La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2024 | FRANCE | N°22/09062

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 02 mai 2024, 22/09062


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 02 MAI 2024



(n° 7, 34 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 22/09062 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZCR



Décision déférée à la Cour : Décision n° 2 (Procédure n° 2021-03) de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 24 mars 2022





REQUÉRANTE ET DÉFENDERESSE AU RECOURS :>


AB SCIENCE S.A.

Prise en la personne de son président directeur général

Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 438 479 941

Dont le siège social est au [Adresse 3]

[Localité ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 02 MAI 2024

(n° 7, 34 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/09062 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZCR

Décision déférée à la Cour : Décision n° 2 (Procédure n° 2021-03) de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 24 mars 2022

REQUÉRANTE ET DÉFENDERESSE AU RECOURS :

AB SCIENCE S.A.

Prise en la personne de son président directeur général

Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 438 479 941

Dont le siège social est au [Adresse 3]

[Localité 6]

Élisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS VERSAILLES REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Pierre TREILLE de l'AARPI LEVINE KESZLER, avocat au barreau de PARIS, toque K0052

REQUÉRANT :

LE PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

En la personne de M. [E] [P] auquel a succédé dans la fonction Mme [T] [K]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Mme [N] [D], dûment mandatée

DÉFENDEUR AU RECOURS :

M. [C] [M]

Né le 26 novembre 1965 à [Localité 10]

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

Élisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS VERSAILLES REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assisté de Maîtres Nicolas VIGUIÉ et Marine RENSY de l'AARPI VIGUIÉ SCHMIDT & ASSOCIÉS, avocats au barreau de PARIS, toque : R145

EN PRÉSENCE DE :

L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de sa présidente

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Mme [N] [D], dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 décembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

' Mme Isabelle FENAYROU, présidente de chambre, présidente,

' Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,

' M. Olivier TELL, président de chambre,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : M. Valentin HALLOT

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.

ARRÊT PUBLIC :

' contradictoire,

' prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

' signé par Mme Isabelle FENAYROU, présidente de chambre et par M. Valentin HALLOT, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n° 2 du 24 mars 2022 ;

Vu la déclaration de recours formée contre cette décision par la société AB Science, déposée au greffe le 25 mai 2022 et enregistrée sous le numéro RG 22/09062 ;

Vu la déclaration de recours formée par le président de l'Autorité des marchés financiers, déposée au greffe le 30 mai 2022 et enregistrée sous le numéro RG 22/09120 ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe par ladite société le 9 juin 2022 ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe par le président de l'Autorité des marchés financiers le 10 juin 2022 ;

Vu l'ordonnance du délégué du premier président du 14 juin 2022 procédant, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, à la jonction des instances enrôlées sous les RG n° 22/09062 et 22/09120 et précisant que ces instances se poursuivront sous le numéro le plus ancien ;

Vu les observations déposées au greffe le 16 janvier 2023 par l'Autorité des marché financiers ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe par ladite société le 18 avril 2023 ;

Vu le mémoire en défense déposé au greffe le même jour par M. [M] ;

Vu l'avis du ministère public du 7 décembre 2023, communiqué le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 14 décembre 2023, le conseil de la société AB Science, qui a été en mesure de répliquer, celui de M. [M], le représentant de l'Autorité des marchés financiers et de son président, ainsi que le ministère public ;

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

MOTIVATION

§ 35

I. SUR LA QUALIFICATION D'INFORMATION PRIVILÉGIÉE

§ 35

A. Sur la date à laquelle l'information en cause a revêtu un caractère précis

§ 40

B. Sur la caractérisation des autres conditions de qualification de l'information en cause (à la date à laquelle cette dernière a revêtu un caractère précis)

§ 100

II. SUR LES CONSÉQUENCES À TIRER DE LA QUALIFICATION D'INFORMATION PRIVILÉGIÉE

§ 118

A. Concernant M. [M]

§ 118

B. Concernant AB Science § 119

III. SUR LES SANCTIONS

§ 173

IV. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

§ 202

PAR CES MOTIFS

§ 203

FAITS ET PROCÉDURE

1.La société AB Science (ci-après « AB Science »), ayant son siège à [Localité 9], a été fondée en 2001, notamment par M. [C] [M], lequel en a été son principal actionnaire avant de devenir son dirigeant. Cette société est admise aux négociations sur le compartiment B d'Euronext [Localité 9] depuis 2010.

2.Il s'agit d'une entreprise spécialisée dans la recherche, le développement et la commercialisation de médicaments. Son activité de recherche porte principalement sur une molécule, appelée le masitinib. L'objectif poursuivi est d'utiliser cette molécule pour le traitement de diverses maladies, dont une maladie rare dénommée la mastocytose indolente systémique (ci-après « la mastocytose »).

3.À cette fin, le 27 avril 2016, AB Science a déposé auprès de la Commission européenne une demande d'autorisation de mise sur le marché (ci-après « AMM ») du « candidat médicament » en vue du traitement de cette maladie spécifique. En septembre 2016, AB Science a également déposé une demande d'AMM du masitinib pour le traitement de la sclérose latérale amyotrophique (ci-après « SLA », une maladie neurodégénérative grave entraînant la paralysie progressive des muscles permettant la motricité volontaire (plus connue sous le nom de « maladie de Charcot »).

4.Ces deux demandes d'AMM ont été instruites séparément par le Comité des médicaments à usage humain (ci-après « le Comité »), conformément à la procédure centralisée prévue par le règlement (CE) n°726/2004 (règlement du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments).

5.Ce Comité est chargé, pour toute demande d'AMM, de formuler un avis ' au nom de l'Agence européenne du médicament (ci-après « l'EMA ») dont il relève ' à la Commission européenne, dans un délai de deux cent dix jours, sans compter les délais accordés au demandeur pour répondre aux questions qui lui sont posées par le Comité au cours de l'instruction de sa demande (articles 5 et 6 du règlement précité).

6.S'agissant plus précisément de la première demande d'AMM, relative à la mastocytose, son instruction a donné lieu à l'engagement d'échanges entre AB Science et le Comité, ainsi qu'à la réalisation, à la demande du Comité, de l'inspection de deux sites cliniques (l'un aux États-Unis, l'autre à [Localité 9]), ainsi que du site du demandeur d'AMM (dit promoteur), qui dirige les essais cliniques, soit AB Science (à [Localité 9]). Cette inspection a été réalisée à la fin de l'année 2016, par trois inspecteurs, l'un provenant de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (l'ANSM) et les autres de ses homologues danoise et suédoise.

7.Les constats opérés sur place ont été consignés dans plusieurs rapports d'inspection préliminaires, puis dans un rapport d'inspection consolidé, du 20 janvier 2017, identifiant quatorze écarts critiques et vingt écarts majeurs par rapport aux bonnes pratiques cliniques (BPC) et concluant à l'existence de déficiences affectant directement la qualité et la fiabilité des données recueillies lors des essais cliniques, tant au regard de l'efficacité que de la sécurité du candidat médicament.

8.Sur la base de ce rapport d'inspection consolidé, ayant donné lieu à des échanges avec AB Science, les deux rapporteurs désignés par le Comité ont établi, le 30 janvier 2017, un rapport d'évaluation (intitulé « Day 150 joint assessment report ») faisant état, notamment, de trois objections majeures d'ordre clinique, relatives, notamment, à l'efficacité et à la sécurité du candidat médicament, et considérées comme excluant, en l'état, toute recommandation d'AMM.

9.Sur la base de ce premier rapport d'évaluation, qui a été communiqué à AB Science, le Comité a adopté, en séance plénière, le 23 février 2017, un nouveau rapport dressant une liste de questions non résolues (intitulé « Day 180 List of Outstanding issues »), reprenant, notamment, les trois objections majeures déjà évoquées.

10.Le 7 mars 2017, une téléconférence dite de clarification (« clarification meeting ») s'est tenue, à la demande d'AB Science, avec les inspecteurs, les rapporteurs et les membres du Comité, afin d'obtenir des précisions sur les objections majeures considérées et les attentes du Comité sur les réponses à apporter pour y remédier.

11.Les 22 et 24 mars suivants, AB Science a adressé au Comité ses réponses à la liste des questions considérées comme demeurant non résolues au 180ème jour de la procédure.

12.Parallèlement, le 31 mars 2017, M. [M] a cédé, pour la première fois, de gré à gré, une partie de ses titres AB Science, à savoir un bloc de 308 960 actions, pour un montant total de 5 246 710 euros. Cette opération a fait l'objet d'une déclaration auprès de l'Autorité des marchés financiers (ci-après « AMF ») le 7 avril 2019, au titre de l'article L. 621-18-2 du code monétaire et financier.

13.La procédure devant le Comité s'est poursuivie par l'élaboration d'un dernier rapport d'évaluation des rapporteurs, intitulé « Rapporteurs Day 180 second joint CHMP and PRAC Response Assessment Report ». Ce rapport, en date du 6 avril 2017, reçu le lendemain par AB Science, analysait les réponses de celle-ci et concluait au rejet de sa demande d'AMM, relative à la mastocytose, en raison du maintien d'objections majeures.

14.Le 20 avril 2017, AB Science a soutenu oralement sa demande d'AMM concernant la mastocytose devant le Comité, lors d'une séance plénière dénommée « oral explanation ». Le jour même, à l'issue de cette séance, les membres du Comité ont adopté (à l'unanimité) un vote de tendance négatif sur sa demande d'AMM. AB Science en a été immédiatement informée.

15.Le 17 mai de la même année, le Comité a adopté un avis négatif mettant fin à l'instruction du dossier.

16.Le jour même, AB Science a diffusé un communiqué de presse, dont la synthèse figurant en entête, en caractères gras, était ainsi rédigée :

« AB Science annonce que le CHMP [le Comité] a adopté un avis négatif pour l'enregistrement du masitinib dans le traitement de la mastocytose indolente systémique, principalement en raison d'écarts dans le respect des bonnes pratiques cliniques (BPC) observées durant l'inspection ('). AB Science a mis en place les actions afin de corriger ces écarts liés aux BPC (') et va demander un réexamen du dossier en demandant l'opinion d'un groupe consultatif scientifique (SAG) afin d'évaluer la balance bénéfice-risque du produit ».

17.Le lendemain, soit le 18 mai 2017, le cours du titre d'ouverture d'AB Science était en baisse de 3,75 % par rapport à celui de clôture de la veille.

18.Le 31 mai 2017, AB Science a demandé un réexamen de l'avis négatif du Comité (conformément à la procédure prévue à l'article 9, paragraphe 2, du règlement n° 726/2004, précité).

19.Le 14 septembre 2017, le Comité, autrement composé, après consultation d'un groupe scientifique, a confirmé l'avis négatif initial, sur le fondement des mêmes données scientifiques que celles initialement disponibles (article 62, paragraphe 1, du règlement précité).

20.Le 18 décembre 2017, la Commission européenne a rejeté la demande d'AMM du masitinib, pour la mastocytose.

21.Le 19 avril 2018, le Comité a rendu un avis négatif sur la seconde demande d'AMM du masitinib, concernant le traitement de la SLA. Le même jour, AB Science en a informé les investisseurs par un communiqué de presse. Le lendemain, soit le 20 avril 2018, le cours du titre AB Science était en baisse de 38,69 % à l'ouverture par rapport à celui de clôture de la veille.

22.Entre temps, le 11 septembre 2017, le secrétaire général de l'AMF a décidé d'ouvrir une enquête sur l'information financière et le marché du titre AB Science à compter du 1er septembre 2014, laquelle a été étendue, le 27 novembre 2017, à l'information financière et au marché des instruments dérivés liés à ce titre.

23.Le 15 juin 2020, la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a adressé à AB Science et M. [M], ainsi qu'à deux autres personnes (MM. [W] et [J]), des lettres les informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs, et de la faculté de présenter des observations, dont ils se sont tous saisis.

24.La direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a établi son rapport le 30 novembre 2020.

25.Au vu du rapport d'enquête, une commission spécialisée de l'AMF a décidé, le 14 décembre 2020, de notifier des griefs aux personnes destinataires desdites lettres circonstanciées. Ces griefs, notifiés par lettres du 9 février 2021, leur font reproche :

' à AB Science d'avoir manqué à son obligation de communiquer, dès que possible, l'information relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM du masitinib dans l'indication mastocytose, cette information étant considérée comme revêtant, dès le 7 mars 2017, les caractéristiques d'une information privilégiée, et ainsi méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (ci-après « règlement MAR »);

' à M. [M] d'avoir réalisé des transactions sur le titre AB Science le 31 mars 2017 alors qu'il pourrait avoir été en possession d'une information privilégiée, et méconnu ainsi les dispositions des articles 7, 8 et 14 du règlement MAR ;

' à M. [W] d'avoir transmis à M. [J], le 20 avril 2017, cette information privilégiée, et le 22 mars 2018, celle relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM du masitinib dans l'indication de la SLA, considérée comme privilégiée dès le 21 mars 2018, le tout en méconnaissance des dispositions susvisées (articles 7, 8 et 14 du règlement MAR) ;

' à M. [J], d'avoir réalisé, respectivement en avril 2017 et en 2018, des transactions sur le titre AB Science, alors qu'il pourrait avoir été en possession desdites informations privilégiées, et méconnu ainsi les mêmes dispositions (articles 7, 8 et 14 du règlement MAR).

26.Chacune de ces personnes a présenté des observations en réponse à ces lettres de notification des griefs. Elles en ont fait de même en réponse au rapport du rapporteur, lequel a été déposé le 17 décembre 2021.

27.Par une décision n° 2 du 24 mars 2022 (ci-après « la décision attaquée »), la commission des sanctions de l'AMF (ci-après « la Commission des sanctions ») :

' a considéré que l'information relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM du masitinib dans l'indication mastocytose n'avait acquis un caractère privilégié qu'à compter du 7 avril 2017, et non dès le 7 mars 2017 ;

' en conséquence, a mis hors de cause M. [M], la cession de ses titres AB Science étant intervenue (le 31 mars 2017) avant que l'information en cause n'ait acquis un caractère privilégié (le 7 avril 2017), de sorte qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir procédé à cette cession en violation d'une obligation d'abstention d'utilisation d'une information qui n'était pas privilégiée à cette date ;

' a retenu que le manquement reproché à AB Science était établi, faute d'avoir publié cette information privilégiée dès que possible ;

' a considéré que l'information semblable, relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM d'AB Science du masitinib dans l'indication de la SLA avait acquis un caractère privilégié dès le 21 mars 2018 ;

' a retenu que les manquements reprochés à MM. [W] et [J], au titre de ces deux informations privilégiées, étaient établis ;

' a prononcé à l'encontre d'AB Science une sanction pécuniaire s'élevant à 1 000 000 euros, et à l'encontre de MM. [W] et [J] une sanction d'un montant respectif de 50 000 et 500 000 euros ;

' a ordonné la publication de cette décision sur le site Internet de l'AMF et fixé à cinq ans, à compter de la date de celle-ci, son maintien en ligne de manière non anonyme.

28.Le 25 mai 2022, AB Science a formé un recours en annulation ou en réformation contre cette décision.

29.Aux termes de son exposé des moyens, elle demande à la Cour :

' de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a prononcé à son encontre une sanction d'un million d'euros ;

' et statuant à nouveau, de dire et juger :

' à titre principal, qu'elle a respecté les conditions de l'article 17 (4) du règlement MAR, en différant la publication de l'information privilégiée du 7 avril 2017 jusqu'au 17 mai 2017 et, en conséquence, prononcer sa mise hors de cause ;

' à titre subsidiaire, que la sanction pécuniaire qui lui a été infligée est disproportionnée et, en conséquence, ramener cette sanction à de plus justes proportions ;

' et en tout état de cause, condamner l'AMF à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à régler les dépens.

30.Le 30 mai 2022, le président de l'AMF a également formé un recours contre cette décision. La déclaration de recours le présente comme ayant été formé à titre principal.

31.Aux termes de son exposé des moyens, le président de l'AMF demande à la Cour :

' de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a :

' considéré comme non caractérisé le grief notifié à M. [M] aux motifs que l'information relative à la forte probabilité qu'un avis négatif soit rendu par le Comité sur la demande d'AMM du masitinib dans le traitement de la mastocytose a présenté un caractère privilégié à compter du 7 avril 2017 et non du 7 mars 2017 et qu'en conséquence, il ne pouvait lui être reproché d'avoir cédé des titres AB Science en violation d'une obligation d'abstention d'utilisation d'une information qui n'était pas privilégiée à cette date et ;

' considéré que le grief notifié à AB Science n'était caractérisé qu'à compter du 7 avril 2017 et non à compter du 7 mars 2017, au motif que l'information en cause n'était pas privilégiée avant le 7 avril 2017 ;

' et statuant à nouveau, de dire et juger :

' que M. [M] a manqué à son obligation d'abstention d'utilisation d'une information privilégiée en cédant des titres AB Science le 31 mars 2017, alors qu'il était en possession de l'information relative à la forte probabilité qu'un avis négatif soit rendu par le Comité sur la demande d'AMM du masitinib dans le traitement de la mastocytose, qui présentait un caractère privilégié dès le 7 mars 2017 ;

' qu'AB Science a manqué à son obligation de diffuser dès que possible cette information privilégiée ;

' de prononcer une sanction pécuniaire de trois millions d'euros à l'encontre de M. [M] et d'un million d'euros à l'encontre d'AB Science.

32.M. [M], qui s'est constitué en défense, demande notamment à la Cour :

' de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle l'a mis hors de cause ;

' de rejeter le recours du président de l'AMF ;

' de condamner l'AMF à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à régler les entiers dépens.

33.Dans ses observations, l'AMF invite la Cour à rejeter le recours formé par AB Science.

34.Le ministère public invite également la Cour à rejeter le recours formé par AB Science, ainsi qu'à rejeter celui du président de l'AMF et à confirmer la mise hors de cause de M. [M].

MOTIVATION

I. SUR LA QUALIFICATION D'INFORMATION PRIVILÉGIÉE

35.L'article 7, paragraphe 1, du règlement MAR, en vigueur à la date des faits, énonce :

« Aux fins du présent règlement, la notion d'information privilégiée couvre les types d'informations suivants :

a) une information à caractère précis qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés (') ».

36.Il résulte de ces dispositions que la qualification d'une information privilégiée implique la réunion de quatre conditions, exigées de manière cumulative :

' premièrement, cette information doit revêtir un caractère précis ;

' deuxièmement, elle ne doit pas avoir été rendue publique ;

' troisièmement, elle doit concerner, directement ou indirectement, un ou plusieurs instruments financiers ou leurs émetteurs ;

' quatrièmement, elle doit être susceptible, si elle était rendue publique, d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

37.Au paragraphe 52 de la décision attaquée, la Commission des sanctions a considéré que l'information en cause ' relative à la forte probabilité d'un avis négatif du Comité sur la demande d'AMM du masitinib dans le traitement de la mastocytose ' était devenue privilégiée le 7 avril 2017 (date de la réception par AB Science du dernier rapport d'évaluation des rapporteurs désignés par le Comité) et l'était demeurée jusqu'au 17 mai de la même année (date de la diffusion de son communiqué de presse annonçant l'avis négatif du Comité). Le choix de la date du 7 avril 2017, au lieu de celle du 7 mars 2017 (date de la téléconférence de clarification), a, notamment, conduit la Commission des sanctions à mettre hors de cause M. [M], pour le grief d'utilisation d'une information privilégiée lors de la cession de ses titres AB Science, au motif qu'à la date de réalisation de cette opération, l'information en cause ne revêtait pas encore les caractéristiques d'une information privilégiée.

38.Pour retenir cette date du 7 avril 2017, la Commission des sanctions s'est essentiellement fondée sur la date à laquelle elle a estimé que l'information en cause avait acquis un caractère précis (paragraphes 8 à 39 de la décision attaquée) et a ensuite vérifié qu'à cette date, ladite information remplissait les autres conditions de qualification d'une information privilégiée (paragraphes 40 à 51).

39.La question de savoir à quelle date l'information en cause a revêtu un caractère précis étant au c'ur des débats devant la Cour, il convient de l'examiner en premier, avant de déterminer si, à cette date, cette information remplissait les autres conditions de qualification requises et, en particulier, si elle était susceptible, si elle avait été rendue publique, d'influencer le cours du titre AB Science.

A. Sur la date à laquelle l'information en cause a revêtu un caractère précis

40.Pour déterminer à quelle date l'information avait acquis un caractère précis, la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, a d'abord écarté celle figurant dans les notifications de griefs, à savoir le 7 mars 2017, compte tenu de l'objet de la téléconférence s'étant tenue ce jour-là et de la teneur des échanges figurant dans son compte-rendu officiel (paragraphes 14 à 30), puis elle a retenu celle du 7 avril 2017, eu égard, notamment, à la teneur du dernier rapport d'évaluation des rapporteurs du Comité (paragraphes 31 à 39).

41.Pour en décider ainsi, elle a relevé qu'en dépit de la présentation détaillée par AB Science de tous ses arguments et le début de mise en 'uvre par elle des mesures de remédiation envisagées, ce dernier rapport d'évaluation concluait au rejet de la demande d'AMM en raison du maintien des objections majeures figurant dans les précédents rapports. Elle en a déduit qu'à la date de réception de ce rapport par AB Science (le 7 avril 2017), l'expression d'un avis négatif du Comité sur l'utilisation du masitinib dans le traitement de la mastocytose était un événement dont on pouvait raisonnablement penser qu'il se produirait (paragraphe 34).

42.Dans le même sens, elle a constaté qu'à cette date, cette société avait pris sa décision de différer la publication de l'information en cause (paragraphe 35).

43.Enfin, elle a estimé qu'il était possible à un investisseur de considérer l'information en cause comme étant de nature à entraîner une baisse du cours du titre AB Science dans la mesure où il s'agissait de l'une des études cliniques les plus avancées de cette société, après les échecs des demandes d'AMM du masitinib dans les indications concernant les tumeurs malignes stromales gastro-intestinales (ci-après « GIST ») et pancréas en 2014, et que ladite société ne disposait alors d'aucune AMM en médecine humaine (paragraphe 38).

44.Le président de l'AMF conteste la date à laquelle l'information en cause a été retenue par la Commission des sanctions comme ayant acquis un caractère précis, ce qui a conduit à la mise hors de cause de M. [M].

45.Sur ce point, après un rappel du contexte dans lequel est intervenue la téléconférence de clarification du 7 mars 2017, dont il se déduirait que les rapporteurs du Comité ont préalablement émis, dans leurs deux premiers rapports d'évaluation, de sérieux doutes sur la qualité et la conduite de l'étude clinique, ainsi que des objections majeures empêchant l'enregistrement de l'AMM, le président de l'AMF fait valoir que, lors de cette téléconférence, lesdits rapporteurs ont fait connaître à AB Science leur opinion défavorable sur sa demande d'AMM.

46.Il se prévaut en ce sens, notamment, en premier lieu, des notes manuscrites prises, pendant la téléconférence, par l'inspecteur de l'ANSM ayant participé à la réalisation de l'inspection des sites d'AB Science (dont il résulterait que les problèmes relatifs à la conduite de l'étude clinique, constatés lors de l'inspection puis dans les deux premiers rapports d'évaluation, ne pouvaient être résolus), en deuxième lieu, des réponses écrites des rapporteurs du Comité aux enquêteurs de l'AMF (dont il ressortirait que la proposition d'AB Science consistant à supprimer les données de mauvaise qualité était une mesure inadaptée) et, en troisième lieu, de développements intervenus postérieurement à la téléconférence.

47.S'agissant plus précisément de ces développements ultérieurs, le président de l'AMF se fonde essentiellement sur deux lettres adressées par M. [M] au président du Comité. La première lettre (jointe aux réponses apportées les 22 et 24 mars 2017 à la liste des questions considérées comme non résolues au 180ème jour de la procédure) faisait état d'une « inquiétude importante » d'AB Science en raison d'objections majeures soulevées par les rapporteurs sur deux changements de protocole de l'étude clinique, ainsi que sur la taille des données de sécurité. Quant à la seconde lettre, du 29 mars 2017, elle sollicitait la tenue d'une nouvelle réunion de clarification pour rencontrer le Comité et les rapporteurs avant la présentation orale prévue le 20 avril suivant (« oral explanation »), ce que le président du Comité n'a pas estimé utile d'organiser (lettre en réponse du 5 avril 2017).

48.Le président de l'AMF déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en l'absence de retour positif des rapporteurs, ou d'accord avec le Comité, sur la nature et le calendrier des solutions de remédiation proposées, AB Science était fortement menacée d'un rejet de sa demande d'AMM. Il en déduit également qu'en dépit de l'aléa subsistant jusqu'à l'issue définitive de la procédure (le 17 mai 2017), l'avis négatif du Comité constituait un événement dont on pouvait raisonnablement penser, dès le 7 mars 2017, qu'il se produirait, compte tenu de l'opinion fortement négative exprimée par les rapporteurs à cette date et surtout de leur constat que les problèmes identifiés à cette même date ne pouvaient être résolus. Il précise qu'à cette date, AB Science aurait été dans l'impossibilité manifeste de proposer des mesures de remédiation adaptées, dans le délai de six semaines restant à courir avant la date prévue pour la présentation orale (20 avril 2017). La téléconférence de clarification serait ainsi intervenue dans un contexte où des problèmes graves et non résolus ' pour lesquels les rapporteurs n'auraient pas envisagé de solutions possibles ' auraient empêché de facto l'octroi de l'AMM.

49.Par ailleurs, il considère que, compte tenu des enjeux de l'obtention d'une AMM pour AB Science, il était possible de tirer de l'information en cause ' relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM concernée ' une conclusion, en l'occurrence négative, sur le cours du titre.

50.Dans ses observations, l'AMF reprend intégralement les termes de cet argumentaire.

51.En défense, M. [M] soutient, d'une part, qu'au mois de mars 2017, AB Science avait toutes les raisons de croire qu'elle pourrait convaincre le Comité, dans les délais requis, de lever les trois objections majeures indiquées par les rapporteurs aux 150ème et 180ème jours de la procédure, et de rendre ainsi un avis favorable et, d'autre part, qu'aucune opinion défavorable ne lui avait été communiquée lors de la téléconférence de clarification du 7 mars 2017.

52.Tout d'abord, il fait valoir que les espérances d'AB Science, quant à l'issue positive de la procédure devant le Comité, étaient plus précisément fondées sur trois éléments.

53.Le premier élément est tiré de la nature de cette procédure, qualifiée d'itérative, en ce que tout demandeur d'AMM est invité à répondre, dans un cadre strictement normé, aux objections des rapporteurs, lesquelles sont levées au fur et à mesure que la procédure avance. Ainsi, une partie importante des « dossiers enregistrés par l'EMA », que ce soit en 2016 (25,6 %) ou en 2017 (20,4 %), l'aurait été après la tenue d'une présentation orale (« oral explanation »), étant précisé que cette séance ne serait organisée que lorsque des objections majeures demeurent au terme de la procédure écrite, c'est-à-dire après le 3ème rapport des rapporteurs. Il en déduit qu'en l'espèce, l'existence d'objections majeures ' qui sont passées de huit à trois (lors du premier rapport d'évaluation du 30 janvier 2017, au 150ème jour de la procédure) ' n'était pas de nature à condamner ipso facto les chances de succès d'AB Science d'obtenir l'AMM considérée. Il en déduit également qu'au 7 mars 2017, il n'était ni acquis, ni fortement probable que le Comité rende un avis défavorable dès lors qu'à cette date, le Comité ne disposait pas encore des réponses aux questions qu'il avait lui-même posées, celles-ci n'ayant été apportées par AB Science que les 22 et 24 mars 2017.

54.Le deuxième argument développé par M. [M] repose sur la circonstance qu'AB Science aurait été confiante dans sa capacité à apporter des réponses convaincantes pour faire lever les trois objections majeures en cause. Il explique en détail les différentes mesures prises en vue de répondre, dans les délais impartis, à la principale objection majeure qui lui était opposée, à savoir celle portant sur la fiabilité des données recueillies lors des essais cliniques (concernant l'efficacité et la sécurité du candidat médicament). Les mesures invoquées sont les suivantes : premièrement, envoi aux sites cliniques d'un questionnaire permettant d'établir que les évaluateurs ayant réalisé l'étude sur « l'échelle de dépression Hamilton » disposaient d'une expérience suffisante pour ce faire ; deuxièmement, lettre du 24 mars 2017 signalant au président du Comité que les changements du protocole de l'étude clinique, opérés par AB Science, suivaient strictement les avis scientifiques préalablement rendus par cette instance ; troisièmement, « remonitoring » des données de sécurité (concernant les effets indésirables du masitinib et des traitements concomitants), afin de s'assurer de la fiabilité de celles-ci, ce qui aurait été achevé en mars 2017. M. [M] fait valoir que ces différentes mesures n'ont pas été rejetées par les rapporteurs lors de la téléconférence de clarification. Il en déduit qu'il existait, en mars 2017, des solutions envisageables et pertinentes pour répondre à l'objection majeure considérée. Quant aux autres objections majeures, il explique que l'étude dite de « Mass Balance », concernant les interactions médicamenteuses, pouvait être réalisée après l'enregistrement du produit (avant sa commercialisation), ce qui aurait été confirmé lors de la présentation orale du 20 avril 2017, et qu'AB Science, dans sa réponse à la liste des questions non résolues au 180ème jour de la procédure, a renoncé à solliciter l'indication du masitinib pour le traitement de la maladie mastocytose, au profit du traitement de ses symptômes, ce qui a finalement permis de lever l'objection sur ce point.

55.Il fait valoir qu'en mars 2017, AB Science était d'autant plus confiante d'obtenir un avis positif du Comité qu'au cours d'une réunion dite de pré-soumission, du 5 janvier 2016, les rapporteurs lui avaient recommandé de leur transmettre une demande d'AMM, en vue d'un enregistrement définitif et non simplement conditionnel ; que le corapporteur initialement désigné, après formalisation de la demande d'AMM, soutenait les méthodes et études suivies par AB Science, avant qu'un nouveau corapporteur n'adopte une position ouvertement défavorable, dont cette société n'aurait eu connaissance que le 7 avril ; que les résultats positifs de la phase 3 de l'essai clinique avaient été publiés, le 6 janvier 2017, dans une revue scientifique médicale renommée (« The Lancet ») ; que sa demande d'AMM avait bénéficié du soutien de la communauté scientifique (exprimé dans un « white paper ») ; que deux professeurs éminents en médecine, assurant la co-présidence du comité scientifique d'AB Science, avaient estimé, le 13 mars 2017 ' après avoir pris connaissance tant du rapport dressant la liste des questions non résolues, que du projet de réponse d'AB Science et du projet de compte-rendu officiel de la téléconférence de clarification ' qu'il existait une probabilité raisonnable d'octroi d'AMM.

56.Le troisième argument invoqué par M. [M] est tiré de la prétendue validation a posteriori de la fiabilité des données d'AB Science, dès septembre 2017, dans le cadre du réexamen de la demande d'AMM par un groupe d'experts indépendants (dénommé SAG) intervenant sous l'égide de l'EMA, puis en 2019, en raison d'une décision de l'ANSM ayant autorisé AB Science à initier l'étude dite confirmatoire de phase 3. Il en déduit que les mesures de remédiation mises en 'uvre par AB Science pour répondre aux objections soulevées par les rapporteurs du Comité étaient pertinentes et auraient dû être de nature à lever celles-ci dès mars 2017.

57.Par ailleurs et enfin, M. [M] conteste l'idée selon laquelle, lors de la téléconférence de clarification du 7 mars 2017, les rapporteurs auraient fait part à AB Science de leur opinion défavorable sur sa demande d'AMM et ouvertement écarté la possibilité de trouver une solution pour remédier à l'objection concernant le « score Hamilton ». Plus précisément, il observe que le seul élément du dossier indiquant que les rapporteurs avaient fait part à cette société de leur opinion défavorable sur sa demande est une note chronologique rédigée par l'inspecteur de l'ANSM ayant participé à la réalisation de l'inspection des sites d'AB Science et datée du 15 juin 2017, soit plus de trois mois après la téléconférence. Il estime que cette affirmation n'est corroborée par aucun autre élément de l'enquête de l'AMF et se trouve au contraire démentie par une multitude d'éléments (procès-verbal officiel de la téléconférence ; notes manuscrites et audition de cet inspecteur de l'ANSM ; réponses écrites et audition des autres personnes ayant assisté à la téléconférence). De même, l'idée selon laquelle il aurait été indiqué à AB Science, lors de ladite téléconférence, qu'il n'y avait aucune solution à l'objection relative au « score Hamilton », repose sur les seules notes manuscrites de cet inspecteur de l'ANSM, lesquelles n'exprimeraient que son opinion personnelle, en l'absence de mentions en ce sens dans le procès-verbal officiel, « validé » par l'ensemble des participants et seul faisant foi, lequel indiquerait, au contraire, que la solution proposée par AB Science sur ce point n'a pas été refusée lors de cette séance de clarification.

58.Le ministère public développe un argumentaire comparable.

Sur ce, la Cour :

59.L'article 7, paragraphe 2, du règlement MAR, en vigueur à la date des faits, énonce :

« Aux fins de l'application du paragraphe 1, une information est réputée à caractère précis si elle fait mention d'un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, si elle est suffisamment précise pour qu'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers (') » (souligné par la Cour).

60.Il en résulte qu'une information est réputée avoir un caractère précis si elle remplit deux conditions cumulatives :

' d'une part, elle doit faire mention d'un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira et ;

' d'autre part, elle doit être suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

61.Ces conditions de précision reprenant exactement celles posées par l'article 1er, point 1, alinéa 1er, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de cours (abus de marché) ' telle que précisée par l'article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/124/CE de la Commission européenne, du 22 décembre 2003, portant modalités d'application de la directive précitée ' il convient de rappeler l'interprétation qu'en a donné la Cour de justice de l'Union.

62.S'agissant de la première condition de précision, tenant à un ensemble de circonstances ou à un événement dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, la Cour a indiqué, dans son arrêt du 28 juin 2012, Gelt (C-19/11, points 44 à 49), qu'elle ne saurait être interprétée comme exigeant la démonstration d'une probabilité élevée des circonstances ou éléments mentionnés : une telle interprétation serait de nature à porter atteinte aux objectifs poursuivis par la directive précitée, consistant à assurer l'intégrité des marchés financiers de l'Union et à renforcer la confiance des investisseurs dans ce marché. À cet égard, elle a précisé que cette expression vise uniquement des circonstances ou des événements dont il apparaît ' sur le fondement d'une appréciation globale des éléments déjà disponibles ' qu'il y a une réelle perspective qu'ils existeront ou se produiront, ce qui exclut ceux dont la survenance n'est pas vraisemblable ou qui sont dépourvus de tout caractère concret.

63.S'agissant de la seconde condition de précision, dans son arrêt du 11 mars 2015, Lafonta (C-628/13, point 31), auquel se réfère son récent arrêt du 15 mars 2022, M. A. (C-302/20, point 38), la Cour de justice a indiqué qu'il suffit que l'information soit suffisamment concrète ou spécifique pour pouvoir constituer une base permettant d'évaluer si l'événement qui en est l'objet est susceptible d'avoir un effet sur les cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte. Seules des informations vagues ou générales, ne permettant de tirer aucune conclusion quant à leur effet possible sur le cours des instruments financiers concernés, ne satisfont pas cette condition.

64.Il convient également de rappeler que l'existence d'aléas quant à la survenance d'un événement ou quant à la réalisation effective d'un projet n'exclut pas la possibilité de retenir que l'information y afférent présente un caractère suffisamment précis (Com. 3 mai 2016, pourvoi n° 15-10.044, 1er mars 2017, pourvois n° 14-26.225, 14-26.892, 15-12.362 et 10 juillet 2018, pourvoi n° 15-15.557).

65.C'est à la lumière de ces principes qu'il importe, en l'espèce, de déterminer la date à laquelle l'information en cause a revêtu un caractère suffisamment précis, ce caractère n'étant pas discuté en son principe même.

66.Cette information étant définie, dans les notifications de griefs, comme étant relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM concernée, il convient d'examiner si, dans le contexte de la procédure suivie devant cet organe, on pouvait raisonnablement penser, dès le 7 mars 2017 ou seulement un mois plus tard, soit le 7 avril, qu'il était fort probable que ledit Comité rende un avis en ce sens (première condition de précision) et si cette forte probabilité s'est dessinée de manière suffisamment concrète, à telle ou telle date, pour qu'il fût possible d'en tirer une conclusion quant à son effet potentiel sur le cours du titre AB Science (seconde condition de précision).

67.À cet égard, il est constant que la procédure suivie devant le Comité est une procédure itérative, permettant au demandeur d'AMM, au cours de diverses étapes successives, de procéder aux ajustements nécessaires afin de répondre aux attentes du Comité et d'améliorer ainsi progressivement la présentation des éléments venant à l'appui de sa demande.

68.Il est également constant que, si la réunion dite de clarification, organisée à la demande du demandeur d'AMM et présidée par le rapporteur désigné par le Comité, constitue une étape importante de la procédure, elle n'a pas néanmoins vocation à revêtir un caractère déterminant, seul le Comité réuni en séance plénière, à un stade ultérieur de la procédure, étant à même d'arrêter le sens de l'avis à rendre.

69.En effet, comme l'explique la documentation de l'EMA (mentionnée au paragraphe 19 de la décision attaquée), cette réunion ' ayant lieu à la suite de l'adoption par le Comité, en séance plénière, d'une liste de questions non résolues au 180ème jour de la procédure ' vise à clarifier, pour les besoins du demandeur d'AMM, les raisons pour lesquelles sa demande d'AMM soulève des objections majeures ou d'autres questions non résolues. Elle vise également à lui expliquer les attentes du Comité sur les réponses qu'il lui revient désormais d'apporter en vue de remédier à ces objections. Cet exercice de clarification et d'explication a donc uniquement pour but d'éclairer le demandeur d'AMM afin de l'aider à préparer au mieux ses réponses à la liste des questions non résolues au 180ème jour de la procédure. Comme le précise la documentation susvisée, cette réunion n'est pas destinée à fournir une pré-évaluation des réponses envisagées par le demandeur.

70.En l'espèce, il résulte du compte-rendu officiel de la téléconférence du 7 mars 2017, que ces principes ont été rappelés en tout début de réunion : « L'équipe de l'EMA introduit la réunion et rappelle que l'objectif de celle-ci n'est pas de déterminer si les réponses proposées par le demandeur sont satisfaisantes ou non, mais de clarifier les questions soulevées par les rapporteurs au point J 180 de la procédure ».

71.La poursuite de cet objectif ressort clairement de la présentation détaillée qui s'en suit sur le déroulement de la réunion et la teneur des échanges, dont il est indiqué qu'ils ont duré une heure (de 13 à 14 heures).

72.En effet, ce compte-rendu officiel atteste qu'après un bref rappel par le rapporteur de l'objet des principales préoccupations concernant la demande d'AMM d'AB Science, à savoir les changements dans la conduite de l'étude et les résultats de l'inspection des bonnes pratiques cliniques (BPC), les échanges ont porté successivement sur l'étude du bilan massique, l'efficacité et la sécurité du candidat médicament, les changements dans la conduite de l'étude et la taille de la base de données de sécurité.

73.À cet égard, ce document enseigne que les rapporteurs ont clarifié certaines objections majeures, telles que celle relative à la fiabilité des données de sécurité, et fourni, pour chacune des questions identifiées, des indications à AB Science sur ce qui était attendu de sa part.

74.Il enseigne également qu'en réponse à ces éléments, AB Science a évoqué les mesures qu'elle estimait avoir déjà prises en ce sens (lancement de l'étude du bilan massique et nouveau contrôle en cours sur les données de sécurité) ou qu'elle envisageait désormais de prendre (examen, pour chaque site, du niveau de qualification du personnel chargé de remplir le questionnaire Hamilton et conséquences à en tirer; évaluation de l'éventuel impact du changement de méthodologie statistique sur les résultats de l'étude).

75.S'il résulte plus précisément de ce document (développements figurant sous question n° 2) qu'en réponse à l'intention exprimée par AB Science « de fournir des analyses de sensibilité excluant les données de faible qualité identifiées par les inspecteurs », les rapporteurs ont procédé à une clarification sur l'objection majeure relative à l'efficacité du candidat médicament et exprimé des attentes à ce sujet (« pour le questionnaire Hamilton, la suppression des données de faible qualité n'est pas suffisante ('). Pour être acceptables, les questionnaires Hamilton devraient être remplis par du personnel dûment qualifié, comme pour toute étude utilisant le questionnaire Hamilton ») et qu'AB Science a annoncé en conséquence « qu'elle s'efforcera de fournir cette preuve de qualification suffisante pour chaque site » (en expliquant la méthode qu'elle entendait suivre sur ce point), il résulte également de ce document que cette annonce et ces explications d'AB Science n'ont donné lieu à aucun commentaire de la part des rapporteurs.

76.De même, s'il résulte de ce document qu'en réponse à la question posée par AB Science sur la taille de la base de données de sécurité (question n° 4), les rapporteurs ont clarifié certains points (« la mauvaise qualité des données de sécurité est le principal problème. Le rapport d'inspection des BPC de l'EMA sur le site du promoteur et sur deux sites d'étude décrit des problèmes très graves, notamment, une évaluation et une collecte non fiables des données de sécurité et un risque de levée prématurée de l'aveugle dans l'étude pivot. Ces problèmes critiques entravent davantage l'évaluation de la sécurité [que celui de la taille de ladite base de données] ») et qu'AB Science a indiqué en conséquence « qu'un nouveau contrôle est en cours, visant à répondre aux conclusions de l'inspection », il résulte également de ce document que cette indication n'a pas davantage donné lieu à commentaires de la part des rapporteurs.

77.Quant aux autres mesures de remédiation évoquées par AB Science (lancement de l'étude du bilan massique et évaluation de l'éventuel impact du changement de méthodologie statistique sur les résultats de l'étude), il ressort du compte-rendu officiel qu'elles n'ont pas non plus suscité le moindre commentaire de la part des rapporteurs.

78.Il s'ensuit qu'il ne ressort nullement de ce document que, lors de la téléconférence du 7 mars 2017, les rapporteurs aient fait part à AB Science de leur opinion défavorable sur sa demande d'AMM, eu égard aux mesures de remédiation évoquées.

79.Contrairement à ce que suggère le président de l'AMF, si ce document ne contient aucune trace d'une éventuelle approbation par les rapporteurs des mesures de remédiation présentées par AB Science, il ne saurait nullement être déduit de ce constat, par un raisonnement a contrario, que les rapporteurs auraient ainsi implicitement mais nécessairement fait connaître à AB Science leur opinion défavorable sur sa demande d'AMM. Il en va d'autant plus ainsi que, comme cela a déjà été indiqué, ce document mentionne précisément que l'équipe de l'EMA a introduit la téléconférence en rappelant que son objectif n'était pas de déterminer si les réponses proposées par le demandeur étaient satisfaisantes ou non, mais de clarifier les questions soulevées par les rapporteurs au 180ème jour de la procédure.

80.En outre, ce compte-rendu officiel ayant été établi collectivement et contradictoirement, pour avoir été préparé par AB Science et soumis à tous les autres participants à la téléconférence, pour recueillir leur approbation ou commentaires éventuels, son contenu, une fois arrêté, ne saurait être utilement remis en cause par les seuls écrits de l'inspecteur de l'ANSM ayant assisté à cette téléconférence, sans avoir néanmoins émis la moindre réserve sur le projet de compte-rendu officiel qui lui avait été soumis.

81.C'est donc en vain que le président de l'AMF se prévaut d'un passage isolé des notes manuscrites de celui-ci sur le déroulement de la téléconférence, remises aux enquêteurs de l'AMF lors de son audition, le 29 novembre 2018 (soit plus d'un an après la tenue de la téléconférence). Il y est indiqué, en conclusion sous l'intitulé « 2.1 Efficacité », « Rapporteur : la suppression des données ne résoudra pas les problèmes liés à la conduite des études. Il n'y a pas de solution à ce problème ». Ce passage diffère nettement de celui figurant dans le compte-rendu officiel, en ce que le rapporteur aurait ainsi pris position, ouvertement et définitivement, sur les problèmes liés à conduite des études, en considérant ces problèmes comme insurmontables, alors que le compte-rendu officiel ne fait état d'aucun commentaire de la sorte, de la part du rapporteur comme du corapporteur. Ce décalage des notes manuscrites avec le compte-rendu officiel se trouve renforcé par la note chronologique rédigée par le même inspecteur et envoyée à l'AMF le 15 juin 2017, en vue d'une réunion prévue le lendemain (soit plus de trois mois après la tenue de la téléconférence), qui résume ladite téléconférence en ces termes : « AB Science informé de l'opinion défavorable, exprimée de manière ferme, du Rapp et du Co-Rapp sur leur dossier, notamment (mais pas uniquement) sur la base des résultats de l'inspection ». Vu l'ampleur de ce décalage, il est surprenant que cet inspecteur n'ait formulé aucune proposition de modification du projet de compte-rendu officiel en ce sens, alors qu'il a disposé de plus de quinze jours pour le faire.

82.Au surplus, contrairement à ce qu'allègue le président de l'AMF, il ressort des réponses des rapporteurs aux questions des enquêteurs de l'AMF (figurant dans une lettre du 3 octobre 2018 et deux courriels du 12 février et 18 novembre 2019) que, loin de confirmer la teneur des propos qui leur étaient prêtés dans ces notes manuscrites, le rapporteur, comme le corapporteur, ont indiqué, à plusieurs reprises, qu'il était difficile, près de deux ans après la tenue de la téléconférence, de se souvenir exactement du contenu des échanges et ont systématiquement renvoyé au compte-rendu officiel de celle-ci. Si ces rapporteurs ont répondu aux enquêteurs qu'à leur avis, dans l'esprit de la plupart des membres du Comité, il était « probablement clair » que la demande d'AMM d'AB Science ne pouvait être approuvée, et ce dès l'adoption du rapport dressant la liste des questions non résolues au 180ème jour de la procédure, soit dès le 23 février 2017, ils ont également répondu ne pas savoir quand cette société avait pu comprendre que l'avis du Comité serait négatif (voir la lettre du 3 octobre 2018 précitée, réponses aux questions 18 et 19).

83.De même, si, lors de son audition par les enquêteurs de l'AMF (le 29 novembre 2018), l'inspecteur de l'ANSM a déclaré qu'AB Science était en mesure de comprendre, au vu des échanges intervenus lors de la téléconférence du 7 mars 2017, que, selon le rapporteur, les problèmes évoqués empêchaient la délivrance d'une AMM, il a également déclaré ne pas savoir quand cette société avait pris conscience que l'avis du Comité serait défavorable et indiqué que ladite société disposait encore de l'opportunité de l'« oral explanation » pour tenter de convaincre directement le Comité.

84.Les deux lettres adressées par M. [M] au président du Comité, fin mars 2017, ne sont pas de nature, comme l'allègue le président de l'AMF, à étayer la prétendue compréhension par AB Science, à l'issue de la téléconférence du 7 mars, de la forte probabilité qu'un avis négatif serait prochainement rendu par le Comité. Outre que ces lettres sont postérieures, de plusieurs jours, à la tenue de la téléconférence, elles s'inscrivent logiquement, eu égard au caractère itératif de la procédure devant le Comité, dans le cadre de l'objectif poursuivi par AB Science, consistant à répondre au mieux aux attentes de celui-ci et à convaincre l'ensemble de ses membres du bien-fondé de sa demande d'AMM.

85.Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas suffisamment établi que, dès le 7 mars 2017, l'on pouvait raisonnablement penser (au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement MAR) qu'il était fort probable que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM du masitinib, présentée par AB Science, pour le traitement de la mastocytose.

86.Cette première condition de précision n'étant pas remplie à cette date, ce qui rend inutile l'examen de la seconde condition susvisée, en raison de leur caractère cumulatif, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu (décision attaquée, paragraphe 30) que l'information relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM concernée ne pouvait être considérée comme ayant revêtu un caractère précis le 7 mars 2017.

87.Il convient donc à présent d'examiner si, comme l'a retenu la Commission des sanctions (décision attaquée, paragraphes 33 à 39), ce qui est également contesté par le président de l'AMF, cette information a revêtu un caractère précis un mois plus tard, le 7 avril 2017.

88.Comme cela a déjà été indiqué, cette date du 7 avril 2017 est celle de la réception par AB Science du dernier rapport d'évaluation des rapporteurs, établi la veille, intitulé « Rapporteurs Day 180 second joint CHMP and PRAC Response Assessment Report ». Ce rapport analysait les réponses écrites données par AB Science, les 22 et 24 mars, à la liste des questions considérées par le Comité, dans son rapport du 23 février, comme étant non résolues au 180ème jour de la procédure. Il concluait, pour la première fois, à un stade très avancé de la procédure d'avis, au rejet de la demande d'AMM, en raison du maintien d'objections majeures.

89.Si cette conclusion du dernier rapport d'évaluation des rapporteurs n'était pas de nature à préjuger de l'avis du Comité, qui demeurait libre d'adopter un avis différent, on pouvait raisonnablement en déduire qu'il était fort probable que celui-ci rende un avis négatif.

90.En effet, si une ultime opportunité était donnée à AB Science pour défendre sa demande d'AMM devant l'ensemble du Comité, lors d'une séance orale prévue le 20 avril 2017 (« oral explanation »), afin d'emporter sa conviction sur le bien-fondé de celle-ci, nonobstant l'avis négatif des rapporteurs, cette perspective était peu vraisemblable, comme en attestent les déclarations de MM. [B] et [V], lors de leurs auditions respectives par les enquêteurs.

91.S'agissant de M. [B], professeur de médecine et co-président du comité scientifique d'AB Science, il a indiqué que les argumentations contre la délivrance de l'AMM étaient plus nombreuses dans ce dernier rapport et qu'« à la réception de (') [celui-ci], le 7 avril 2017, nous avons pris une gifle » et qu'ainsi « à ce stade, on est passé à 90/10 », c'est-à-dire à 90 % de risque que le Comité rende un avis négatif. Cette évaluation traduit l'existence, ledit 7 avril, d'une forte probabilité d'avis négatif.

92.Cette évaluation s'avère sans commune mesure avec celle que M. [B] avait préalablement donnée, lors de son audition, à propos de la date du 14 mars 2017 : la probabilité d'un avis négatif était estimée, à cette date, comme équivalente à celle d'un avis positif (« 50/50 »). En effet, à cette date, M. [B] avait adressé à M. [W] (également co-président du comité scientifique d'AB Science) un projet d'avis dudit comité scientifique ' destiné à M. [M] et au conseil d'administration d'AB Science ' sur le point de savoir s'il existait une chance suffisamment probable d'enregistrement du masitinib pour le traitement de la mastocytose, l'objectif étant de s'assurer qu'il était possible de procéder à une augmentation de capital, en l'état de la procédure devant le Comité. Ce projet d'avis concluait qu'il existait une probabilité raisonnable d'enregistrement et que cette situation ne changerait pas avant le 6 avril 2017, en l'absence, d'ici là, de toute communication entre AB Science et les rapporteurs du Comité.

93.L'évolution de l'appréciation portée par M. [B], lors de son audition, sur le niveau de probabilité d'un avis négatif du Comité ' entre le 14 mars et le 7 avril 2017 ' témoigne de ce que la réception du dernier rapport des rapporteurs a constitué un point de basculement : à partir du 7 avril 2017, l'on pouvait raisonnablement penser qu'il était fort probable, à hauteur de 90 %, que le Comité rendrait un avis négatif.

94.M. [V], directeur administratif et financier d'AB Science, qui a été entendu ultérieurement, confirme l'importance de cette étape du 7 avril 2017. En réponse à la question de savoir à quel moment il avait compris qu'il serait difficile d'inverser la tendance négative sur la demande d'AMM (question n° 26), il a déclaré l'avoir compris le 7 avril 2017, à la réception du rapport exprimant la position des rapporteurs à la suite des dernières réponses écrites d'AB Science, l'expérience démontrant qu'il était plus aléatoire d'inverser la tendance par la suite.

95.Ce point de basculement explique que, le 7 avril 2017, AB Science a considéré qu'elle était confrontée à une information privilégiée et en a tiré la conséquence qu'il y avait lieu d'en différer la publication, comme en atteste un courriel de M. [V], adressé à l'AMF le 17 mai 2017, pour l'informer de la publication d'une information privilégiée, et mentionnant que la décision d'en différer la publication remontait précisément au 7 avril 2017 (à 18H43).

96.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'information relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM concernée a rempli, le 7 avril 2017, la première condition de qualification d'une information précise, au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement MAR.

97.Quant à la seconde condition, tenant au caractère suffisamment concret et spécifique de l'information en cause, il importe de constater que cette information était fondée sur des éléments documentés (le dernier rapport d'évaluation des rapporteurs du Comité), dans le contexte d'une procédure centralisée strictement encadrée, dont certaines étapes étaient diffusées sur le site internet de l'EMA (comme l'explique le rapport du rapporteur désigné par le président de la Commission des sanctions, page 10) et dont les enjeux étaient essentiels pour AB Science, l'objectif affiché étant d'obtenir pour la première fois une AMM en médecine humaine, après les échecs de ses précédentes demandes d'AMM du masitinib pour le traitement des GIST et du pancréas en 2014. Dans ce contexte, il était possible de tirer de l'information en cause ' relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur cette nouvelle demande d'AMM ' une conclusion quant à son effet potentiel sur le cours du titre AB Science.

98.Répondant ainsi aux deux conditions cumulatives précitées, l'information en cause doit être considérée comme ayant acquis un caractère précis le 7 avril 2017.

99.Il convient donc à présent d'examiner si, à cette date du 7 avril 2017, cette information répondait aux autres conditions de qualification d'une information privilégiée, au sens de l'article 7 du règlement MAR.

B. Sur la caractérisation des autres conditions de qualification de l'information en cause (à la date à laquelle cette dernière a revêtu un caractère précis)

100.Aux paragraphes 40 à 50 de la décision attaquée, après avoir constaté que l'information en cause n'avait été rendue publique que le 17 mai 2017, au moyen du communiqué de presse diffusé par AB Science, de sorte qu'elle n'était pas publique le 7 avril de la même année, la Commission des sanctions a retenu que ladite information était susceptible, si elle avait été rendue publique, d'avoir une influence sensible sur le cours du titre AB Science.

101.Pour retenir cette influence potentielle sur le cours du titre, la Commission des sanctions s'est essentiellement fondée :

' d'une part, sur la communication développée par AB Science auprès des investisseurs, entre le 7 décembre 2015 et le 9 janvier 2017, faisant état de ses avancées concernant le masitinib dans le traitement de la mastocytose, l'objectif affiché étant d'obtenir pour la première fois une AMM en médecine humaine, l'étude clinique considérée constituant l'une des études cliniques les plus avancées d'AB Science, après les échecs de ses demandes d'AMM du masitinib dans les indications GIST et pancréas en 2014 (décision attaquée, paragraphes 47 et 48) ;

' d'autre part, sur des analyses financières contemporaines de la période des faits, confirmant que l'avis du Comité sur ladite demande d'AMM était une nouvelle attendue des investisseurs, non seulement en raison des perspectives de revenus liées à l'existence d'un avis favorable, mais aussi, parce qu'un tel avis était susceptible d'accroître les chances d'AB Science d'obtenir ultérieurement des AMM similaires pour des médicaments à base de masitinib, qu'elle s'efforçait de développer pour traiter d'autres maladies (paragraphe 49).

102.La Commission des sanctions en a déduit que la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM d'AB Science était de nature à conduire un investisseur raisonnable à décider de se désinvestir du titre, indépendamment de la décision de l'ANSM de suspendre de manière générale les essais cliniques en cours de réalisation par cette société, ce dont elle a tiré la conséquence que cette information était susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours du titre (paragraphe 50).

103.Dans le même sens, elle a relevé qu'au demeurant, le 18 mai 2017, soit le lendemain de la publication du communiqué de presse annonçant l'avis négatif du Comité, le cours du titre AB Science avait enregistré une baisse de 6,98 % (paragraphe 51).

104.Au terme de ces développements, elle a retenu que l'information en cause était devenue privilégiée le 7 avril 2017 et l'était demeurée jusqu'au 17 mai de la même année (paragraphe 52).

105.De son côté, le président de l'AMF rappelle que l'avis du Comité portait sur l'une des études les plus avancées d'AB Science et que celle-ci ne commercialisait aucun médicament à usage humain à la suite du refus par l'EMA, en 2014, de mise sur le marché du masitinib pour les indications GIST et cancer du pancréas. Il indique que les analystes financiers, qui suivaient AB Science, avaient considéré que, pour cette société, les deux indications phares dans le développement du masitinib étaient la mastocytose et la SLA. Il en déduit qu'un investisseur raisonnable aurait pu utiliser cette information comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement sur le titre AB Science.

106.En outre, il indique que l'annonce, le 17 mai 2017, de l'avis négatif du Comité sur l'AMM concernant la mastocytose, a entraîné une chute du cours du titre de 3,75 % à l'ouverture le lendemain (18 mai) par rapport au cours de clôture de la veille. Il précise, en outre, que l'effet de cette annonce s'est inscrit dans la continuité de la chute du cours provoquée par l'annonce le 11 mai 2017 de la suspension des essais cliniques d'AB Science en oncologie, ordonnée par l'ANSM, cette première annonce ayant entraîné une chute importante du cours du titre (passant de 16,50 à 15,39 euros, soit - 6,73% à la clôture du 11 mai) et le cours, suspendu du 12 au 15 mai, ayant repris à la baisse le 16 mai (à 10,20 euros, soit une baisse de 37,73 % par rapport au cours d'avant l'annonce du 11 mai).

107.Il soutient qu'en conséquence, il y a lieu de retenir que l'information en cause a présenté les caractéristiques d'une information privilégiée dès le 7 mars 2017.

108.Dans ses observations, l'AMF adopte la même position.

109.En défense, M. [M] soutient, en premier lieu, que la probabilité d'un refus d'AMM n'est pas une information qui, par nature, est susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours du titre d'AB Science. À cet égard, il fait valoir que la poursuite a omis de procéder à une analyse in concreto et ex ante de l'influence sensible sur le cours.

110.Il avance, en deuxième lieu, qu'en 2017, la valorisation du titre AB Science ne reposait pas sur la demande d'AMM concernant la mastocytose. Sur ce point, il explique que la mastocytose ne représentait que l'une des sept indications que cette société développait à l'époque et figurait parmi celles présentant la plus faible importance économique, cette maladie étant orpheline, touchant à l'époque 10 000 patients maximum dans le monde (dont 6 000 seulement en Europe), dont le prix de traitement annuel anticipé était très élevé pour une maladie non létale, sans garantie de remboursement par les pouvoirs publics. Il en déduit que les développements liés à la mastocytose représentaient de faibles débouchés en termes de chiffre d'affaires et un enjeu commercial limité pour AB Science. Tel ne serait pas le cas, en revanche, de la SLA, qui représenterait un marché potentiel significatif. Ainsi, les nombreux communiqués d'AB Science concernant cette maladie (entre le 1er avril 2016 et le 31 mars 2017) auraient donné lieu à des variations importantes du cours du titre, tandis que, sur la même période, ses quelques communiqués concernant la mastocytose n'auraient engendré que des variations limitées. Une analyse financière du 13 janvier 2017 démonterait que seule l'indication de la SLA aurait une influence « quantitative » sur le cours d'AB Science.

111.M. [M] fait valoir, en troisième lieu, que la baisse du cours du titre d'AB Science le 18 mai 2017, soit le lendemain de la publication de son communiqué annonçant l'avis négatif du Comité, s'inscrivait dans la poursuite de la baisse du cours du titre à la suite de la décision de suspension de l'ensemble des essais cliniques de cette société, prise par l'ANSM six jours plus tôt (le 11 mai). Il en déduit que la baisse du 18 mai ne serait pas directement rattachée à l'avis négatif du Comité sur la demande d'AMM concernant la mastocytose, mais serait uniquement due à l'annonce de l'ANSM du 11 mai sur sa décision du même jour.

112.Le ministère public estime que l'influence potentiellement sensible de l'information en cause sur le cours du titre d'AB Science est caractérisée, dès lors qu'il s'agissait d'une information sensible et qu'un investisseur raisonnable aurait pu utiliser cette information comme l'un des fondements de ses décisions de retrait d'investissement, les résultats d'AB Science en dépendant. Il observe que cette influence potentiellement sensible est illustrée par la baisse du cours du titre le 18 mai 2017.

Sur ce, la Cour :

113.Il importe de relever que les présents développements du président de l'AMF sur la caractérisation de l'influence potentiellement sensible de l'information sur le cours du titre, partent du postulat, non fondé comme venant d'être écarté par la Cour, que l'information en cause était devenue précise dès le 7 mars 2017. Il s'ensuit que cette branche du moyen est inopérante.

114.Au demeurant, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu, eu égard à son contenu et au contexte dans lequel elle s'est inscrite, que l'information en cause était de nature à conduire un investisseur raisonnable à décider de se désinvestir du titre AB Science et était donc susceptible d'avoir une influence sensible sur son cours, au sens de l'article 7 du règlement MAR. L'aptitude de l'information à influer de manière sensible sur le cours devant être appréciée ex ante et, partant, l'examen de l'effet réel de sa divulgation sur le cours du titre ' ex post ' n'étant pas nécessaire (arrêt de la Cour de justice de l'Union du 23 décembre 2009, Spector Photo Group e.a., C-45/08, point 69), il importe peu de savoir, comme le suggère M. [M], si l'ampleur de la variation du cours du titre le 18 mai 2017, ex post, résultait en partie, voire totalement, de la décision préalable de l'ANSM, du 11 mai, de suspendre les essais cliniques d'AB Science.

115.Il convient donc de retenir que l'information en cause était susceptible, à compter du 7 avril 2017, d'avoir une influence sensible sur le cours du titre AB Science.

116.En outre, il est constant que cette information concerne un émetteur d'instruments financiers (AB Science) et qu'elle était demeurée confidentielle jusqu'au 17 mai 2017.

117.Il résulte de l'ensemble de ces développements que l'information en cause doit être considérée comme ayant revêtu toutes les caractéristiques d'une information privilégiée le 7 avril 2017.

II. SUR LES CONSÉQUENCES À TIRER DE LA QUALIFICATION D'INFORMATION PRIVILÉGIÉE

A. Concernant M. [M]

118.La première conséquence à tirer de la qualification de l'information en cause comme étant privilégiée, à la date du 7 avril 2017, est la mise hors de cause de M. [M], au titre du grief de manquement d'initié qui lui était reproché, pour usage d'une information privilégiée. En effet, la cession de ses titres, le 31 mars 2017, étant antérieure à la date à laquelle l'information en cause a acquis un caractère privilégié, il ne peut lui être reproché d'en avoir fait usage lors de cette cession.

B. Concernant AB Science

119.La seconde conséquence à tirer de la qualification de l'information en cause comme étant privilégiée concerne AB Science. En effet, comme cela a déjà été indiqué, il lui est reproché d'avoir manqué à son obligation de communiquer, dès que possible, cette information privilégiée, et ainsi méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement MAR.

120.Aux paragraphes 59 à 64 de la décision attaquée, après avoir rappelé qu'en vertu dudit article 17, tout émetteur doit publier « dès que possible » toute information privilégiée le concernant et qu'il ne peut en différer la publication qu'à certaines conditions cumulatives, puis constaté qu'en l'espèce, AB Science n'avait publié l'information en cause que le 17 mai 2017, alors que celle-ci avait acquis un caractère privilégié le 7 avril 2017, soit un mois et dix jours plus tôt, la Commission des sanctions a estimé que l'une des conditions requises pour différer l'information n'était pas établie et en a déduit qu'AB Science avait manqué à son obligation de la publier « dès que possible », sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les autres conditions requises étaient remplies.

121.Plus précisément, s'agissant de la condition examinée ' figurant au paragraphe sous a) dudit article, tenant au fait que la publication immédiate de l'information privilégiée est susceptible de porter atteinte aux intérêts légitimes de l'émetteur ' la Commission des sanctions a considéré, en premier lieu, que le caractère légitime des intérêts invoqués par l'émetteur, pour bénéficier d'un différé de publication, ne saurait être satisfait, ni caractérisé par le seul impact attendu de la communication de ladite information sur le cours du titre de l'émetteur, qui suit généralement l'annonce de cette information, lorsque cette communication rend publics des éléments défavorables. Elle a précisé, en second lieu, que, dans le cas particulier de la procédure d'examen d'une demande d'AMM par le Comité, la vérification des données scientifiques et médicales soumises par le demandeur aux autorités représentées par ce comité, effectuée dans un impératif de protection de la santé publique, ne saurait être assimilable, en dépit du caractère itératif de cette procédure, à des négociations purement commerciales relatives à des opérations de fusion, acquisition ou scission, mentionnées dans les lignes directrices de l'ESMA. La Commission des sanctions en a déduit qu'AB Science ne démontrait pas qu'elle avait un intérêt légitime à différer la publication de l'information privilégiée.

122.Cette analyse est contestée par AB Science, qui soutient que les trois conditions cumulatives du différé de publication de l'information en cause étaient réunies.

123.S'agissant de la première condition, elle fait valoir que le processus réglementaire devant des autorités de santé présente des similarités avec des négociations commerciales et que les lignes directrices de l'Autorité européenne des marchés financiers (ci-après « l'ESMA ») vont en ce sens en visant, au titre des intérêts légitimes des émetteurs permettant de différer la publication d'une information privilégiée, non seulement, le cas de négociations en cours, mais aussi celui de processus réglementaires nécessitant « l'approbation d'une autorité publique ». Dans ce dernier cas, elle considère que communiquer au marché dès le 7 avril 2017 aurait nécessairement et gravement hypothéqué ses chances d'obtenir l'AMM, tant en interne (vis-à-vis de ses équipes) qu'en externe (vis-à-vis de l'EMA). À cet égard, elle pose la question suivante : quelle crédibilité aurait-elle eu si elle avait, d'un côté, annoncé publiquement l'échec probable du processus de demande d'AMM et, de l'autre, poursuivi ses échanges avec les autorités de santé pour tenter de les convaincre ' Estimant qu'elle conservait plus de 25 % de chances de renverser la situation existante à la date du 7 avril 2017, elle fait valoir qu'il était de son intérêt légitime de différer la publication de l'information pour préserver ses chances de convaincre les autorités européennes de santé, en mobilisant au mieux ses équipes pour préparer la présentation orale (« oral explanation ») prévue trois semaines plus tard, le 20 avril 2017. Annoncer au marché, dès le 7 avril 2017, que le dossier était mal engagé serait revenu, non seulement, à démobiliser ses équipes, mais aussi, à s'interdire de facto de poursuivre la procédure devant les autorités de santé (avec un risque de « prophétie autoréalisatrice ») ou à condamner de facto le processus d'AMM dans la mesure où cette annonce aurait sans aucun doute été interprétée par le marché comme l'échec de ce processus. Cette annonce aurait, au surplus, abouti à faire un focus sur de potentiels problèmes associés au masitinib (alors que ces problèmes auraient pu être réglés lors de ladite présentation orale) et, en cas de délivrance d'une AMM, à disséminer des craintes sur le produit, de façon irrémédiable, un communiqué de presse étant « gravé dans le marbre ».

124.S'agissant de la deuxième condition exigée pour différer la publication, tenant à l'absence de risque d'induire le public en erreur, AB Science fait valoir, pour l'essentiel, qu'aucune société pharmaceutique cotée ne communique sur les positions des rapporteurs de l'EMA, à quel stade du processus qu'elles interviennent. Elle soutient que cette communication n'aurait aucun sens dans la mesure où ces sociétés disposent encore ' règlementairement ' de l'opportunité de poursuivre les échanges avec les autorités de santé pour tenter d'obtenir l'AMM. Bien plus, cette communication, sur une position non définitive des rapporteurs, qui ne constituerait pas un indicateur fiable, serait de nature à induire le public en erreur : il serait très probable que les investisseurs surréagiraient et tiendraient pour acquis que la décision finale du Comité serait conforme à la position des rapporteurs ; la communication des sociétés de biotechnologie cotées serait indéchiffrable pour le marché et donc facteur d'instabilité et d'insécurité juridique ; ce serait courir le risque d'une baisse de la qualité et de la fiabilité globales de l'information fournie au public et d'une atteinte à l'intégrité du marché.

125.S'agissant de la troisième et dernière condition, tenant à la capacité de l'émetteur à assurer la confidentialité de l'information privilégiée, AB Science estime avoir mis en place un système concret et robuste pour préserver la confidentialité de l'information ayant fait l'objet d'un différé, notamment, en cloisonnant l'information entre les différents services, ces derniers étant destinataires de la position des rapporteurs du 7 avril 2017, mais uniquement pour les problématiques les concernant, sans vue d'ensemble. Elle observe que cette information n'a d'ailleurs pas fuité.

126.Le président de l'AMF conteste cette analyse, en se plaçant à la date à laquelle il considère que l'information est devenue privilégiée, soit dès le 7 mars 2017. Il estime qu'en ne publiant pas cette information, dès que possible, en amont de deux placements privés des 27 et 31 mars 2017 ' intervenus à la suite d'annonces positives d'AB Science, des 20 et 29 mars de la même année, relatives à ses recherches sur le masitinib concernant la SLA et la sclérose en plaques (ayant eu un impact haussier important sur le cours du titre) ' cette société a induit le public en erreur. Il en déduit qu'AB Science n'était pas en mesure de différer la publication de l'information concernant la mastocytose.

127.Dans ses observations, l'AMF développe, en substance, une argumentation identique.

128.Le ministère public parvient à la même solution, tout en se plaçant à la date du 7 avril 2017. Il fait valoir qu'en raison, notamment, des nouvelles positives publiées par AB Science les 20 et 29 mars 2017 et de la perception subséquente très positive par le marché de son titre (attestée par une hausse respective du cours de 13,32 % et 2,84 %), un investisseur raisonnable, en l'absence d'information contraire ou de démenti, pouvait être incité à investir dans le titre, au cours du mois et des dix jours suivant la détention de l'information privilégiée. Il en déduit que le retard de publication de l'information privilégiée était susceptible d'avoir induit le public en erreur et que, partant, AB Science ne peut bénéficier de la dérogation prévue à l'article 17, paragraphe 4, du règlement MAR.

Sur ce, la Cour :

129.L'article 17 du règlement MAR, en vigueur à la date des faits, énonce :

« 1. Tout émetteur rend publiques, dès que possible, les informations privilégiées qui concernent directement ledit émetteur.

(')

4. Tout émetteur ou participant au marché des quotas d'émission peut, sous sa propre responsabilité, différer la publication d'une information privilégiée à condition que toutes les conditions suivantes soient réunies :

a) la publication immédiate est susceptible de porter atteinte aux intérêts légitimes de l'émetteur (') ;

b) le retard de publication n'est pas susceptible d'induire le public en erreur ;

c) l'émetteur ou le participant au marché des quotas d'émission est en mesure d'assurer la confidentialité de ladite information.

(')

Lorsqu'un émetteur (') a différé la publication d'une information privilégiée au titre du présent paragraphe, il informe l'autorité compétente précisée au paragraphe 3, immédiatement après la publication de l'information, que la publication a été différée et fait état, par écrit, de la manière dont les conditions énoncées au présent paragraphe ont été satisfaites. À titre de solution de substitution, les États membres peuvent prévoir que l'enregistrement de ces explications ne doit être présenté que sur demande de l'autorité compétente précisée au paragraphe 3 » (souligné par la Cour).

130.Les considérants 49 et 50 du règlement MAR, en lien avec ces dispositions, indiquent :

« 49. Pour prévenir les opérations d'initiés et éviter que les investisseurs ne soient trompés, il est essentiel que les émetteurs publient les informations privilégiées en leur possession. Les émetteurs devraient donc être tenus d'informer le public le plus rapidement possible en ce qui concerne ces informations privilégiées. Cependant, cette obligation peut, dans certaines circonstances particulières, nuire aux intérêts légitimes de l'émetteur. Dans de telles circonstances, la divulgation différée devrait être autorisée, pourvu que ce retard ne soit pas susceptible d'induire le public en erreur et que les émetteurs soient en mesure d'assurer la confidentialité des informations qu'ils détiennent (').

50. Aux fins de l'application des exigences relatives à la publication d'informations privilégiées et au report d'une telle publication telles que prévues dans le présent règlement, les intérêts légitimes peuvent en particulier avoir trait aux situations suivantes, qui ne constituent pas une liste exhaustive :

a) négociations en cours, ou éléments connexes, lorsque le fait de les rendre publics risquerait d'affecter l'issue ou le cours normal de ces négociations. En particulier, en cas de danger grave et imminent menaçant la viabilité financière de l'émetteur, mais n'entrant pas dans le champ d'application du droit applicable en matière d'insolvabilité, la publication d'informations peut être différée durant une période limitée si elle risque de nuire gravement aux intérêts des actionnaires existants et potentiels en compromettant la conclusion de négociations particulières visant à assurer le redressement financier à long terme de l'émetteur ;

b) décisions prises ou contrats passés par l'organe de direction d'un émetteur, qui nécessitent l'approbation d'un autre organe de l'émetteur pour devenir effectifs, lorsque la structure dudit émetteur requiert une séparation entre les deux organes, à condition que la publication de ces informations avant leur approbation, combinée à l'annonce simultanée que cette approbation doit encore être donnée, soit de nature à fausser leur appréciation correcte par le public » (souligné par la Cour).

131.Ces situations sont reprises en substance dans les orientations de l'ESMA, du 20 octobre 2016, relatives au règlement MAR, portant sur le retard de la publication d'informations privilégiées. Ces orientations ont été adoptées en application de l'article 17, paragraphe 11, du règlement MAR, afin d'établir une liste indicative et non exhaustive des intérêts légitimes des émetteurs visés au point a) du paragraphe 4 dudit article 17, ainsi que des situations dans lesquelles le retard de la publication est susceptible d'induire le public en erreur au sens du point b), du paragraphe 4, du même article.

132.S'agissant des intérêts légitimes des émetteurs visés au point a), cette liste comprend, notamment, outre les situations précitées (figurant au considérant 50 du règlement MAR), le cas où « une opération précédemment annoncée nécessite l'approbation d'une autorité publique et cette approbation est soumise à des exigences supplémentaires, et la publication immédiate de ces exigences est susceptible de détériorer la capacité de l'émetteur de les respecter et, en conséquence, est susceptible d'empêcher l'achèvement de l'opération » (paragraphe 8, sous f, souligné par la Cour).

133.S'agissant des situations dans lesquelles le retard de la publication d'informations privilégiées est susceptible d'induire le public en erreur, sont visés les cas suivants :

« a. l'information privilégiée dont l'émetteur compte retarder la publication est sensiblement différente de l'annonce publique précédemment faite par l'émetteur quant au sujet auquel l'information se rapporte ; ou

b. l'information privilégiée dont l'émetteur compte retarder la publication concerne le fait que les objectifs financiers de l'émetteur ne seront probablement pas atteints, si ces objectifs ont précédemment été annoncés publiquement ; ou

c. l'information privilégiée dont l'émetteur compte retarder la publication est contraire aux attentes du marché, si ces attentes sont basées sur des signaux que l'émetteur a précédemment envoyés au marché, tels que des entretiens, des tournées de promotion ou tout autre type de communication organisé par l'émetteur ou avec son approbation » (souligné par la Cour).

134.En l'espèce, il est constant qu'en dehors du communiqué de presse diffusé à l'occasion du dépôt de sa demande d'AMM du masitinib concernant la mastocytose, AB Science n'a communiqué sur la procédure devant le Comité concernant cette demande que le 17 mai 2017, soit le jour même où ce dernier a émis un avis négatif sur ladite demande d'AMM. Elle n'a procédé auparavant à aucune communication sur le déroulement de cette procédure, notamment, à l'occasion de l'adoption par le Comité, à l'unanimité, le 20 avril 2017, d'un vote de tendance négatif, alors qu'elle en avait été immédiatement informée.

135.À cet égard, la Cour rappelle que l'information en cause ' relative à la forte probabilité que le Comité rende un avis négatif sur la demande d'AMM concernée ' doit être considérée comme privilégiée à compter du 7 avril 2017. Il s'ensuit qu'en principe, il incombait à AB Science de rendre cette information publique « dès que possible », sans attendre que le Comité ne rende un avis négatif, d'autant plus qu'une fois cet avis négatif rendu, ce dernier ne devrait plus être regardé comme une forte probabilité, mais comme un fait établi, échappant par définition au périmètre de l'information privilégiée en cause.

136.AB Science se prévalant de la faculté de différer la publication de cette information pour justifier, dès le 7 avril 2017, l'absence de publication de celle-ci, il convient d'examiner si elle rapporte la preuve, dont la charge lui incombe, que l'une ou l'autre des conditions requises à cet effet ' de manière cumulative ' par l'article 17, paragraphe 4, du règlement MAR, sont caractérisées.

137.Les dispositions dudit paragraphe 4 dérogeant au principe, posé au paragraphe 1, d'une publication « dès que possible », il importe d'en faire une application stricte et circonstanciée, « dans certaines circonstances particulières », afin, comme l'indique le considérant 49 du règlement MAR, de ne pas porter atteinte à l'objectif essentiel consistant à prévenir les opérations d'initiés et à éviter que les investisseurs ne soient trompés.

138.En effet, si l'article 17 du règlement MAR vise à concilier les différents intérêts en présence, à savoir les intérêts privés de l'émetteur et l'intérêt public tenant à assurer la transparence du marché (afin d'en protéger l'intégrité et de garantir la confiance de tous les investisseurs), il convient d'assurer un juste équilibre entre ces intérêts, en tenant compte du fait qu'ils ne sont pas de même nature. La Cour estime que ce juste équilibre implique que les intérêts privés de l'émetteur revêtent une légitimité suffisante, au sens de l'article 17, paragraphe 4, point a), du règlement MAR, pour être enmesure de contrebalancer l'intérêt public de protection du marché et des investisseurs.

139.Il importe donc d'examiner, en premier lieu, si, en l'espèce, les intérêts dont se prévaut AB Science satisfont à cette exigence.

140.De prime abord, il est indéniable qu'AB Science avait tout intérêt à préserver ses chances d'obtenir l'AMM du masitinib en ce qui concerne la mastocystose, vu l'importance des enjeux qui étaient attachés à l'obtention d'une telle autorisation ' pour la première fois en médecine humaine ' après avoir subi deux échecs dans ce domaine (GIST et pancréas).

141.Toutefois, force est de constater que ses chances demeuraient faibles à la date à laquelle est née, en principe, l'obligation de publier « dès que possible » l'information privilégiée, soit le 7 avril 2017, étant rappelé que cette date correspond à celle indiquée par AB Science à l'AMF comme étant celle de sa prise de décision d'en différer la publication (voir § 95 du présent arrêt).

142.En effet, comme cela a déjà été indiqué (§ 91 à § 93 du présent arrêt), il ressort de l'audition de M. [B] que, le 7 avril 2017, la probabilité d'un avis négatif du Comité s'élevait à 90 %, ce qui limitait en conséquence les chances d'un avis positif à 10 %.

143.Cette estimation précise et circonstanciée, propre à l'espèce, émanant d'un professeur de médecine, co-président du comité scientifique d'AB Science, ainsi que celle émanant de son directeur administratif et financier (§ 94 du présent arrêt), relativisent nettement celle, plus générale, avancée par AB Science.

144.En effet, en l'absence de statistiques du Comité sur la proportion de dossiers ayant abouti à un avis positif après avoir été soumis à une séance de présentation orale (comme en attestent les rapporteurs du Comité dans leurs réponses écrites à la question n° 15 posée par les enquêteurs de l'AMF), la société en cause s'est livrée à une étude des rapports publics établis par le Comité. Il en résulterait qu'en 2016, les chances d'AB Science d'obtenir un avis positif se seraient élevées à 25,6 %, tandis qu'en 2017, selon M. [M], elles se situeraient à 20,4 %.

145.Ces évaluations, qui s'élèvent à plus du double de celle indiquée par M. [B], procèdent d'une analyse que la Cour estime trop générale, en ce qu'elle ne prend pas suffisamment en compte des spécificités de chaque dossier, tenant notamment au nombre et à la nature des objections majeures ayant conduit à l'organisation d'une présentation orale.

146.La thèse d'AB Science reposant sur le postulat qu'elle disposait, le 7 avril 2017, d'un niveau non négligeable ou significatif de chances d'obtenir l'AMM concerné, repose donc sur un postulat général et insuffisamment établi.

147.En outre, si la perspective de la présentation orale devant le Comité, prévue à brève échéance (le 20 avril 2017), a nécessité un important travail de préparation et la mobilisation à cet effet de plusieurs équipes d'AB Science, il est raisonnable de penser, vu les enjeux qui étaient attachés à l'obtention de cette AMM, que, de toutes les façons, cet effort collectif aurait été engagé, en l'absence de retrait de la demande d'AMM. La circonstance alléguée par AB Science, selon laquelle la publication de l'information en cause dès le 7 avril 2017 aurait démobilisé en interne ses équipes, n'est pas de nature à caractériser une éventuelle détérioration de sa capacité à répondre utilement aux objections du Comité lors de la présentation orale, qui serait suffisante pour être susceptible d'empêcher, à elle seule, l'adoption d'un avis positif dudit Comité et l'octroi ultérieur de l'AMM par la Commission européenne. À cet égard, la situation litigieuse se distingue de celle visée au paragraphe 8, sous f), des orientations de l'ESMA, précitées, tout comme elle se distingue de celle de négociations purement commerciales, visée sous a).

148.C'est donc en vain qu'AB Science fait valoir qu'annoncer au marché, dès le 7 avril 2017, que le dossier était mal engagé serait revenu à s'interdire de facto de poursuivre la procédure devant les autorités de santé ou à condamner de facto le processus d'AMM au motif que cette annonce aurait été interprétée par le marché comme un échec dudit processus.

149.Au surplus, à supposer même que, pour les besoins de la présentation orale, AB Science ait eu un intérêt légitime à différer la publication de l'information en cause, afin de préserver, d'une manière générale, ses chances de convaincre le Comité du bien-fondé de sa demande d'AMM, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a procédé à aucune publication de la sorte une fois que la présentation orale a eu lieu, alors que cette séance a été suivie le jour même d'un vote de tendance négatif du Comité, adopté à l'unanimité, dont elle a été immédiatement informée. Force est de constater que l'argument tenant à la nécessité de préserver les chances de convaincre le Comité lors de la présentation orale du 20 avril 2017 ne saurait ainsi justifier un différé de la publication de l'information privilégiée au-delà de cette date.

150.Au demeurant, comme l'indique le règlement (CE) n° 726/2004, précité (considérant 13 en lien avec plusieurs articles, notamment, 6, 7, 8 et 12), « il convient, dans l'intérêt de la santé publique, que les décisions d'autorisation [AMM] prises dans le cadre de la procédure centralisée le soient sur la base des critères scientifiques objectifs de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité du médicament concerné, à l'exclusion de toute considération économique ou autre ». Il s'ensuit que les avis formulés au préalable par le Comité, sur toute demande d'AMM, doivent être adoptés sur la base des mêmes critères. La communication au marché, par l'émetteur, d'une information sur la forte probabilité d'un avis négatif du Comité sur sa demande d'AMM, comme la réception par le marché de la communication de cette information, n'a donc pas vocation ni à interférer dans le processus d'examen de ladite demande par le Comité, ni à préjuger du sens de son avis, qui demeure, par principe, indépendant de ladite communication financière et de la perception du marché.

151.En outre, comme l'a rappelé pertinemment la Commission des sanctions (décision attaquée, paragraphe 62), le caractère légitime des intérêts invoqués par l'émetteur pour bénéficier d'un différé de publication ne saurait être satisfait ni justifié par le seul impact négatif attendu de la communication d'une information privilégiée sur le cours du titre de l'émetteur concerné, qui suit généralement l'annonce d'une telle information lorsqu'elle rend publics des éléments défavorables.

152.Enfin, c'est également en vain qu'AB Science prétend que l'annonce, dès le 7 avril 2017, d'une forte probabilité d'avis négatif du Comité sur sa demande d'AMM aurait disséminé des craintes sur le masitinib, de manière irrémédiable, alors que, de son point de vue, ces craintes auraient pu être dissipées lors de la présentation orale du 20 avril 2017 et qu'elle aurait ainsi pu obtenir ladite AMM.

153.En effet, la formulation d'un avis positif par le Comité et la délivrance subséquente d'une AMM, sur la base de critères scientifiques objectifs de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité du médicament, sont précisément de nature à dissiper les craintes sur le produit, susceptibles d'être nées de cette annonce. Au surplus, au cas où ces craintes auraient subsisté malgré l'éventuelle issue favorable de la procédure d'AMM, cette circonstance, doublement hypothétique, ne saurait conférer aux intérêts d'AB Science la légitimité requise pour être en mesure de contrebalancer l'intérêt public de protection du marché et des investisseurs.

154.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est à juste titre que la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (paragraphe 63), a retenu qu'AB Science ne démontrait pas qu'elle avait un intérêt légitime à différer la publication de l'information privilégiée et en a déduit, faute de satisfaire à l'une des conditions cumulatives énoncées à l'article 17, paragraphe 4, du règlement MAR, que cette société avait manqué à son obligation de publier cette information « dès que possible » et ainsi méconnu les dispositions du paragraphe 1 dudit article.

155.Ce n'est donc qu'à titre surabondant que la Cour va examiner, en deuxième lieu, si, comme le soutient AB Science, le retard de publication de l'information privilégiée n'était pas susceptible d'induire le public en erreur, au sens de l'article 17, paragraphe 4, sous b), du règlement MAR.

156.À cet égard, il convient de rappeler que l'examen de cette condition exige de rechercher les informations dont disposait le public à la date à laquelle l'information en cause est devenue privilégiée, afin de déterminer, comme l'illustrent les orientations de l'ESMA précitées, si le report de la publication de ladite information était susceptible de l'induire en erreur, comme étant, notamment, contraire aux attentes du marché.

157.Or, en l'espèce à la date à laquelle l'information en cause a acquis un caractère privilégié, soit le 7 avril 2017, le public disposait de deux récents communiqués de presse diffusés par AB Science, les 20 et 29 mars 2017. Ces communiqués, dont la teneur était positive, portaient sur ses études cliniques relatives au masitinib en ce qui concerne, respectivement, la SLA et la sclérose en plaques. Il ressort du dossier que chacun de ces communiqués positifs ont eu un impact à la hausse sur le cours du titre AB Science, surtout cellui concernant la SLA, qui a donné lieu à une hausse importante de plus de 13 %, ce qui n'est pas contesté par AB Science.

158.Cette hausse importante s'inscrit dans le prolongement des nombreux communiqués de presse diffusés par AB Science sur ses études concernant la SLA et ses avancées pour valoriser celles-ci dans le cadre d'une procédure d'AMM, comme en atteste le tableau figurant dans les écritures de M. [M] faisant état de quatorze communiqués de presse entre le 4 avril 2016 et le 20 mars 2017. Ces communiqués, diffusés à intervalles réguliers, portaient, notamment, sur l'organisation et le compte-rendu d'une conférence web, sur plusieurs interventions lors de conférences nationales ou internationales, ainsi que sur des publications dans des revues scientifiques américaines en libre accès. Si ces communiqués de presse ne portaient pas précisément sur les potentialités du masitinib concernant la mastocytose, il n'en demeure pas moins qu'ils ne pouvaient que contribuer, d'une manière générale, à susciter la confiance des investisseurs dans le titre AB Science.

159.En outre, il importe de rappeler qu'à peine trois mois avant la date à laquelle l'information en cause concernant la mastocytose a acquis un caractère privilégié, la revue scientifique « The Lancet » a publié, le 6 janvier 2017, un article positif sur les résultats de la phase 3 de l'essai clinique réalisé par AB Science concernant la mastocytose. Cette publication a fait l'objet d'un communiqué de presse diffusé par AB Science.

160.L'article publié dans cette revue est détaillé, sur neuf pages, et se trouve en accès libre. Il comporte en première page, en caractères gras, à la fois un sommaire présentant brièvement ces résultats cliniques et leur interprétation par l'organe de presse, dans les termes suivants : « Les résultats de l'étude indiquent que le masitinib est un agent efficace et bien toléré pour le traitement de la mastocytose systémique indolente ou couvrante sévèrement symptomatique ». Cette publication a été présentée par M. [M], tant lors de son audition que dans ses écritures, comme un atout considérable, en raison du caractère prestigieux de cette revue. Dans le même sens, lors de son audition, M. [V] (le directeur financier d'AB Science) a déclaré que cette revue était très reconnue par la communauté scientifique et que la publication précitée, dans cette revue, était un « signe très fort ».

161.Il ressort du tableau des communiqués de presse figurant dans les écritures de M. [M] que cette publication s'inscrit dans le prolongement de trois précédents communiqués diffusés par AB Science. Le premier, en date du 2 mai 2016, annonce le dépôt d'un dossier d'enregistrement auprès de l'EMA. Le deuxième, diffusé quelques jours plus tard, à savoir le 30 mai 2016, indique qu'AB science présentera les résultats de l'étude de phase 3 de l'essai clinique concernant la mastocytose au 21ème congrès international de l'Association européenne d'hématologie. Le troisième, en date du 1er décembre 2016, annonce que ces résultats seront également présentés aux journées dermatologiques de Paris 2016, organisées par la Société française de dermatologie. La publication dans la revue « The Lancet », le 6 janvier 2017, et le communiqué y afférant, font ainsi écho à ces précédents communiqués, tout en conférant aux résultats présentés une résonnance particulière, compte tenu de la renommée de cette revue scientifique.

162.Dans ce contexte, marqué par une convergence des signaux positifs envoyés régulièrement par AB Science, de nature à susciter et conforter la confiance des investisseurs et des attentes du marché, l'absence de diffusion au public de l'information privilégiée, en ce qu'elle comprend des éléments défavorables, est susceptible d'avoir induit le public en erreur, et ce dès le 7 avril 2017 (date à laquelle l'information en cause est devenue privilégiée) jusqu'au 17 mai de la même année (date du communiqué de presse d'AB Science annonçant l'avis négatif du Comité sur sa demande d'AMM), soit pendant un mois et dix jours.

163.Cette analyse ne saurait être remise en cause par la circonstance, alléguée par AB Science, que les investisseurs risquaient probablement de surréagir à la publication de l'information en cause, en tenant pour acquis que l'avis du Comité serait conforme à la position des rapporteurs, alors que la position de ces derniers ne serait pas définitive et ne serait donc pas un indicateur fiable.

164.En effet, s'il convient de prendre en compte ce risque, il appartient néanmoins, au premier chef, à l'émetteur de l'intégrer pleinement, en adaptant sa communication financière en conséquence, afin d'éviter que les investisseurs ne se méprennent sur le sens et la portée de la publication de l'information en cause. Ce risque ne saurait être valablement invoqué par l'émetteur pour se soustraire à son obligation ' de principe ' de diffusion de ladite information dès que possible.

165.Il en va particulièrement ainsi pour un émetteur comme AB Science. En effet, comme l'a déclaré M. [M] (lors de sa première audition par les enquêteurs de l'AMF), cette société représente un « investissement à risque », de sorte qu' « il faut proposer quelque chose d'attractif aux gens pour les décider à investir ».

166.Cet investissement à risque implique, réciproquement, en toute cohérence, une vigilance particulière de sa part sur sa communication financière, afin d'éviter que le public ne soit induit en erreur par une convergence de signaux positifs, diffusés régulièrement, afin de rendre le titre attractif, mais ne reflétant pas fidèlement, de manière suffisante, la réalité de sa situation. En effet, en l'absence de diffusion dès que possible d'une information privilégiée comportant des éléments défavorables, les investisseurs ne sont pas en mesure de se déterminer dans leur choix d'investissements en toute connaissance de cause. Outre que ce comportement ne contribue pas à assurer la transparence du marché, il est susceptible, à terme, d'engendrer une perte de confiance des investisseurs dans le marché financier du secteur des biotechnologies.

167.Il résulte de ces développements qu'il n'est pas établi que la deuxième condition du différé de publication de l'information privilégiée, requise à l'article 17, paragraphe 4, sous b), du règlement MAR, était remplie. Cette analyse renforce, à titre surabondant, celle concernant la première condition du différé.

168.Ce n'est également qu'à titre surabondant que la Cour va examiner, en troisième et dernier lieu, si, comme le soutient AB Science, cette dernière était en mesure d'assurer la confidentialité de l'information privilégiée, comme l'exige l'article 17, paragraphe 4, sous c), du règlement MAR, en vue de prévenir les opérations d'initié, comme l'indique le considérant 49 du règlement MAR.

169.AB Science fait valoir, pièces à l'appui, que des mesures concrètes visant à assurer le contrôle de l'accès à l'information privilégiée étaient en place le 7 avril 2017. Elle explique qu'avant qu'elle ne soit diffusée en interne, pour préparer la présentation orale du 20 avril 2017, la position des rapporteurs du 7 avril 2017 a été cloisonnée et répartie entre les différents services, dans leurs domaines respectifs de compétences, de sorte qu'il n'était pas possible, pour chacun d'eux, d'apprécier les chances d'AB Science d'obtenir l'AMM, faute de vision globale. Elle indique qu'un nombre très limité de salariés a reçu l'intégralité de la position desdits rapporteurs, qu'ils étaient tous soumis à une obligation de confidentialité dans leur contrat de travail et ont reçu une formation en la matière, et qu'une obligation de confidentialité figurait également dans le règlement intérieur du conseil d'administration et de ses comités.

170.Aussi nécessaires ces mesures soient-elles pour assurer la confidentialité de l'information privilégiée, force est de constater que M. [W], co-président du comité scientifique d'AB Science et directeur de la stratégie clinique, a été sanctionné par la Commission des sanctions, par la décision attaquée, pour avoir transmis cette information privilégiée à un tiers (qui l'a ensuite utilisée), le 20 avril 2017, à la sortie de la séance de présentation orale devant le Comité, à laquelle il a participé. Dans ce contexte, il ne peut être considéré que les mesures mises en place par AB science pour assurer la confidentialité de ladite information, en vue de prévenir des opérations d'initiés, présentent un caractère suffisant.

171.Il s'ensuit qu'il n'est pas davantage établi que la troisième condition du différé de publication de l'information privilégiée, requise à l'article 17, paragraphe 4, sous c), du règlement MAR, était remplie.

172.Il résulte de l'ensemble de ces développements qu'à défaut de satisfaire à l'une ou l'autre des conditions requises à cet effet, AB Science n'était pas en droit de différer la publication de l'information privilégiée et, partant, a manqué à son obligation de la publier dès que possible, en méconnaissance des dispositions de l'article 17, paragraphe 1, du règlement MAR.

III. SUR LES SANCTIONS

173.Aux paragraphes 146 à 149 de la décision attaquée, après avoir relevé, tout d'abord, que la gravité du manquement commis par AB Science résulte de la durée pendant laquelle elle a ainsi privé les investisseurs de la connaissance de l'information privilégiée (un mois et dix jours) et de l'ancienneté de sa cotation sur le marché Euronext (depuis plus de dix ans), ensuite, qu'elle a réalisé un chiffre d'affaires de 1 583 000 euros au 31 décembre 2020 pour un défaut net négatif de 15 045 000 euros, enfin, qu'elle a déjà été sanctionnée le 28 juin 2016 pour un manquement identique, de sorte qu'elle ne pouvait ignorer qu'elle commettait un manquement et quelle était sa gravité, la Commission a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire d'un million d'euros.

174.AB Science conteste, à titre subsidiaire, cette sanction, au motif qu'elle serait excessive et gravement disproportionnée.

175.À l'appui de cette critique, elle fait valoir, en premier lieu, qu'elle n'a obtenu aucun gain ou avantage financier en différant la publication de l'information privilégiée, les deux augmentations de capital qu'elle a réalisées en mars 2017, à un prix considéré par la notification des griefs comme favorable du fait de la non-publication de l'information privilégiée, étant intervenues avant la date à laquelle la Commission des sanctions a retenu que l'information en cause avait acquis un caractère privilégié.

176.En deuxième lieu, elle observe que le montant de la sanction pécuniaire prononcée correspond à celui requis par l'organe de poursuite devant la Commission des sanctions et non contesté par l'AMF dans ses observations devant la Cour et en déduit l'existence d'une incohérence dans l'appréciation de la gravité du manquement reproché, dans la mesure où ce manquement aurait été bien plus grave si l'information en cause avait été retenue comme privilégiée dès le 7 mars 2017, avant la réalisation des deux augmentations de capital.

177.En troisième lieu, elle soutient que la gravité du manquement reproché doit être appréciée au regard d'un simple « défaut technique » dans l'appréciation de l'une des conditions du différé de publication d'une information privilégiée, sans aucune volonté de tromper le marché ou de profiter de la situation.

178.En quatrième lieu, elle fait valoir que son chiffre d'affaires est très faible au regard de ses charges et dépenses, que ses pertes avoisinaient les quinze millions d'euros au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2021 et que son niveau de trésorerie reste très fragile, comme ce serait le cas pour toute société de biotechnologie en phase de recherche et développement.

179.En cinquième lieu, elle estime qu'une sanction d'un million d'euros est particulièrement élevée au regard du niveau des sanctions prononcées habituellement pour ce type de manquement.

180.En sixième lieu, elle explique avoir tiré les conséquences de la décision de la Commission des sanctions du 28 juin 2016, en mettant en place une procédure interne permettant d'identifier l'existence d'une information privilégiée (consultation du comité scientifique en cas d'augmentation du capital au cours d'une procédure réglementaire auprès des autorités de santé) et en fixant une « période rouge » à compter du dernier échange de questions-réponses avec les rapporteurs du Comité, plus conservatrice que celle résultant de cette précédente décision, ce qui aurait été strictement suivi en l'espèce. Elle relève, en outre, que la pratique de la place, européenne et internationale, était et reste toujours de ne pas communiquer tant que la décision finale des autorités de santé n'est pas notifiée. Elle avance, au surplus, que, par la décision attaquée, la Commission est revenue sur sa propre jurisprudence résultant de la précédente décision précitée.

181.En septième et dernier lieu, elle considère avoir été exemplaire au cours de l'enquête et de la procédure devant la Commission des sanctions et qu'il convient de tenir compte de son degré de coopération avec l'AMF.

182.Au terme de ces développements, elle demande que la sanction prononcée à son encontre soit très sérieusement réduite.

183.Le président de l'AMF ne sollicite pas la réformation du montant de la sanction prononcée contre AB Science.

184.Dans ses observations, l'AMF rappelle que cette société encourrait une sanction dont le plafond légal était de cent millions d'euros et estime que la Commission des sanctions, par une décision parfaitement motivée, a fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce, en prononçant une sanction proportionnée, tant au regard de la gravité des manquements commis que de ses capacités financières, et n'excédant pas le plafond légal. Elle précise qu'il est indifférent que la Commission des sanctions ait prononcé une sanction semblable à celle qui avait été proposée par le représentant du collège, tout en estimant le retard de publication de moindre durée.

185.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour :

186.L'article L.621-15, II, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 11 décembre 2016 au 2 janvier 2018, applicable à la date des faits et non modifié sur ce point dans un sens moins sévère, énonce :

« La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :

(')

c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger :

1° S'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou à une manipulation de marché, au sens des articles 8 ou 12 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/ CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/ CE, 2003/125/ CE et 2004/72/ CE de la Commission ;

2° A recommandé à une autre personne d'effectuer une opération d'initié, au sens de l'article 8 du même règlement, ou a incité une autre personne à effectuer une telle opération ;

3° S'est livrée à une divulgation illicite d'informations privilégiées, au sens de l'article 10 dudit règlement ;

4° Ou s'est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent :

' un instrument financier ou une unité mentionnée à l'article L. 229-7 du code de l'environnement, négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation situés sur le territoire français ou pour lesquels une demande d'admission à la négociation sur de tels marchés a été présentée ; (') » (souligné par la Cour).

187.L'article L.621-14, II, premier alinéa, du même code, dans sa rédaction en vigueur du 11 décembre au 1er janvier 2020, applicable à la date des faits et non modifié sur ce point dans un sens moins sévère, auquel les dispositions précitées renvoient, mentionne « les manquements aux obligations résultant des règlements européens, des dispositions législatives ou réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de marché et la divulgation illicite d'informations privilégiées mentionnées aux c et d du II de l'article L. 621-15, ou à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés (') » (souligné par la Cour).

188.L'article L. 621-15, III, du même code, dans sa rédaction en vigueur du 11 décembre 2016 au 2 janvier 2018, applicable à la date des faits et non modifié sur ce point dans un sens moins sévère, précise :

« Les sanctions applicables sont :

(')

c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à h du II du présent article, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant de l'avantage retiré du manquement si celui-ci peut être déterminé ('). » (souligné par la Cour).

189.Le même article, sous III ter, dans ladite rédaction, précise les critères à prendre en compte pour déterminer le montant de la sanction, selon les termes suivants :

« Dans la mise en 'uvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment :

' de la gravité et de la durée du manquement ;

' de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ;

' de la situation et de la capacité financières de la personne en cause au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ;

' de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;

' des pertes subies par les tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;

' du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ;

' des manquements commis précédemment par la personne en cause ;

' de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter la réitération du manquement ».

190.La loi encadre ainsi la mise en 'uvre des sanctions, en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.

191.En l'espèce, il convient d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre d'AB Science est concrètement proportionné eu égard aux critères précités.

192.À cet égard, c'est à juste titre, en premier lieu, que la Commission s'est fondée, pour apprécier la gravité du manquement retenu à l'encontre d'AB Science, sur la durée pendant laquelle celle-ci avait, par là-même, privé les investisseurs de la connaissance de l'information privilégiée (un mois et dix jours) et de l'ancienneté de sa cotation sur le marché Euronext (depuis plus de dix ans).

193.C'est également à juste titre, en deuxième lieu, qu'elle a tenu compte de ce qu'AB Science avait déjà été sanctionnée par elle, pour un manquement identique, par une décision du 28 juin 2016. En effet, par cette décision relativement récente, il a été retenu qu'AB Science avait manqué à son obligation de publier, dès que possible, l'information privilégiée portant sur la forte probabilité que le Comité émette un avis négatif sur sa demande d'AMM concernant le masitinib dans le traitement du GIST. Il ressort de cette décision qu'AB Science avait également attendu que le Comité rende son avis pour communiquer au public, alors que l'information en cause a été considérée comme étant privilégiée trente jours plus tôt, à la date de la présentation orale devant le Comité. La Commission des sanctions a retenu qu'elle avait ainsi manqué à son obligation de la publier dès que possible, en tout état de cause avant de procéder au titrage d'un programme d'augmentation de capital par exercice d'options (PACEO). Si les circonstances des deux espèces ne sont pas totalement identiques, mais néanmoins fort semblables, cette précédente décision de sanction établit la propension de cette société à s'affranchir de la réglementation boursière applicable.

194.Ce constat ne saurait être remis en cause par la circonstance que le conseil d'administration d'AB Science a décidé, le 20 février 2017, de tirer les conséquences de cette précédente sanction en mettant en place des procédures internes destinées à mieux identifier la survenance d'une information privilégiée au cours d'une procédure d'examen d'une demande d'AMM, lorsqu'une augmentation de capital est envisagée, afin d'éviter que l'opération ne se réalise pendant une période critique. Si la mise en 'uvre de ces procédures a effectivement permis à AB Science d'identifier que l'information en cause avait acquis un caractère privilégié le 7 avril 2017, et d'éviter de procéder à la moindre augmentation de capital aussi longtemps que cette information est demeurée privilégiée, il n'en demeure pas moins qu'elle en a différé la publication pendant un mois et dix jours, en attendant de nouveau que le Comité rende son avis, alors qu'elle avait été avertie par la précédente décision de sanction de l'importance d'une publication dès que possible. AB Science n'en a donc pas pleinement tiré les conséquences, pour éviter la réitération du manquement, et ne pouvait ignorer qu'elle le commettait de nouveau, à tout le moins à l'issue de la présentation orale.

195.C'est tout aussi à juste titre, en troisième lieu, que la Commission s'est fondée sur le chiffre d'affaires d'AB Science au 31 décembre 2020 (de 1 583 000 euros pour un résultat net négatif de 15 045 000 euros), qu'il convient néanmoins d'actualiser au vu de ses comptes sociaux au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2021 (de 1 609 974 euros pour un résultat net négatif de plus de 12 millions d'euros), qu'elle a produit devant la Cour.

196.Par ailleurs, il importe de préciser qu'AB Science ne peut utilement se prévaloir du montant des sanctions prononcées dans le cadre d'autres affaires, en procédant à des comparaisons, pour soutenir que les sanctions en cause sont disproportionnées, dès lors que le montant des sanctions est défini au cas par cas, selon les circonstances et situations propres à chaque affaire, en suivant la méthode d'individualisation retenue par l'article L.621-15, sous III ter, précité, du code monétaire et financier.

197.Le fait qu'AB Science a « pleinement coopéré » avec l'AMF tout au long de la procédure n'est pas non plus un facteur susceptible d'influer, à la baisse, le montant de la sanction infligée, un tel comportement n'allant pas au-delà de ce qui est normalement attendu d'une personne mise en cause.

198.En revanche, la Cour considère qu'il y a lieu de tenir compte, comme le soutient AB Science, du fait que le manquement en cause n'a pas été commis concomitamment à la réalisation d'augmentations de capital. Cette circonstance, qui se distingue de la situation ayant donné lieu à la précédente décision de sanction (d'un montant de 200 000 euros), relativise, dans une certaine mesure, la gravité du manquement retenu en l'espèce.

199.En outre, il ne ressort pas du dossier l'existence ni de gains ou d'avantages obtenus par AB Science ou évités par celle-ci, dont l'importance aurait été déterminée, ni de pertes subies par des tiers, du fait du manquement, dont l'importance aurait également été déterminée.

200.Il convient enfin de tenir compte, comme le suggère AB Science, du caractère inédit de la sanction d'une société de biotechnologie pour n'avoir pas publié ' dès la réception du dernier rapport d'évaluation des rapporteurs, avant la présentation orale de sa demande d'AMM devant le Comité ' l'information relative à la forte probabilité que celui-ci émette un avis négatif sur ladite demande.

201.Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la Cour estime qu'il y a lieu de réformer la décision attaquée sur ce point et de fixer le montant de la sanction prononcée à l'encontre d'AB Science à 800 000 euros.

IV. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

202.En équité, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

203.Il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

REJETTE le recours formé par le président de l'AMF à l'encontre de la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n° 2 du 24 mars 2022 ;

RÉFORME ladite décision, mais seulement en ce qu'elle a prononcé à l'encontre de la société AB Science une sanction pécuniaire d'un million d'euros ;

Statuant à nouveau, prononce à l'encontre de cette société une sanction pécuniaire de 800 000 euros ;

DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

LE GREFFIER,

Valentin HALLOT

LA PRÉSIDENTE,

Isabelle FENAYROU


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 22/09062
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.09062 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award