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02/05/2024 | FRANCE | N°22/08216

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 02 mai 2024, 22/08216


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 02 MAI 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08216 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFWVL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mars 2022 - tribunal de commerce de Créteil - 3ème chambre - RG n° 2020F00532





APPELANTE



Madame [E] [Y] épouse [N]

née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 4] (

Venezuela)

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Laurent Bachelot de la SELARL ASEVEN, avocat au barreau de Paris, toque : P0196, avocat plaidant





INTIMÉE



S.A. LA BRED BANQUE ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08216 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFWVL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mars 2022 - tribunal de commerce de Créteil - 3ème chambre - RG n° 2020F00532

APPELANTE

Madame [E] [Y] épouse [N]

née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 4] (Venezuela)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Laurent Bachelot de la SELARL ASEVEN, avocat au barreau de Paris, toque : P0196, avocat plaidant

INTIMÉE

S.A. LA BRED BANQUE POPULAIRE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N°SIRET : 552.091.795

agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Marie-Catherine Vignes de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : L0010

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric De La Selle de la SELARL TAVIEAUX MORO-DE LA SELLE Société d'Avocats, avocat au barreau de Paris, toque : J130, subsitué à l'audience par Me Samira Mehamdia Treber, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc Bailly, président de la chambre

M. Vincent Braud, président

Madame Pascale Sappey-Guesdon, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Pascale Sappey-Guesdon dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie Thomas

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc Bailly, président de chambre, et par Mélanie Thomas, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 22 avril 2022, Mme [E] [Y], épouse [N] (nom d'usage) a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Créteil rendu le 22 mars 2022 dans l'instance l'opposant à la société BRED Banque Populaire, et dont le dispositif est ainsi rédigé :

'Condamne Mme [E] [Y] épouse [N] à payer à la BRED BANQUE POPULAIRE les sommes de :

- 70 648,40 euros en principal, de laquelle somme devra être déduit l'ensemble des intérêts échus et débités jusqu'au 7 février 2020, avec intérêts au taux contractuel de 6,81 % l'an à compter du 8 juillet 2020 ; dit que le calcul sera effectué par la banque, la caution étant présente ou dûment appelée, et qu'en cas de difficultés, il sera fait appel à un huissier aux frais de la banque,

- 60 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2020 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 29 juillet 2020 pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière ;

Déboute Mme [E] [Y] épouse [N] de sa demande relative au devoir de mise en garde ;

Se déclare incompétent pour statuer sur la demande de mainlevée d'hypothèque de Mme [E] [Y] épouse [N] et l'invite à mieux se pourvoir sur ce point ;

Déboute Mme [E] [Y] épouse [N] de sa demande de délai de paiement ;

Condamne Mme [E] [Y] épouse [N] à payer à la BRED BANQUE POPULAIRE la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700, déboute la BRED BANQUE POPULAIRE du surplus de sa demande de ce chef et déboute Mme [E] [Y] épouse [N] de sa demande formée de ce chef ;

Dit que l'exécution provisoire de la présente décision est suspendue pendant la durée du plan de sauvegarde de la société CKL Auto, tant qu'il est respecté, ou jusqu'à sa résolution ;

Condamne Mme [E] [Y] épouse [N] aux dépens (...).'

***

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 23 janvier 2024 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 21 juillet 2022, qui constituent ses seules écritures, l'appelante

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les articles L. 341-4 ancien (L. 332-1 nouveau) du Code de la Consommation, vu l'article 1147 ancien (1231-1 nouveau) du Code civil, vu l'article L. 313-22 du Code Monétaire et Financier, vu les articles L. 622-28 et L. 626-11 du Code de Commerce, vu l'article L. 1343-5 du Code Civil, vu le jugement du Tribunal de Commerce de CRETEIL du 22 mars 2022,

A titre principal

1°/ - Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Madame [N] au paiement

des sommes en principal de 70.648,40 € et 60.000 € au profit de la BRED BANQUE POPULAIRE ainsi que de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ordonné la capitalisation des intérêts et débouté Mme [N] de ses demandes, statuant à nouveau sur ces points,

2°/ - Constater le caractère disproportionné aux biens et revenus de la caution des actes conclus les 8 avril 2013, 2 septembre 2013 et 4 juin 2015 par Madame [N], dire et juger en conséquence à titre principal sur ce point que la BRED BANQUE POPULAIRE est dans l'impossibilité de se prévaloir de ces actes et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

3°/ - Constater à titre subsidiaire l'absence de respect par la BRED BANQUE POPULAIRE de son devoir de mise en garde de la caution au titre des engagements qu'elle a successivement conclus les 8 avril 2013, 2 septembre 2013 et 4 juin 2015, et condamner alors l'établissement bancaire au paiement pour perte de chance de dommages et intérêts au profit de Madame [N] évalués à hauteur de 95 % de toutes sommes auxquelles celle-ci serait par impossible condamnée à devoir payer en qualité de caution solidaire au profit de la BRED BANQUE POPULAIRE aux termes de l'arrêt à intervenir,

4°/ - Constater qu'il existe des présomptions permettant de douter de l'envoi des lettres d'information annuelle de la caution adressée sous forme simple de 2014 à 2019 à Madame [N] en sa qualité de caution mais que celle-ci n'a jamais reçues, avec pour conséquence que la BRED BANQUE POPULAIRE sera déclarée déchue du droit de réclamer à la caution le paiement de tous les intérêts échus des prêts ou concours consentis à la Société CKL AUTO,

En conséquence

5°/ - Débouter la BRED BANQUE POPULAIRE de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de Madame [N],

A titre infiniment subsidiaire

6°/ - Dire et juger que la BRED BANQUE POPULAIRE ne serait pas en droit de mettre en 'uvre l'exécution forcée de tout arrêt qui serait rendu à l'encontre de Madame [N] en qualité de caution de la Société CKL AUTO, tant que le plan de sauvegarde conclu par cette dernière le 12 janvier 2022 est respecté,

7°/ - Accorder à Madame [N] un différé de paiement de deux années dans l'hypothèse où ce plan viendrait à être résolu avant son terme, ou lui accorder les plus amples délais de paiement,

En toute hypothèse

8°/ - Condamner la BRED BANQUE POPULAIRE au paiement d'une somme de 6.000 € au profit de Madame [N] sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

9°/ - Condamner la BRED BANQUE POPULAIRE aux entiers dépens, lesquels seront

recouvrés par Me BACHELOT, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.'

Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 17 octobre 2022 qui constituent ses seules écritures, l'intimé

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Statuant sur l'appel interjeté par Madame [E] [Y] épouse [N] à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de Commerce de CRETEIL le 22 mars 2022,

Vu les articles 1103, 1104 et 1193 du Code civil,

Vu les articles 2288 et suivants du Code civil,

Vu l'article L. 622-28 du Code de commerce,

Vu l'article L. 626-11 du Code de commerce,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

Il est demandé à la Cour de céans de :

' CONFIRMER partiellement le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de CRETEIL le 22 mars 2022 en ce qu'il :

- A condamné Madame [E] [Y] épouse [N] à payer à la BRED Banque Populaire les sommes de :

- 70.648,40 € en principal, avec intérêts au taux contractuel de 6,81% l'an à compter du 8 juillet 2020, au titre du prêt équipement professionnel n°6293366 de 120.000 € et en vertu du cautionnement consenti le 04 juin 2015,

- 60.000,00 € avec intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2020, au titre du solde débiteur enregistré sur le compte n°614.04.8672 et en vertu du cautionnement consenti le 02 septembre 2013,

- A ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 29 juillet 2020

- A débouté Madame [E] [Y] épouse [N] de sa demande relative au devoir de mise en garde

- S'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de mainlevée d'hypothèque de Madame [E] [Y] épouse [N]

- A débouté Madame [E] [Y] épouse [N] de sa demande de délai de paiement

- A condamné Madame [E] [Y] épouse [N] à payer à la BRED Banque Populaire la somme 2.000,00 € au titre de l'article 700 du CPC

- A dit que l'exécution provisoire de la décision est suspendue pendant la durée du plan de sauvegarde de la société CKL AUTO, tant qu'il est respecté, ou jusqu'à sa résolution

- A condamné Madame [E] [Y] épouse [N] aux dépens

' L'INFIRMER uniquement en ce qu'il en ce qu'il a jugé que la BRED Banque Populaire ne justifie pas avoir satisfait entre 2014 et 2019 à l'obligation d'information annuelle due aux cautions et en ce qu'il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels entre 2014 et 2019 au titre du prêt équipement professionnel n°6293366 de 120.000 € ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNER Madame [E] [Y] épouse [N], en sa qualité de caution personnelle et solidaire de la société CKL AUTO, aux sommes suivantes :

- 70.648,40 €, arrêté au 08/07/2020, outre les intérêts postérieurs au taux contractuel de 6,81 % jusqu'à parfait paiement, au titre du prêt équipement professionnel n°6293366 de 120.000 € et en vertu du cautionnement consenti le 04 juin 2015 ;

- 60.000,00 €, arrêté au 08/07/2020, outre les intérêts postérieurs au taux légal jusqu'à parfait paiement, au titre du solde débiteur enregistré sur le compte n°614.04.8672 et en vertu du cautionnement consenti le 02 septembre 2013.

ORDONNER la capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil ;

En toutes hypothèses,

DEBOUTER Madame [E] [Y] épouse [N] de son appel et de toutes ses moyens, demandes et prétentions ;

CONDAMNER Madame [E] [Y] épouse [N] à payer à la BRED Banque Populaire la somme de 2.500 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Madame [E] [Y] épouse [N] en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Marie-Catherine VIGNES conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la disproportion

En droit (selon les dispositions de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation) un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée ne lui permette de faire face à son obligation.

Au dispositif de ses conclusion d'appel susvisées Mme [N] demande à la cour de '2°/ - Constater le caractère disproportionné aux biens et revenus de la caution des actes conclus les 8 avril 2013, 2 septembre 2013 et 4 juin 2015 par Madame [N], dire et juger en conséquence à titre principal sur ce point que la BRED BANQUE POPULAIRE est dans l'impossibilité de se prévaloir de ces actes et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions'. Ce faisant, elle invoque la disproportion de ses engagements de caution eu égard à ses revenus, non seulement s'agissant des deux cautionnements au titre desquels elle a été condamnée, qui sont en date du 2 septembre 2013 et du 4 juin 2015, décision dont elle demande l'infirmation, mais également en ce qui concerne un cautionnement antérieur, dont la banque en réalité n'entend pas se prévaloir. Ceci étant, si la banque ne réclame présentement aucune somme au titre du cautionnement du 8 avril 2013, la créance au titre du prêt de 145 000 euros ayant été soldée en cours de procédure, ce cautionnement du 8 avril 2013 entrera néanmoins en ligne de compte pour l'appréciation de la proportionnalité des deux cautionnements suivants, du 2 septembre 2013 et du 4 juin 2015, comme l'a exactement jugé le tribunal.

De principe, la proportionnalité d'un engagement de caution doit s'apprécier au jour de sa signature, soit en l'espèce :

1) Tout d'abord, au 2 septembre 2013, date à laquelle Mme [N] s'est engagée en qualité de caution solidaire de la société CKL Auto, en garantie de toutes sommes dues par cette dernière à la banque BRED Banque Populaire notamment au titre du solde du compte

courant ; ce cautionnement a été donné dans la limite de la somme de 60 000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 120 mois ;

2) Puis, considération prise du montant de ses précédents engagements, au 4 juin 2015, date à laquelle Mme [N] s'est encore engagée en qualité de caution solidaire de la société CKL Auto, en garantie des sommes dues au titre d'un prêt d'équipement professionnel d'un montant de 120 000 euros ; ce cautionnement a été donné dans la limite de la somme de 144 000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 108 mois.

La charge de la preuve de la disproportion alléguée et de son caractère manifeste incombe alors à la caution, et non pas à la banque. À ces fins probatoires Mme [N] verse au débat, outre ses avis d'impôt sur les revenus des années 2013 et 2015, les pièces 6 à 12 constituées des actes notariés d'acquisition de trois biens immobiliers et les tableaux d'amortissement des prêts afférents, ainsi que la copie de son livret de famille, et un certificat de coutume relatif à son régime matrimonial.

1- Sur le cautionnement du 2 septembre 2013

À toutes fins la banque produit, en pièce 34, un document intitulé : 'RENSEIGNEMENTS FOURNIS A TITRE CONFIDENTIEL' paraphé en toutes ses pages et in fine signé par Mme [N], édité le 4 avril 2013 et signé le 8 avril 2013, contemporainement au cautionnement dont Mme [N] soutient encore à l'appui de l'ensemble de ses allégations, qu'il était disproportionné à ses revenus patrimoine et au regard de ses charges (mais dont la banque ne se prévaut pas). Il ressort de ce document que Mme [N] déclarait alors :

- qu'elle est propriétaire, depuis le 1er janvier 2005, avec son mari séparé de biens, de sa résidence principale ; que la famille est composée de 6 personnes ;

- qu'elle est femme au foyer, et que son mari exerce la profession de chef d'entreprise ;

- que ses revenus professionnels sont nuls, et que ceux de son mari s'élèvent à 68 600 euros par an ;

- que les allocations familiales sont d'un montant annuel de 4 800 euros ;

- que sont perçus des revenus immobiliers, charges déduites, de 3 232 euros ;

- que les seules charges sont constituées de pensions alimentaires pour un montant de 3 000 euros ;

- qu'elle possède un patrimoine mobilier sous forme d'épargne monétaire de 15 300 euros ;

- qu'elle n'est tenue par aucun emprunt à titre personnel ni engagement de caution.

Plus utilement, la banque produit, en pièce 35, un document intitulé 'RENSEIGNEMENTS FOURNIS A TITRE CONFIDENTIEL' paraphé en toutes ses pages et in fine signé par Mme [N], édité le 19 août 2013 et signé le 2 septembre 2013, date du cautionnement querellé. Il ressort de ce document que Mme [N] déclare :

- qu'elle est propriétaire, depuis le 1er janvier 2005, avec son mari séparé de biens, de sa résidence principale ; que la famille est composée de 6 personnes ;

- qu'elle est femme au foyer, et que son mari exerce la profession de chef d'entreprise ;

- que ses revenus professionnels sont nuls, et que ceux de son mari s'élèvent à 68 600 euros par an ;

- que les allocations familiales sont d'un montant annuel de 4 800 euros ;

- que sont perçus des revenus immobiliers, charges déduites, de 3 232 euros ;

- que les seules charges sont constituées de pensions alimentaires pour un montant de 3 000 euros ;

- qu'elle possède un patrimoine mobilier sous forme d'épargne monétaire de 300 euros, et d'une assurance-vie (BRED) de 198 414,75 euros ;

- qu'elle n'est tenue par aucun emprunt à titre personnel ni engagement de caution.

Il est de principe que la banque est en droit de se fier aux éléments ainsi recueillis sans être tenue de faire de vérifications complémentaires dès lors que la fiche de renseignements patrimoniale ne révèle en soi aucune anomalie ou incohérence, et en ce cas la caution n'est pas habile à se prévaloir de revenus ou de charges qui seraient d'une autre réalité.

La fiche patrimoniale ne comporte pas la mention du cautionnement antérieur, du 8 avril 2013, qui pourtant doit être considéré dans l'appréciation de la proportionnalité de celui du 2 septembre 2013, pour avoir été connu de la banque puisque c'est elle-même qui en était bénéficiaire, et qu'il ne saurait être fait grief à Mme [N] de ne pas l'avoir mentionné. Il doit être rappelé que le 8 avril 2013 Mme [N] s'était engagée en qualité de caution solidaire de la société CKL Auto, en garantie d'un prêt professionnel d'un montant de 145 000 euros destiné au financement partiel de l'acquisition d'un fonds de commerce et de travaux dans le local professionnel ; ce cautionnement avait été donné dans la limite de la somme de 36 250 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 108 mois.

En revanche, il n'y a pas lieu de retenir comme éléments de passif les autres engagements de caution dont Mme [N] n'a pas cru utile de signaler l'existence.

Il doit être appelé que lorsque l'intéressé s'en prévaut, la disproportion éventuelle de l'engagement de la caution mariée sous le régime de la séparation des biens s'apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels, et que le juge ne peut déduire que l'engagement de caution est proportionné à ses biens et revenus du fait que son conjoint séparé de biens était en mesure de contribuer de manière substantielle aux charges de la vie courante. Pour autant, au vu des renseignements contenus dans la fiche patrimoniale et autres éléments connus de la banque, Mme [N] disposait, à titre personnel, quand bien même son endettement global était alors porté à 96 500 euros (pour tenir compte du cautionnement pris le 8 avril 2013) d'un patrimoine essentiellement constitué d'une épargne (assurance-vie) de 198 414,75 euros, qui suffisait donc, à elle seule, à lui permettre de faire face à ce nouvel engagement de caution de 60 000 euros.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce que le tribunal est entré en voie de condamnation à l'encontre de Mme [N] au titre du cautionnement signé le 2 septembre 2013 au profit de la banque BRED Banque Populaire.

2- Sur le cautionnement du 4 juin 2015

La banque produit, en pièce 36, un document intitulé 'RENSEIGNEMENTS FOURNIS A TITRE CONFIDENTIEL', paraphé en toutes ses pages et in fine signé par Mme [N], édité le 11 mai 2015 et signé le 19 mai 2015, contemporain du cautionnement querellé.

Il en ressort que Mme [N] déclare :

- qu'elle est propriétaire, depuis le 1er janvier 2005, avec son mari séparé de biens, de sa résidence principale ; que 6 personnes vivent au foyer ;

- qu'elle est, comme son mari, chef d'entreprise, et en ce qui la concerne, de la société CKL Auto, ce depuis le 1er mai 2013, mais qu'il n'ait été conclu de contrat de travail ;

- que ses revenus professionnels sont nuls, et ceux de son mari, de 28 600 euros,

- que les allocations familiales sont d'un montant de 6 300 euros,

- que les revenus immobiliers, charges déduites, s'élèvent à 18 500 euros,

- que le patrimoine immobilier est constitué de la propriété d'un immeuble donné en location et d'une maison de ville, d'une valeur de 500 000 euros, détenu via une SCI dont Mme [N] détient 50 parts sur 100, libre de toute garantie,

- que les charges sont constituées de pensions alimentaires pour un montant de 3 000 euros ;

- qu'elle possède un patrimoine mobilier sous forme d'épargne monétaire BRED de 357,42  euros, d'une assurance-vie BRED de 117 837,07 euros, et d'instruments financiers BRED pour 21 980,78 euros,

- qu'elle n'est tenue par aucun emprunt à titre personnel ni engagement de caution.

Il s'en évince que la fiche patrimoniale ne comporte pas la mention des cautionnements antérieurs, du 8 avril 2013, et du 2 septembre 2013, qui pourtant, de principe, comme précédemment indiqué, doivent être considérés quant à l'appréciation de la proportionnalité de celui du 4 juin 2015.

Ainsi il convient de retenir qu'avec ce nouvel engagement, l'endettement de Mme [N] au seul titre de ses cautionnements s'élevait à 240 500 euros (36 500 + 60 000 + 144 000).

Le tribunal a estimé qu'il n'existe pas de disproportion manifeste de cet engagement de caution du 4 juin 2015 eu égard au patrimoine et revenus de Mme [N], même à considérer l'endettement lié aux précédents cautionnements souscrits par Mme [N], de 36 250 euros et de 60 000 euros.

Au vu de cette fiche patrimoniale, qui en soit n'est affectée d'aucune anomalie, le jugement déféré mérite confirmation.

En effet, le patrimoine immobilier tel qu'il a été déclaré par Mme [N] n'est affecté d'aucun emprunt encours, en sorte qu'il convient de retenir que Mme [N] qui détient la moitié des parts de la SCI Phénix, a des droits sur ce bien à hauteur de 250 000 euros. Cette valeur s'ajoutant au patrimoine mobilier qui s'élève à un montant global de 140 175,27 euros (épargne monétaire de 357,42 euros, assurance-vie de 117 837,07 euros, instruments financiers pour 21 980,78 euros) et au patrimoine immobilier non valorisé constitué de la moité de la valeur de la résidence principale des époux [N], il en ressort que Mme [N] ne rapporte pas la preuve de la disproportion de ce dernier engagement de caution, et de son caractère manifeste.

Sur le défaut d'information annuelle à caution

L'article L. 313-22 du code monétaire et financier dispose que :'Les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.'

Si aucune forme n'est exigée de la banque pour l'envoi de ces informations, il lui incombe toutefois de prouver qu'elle a satisfait à son obligation.

Mme [N] soutient n'avoir jamais reçu de lettre d'information annuelle.

La banque produit l'ensemble des copies des lettres qu'elle dit avoir adressées à la caution à ces fins informatives et considère avoir satisfait à son obligation.

La banque verse au débat, au titre du cautionnement du 2 septembre 2013, les lettres datées des 20 mars 2014, 25 mars 2015, 17 mars 2016, 16 mars 2017, 15 mars 2018, 25 mars 2019 et 7 février 2020, et il doit être souligné que seule la dernière a fait l'objet d'un envoi recommandé avec accusé de réception ; au titre du cautionnement du 4 juin 2015, les lettres datées des 17 mars 2016, 16 mars 2017, 15 mars 2018, 25 mars 2019 et 7 février 2020, seule la dernière ayant fait l'objet d'un envoi recommandé avec accusé de réception.

Le tribunal à bon droit a retenu que selon la dernière jurisprudence de la Cour de cassation la production de la copie d'une lettre annuelle d'information à la caution est insuffisante à justifier de son envoi ; que la banque ne justifie donc pas avoir satisfait entre 2014 et 2019 à la formalité prévue à l'article L. 333-2 du code de la consommation ; que le défaut d'accomplissement de cette formalité emporte alors la déchéance des intéréts échus et débités en compte depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information, soit en l'espèce, le 7 février 2020.

Il sera précisé que cette déchéance atteint tant la créance au titre du prêt que celle au titre du compte courant. Toutefois le cautionnement de Mme [N] du 2 septembre 2013 étant limité à la somme de 60 000 euros, et la créance comportant intérêts étant nettement supérieure, puisque d'un montant déclaré de 96 669,66 euros lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde du débiteur principal, le montant en principal de la dette diminuée des intérêts de retard et pénalités ne peut qu'excéder manifestement de manière notable le montant de 60 000 euros qui est la limite supérieure de l'engagement de Mme [N], laquelle ne peut être condamnée qu'à concurrence de cette somme.

Il convient d'ajouter que la dernière lettre dont la banque justifie de l'envoi étant celle du 7 février 2020, alors que l'obligation d'information annuelle pèse sur l'établissement bancaire jusqu'à l'extinction de la dette, il y a lieu, en sus, de prononcer la déchéance du droit de la banque dans les conditions de l'article précité, à partir du 1er avril 2021.

Le jugement déféré est en outre confirmé sur les modalités de détermination du montant des intérêts qu'il y a lieu de déduire, en ce qu'il a dit que le calcul sera effectué par la banque, la caution étant présente ou dûment appelée, et qu'en cas de difficultés, il sera fait appel à un huissier aux frais de la banque.

Sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde

Il est de principe que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie, lorsqu'au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du concours garanti, lequel résulte de l'inadéquation de ce concours aux capacités financières de l'emprunteur.

En substance, Mme [N] reproche à la BRED Banque Populaire de ne l'avoir jamais mise en garde, alors qu'elle est caution non avertie du 'risque lié au fait que le montant des engagements de cautionnement solidaire qu'elle a dû successivement consentir n'était pas adapté à ses capacités financières' puisqu' 'aux 8 avril 2023, 2 septembre 2013, ou 4 juin 2015, Mme [N] mariée sous le régime de la séparation des biens et mère de quatre enfants mineurs, ne disposait d'aucun revenu professionnel et ne percevait que des revenus fonciers annuels d'environ 12 869 € puis 16 311 € avant impôts soit pour la part lui revenant en propre les sommes de 6 435 € et 8 155 € annuels'. Elle ajoute qu'elle a pu légitimement croire, la banque ne l'ayant pas non plus mise en garde sur ce point, que le risque lié à son engagement du 2 septembre 2013 était minime dès lors que l'obligation garantie était plafonnée à 50 000 euros et qu'elle était de surcroît conjointement couverte par un nantissement de contrat d'assurance-vie à hauteur de cette même somme, que la banque a d'ailleurs mis en oeuvre.

Comme vu précédemment, Mme [N] ne fait pas la démonstration d'une disproportion manifeste des engagements de caution à présent mis en oeuvre par la banque.

Par ailleurs, l'acte de cautionnement du 2 septembre 2013 signé par Mme [N] stipule que le ledit cautionnement s'ajoute aux autres garanties prises par la banque et a pour objet la garantie de toutes sommes qui seraient dues à cette dernière par la société cautionnée, dont le solde débiteur de compte courant, et non pas seulement comme le laisse entendre Mme [N] le seul crédit de caisse de 50 000 euros à l'occasion duquel son cautionnement a été recueilli.

Enfin, il sera fait observer que Mme [N] ne fait aucun reproche à la banque sur l'octroi des prêt et concours qu'elle a garanti et au titre desquels son cautionnement est présentement mis en oeuvre.

N'étant pas établi que les concours accordés à la société CKL Auto n'étaient pas adaptés aux capacités financières de la caution ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi des prêts garantis qui résulterait de l'inadéquation des prêts aux capacités financières de l'emprunteur, il n'y a pas lieu d'examiner si Mme [N] avait ou non la qualité de caution avertie.

Le jugement déféré est confirmé en ce que le tribunal n'a retenu aucun manquement de la banque au titre du devoir de mise en garde.

Sur l'exécution et les délais de paiement

1- La société cautionnée a bénéficié de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, le 8 juillet 2020, à l'issue de laquelle un plan a été arrêté, selon jugement du 12 janvier 2022.

Aussi c'est à bon droit que le tribunal a retenu qu'en vertu de l'article L. 626-11 du code de commerce, selon lequel les personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle peuvent se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde arrêté au profit du débiteur principal dès lors que les dispositions du plan de sauvegarde sont respectées la créance contre la caution n'est pas exigible, et que par conséquent l'exécution de la présente décision est suspendue pendant la durée du plan de sauvegarde de la société CKL Auto, tant qu'il est respecté, ou jusqu'à sa résolution.

Mme [N] implicitement demande confirmation du jugement déféré sur ce point, et les conclusions de la banque ne contiennent pas de prétentions ni même d'observations à ce sujet.

Par conséquent le jugement déféré ne peut qu'être confirmé de ce chef.

2- En outre Mme [N] demande à la cour de lui accorder un différé de paiement de deux années dans l'hypothèse où ce plan viendrait à être résolu avant son terme, ou lui accorder les plus amples délais de paiement.

En vertu de l'article 1343-5 du code civil, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues. Tel aménagement de la dette n'est envisageable que si son montant le permet eu égard aux facultés contributives du débiteur et si les propositions faites pour son apurement permettent à celui-ci de s'en acquitter dans le respect des droits du créancier. En outre, l'octroi d'un délai de paiement qui n'est pas de plein droit ne peut bénéficier qu'au débiteur de bonne foi.

Pour rejeter cette demande le tribunal a relevé que Mme [N] sollicite des délais pour s'acquitter de sa dette, mais n'apporte pas la preuve que les conditions de l'article 1343-5 du code civil seraient réunies, et comme souligné par la banque intimée, Mme [N] ne fournit ni explications circonstanciées ni pièces, à l'appui de sa requête.

Quoiqu'il en soit, la demande de Mme [N] est hypothétique, puisque l'exécution de la condamnation en paiement est suspendue dans les conditions de L. 626-11 du code de commerce.

Le jugement est donc confirmé en ce que la demande formée sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil a été rejetée.

°°°°°°°°°

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme [N], qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de l'intimé, formulée sur ce même fondement, pour la somme réclamée de 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Et y ajoutant :

DIT qu'il y a lieu de prononcer la déchéance du droit de la banque dans les conditions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, à partir du 1er avril 2021 ;

CONDAMNE Mme [E] [Y] épouse [N] à payer à la société BRED Banque Populaire, la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

DÉBOUTE Mme [E] [Y] épouse [N] de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

CONDAMNE Mme [E] [Y] épouse [N] aux entiers dépens d'appel et admet Maître Marie-Catherine Vignes avocat constitué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 22/08216
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.08216 ?
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