainsi que leurs dirigeants à titre personnel sont depuis de nombreuses années clients de la S.A. Le Crédit lyonnais, et plus précisément des pôles « banque privée » et « gestion de fortune ».

Afin de gérer la trésorerie des appelantes, il a été régularisé avec le Crédit lyonnais une convention intitulé « gestion conseillée » 10 juillet 2007.

En 2016, les appelantes ont chacune signé un nouveau contrat intitulé « convention de service de gestion conseillée » dont l'objet, définit dans les conditions générales, est l'assistance et le conseil de la banque dans la gestion des instruments financiers déposés sur le compte de gestion conseillé.

Le 1er septembre 2016, Agence Fullcontent a régularisé un questionnaire relatif à l'évaluation des connaissances et de l'expérience des placements 'nanciers, dans lequel il est précisé qu'elle recherche la sécurité du capital et l'acceptation d'un potentiel limité de performance.

Le 12 septembre 2016, LINSEM a régularisé un questionnaire relatif à l'évaluation des connaissances et de l'expérience des placements 'nanciers, dans lequel il est précisé qu'elle recherche une performance avec une prise de risque modéré en capital.

Le 13 septembre 2016, JMM a régularisé un questionnaire relatif à l'évaluation des connaissances et de l'expérience des placements 'nanciers, dans lequel il est précisé qu'elle recherche une performance avec une prise de risque modéré en capital.

Le 26 août 2016, la banque a proposé divers investissements aux trois sociétés comprenant deux lignes obligataires Rallye à échéances distinctes visant un rendement de 3,70%, puis, à la suite de discussions entre les appelantes et le Crédit lyonnais, ce dernier a « affiné » sa proposition d'achats en supprimant certains titres.

Le 13 septembre 2016, la banque a indiqué aux trois sociétés que les achats de titres qui correspondaient aux propositions qu'elle leur avait faites et qu'elles avaient validées le 9 septembre 2016, avaient été réalisés.

Agence Fullcontent a ainsi investi 800 000 euros sur 8 lignes dont, notamment deux lignes Rallye à hauteur d'une somme totale de 300 000 euros représentant 37,50 % de l'investissement total, JMM et LINSEM ont, quant à elles, investi 100 000 euros chacune dans des obligations Rallye, représentant pour LlNSEM 22,25 % de l'investissement et pour JMM 36,54%.

Le 21 février 2018, le Crédit lyonnais et les appelantes ont régularisé un avenant à la convention de service de gestion conseillée indiquant notamment « le client souhaite obtenir des propositions d'investissement comportant de 60 à 100% d'actifs risques ».

En 2019, les appelantes ont interrogé le Crédit lyonnais sur la moins-value enregistrée au 31décembre 2018 sur les obligations Rallye et sur l'existence d'une « garantie » sur le recouvrement du capital placé en obligation à leur échéance.

La banque leur a indiqué que le capital « sera remboursé à maturité par l'émetteur et qu'il n'anticipait pas de défaut ».

Le 23 mai 2019, les obligations émises par la société Rallye ont été suspendues de cotation sur demande de l'entreprise, qui a été placée sous procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Paris.

Par courriel du 12 juin 2019, les appelantes ont fait part au Crédit lyonnais de leur inquiétude en rappelant que le poids de Rallye était très important dans leurs portefeuilles respectifs et qu'elles avaient souhaité un placement avec un risque faible.

Par courrier du 11 juillet 2019, le Crédit lyonnais a rappelé aux trois sociétés que les titres ont été achetés avec leur accord et a ajouté par courriel du 20 décembre 2019 que « l'encours actuel d'actifs correspond à l'orientation 0/60% d'actifs risques et pas à un 60/100% ».

Par acte extrajudiciaire en date du 26 mai 2020, Agence Fullcontent, LINSEM et JMM ont fait assigner le Crédit lyonnais devant le tribunal de commerce de Paris afin de le voir condamner à leur payer des dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement contradictoire du 7 avril 2022 le tribunal de commerce de Paris a :

-Débouté Agence Fullcontent, LINSEM et JMM de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

-Condamné, in solidum, Agence Fullcontent, LINSEM et JMM à payer chacune au Crédit lyonnais la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Débouté les parties de leurs demandes, autres, plus amples ou contraires ;

-Condamné, in solidum, Agence Fullcontent, LINSEM et JMM aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 116,25 euros dont 19,16 euros de TVA.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 6 mai 2022, Agence Fullcontent, LINSEM et JMM ont interjeté appel de cette décision contre le Crédit lyonnais.

Par leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, les appelantes demandent à la cour, au visa des articles L. 533-11 et suivants, L. 533-12 II et L. 533-14 alinéa 1er du code monétaire et financier, l'article 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, les articles 1104, 1231-1 et 1112 et suivants du code civil, de :

-Déclarer les appelantes recevables et bien fondées en leurs appels, demandes, fins et conclusions et y faire droit ;

-Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 7 avril 2022 en toutes ses dispositions ;

-Débouter le Crédit lyonnais de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

En conséquence, et statuant à nouveau :

-Juger que le Crédit lyonnais a commis une faute, consistant en un abus de mandat de gestion, ou à tout le moins à titre subsidiaire en un dépassement de mandat de gestion ;

-Juger que le Crédit lyonnais a manqué à son obligation d'information et de mise en garde ;

- Condamner le Crédit lyonnais à payer aux appelantes la somme totale de 495 360,28 euros au titre des préjudices subis, se décomposant ainsi :

La somme totale de 308 701 euros pour les trois sociétés, montant du préjudice évalué selon les relevés de Lazard Frères avec valorisation des lignes obligataires au 31 décembre 2023, correspondant à la perte de chance, liée à l'abus de mandat ou à tout le moins au dépassement de mandat :

La somme de 154 214 euros pour Agence Fullcontent, montant du préjudice évalué selon les relevés de Lazard Frères avec valorisation des lignes obligataires au 31 décembre 2023 ;

La somme de 77 380 euros pour JMM, montant du préjudice évalué selon les relevés de Lazard Frères avec valorisation des lignes obligataires au 31 décembre 2023 ;

La somme de 77 107 euros pour LINSEM, montant du préjudice évalué selon les relevés de Lazard Frères avec valorisation des lignes obligataires au 31 décembre 2023

-La somme de 100 000 euros, montant du préjudice au titre du manquement à l'obligation de conseil et de mise en garde ;

-La somme de 86 659,28 euros, montant total du gain escompté pour entre 2019 et 2023, en prenant en compte pour chaque année un rendement d'environ 4% avec le paiement du coupon annuel soit pour les quatre lignes la somme annuelle de 16 000 euros pour 2019, de 16 640 euros pour 2020, de 17 305 euros pour 2021, de 17 997,20 euros pour 2022 et de 18 717,08 euros pour 2023.

-Condamner le Crédit lyonnais à payer aux appelantes la somme de 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner le Crédit lyonnais aux entiers dépens de l'instance, en faisant valoir :

Sur l'existence d'un mandat de gestion entre le Crédit lyonnais et les appelantes,

-que, contrairement aux prétentions du Crédit lyonnais, il est bien question en l'espèce d'un mandat de gestion. L'Autorité des marchés financiers définit le mandat de gestion, sur son site internet comme « un contrat écrit sur papier ou autre support durable, par lequel un client (le mandant) donne pouvoir à un gérant (le mandataire) de gérer un portefeuille incluant un ou plusieurs instruments financiers (actions, obligations, fonds et sicav'), en fonction de ses objectifs d'investissement, y compris sa tolérance au risque, de ses connaissances et son expérience et de sa situation financière, y compris sa capacité à subir des pertes ». Le mandat doit notamment mentionner l'objectif de gestion, les catégories d'instruments financiers que peut comporter le portefeuille, les modalités d'information du client sur la gestion du portefeuille et la durée et les modalités de reconduction et de résiliation du contrat. En l'espèce, il est bien question d'un mandat de gestion puisque les appelantes ont bien donné pouvoir à la banque « de gérer un portefeuille incluant un ou plusieurs instruments financiers (actions, obligations, fonds et sicav'), en fonction de ses objectifs d'investissement ». L'appellation retenue par la banque, à savoir une convention de conseil, ne serait suffire à écarter la réalité de ce mandat de gestion qui est sans conteste caractérisé. Cette notion de mandat est, par ailleurs, retenue par l'expert qui rappelle la définition retenue par l'Autorité des marchés financiers et les termes de la convention contractuelle. Tirant les conséquences de l'existence d'un mandat de gestion, les appelantes font valoir que le Crédit lyonnais a commis plusieurs fautes. A supposer même qu'un mandat de gestion n'est pas caractérisé en l'espèce, la banque doit agir dans l'intérêt de son client comme un « bon professionnel » et est donc soumise à une obligation de conseil, dont l'exécution par le Crédit lyonnais fait défaut en l'espèce.

- Subsidiairement, qu'est une faute de gestion qui engage la responsabilité civile du mandataire. En sa qualité de professionnel, le gestionnaire de portefeuille est ainsi tenu de respecter les termes du mandat de gestion : en investissant au-delà des termes et limites convenus au contrat, il commet un dépassement de mandat. En l'espèce, le courriel du 11 juillet 2019 de Mme [I] [D] du Crédit lyonnais ainsi que les questionnaires renseignés par les appelantes font état de la connaissance du Crédit lyonnais de leur volonté d'accepter une prise de risque modérée. En faisant investir les appelantes dans des obligations Rallye, le Crédit lyonnais a excédé son mandat. Dès le 16 décembre 2015, un rapport de Muddy Waters conclut à la surévaluation des obligations Rallye, soit neuf mois avant les investissements litigieux. D'autres articles de la presse auraient dû alerter le Crédit lyonnais, qui, au plus tard, aurait dû avoir connaissance de la situation du Groupe Rallye en 2015. Les appelantes n'auraient pas investi dans ces conditions en ayant connaissance des risques de ces opérations. C'est donc à tort que le tribunal a retenu que la banque a parfaitement respecté ses obligations d'information compte tenu du profil des appelantes,

Sur les fautes reprochées au Crédit lyonnais,

- qu'en vertu de l'article L. 533-14, alinéa 1er du code de commerce, les prestataires de services d'investissement « autres que les sociétés de gestion de portefeuille constituent un dossier incluant le ou les documents approuvés par eux-mêmes et leurs clients, où sont énoncés les droits et obligations des parties ainsi que les autres conditions auxquelles les premiers fournissent des services aux seconds ». L'article 533-11 du même code et l'article 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers imposent, par ailleurs, aux prestataires de services d'investissement d'agir d'une manière honnête, loyale et professionnelle afin de servir au mieux l'intérêt de leurs clients. En l'espèce, le Crédit lyonnais n'a pas agi en « bon professionnel » dans le cadre des financements opérés et en contradiction avec le profil de ses clientes. Si le Crédit lyonnais prétend disposer d'une « équipe d'experts » dédiée au sein de son pôle banque privée et gestion de fortune, les appelantes n'ont bénéficié d'aucune expertise, ni d'un service personnalisé ou de conseils sur-mesure. Le Crédit lyonnais a, au contraire, commis des fautes particulièrement graves et doit être sanctionné compte tenu des pertes qu'elles connaissent.

- que tout intermédiaire mandataire se doit de gérer le portefeuille de valeurs mobilières dans l'intérêt de son client. A défaut, il commettrait un abus de mandat. Il est de jurisprudence que l'intermédiaire mandataire se doit de placer les fonds du client comme le ferait un bon professionnel de la même catégorie, que la responsabilité de l'intermédiaire peut être recherchée sur le fondement d'une faute de gestion s'il est démontré qu'il n'a pas agi comme l'aurait fait un bon professionnel, et que la responsabilité du banquier peut également être recherchée s'il ne respecte pas la nouvelle orientation du contrat de mandat demandée par son client. Le gestionnaire, doit, dans tous les cas, rendre compte de sa gestion. En l'espèce, le Crédit lyonnais a fait le choix de proposer des investissements en parfaite contradiction avec le profil et l'orientation souhaitée par les appelantes. Le Crédit lyonnais a, à l'exception de la ligne Rallye, proposé des obligations perpétuelles plus risquées que des obligations ordinaires en contradiction avec les profils des investisseurs. Si le Crédit lyonnais fait état d'un échange qu'il aurait eu le 26 août 2016 avec les appelantes, où il aurait proposé à ces dernières un portefeuille diversifié d'obligations composé de « 9 lignes 4 », cet échange n'a jamais eu lieu. Le Crédit lyonnais évoque, nonobstant, une trésorerie d'exploitation, et donc d'entreprise, au sein de cet échange, ce qui témoigne du fait qu'il était au courant que le risque doit être limité et qu'il a conséquemment proposé aux appelantes de se positionner sur des obligations. L'interprétation de la banque est incorrecte lorsqu'elle prétend que ce changement de « stratégie d'investissement à cette date paraît trouver son origine dans la faiblesse de rendement des actions à l'époque ». Il s'agit là d'affirmations non étayées. Les appelantes ne disposaient pas de compétences financières suffisantes pour comprendre et évaluer les risques pris ».

- qu'il ressort des articles 1104, 1112-1 et 1231-1 du code civil, l'article L. 533-12 II du code monétaire et financier et 314-4 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers que les prestataires de service d'investissement sont tenus d'un devoir d'information, de mise en garde, voire de conseil à l'égard de ses clients. En vertu de la jurisprudence, cette obligation d'information et de conseil est générale, c'est-à-dire qu'il incombe au prestataire d'informer tout investisseur, qu'il soit profane ou expert. Cette obligation d'information et de conseil doit également être adaptée à la fois à l'opération projetée et à la personne de l'investisseur. Le prestataire de service ne saurait en faire l'économie en se contentant d'adresser une information générale sur l'existence des risques afférents au mode de gestion. En l'espèce, le Crédit lyonnais a été particulièrement négligeant dans la mise en 'uvre du processus contractuel encadrant les investissements litigieux, démontrant en cela les divers manquements à ses obligations d'informations et de mise en garde. Les appelantes ne sont pas en possession de la convention originelle, à savoir la convention de service de gestion conseillée du 10 juillet 2007. Les conventions de service de gestion conseillée datent, pour les sociétés Agence Fullcontent et JMM du 13 septembre 2016 et, pour la société LINSEM du 16 septembre 2016 soit postérieurement à un investissement proposé par le Crédit lyonnais et accepté par les appelantes le 12 septembre 2016. Le Crédit lyonnais a ainsi réalisé les opérations litigieuses sans cadre contractuel, au mépris de ses obligations légales, alors qu'il était au courant de cette situation comme cela ressort d'un courrier du Crédit lyonnais du 29 mai 2019 et du rapport de l'expert.

- qu'outre les dispositions du code monétaire et financier, l'article 4 des conditions générales des conventions de service de gestion conseillé prévoit au titre de la responsabilité du Crédit lyonnais, notamment sur son devoir de conseil que : « Préalablement à la signature de la Convention de service de Gestion Conseillée, LCL s'enquiert des connaissances et de l'expérience du client en matière de placement financier afin de s'assurer qu'il dispose du niveau d'expertise suffisant pour appréhender les risques inhérents au service fourni et opérations réalisées dans le cadre de la présente Convention (') ». Le Crédit lyonnais a fait preuve de légèreté et de négligences répétées en ce concerne le traitement administratif de ce dossier. Le questionnaire relatif au conseil en investissement sur instruments financiers ' clientèle des professionnelles du 16 septembre 2016 relatif à la société LINSEM a été signé le 16 septembre 2016, soit postérieurement à la souscription des obligations Rallye du 12 septembre 2016, questionnaire essentiel car il faisait état d'un profil investisseur avec une prise de risque modérée. Le document intitulé « l'évaluation de vos connaissances et expérience des placements financiers JMM du 12 septembre 2016 » est daté du 12 septembre 2016 ; date de la souscription des obligations litigieuses alors que la date mentionnée n'est pas de M. [K]. L'évaluation des connaissances n'a donc pas été faite antérieurement à la souscription des placements financiers. Le Crédit lyonnais a fait investir les appelantes dans des obligations risquées sans même s'enquérir de leurs souhaits et sans avoir établi leurs profils d'investisseurs, et ce sur la base de documents régularisés postérieurement et/ou non signés et/ou non datés. Contrairement aux prétentions du Crédit lyonnais, la signature de ces documents essentiels était indispensable. Le Crédit lyonnais soutient aussi lui-même, aux termes de ses dernières conclusions, que cette communication serait devenue indispensable compte tenu de l'évolution législative intervenue. Ainsi, le Crédit lyonnais a violé les dispositions légales et réglementaires en la matière, ainsi que son propre cadre contractuel (l'article 4 des conditions générales des conventions de service de gestion conseillée précité).

- que les prétentions du Crédit lyonnais, selon lesquelles « les obligations s'analysent en des instruments non complexes » écartant ainsi l'application des dispositions de l'article L. 533-13 II du code monétaire et financier, ne sont pas fondées. La non-complexité des instruments en cause, affirmée par la banque car non démontrée, n'enlève en rien au banquier l'obligation de recueillir des informations nécessaires et indispensables pour conseiller ses clients. Cette connaissance se matérialise par la signature de documents qui a eu lieu en l'espèce de façon postérieure et ce peu importe la régularisation intervenue par la suite. Il convient d'ailleurs de rappeler que contrairement à ce que soutient la banque, la prétendue non complexité des instruments financiers ne permet pas de déroger aux dispositions de l'article L533-13 du code monétaire et financier. A supposer même que le II de l'article L533-13 du code monétaire et financier ne soit pas applicable, selon les seules affirmations de la banque, le I dudit article aurait dû conduire la banque à s'abstenir « de leur recommander des instruments financiers ou de leur fournir le service de gestion de portefeuille pour compte de tiers ». La banque a donc commis une faute car cette disposition prévoit clairement une abstention en cas d'absence d'informations. La banque ne peut sérieusement prétendre que l'ancienneté de ses clients et leurs prétendues connaissances non démontrées des marchés financiers, lui permettait de déroger aux règles les plus élémentaires à savoir évaluer l'adéquation d'un service et du produit avec un client. Il doit encore être précisé que les connaissances d'un client ne l'empêchent aucunement de changer de profil et de souhaiter antérieurement des placements risqués puis d'opter pour des placements plus sécurisés, même si cela n'est pas le cas en l'espèce.

- que l'information qui doit être recueillie par la banque, même si effectivement aucune forme n'est imposée, ne peut déjà se matérialiser que par la signature de documents, ce qui fait partiellement défaut dans cette affaire, et se doit d'être contemporaine soit antérieurement à la date de signature des opérations. A défaut, et à suivre l'argumentation de la banque, il suffirait à une banque de s'enquérir une seule et unique fois lors de l'entrée en relation clientèle du profil et des souhaits de sa cliente, pour ne plus jamais avoir de conseils adaptés à donner à ses clients. Une banque se doit de fournir des informations en adéquation avec le service et le produit et en fonction des choix de ses clients à une période donnée et contemporaine à la souscription des produits financiers en cause.

- qu'afin de dénier sa responsabilité, le Crédit lyonnais soutient qu'« en tout état de cause, il est nécessaire de souligner que le seul fait que les investissements puissent donner lieu à une moins-value ne saurait suffire à engager la responsabilité du Crédit Lyonnais. En effet, le conseil en investissements n'est débiteur que d'une obligation de moyen dans la cadre de sa mission, ce qui s'explique par les aléas inhérents au marché boursier (Cass.Com, 7 octobre 1997, n°95-15.270 ; Paris, 11 octobre 2007, n°06/05214, confirmé par Com. 13 janvier 2009, n°07-21.860) ». Or, il n'est pas ici question de sanctionner une banque pour les moins-values d'un investissement. Les appelantes arguent de plusieurs fautes commises par le Crédit lyonnais. Partant, les moins-values ne sont que les conséquences du manquement du Crédit lyonnais à ses obligations. La consistance du patrimoine des appelantes n'enlève en rien aux risques pris qui étaient bien disproportionnés.

- que le Crédit lyonnais, qui n'a pas pris le soin au préalable de s'enquérir du profil et des souhaits de ses clients, prétend que « la détention des obligations en direct et la stratégie « buy and hold » proposées par le Crédit Lyonnais correspondaient parfaitement aux profils et objectifs des sociétés Agence Fullcontent, LINSEM et JMM. ». Cette argumentation n'est pas cohérente, le Crédit lyonnais reconnaissant ne pas détenir au préalable les informations requises pour LINSEM, tout en prétendant que le produit proposé était parfaitement en adéquation avec le profil et l'objectif de cette société. La stratégie « buy and hold » n'a, quant à elle, jamais été évoquée dans les échanges avec le Crédit lyonnais. Ce dernier reconnaît, par ailleurs, dans ses conclusions de première instance que les sociétés LINSEM et JMM recherchaient « une performance avec une prise de risque modérée en capital ». Il ressort du rapport de l'expert que l'analyse du profil risque de la société Agence Fullcontent aurait dû conduire le Crédit lyonnais à ne pas lui proposer d'investir « 60 à 100% » de son portefeuille en actifs risqués, ce qui est un choix en complète contradiction avec son profil investisseur. L'expert conclut aux mêmes fins, en ce qui concerne les sociétés JMM et LINSEM. La banque n'a ainsi pas pris en compte le profil des investisseurs et a proposé des investissements en totale inadéquation avec le profil investisseur des trois sociétés en cause.

- que c'est à tort que le Crédit lyonnais prétend les avoir informées de façon précise avant les investissements. Il est fait état d'un échange du 6 septembre 2016, par lequel le Crédit lyonnais a communiqué un tableau. La notation appliquée à la ligne Rallye correspond à un investissement spéculatif voire hautement spéculatif, ce qui n'est pas le cas des autres lignes. Les appelantes n'ont donc pas fait le choix des produits mais se sont contentés de suivre les recommandations d'une banque qu'ils croyaient être un « bon professionnel ». Le Crédit lyonnais a fait régulariser des avenants en 2018 aux appelantes, faisant désormais état de 60/100 % d'actifs risqués alors qu'à cette date aucun nouvel investissement n'avait été effectué dans un but probable d'amoindrissement de sa responsabilité. Le Crédit lyonnais a, par ailleurs, contacté les appelantes en 2020 aux fins de régularisation de documents alors qu'elle n'a pas été en mesure de le faire en 2016. Le rapport d'expert est aussi édifiant et conforte la position des appelantes en ce qu'il démontre que la stratégie d'investissement choisie par le Crédit lyonnais à partir de septembre 2016 est en inadéquation avec le profil de risque des appelantes,

-Sur les préjudices, qu'Agence Fullcontent a investi la somme de 200 000 en obligations Rallye à 4% à échéance du 2 avril 2021. De la même façon, JMM et LINSEM ont investi chacune la somme de 100 000 euros en obligations Rallye. Le préjudice causé par le non-respect d'un mandat de gestion est constitué par les pertes financières nées des investissements faits en dépassement du mandat. Les fautes de la banque constituent la cause directe des préjudices subis par les appelantes. L'existence du lien de causalité ne fait ainsi aucun doute. En conséquence, les appelantes demandent ainsi à la cour de condamner le Crédit lyonnais à indemniser les appelantes des préjudices subis.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 février 2024, le Crédit lyonnais demande à la cour de :

-juger mal fondées les appelantes en leurs demandes ;

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 avril 2022 par le tribunal de commerce de Paris,

Y ajoutant,

- condamner solidairement les appelantes à payer au Crédit lyonnais une somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en exposant :

- qu'en l'espèce, les conventions signées sont des conventions de conseil, les principales stipulations de ces dernières étant, par ailleurs, claires et précises. L'article 1 des conditions générales des conventions fixe leur objet : « La Convention de service Gestion Conseillée est une convention par laquelle LCL assiste et conseille le client personne physique ou personne morale, dans la gestion des instruments financiers déposés sur le Compte Gestion Conseillée, objet de la présente Convention ». Les appelantes n'ont pas donné mandat ou procuration au Crédit lyonnais de pouvoir investir et gérer leurs portefeuilles, contrairement à ce qu'elles soutiennent, en citant la définition donnée par l'Autorité des marchés financiers de ce qu'est un mandat de gestion. Les appelantes sont restées maîtres de l'opportunité et de la décision de réaliser les investissements, l'intervention du Crédit Lyonnais étant limitée conformément aux stipulations des conventions à l'assistance et au conseil de ses clients. Si les appelants invoquent devant la cour un rapport d'expert faisant état d'un « mandat », ce dernier émane d'une société commerciale de prestations de services constituée en 2020, Incent, sollicitée par les appelantes afin de donner son avis « sur l'adéquation des placements conseillés par LCL BP avec le profil d'investisseurs » des appelantes. L'affirmation de cette société que « les mandats de gestion conseillée donnaient à LCL BP le pouvoir de gérer les ressources disponibles des 3 sociétés en respectant leur profil investisseur » est erronée et en contradiction avec les dispositions contractuelles,

- qu'en droit, l'article L. 533-14 du code monétaire et financier, applicable aux faits de l'espèce, « Lorsqu'ils fournissent un service d'investissement autre que le conseil en investissement, les prestataires de services d'investissement concluent avec leurs nouveaux clients non professionnels une convention fixant les principaux droits et obligations des parties (') Les nouveaux clients sont ceux qui ne sont pas liés par une convention existante au 1 er novembre 2007 (') ». Si les conventions produites ont une fonction probatoire, il n'en demeure pas moins que la signature de ces documents n'était pas indispensable pour permettre aux appelantes d'acquérir les obligations, objet du litige, le Crédit lyonnais étant intervenu pour fournir un service de « conseil en investissement ». Le texte des conventions de gestion conseillée a été remis par le Crédit lyonnais aux appelantes le 12 septembre 2016. Ces conventions ont été signées le 13 septembre 2016 par les sociétés Agence Fullcontent et JMM, et le 16 septembre 2016 par la société LINSEM. Les appelantes ne contestent pas l'existence et l'application des dispositions de ces conventions dans leurs relations contractuelles avec le Crédit lyonnais. En conséquence, est indifférente au regard de la solution du présent litige la date de signature des conventions, observation faite que seule la société LINSEM a signé la convention postérieurement à l'acquisition des obligations, confirmant par sa signature son acceptation des stipulations du contrat.

- que c'est à tort que les appelantes lui font grief de n'avoir pas respecté les dispositions du code monétaire et financier et les stipulations de l'article 4 des conditions générales des conventions de service de gestion conseillée relatifs aux connaissances et à l'expérience du client. En l'espèce, les appelantes étaient des clientes connues depuis de nombreuses années par la banque, qui avait ainsi une parfaite connaissance de leur situation financière. Titulaires depuis de très nombreuses années de portefeuilles d'instruments financiers, elles avaient déjà investi dans des placements considérés comme risqués dans le sens où il est possible de subir une perte en capital entre le moment de l'achat et celui de la revente d'actions, voire de subir un risque de cessation des paiements de l'émetteur. Elles avaient déjà, ainsi que leur dirigeant constitué, sous l'empire des conventions de services de gestion conseillée de 2007, des portefeuilles composés d'actions et d'obligations. Le Crédit lyonnais a communiqué à titre d'exemple le relevé des compte titres arrêté au 31 décembre 2009. Les appelantes ont également, au mois de septembre 2016, répondu chacune à deux questionnaires, versés aux débats : l'un relatif à leurs connaissances et leur expérience en matière d'investissement, l'autre relatif à leur situation financière et leurs objectifs d'investissement, en vue de répondre aux dispositions de l'article L. 533-3 (lire 533-13) du code monétaire et financier. En conséquence, le Crédit lyonnais rapporte la preuve du respect des dispositions de l'article L. 533-13 du code monétaire et financier.

- que c'est à tort que les appelantes allèguent qu'il « n'aurait pas choisi des investissements conformes à la volonté, au profil et à l'orientation choisie » et qu'il n'aurait pas « fidèlement informé » les appelantes de sa gestion. Le banquier, qui aux termes d'une convention de conseil s'engage à apporter à ses clients des prestations de conseil, n'engage sa responsabilité qu'en cas de faute prouvée et de préjudice subi par le client. L'obligation du banquier est une obligation de moyen. Il doit délivrer au client ses préconisations comme un bon professionnel placé dans les mêmes circonstances de temps et de lieu et agissant selon les usages de la Place. Le banquier doit délivrer à son client un conseil adapté au regard des produits proposés et en prenant en considération la situation économique et personnelle du client. La responsabilité de la banque est, par ailleurs, appréciée en fonction de la qualité du client, c'est-à-dire du degré de connaissance de celui-ci au regard des produits proposés. En l'espèce, à la suite des réponses apportées par les appelantes aux questionnaires « relatifs au conseil en investissement sur instruments financiers », le Crédit lyonnais a fourni des préconisations d'investissement signées et datées par les représentants légaux des trois appelantes, qui reconnaissent ainsi, compte tenu de leurs connaissances et de leur expérience, que les recommandations correspondent à leurs objectifs de placement et à leur situation financière. Les appelantes ont ensuite signé les « conventions de services de gestion conseillée » qu'elles versent aux débats, lesquelles laissent toutes apparaître leur volonté d'obtenir des propositions d'investissement comportant une part d'actifs risqués de 60 à 100%.

- que si les appelantes lui font grief d'avoir proposé des « obligations perpétuelles » lesquelles seraient « plus risquées que des obligations ordinaires », cette affirmation est erronée en ce que les titres de « dette perpétuelle » (c'est-à-dire dépourvus d'échéance), ne présentent pas un risque plus important que les autres obligations, l'intérêt de ces produits pour les investisseurs étant leur coupon élevé. A l'été 2016, les appelantes ont souhaité sortir du marché actions et ont fait le choix d'investir dans des obligations, qui sont des instruments financiers non complexes. L'article D. 533-15-1 du code monétaire et financier nouveau, bien qu'il soit entré en vigueur le 3 janvier 2018, permet effectivement de retenir que des obligations ne sont pas des instruments financiers complexes.

- que contrairement aux affirmations des appelantes, le risque sur les obligations Rallye n'était pas connu dès 2015. S'il est exact que la société Muddy Waters a diffusé à la fin du mois de décembre 2015 une note évaluant les actions du groupe Casino très en-dessous du prix du marché, l'AMF a ouvert une enquête peu après cet incident, en suspectant la société Muddy Waters d'être à l'origine d'une manipulation de cours des titres Casino. Par ailleurs, la note de la société Muddy Waters ne concluait aucunement à la « surévaluation des obligations Rallye » en décembre 2015 mais bien de la valeur des actions de Casino.

- qu'ainsi que le stipulaient les conventions et comme le rappelle la jurisprudence, qu'il n'était tenu que d'une obligation de moyens, sa responsabilité ne pouvant être recherchée à la suite de l'évolution de la valeur des instruments financiers près de trois ans après l'investissement. En tout état de cause, le Crédit lyonnais fait valoir que le seul fait que les investissements puissent donner lieu à une moins-value ne saurait suffire à engager sa responsabilité.

- que les appelantes lui font grief de ne pas les avoir « fidèlement informées » de sa gestion. En l'espèce, le Crédit lyonnais ne s'était pas vu consentir des « mandats de gestion ». L'article 6 des conventions de services de gestion conseillée fixe les modalités d'information par le Crédit lyonnais du client sur les opérations effectuées sur son compte de gestion et notamment l'envoi d'un relevé des avoirs valorisés chaque fin de trimestre et reprenant le détail des opérations de la période écoulée. Le Crédit lyonnais a bien respecté ses obligations d'information contractuelles et verse au débat ces documents trimestriels portant sur la période du 31 mars 2016 au 31 décembre 2020.

- que compte tenu de la consistance du patrimoine des appelantes, la souscription des obligations Rallye ne faisaient pas peser sur eux des risques disproportionnées, observation faite que le risque de crédit de l'émetteur des titres obligataires était expressément mentionné dans les conventions de service de gestion conseillée et que les appelantes en étaient en conséquence informées. De même elles avaient, ainsi que le laissent apparaître leurs réponses au questionnaire d'évaluation de leurs connaissances, parfaitement conscience de la possibilité de perdre tout ou partie d'un investissement en obligations en cas de revente avant l'échéance ou de faillite de l'émetteur de l'obligation. La détention des obligations en direct et la stratégie « buy and hold » proposées par le Crédit lyonnais correspondaient parfaitement aux profils et aux objectifs des sociétés Agence Fullcontent, LINSEM ET JMM. En réponse les appelantes invoquent le rapport de la société Incent, dont il résulterait que les placements réalisés étaient en inadéquation avec « le profil de risque des sociétés ». Cependant, ainsi que l'a relevé l'auteur du rapport, la société Agence Fullcontent n'avait pas de besoin particulier de "fonds de roulement" (BFR), de sorte que le placement de sa trésorerie en obligations ne présentait pas pour elle de risque particulier. La société Agence Fullcontent n'invoque pas l'existence d'un préjudice lié à des difficultés de trésorerie qu'elle aurait rencontrées, le préjudice invoqué résultant uniquement de la moins-value latente enregistrée sur les deux cent mille obligations Rallye objet du litige. En ce qui concerne les sociétés JMM et LINSEM, le rapport d'expertise ne relève pas l'existence de risque particulier et ces sociétés n'invoquent pas de préjudice lié au choix qu'elles ont fait de souscrire des obligations.

- plus spécifiquement sur le prétendu manquement aux obligations d'information et de mise en garde, qu'elle a fourni des informations spécifiques afférentes aux investissements proposés aux sociétés Agence Fullcontent, JMM et LINSEM avant qu'elles décident d'acquérir les obligations objet du litige. Cela ressort, notamment des échanges reproduits du Crédit lyonnais avec MM. [K] et [R].

- plus spécifiquement sur l'obligation de mise en garde qu'il résulte des réponses aux questionnaires que les demanderesses disposaient des compétences et de l'expérience leur permettant d'appréhender la nature des investissements projetés et les risques inhérents à ces investissements, au demeurant « non complexes ». Par ailleurs, le « risque de crédit » de l'émetteur des titres obligataires était expressément mentionné dans les conventions. Enfin, et ainsi qu'il a été précédemment rappelé, le patrimoine des investisseurs leur permettait de mesurer et d'assurer les risques qu'ils prenaient,

-qu'il incombe aux appelantes d'établir la preuve d'un préjudice, lequel doit être cumulativement personnel, direct, certain, actuel et licite. Toutefois, il apparait tout d'abord que les trois sociétés sollicitent le paiement de sommes sans justifier du quantum du préjudice propre et direct à chacune d'elles, comme il leur appartient pourtant de le faire. Par ailleurs, les préjudices que pourraient subir les sociétés Agence Fullcontent, LINSEM et JMM ne sont pas déterminés ni déterminables, le préjudice effectivement subi par chacune des sociétés ne pouvant être évalué qu'à l'issue du plan de sauvegarde et en fonction de son exécution. En toute hypothèse les appelantes ne peuvent invoquer qu'un préjudice constitué par une perte de chance, la chance perdue étant celle d'avoir investi dans une autre obligation. Enfin, à supposer que les appelantes rapportent la preuve du préjudice, il leur appartient également d'établir le lien de causalité direct entre les fautes invoquées et ce préjudice subi, ce qu'elles ne font pas.

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 27 février 2024 ;

MOTIFS

Sur l'existence d'un mandat de gestion

S'il ressort des pièces - y compris anciennes désormais produites - par Le Crédit Lyonnais que M. [W] [R], ensuite gérant la société Linsem et M. [P] [K], ensuite gérant de la société JMM ont été, à titre personnel, dans les liens de mandats de gestion relativement à certains portefeuilles en compte depuis l'année 2001 et 2004, il est établi qu'à compter des 31 octobre 2006 puis des 10 et 24 juillet 2007, ce sont des conventions de gestion conseillée qui ont été souscrites aux noms de ces deux sociétés comme de la société Agence Fullcontent par contrat en date du 10 juillet 2007 qui, elle-même, alors qu'elle était nommée les Editions Comex, avait déjà souscrit une convention de gestion conseillée le 6 novembre 2003.

Il est donc établi que ce sont des contrats de gestion conseillée qui liaient les parties depuis les 10 et 24 juillet 2007 lors de la survenance des faits litigieux, lesquels rappellent expressément l'objet d'une telle convention qui est l'apport d'un conseil au client 'conservant le libre arbitre de l'investissement en suivant ou non les propositions de Le Crédit Lyonnais Banque privée, il conserve également l'entière liberté de décision et donc la responsabilité de l'investissement'.

Comme l'a retenu à juste titre le tribunal, c'est par une simple affirmation que les sociétés appelantes soutiennent, contre la lettre explicite des contrats et alors que la charge de la preuve leur en incombe, que ce serait un mandat de gestion qui aurait été exécuté alors qu'elles ne font valoir aucun fait de nature à démontrer que Le Crédit Lyonnais aurait exercé un tel mandat puisque, tout au contraire, les échanges entre les parties analysés ci-dessous pour apprécier l'exécution de l'obligation de conseil montrent que ce sont les sociétés qui choisissaient les investissements sur la proposition de la banque en qualité de prestataire de services d'investissement et non cette dernière en qualité de mandataire.

La seule circonstance que les préposés emploient les termes impropres car ambigus de 'mandat de gestion conseillée' dans des courriels ne suffit pas à modifier la nature du lien contractuel qui résulte tant de la lettre des conventions que des modalités de leur exécution.

Il en résulte que les développements des sociétés sur les manquements de la société Le Crédit Lyonnais à ses obligations de rendre compte ou sur le dépassement du mandat confié sont inopérants.

Sur l'exécution des conventions de gestion conseillée

Il résulte des pièces produites :

- que les trois sociétés appelantes étaient, depuis de nombreuses années, clientes de la société Le Crédit Lyonnais, que les sommes investies par la société Agence Full Content provenaient d'un surplus de sa trésorerie à valoriser et que ses deux cogérants étaient également désireux de valoriser une trésorerie excédentaires de leurs sociétés holding respectives détenant leurs parts dans la société Agence Fullcontent et les revenus qui en étaient issus,

- qu'ainsi que cela ressort de l'avis d'expert amiable produit par les sociétés appelantes, la société Agence Full Content y investissait en moyenne 76% de sa trésorerie disponible tandis que les sociétés holdings le faisaient à hauteur de plus de 92 % 'depuis plusieurs années', qu'avant le 31 août 2016, le portefeuille des deux sociétés holdings était constitué de 11 lignes d'actions, de 3 lignes d'OPCVM Actions et d'une ligne OPCVM Obligation pour Linsem, de 6 lignes d'actions, de 2 lignes d'OPCVM Actions pour JMM,

- que si le portefeuille de la société Agence Fullcontent, avant la nouvelle constitution du mois de septembre 2016, n'est pas connu, il est établi qu'au 31 décembre 2009, il était constitué de 3 lignes d'actions européennes, d'une ligne d'action Amérique, d'une autre Asie, d'un autre pays émergent, de deux lignes d'actions Ressources Naturelles, de 5 lignes d'obligations et de comptes à terme,

- que le 26 août 2016, le préposé, M. [N], à la suite d'une conversation téléphonique 'de ce matin' avec MM. [R] et [K], proposait pour la société Agence Full Content huit lignes d'obligation d'entreprises parmi lesquelles deux lignes Rallye, l'une à échéance du 11 mars 2019 au rendement de 4,25 %, l'autre à échéance du 2 avril 2021, en insistant 'sur le fait de limiter les concentrations de risque sur une même signature. On arrive à un rendement de 3,70%', de sorte que, suivant ce dernier conseil une ligne d'obligation Drufy a été rajoutée pour un rendement 'maintenu à 3,80 %' mais qu'ensuite le préposé faisait part de ce que le 'cash price' était de 942 280 euros et que si 'cela faisait trop, on supprime la ligne Drufy par exemple qui rapporte le moins (on passe alors à un rendement global de 4%)', ce que M. [R] a expressément accepté,

- qu'à la suite d'une conversation téléphonique entre le préposé, Mme [D] et MM. [R] et [K] du 26 août 2016, a eu lieu un échange de courriels au cours duquel il leur a été proposé - étant observé qu'à titre personnel ils souhaitaient souscrire des assurances vie Federlux Privilege - pour les sociétés Holding, la souscription soit de contrats de capitalisation Federlux Capital soit des supports obligataires comme prévu pour la société Agence Fullcontent depuis le 26 août précédent,

- que le 6 septembre, la société LE CRÉDIT LYONNAIS faisait part des propositions qui finalement étaient constituées également d'obligations pour les sociétés holding, que MM. [R] et [K] étaient relancés le 9 septembre pour savoir si les obligations pour la société Agence Fullcontent pouvaient être acquises et en transmettant les mandats de JMM et Linsem 'pour signature avant investissement', ce qui sera validé le 12 septembre suivants non sans que les lignes d'obligations Ardagh Packaging et Rexel ne soit supprimées 'dont les rendements sont assez faibles et implique le doublement à 200 k de Telefonica et Rallye, ce qui crée une surpondération par rapport à notre proposition précédente', qu'après la validation, le préposé écrit 'je vous dépose les mandats de gestion conseillée correspondants pour signature. Pourriez-vous joindre dans l'enveloppe retour vos dernières déclarations sur les revenus ISF svp ' Ce n'est pas pour vous ennuyer mais nous en avons besoin dans le cadre de la réglementation bancaire (CTC pour connais ton client' (suivi d'un 'smiley')),

- que la société Agence Full Content a donc acquis, parmi 8 lignes obligataires, 2 lignes Rallye, que celle d'un montant de 100 000 euros à échéance du 11 mars 2019 au rendement de 4,25 % n'est pas litigieuse puisqu'elle a été réglée à terme mais que celle d'un montant de 200 000 euros à échéance du 2 avril 2021, de même que celles des deux lignes souscrites par les holdings pour un montant de 100 000 euros ont été confrontées à une suspension de cote du 23 mai 2019 à la suite du placement sous le régime de la sauvegarde de l'entreprise par le tribunal de commerce de Paris.

Les sociétés appelantes invoquent une série de griefs à l'encontre de la banque pour avoir imparfaitement à ses obligations de prestataire de services d'investissement.

L'article L533-13 I du code monétaire et financier, applicable compte tenu de la date de la convention mais aussi de son exécution puisque la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées et dont l'essence est au demeurant reprise dans les stipulations des conventions de gestion conseillée, prévoit que :

'I. ' En vue de fournir le service de conseil en investissement ou celui de gestion de portefeuille pour le compte de tiers, les prestataires de services d'investissement s'enquièrent auprès de leurs clients, notamment leurs clients potentiels, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, de manière à pouvoir leur recommander les instruments financiers adaptés ou gérer leur portefeuille de manière adaptée à leur situation.

Lorsque les clients, notamment les clients potentiels, ne communiquent pas les informations requises, les prestataires s'abstiennent de leur recommander des instruments financiers ou de leur fournir le service de gestion de portefeuille pour compte de tiers'.

Le Règlement Général de l'Autorité des Marchés Financiers, issu de l'arrêté du 15 mai 2007 entrée en vigueur le 1er novembre 2007 également auquel renvoie l'article L. 533 du code monétaire et financier, précise notamment quant à lui que :

'Article 314-44 :

En application du I de l'article L. 533-13 du code monétaire et financier, le prestataire de services d'investissement se procure auprès du client toutes les informations lui permettant d'avoir une connaissance suffisante des faits essentiels le concernant et de considérer, compte tenu de la nature et de l'étendue du service fourni, que la transaction qu'il entend recommander ou le service de gestion de portefeuille qu'il envisage de fournir satisfait aux critères suivants :

Le service répond aux objectifs d'investissement du client ;

Le client est financièrement en mesure de faire face à tout risque lié à la transaction recommandée ou au service de gestion de portefeuille fourni et compatible avec ses objectifs d'investissement ;

Le client possède l'expérience et les connaissances nécessaires pour comprendre les risques inhérents à la transaction recommandée ou au service de gestion de portefeuille fourni.

Article 314-46 :

Les renseignements concernant la situation financière du client doivent inclure des informations, dans la mesure où elles sont pertinentes, portant sur la source et l'importance de ses revenus réguliers, ses actifs, y compris liquides, investissements et biens immobiliers, ainsi que ses engagements financiers réguliers.

Article 314-47 :

Les renseignements concernant les objectifs d'investissement du client doivent inclure des informations, dans la mesure où elles sont pertinentes, portant sur la durée pendant laquelle le client souhaite conserver l'investissement, ses préférences en matière de risques, son profil de risque, ainsi que le but de l'investissement.'

Il incombe ainsi au prestataire de services d'investissement, redevable d'une obligation de conseil, de recueillir auprès de son client une connaissance suffisante des faits essentiels le concernant sur sa connaissance et son expérience en matière d'investissement, et, dans la mesure où elles sont pertinentes, des informations sur les objectifs et la durée de son investissement de même que sur ses sources de revenus, leur importance, la composition de ses actifs et de ses engagements financiers de manière à lui délivrer un conseil adapté à sa situation.

Le prestataire de services d'investissement doit donc répondre d'un éventuel manquement à ces obligations mais l'appréciation de sa responsabilité - qui exige la caractérisation d'un préjudice et d'un lien de causalité avec ce manquement -, demande que soit examiné si, outre un manquement à l'obligation de s'enquérir de la situation de ses clients, les conseils d'investissement sur les produits financiers étaient en eux-mêmes fautifs comme inadaptés à la situation et aux objectifs du client ou, tout en étant adapté, portant sur des produits financiers voués à l'échec.

Ainsi que cela résulte des éléments rapportés ci-dessus et des pièces, la société Le Crédit Lyonnais :

- a fait remplir, d'une part, un questionnaire intitulé 'évaluation de vos connaissances et expérience des placements financiers' à la société Agence Full Content prise en la personne de M. [K], le 1er septembre 2016 en posant les questions usuelles de nature à connaître l'expérience passée, les objectifs et les besoins et, d'autre part, un autre questionnaire sur son expérience, sa situation financière et les objectifs qui a conduit la société à répondre, pour ces derniers 'rechercher la préservation de mon capital', pour un horizon d'investissement de 3 à 5 ans, et 'rechercher des revenus complémentaires', le profil d'investisseur coché étant 'a) vous recherchez la sécurité du capital et vous acceptez un potentiel limité de performance', la préconisation d'investissement sur produits financiers étant ainsi énoncée par la banque 'constitution d'un portefeuille titre en gestion conseillée en obligations tel que transmis par courriel en date du 26 août 2008",

- a, de même, fait remplir aux deux sociétés holding des questionnaires identiques les 12 et 13 septembre 2016 qui évoquent les mêmes recherches de préservation du capital et de revenus complémentaires mais où la case cochée est la 'b) vous recherchez une performance avec une prise de risque modérée en capital', la préconisation d'investissement sur produit financiers étant ainsi énoncée par la banque 'mise en place d'un mandat gestion conseillée composé d'obligations en direct 'Investment grade', 'High Yield et perpétuelles ».

C'est à juste titre que la société Le Crédit Lyonnais fait valoir qu'elle a satisfait ainsi à ses obligations et que le fait que les questionnaires, pour les sociétés holdings, aient été adressés en réalité concomitamment à la souscription des produits tel que cela avait été discuté entre les parties ou que l'un d'eux ne soit pas revêtu de la signature de M. [R] - qui toutefois s'en prévaut- est indifférent dès lors qu'il n'est pas contestable que la banque connaissait, de longue date, les trois sociétés appelantes, leurs besoins qui consistaient à placer des excédants de trésorerie dont elle n'avait pas besoin à moyen terme, leurs expériences et leurs objectifs, de sorte que, même à supposer établies les imperfections dénoncées, il n'est pas montré qu'elles sont en lien avec le préjudice allégué.

C'est encore à juste titre que la banque fait valoir que, même avant ce qui n'a constitué qu'une codification réglementaire à l'article D 533-15-1 du code monétaire et financier, les obligations de grandes entreprises françaises ou européennes ne contenant pas de produits dérivés n'étaient pas considérées comme des produits complexes et spéculatifs, que si leur souscription entraînait une perte possible du capital en cas de défaillance de l'émetteur, elle ne faisait pas encourir de risque supplémentaire aux sociétés, de sorte que la banque n'était pas tenue d'une obligation de mise en garde au sens d'un avertissement contre un risque excessif dans le cadre d'une gestion conseillée d'excédants de trésorerie au moyen d'un portefeuille d'investissement constitué essentiellement de telles obligations.

S'agissant de l'obligation d'information, notamment sur le risque, la société Le Crédit Lyonnais en qualité de prestataire de services d'investissement justifie y avoir satisfait dès lors que les conventions de gestion conseillée comportent notamment un article 5 qui stipule 'les risques inhérents au service de gestion Conseillée sont principalement fonction des risques attachés aux instruments financiers dans lesquels les investissements sont réalisés. La valeur des instruments financiers est soumis aux aléas des marchés, et peut donc évoluer à la hausse comme à la baisse. LE CRÉDIT LYONNAIS ne propose aucune orientation garantissant la valeur du Compte gestion Conseillée lors de la mise en place du service. Le Compte Gestion Conseillée est notamment exposé aux risques suivants, qui pourront affecter de manière significative sa valeur et/ou entraîner la perte de tout ou partie du capital initialement investi par le client(...) Risque de crédit : risque que l'émetteur de titres obligataires ou monétaires ne puisse faire face à ses engagements. L'émetteur d'un emprunt obligataire peut ne pas être ne mesure de rembourser son emprunt et de verser à la date contractuelle l'intérêt prévu, ce qui peut engendrer une baisse de la valorisation du Compte Gestion Conseillée. Ce risque est accentué en cas d'investissement direct ou indirecte dans des titres spéculatifs dits 'High Yield' qui proposent un fort rendement en contrepartie d'un niveau de risque élevé'.

Sur le caractère fautif du conseil en lui-même, précisément relatif à l'obligation de la société Rallye à échéance du 2 avril 2021 il ne peut se déduire, a posteriori, de la mise sous sauvegarde de celle-ci au mois de mai 2019 soit trois années après l'investissement que le conseil était fautif ni des articles de presse produits qui sont bien postérieurs au conseil d'investissement puisque datés du mois de mai 2019 tant pour l'article sur le site 'The conversation' que sur le site 'Le Point économie', ce dernier faisant référence à une première explication mais datant, elle-même, du mois d'octobre 2018.

S'il est exact qu'un article de la société Muddy Waters Capital avait alerté avec retentissement, au cours de l'année 2015, sur une surévaluation de valeur il s'agissait de celle de l'action Casino et non pas de l'obligation de la société holding Rallye et si ces données sont bien évidement liées, il doit être observé, ensuite, que l'AMF avait ouvert une enquête non pas sur cette prétendue surévaluation mais sur une éventuelle manipulation du cours par la dite société Muddy Waters Capital et que le cours de l'action, après avoir été affecté par ladite publication avait remonté par la suite, de même que les marchés n'avaient pas sanctionné la valeur des obligations Rallye, étant observé qu'il n'est pas contesté que celle à échéance du 11 mars 2019 a été payée à la société Agence Full Content, intérêts compris.

En conséquence il n'est pas démontré que le conseil portant sur les obligations Rallye était en lui-même fautif comme portant sur une valeur insusceptible de produire les effets escomptés.

S'agissant de l'adéquation des conseils à la situation des deux sociétés holding 'recherchant une performance avec une prise de risque modérée en capital' et qui ont souscrit, sur le conseil du prestataire de services d'investissement, trois obligations de grandes entreprises européennes pour environ un tiers du portefeuille chacune, respectivement classées selon l'étude privée Incent non contredite pour Repsol et Telefonica BB+ (c'est à dire indiquant le degré le plus faible de risque dans la catégorie indiquant 'une vulnérabilité élevée au risque déchéance défaillance en particulier en cas d'évolution défavorable des conditions commerciales ou économiques au fil du temps ; toutefois il existe une flexibilité commerciale ou financière qui permet d'assurer le service des engagements financiers') et pour Rallye B+(c'est à dire indiquant le degré le plus faible de risque dans la catégorie indiquant 'qu'il existe un risque de défaillance important, mais qu'une marge de sécurité limitée subsiste. Les engagements financiers sont actuellement respectés, mais la capacité de continuer à payer est vulnérable à la détérioration de l'environnement commercial et économique', il n'apparaît pas que le conseil de constitution d'un tel portefeuille était inadapté à l'expérience, aux connaissances et aux objectifs des investisseurs qui recherchaient une performance de rendement même s'ils limitaient la prise de risque en capital, de sorte que le manquement du Crédit Lyonnais de ce chef n'est pas établi.

En conséquence de tout ce qui précède, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Linsem et JMM de toutes leurs demandes.

S'agissant de l'adéquation des conseils à la situation de la société Agence Fullcontent, le portefeuille finalement acquis sur le conseil du Crédit Lyonnais était constitué de 25,68 % d'obligations Telefonica classées BB+, 11,44% d'obligations Repsol classée BB+, de 12,09 % d'obligation Ses classée BB+, de 12,04 % d'obligation EDF classées BBB+ et, enfin, de 22,27 % d'obligation Rallye à échéance du 2 avril 2021 et 11,72 % pour celle à échéance du 11 mars 2019, toutes deux étant classées, sans contradiction de la société Le Crédit Lyonnais 'equiv B+'.

Il ressort de ce qui précède que le conseil n'étant pas adapté à la situation et aux objectifs de la société Agence Full Content puisque celle-ci avait accepté un risque plus faible que les sociétés Linsem et JMM en déclarant rechercher 'la sécurité du capital et (...) un potentiel limité de performance', que la préconisation du Crédit Lyonnais ne mentionnait ainsi logiquement pas, au contraire de celles faite aux deux autres sociétés, l'acquisition de 'High Yields' correspondant aux produits classés à partir de BB+ alors que plus de 80 % des obligations conseillées et acquises appartiennent à cette catégorie tandis que seules les obligations EDF pour 12,04 % constituait des 'Investment grade' au risque moindre, et ce, d'autant que les deux lignes d'obligations Rallye représentaient ensemble 33,99 % du portefeuille.

La société Le Crédit Lyonnais doit donc être condamnée à réparer ce manquement à son obligation de conseil d'un produit inadapté aux objectifs et à la situation de la société Agence Fullcontent.

C'est à juste titre que la société Le Crédit Lyonnais fait valoir que le préjudice en lien avec ce manquement n'est constitué que d'une perte de chance de n'avoir pas investi selon le conseil prodigué et, par conséquent, de n'avoir pas subi les pertes afférentes au produit litigieux.

Si la circonstance que la société Agence Fullcontent soit encore en possession des dites obligations empêche, en principe, que soit caractérisé et évalué le préjudice, il est en l'espèce constant que la cote en est suspendue par l'effet de la sauvegarde de sorte que l'évaluation du préjudice doit intervenir dès à présent et au moment où la cour statue puisque la société ne peut céder les obligations.

Les produits financiers litigieux ont été acquis pour une somme de 200 000 euros et la banque Lazard, au sein de laquelle la société Agence Fullcontent détient désormais son portefeuille les évalue, au 31 décembre 2023, à une somme de 38 000 euros et le préjudice est évalué par la banque Lazard à la somme de 154 214 euros.

Compte tenu des faits de l'espèce tels que relatés ci-dessus, du fort rendement annoncé de l'obligation, du changement d'orientation du portefeuille décidé au mois de décembre 2016 par la société, du relatif faible rendement des autres actifs moins risqués alors proposé par le marché, il y a lieu de condamner la société Le Crédit Lyonnais à indemniser la société Agence Fullcontent à hauteur de la moitié du préjudice soit la somme de 77 107 euros.

Le préjudice qui serait constitué du gain escompté par un autre placement à un rendement de 4 % est hypothétique et la société Agence Fullcontent ne justifie pas d'un dommage distinct de celui réparé ci-dessus précisément au titre du manquement de la banque à ses obligations de conseil, de sorte qu'elle doit être déboutée du surplus de ses prétentions.

Il y a lieu de réformer le jugement entrepris en conséquence de ce qui précède et de condamner la société Le Crédit Lyonnais à payer à la société Agence Full Content la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles, l'équité commandant de ne pas prononcer d'autre condamnation de ce chef tant au titre de la première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Linsem et JMM de toutes leurs demandes ;

L'INFIRME pour tout le surplus et, statuant à nouveau,

DIT que la société Le Crédit Lyonnais a manqué à ses obligations de prestataire de services d'investissement à l'égard de la société Agence Fullcontent ;

En conséquence, CONDAMNE la société Le Crédit Lyonnais à payer à la société Agence Full Content la somme de 77 107 euros de dommages-intérêts au titre de la perte de chance subie ;

DÉBOUTE la société Agence Fullcontent de toutes ses demandes fondées sur un mandat de gestion et du surplus de ses demandes indemnitaires ;

CONDAMNE la société Le Crédit Lyonnais à payer à la société Agence Fullcontent la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Le Crédit Lyonnais aux entiers dépens.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 22/09132
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.09132 ?
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