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02/05/2024 | FRANCE | N°21/06910

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 02 mai 2024, 21/06910


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRET DU 02 MAI 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/06910 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDPCN



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2021 - Tribunal de Commerce de Créteil, 2ème chambre - RG n° 2019F00584





APPELANTE



S.A. PRODISER agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice,

domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 377 150 149

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Jean-philippe Autier, avocat au bar...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/06910 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDPCN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2021 - Tribunal de Commerce de Créteil, 2ème chambre - RG n° 2019F00584

APPELANTE

S.A. PRODISER agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 377 150 149

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-philippe Autier, avocat au barreau de Paris, toque : L0053

Assistée de Me Alvyn Gobardhan du cabinet JOFFE & Associés, avocat au barreau de Paris

INTIMEE

S.A.S. JUNGHEINRICH FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Versailles sous le numéro 629 857 301

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et assistée de Me Olivier Jessel substitué par Me Sarah Salesse, avocats au barreau de Paris, toque : B0811

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nathalie Renard, présidente de la chambre 5.5

Madame Christine Soudry, conseillère

Madame Marie-Annick Prigent, magistrate à titre honoraire excerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame [I] [M] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Maxime Martinez

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie Renard, présidente de la chambre 5.5 et par Monsieur Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société Prodiser a accepté l'offre contractuelle en date du 10 décembre 2015 de la société Jungheinrich France portant sur la fourniture, la livraison et l'installation par cette dernière de rayonnages et de matériels de stockage pour conteneurs d'archives sur son site de [Localité 7] pour un coût de 648 000 euros TTC.

Le contrat prévoyait des modalités de paiement en fonction d'un calendrier. Seul un acompte de 170 000 euros a été payé.

La société Jungheinrich a réclamé le règlement du solde du montant du marché par lettre recommandée en date du 14 décembre 2018, tandis que la société Prodiser s'y opposait en invoquant des retards et des inexécutions contractuelles dont elle sollicitait le dédommagement.

Par acte d'huissier de justice du 14 juin 2019, la société Jungheinrich a assigné la société Prodiser devant le tribunal de commerce de Créteil en paiement de la somme de 478 000,00 euros au titre du solde du prix des travaux.

Par jugement du 19 janvier 2021, le tribunal de commerce de Créteil a :

- Condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 478 000,00 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019, et l'a déboutée du surplus.

- Débouté la société Prodiser de ses demandes reconventionnelles et de compensation.

- Débouté la société Jungheinrich France de ses demandes de dommages-intérêts pour résistance abusive.

- Condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a déboutée du surplus de sa demande, et débouté la société Prodiser de sa demande formée de ce chef.

- Ordonné l'exécution provisoire de ce jugement sous réserve qu'en cas d'appel, il soit fourni par le bénéficiaire une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit.

- Condamné la société Prodiser aux dépens.

- Liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 73,22 euros TTC (dont 20% de TVA).

Par déclaration du 9 avril 2021, la société Prodiser a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- Condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 478 000 euros outre intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2019

- Débouté la société Prodiser de ses demandes reconventionnelles et de compensation

- Condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamné la société Prodiser aux dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées le 19 novembre 2021, la société Prodiser demande, au visa des articles 1134, 1146 et 1147 du code civil, de :

-Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 19 janvier 2021 du tribunal de commerce de Créteil (2019F00584) ;

Dire et juger que la société Jungheinrich était tenue à un délai contractuel contraignant ;

- Dire et juger que la société Jungheinrich a manqué à son obligation contractuelle de résultat de respecter ce délai contractuel ;

- Dire et juger que la société Jungheinrich, société professionnelle exerçant son activité hors le concours de la société Prodiser, est seule responsable du manquement à son obligation contractuelle de résultat de respecter le délai contractuel ;

- Dire et juger que la société Jungheinrich ne rapporte pas la preuve de s'être acquittée de son devoir de conseils et de mise en garde et, en conséquence, que la société Jungheinrich a manqué à cette obligation contractuelle ;

- Dire et juger que la société Prodiser était légitime à se prévaloir du principe d'exception d'inexécution et qu'elle n'a donc commis aucune faute en ne s'acquittant pas spontanément des sommes prévues au contrat ;

- Dire et juger que la société Prodiser est légitime à solliciter une réduction du prix contractuel, à due concurrence des cellules dont elle est privée en raison des manquements contractuels de la société Jungheinrich ;

- Dire et juger que les manquements contractuels de la société Jungheinrich ont causé un préjudice indemnisable à la société Prodiser ;

- Dire et juger que la société Jungheinrich est infondée à se prévaloir d'une résistance abusive de la société Prodiser ;

- Dire et juger que la société Jungheinrich est infondée à solliciter l'application du moindre intérêt de retard.

En conséquence, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

- Débouter la société Jungheinrich de l'ensemble des demandes ;

- Réduire et limiter le montant du prix contractuel dû par la société Prodiser à la société Jungheinrich à la somme maximale de 408 728,80 euros TTC, assortie d'aucun intérêt légal ;

- Condamner la société Jungheinrich à verser la somme totale de 95 111 euros TTC à la société Prodiser, au titre de la réparation intégrale du préjudice subi par la société Prodiser résultant des manquements contractuels de la société Jungheinrich ;

- Condamner la société Jungheinrich à verser la somme de 30 000 euros à la société Prodiser, au titre de l'exécution forcée du contrat ;

- Condamner la société Jungheinrich à payer à la société Prodiser la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- Ordonner le paiement des sommes dues entre les parties par compensation.

Par ses dernières conclusions notifiées le 10 janvier 2022, la société Jungheinrich France demande, au visa des articles 1231-1 du code civil, et 699 et 700 du code de procédure civile, de :

- Dire et juger irrecevable et mal fondée, la société Prodiser en son appel,

- Débouter la société Prodiser de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Juger qu'en tout état de cause, le préjudice de la société Prodiser ne peut en aucun cas dépasser 23 194,45 euros,

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 478 000 euros TTC,

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France, les intérêts légaux sur cette somme,

- Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts au taux légal au 14 juin 2019,

Statuant à nouveau :

- Condamner la société Prodiser à payer les intérêts légaux sur la somme de 478 000 euros TTC à compter de la date du 14 décembre 2018,

- Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Jungheinrich France de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- Condamner la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France, la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, en application de l'article 1231-1 du code civil,

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Jungheinrich France du surplus de sa demande formée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles dus pour la première instance, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Et en tout état de cause :

- Condamner la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Confirmer le jugement dont appel en ce qui concerne les dépens de première instance,

- Condamner la société Prodiser aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de l'avocat postulant, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 décembre 2023.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

En application de l'article 1134 code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable à la cause, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Suivant offre en date du 10 décembre 2015, la société Prodiser contractait avec la société Jungheinrich pour l'installation, la fourniture, la vente et la pose de rayonnages et de matériels de stockage pour containers d'archives destinés à son site situé (91) à [Localité 7].

Les éléments mobiliers à fournir étaient notamment constitués de palettiers, de lisses avec panneaux filaires, de caillebotis, de trémies d'escalier, de garde-corps.

Le coût de ce marché a été fixé à 540.000 € HT soit 648.000 € TTC.

Le contrat prévoyait les conditions de paiement suivantes :

-"25 % d'acompte par virement à 15 jours nets date de commande

-30 % par virement à 60 jours nets au 30 mars 2016

-35 % par virement à 60 jours nets au 30 avril 2016

-5 % par virement à 60 jours nets à la réception provisoire

-5 % par virement à 60 jours nets à la réception définitive"

Un acompte de 170.000 € TTC a été réglé par la société Prodiser soit 26 % du montant total du marché.

La société Prodiser s'est opposée au paiement du solde du marché aux motifs que la société Jungheinrich :

- n'a pas respecté le délai contractuel convenu entre les parties - a mal exécuté les travaux confiés ;

- a manqué à son devoir de conseil et de mise en garde ;

- n'a pas payé la somme contractuellement due au titre du recyclage du fer.

Sur le respect des délais contractuels

L'offre n° 551406037 en date du 10 décembre 2015 prévoyait les délais de livraison suivants : 7 à 8 semaines à réception de la commande et la validation technique des plans et un temps de montage de 7 à 8 semaines.

L'offre précisait en page 10 les délais prévisionnels suivants :

- planning prévisionnel : 21 semaines - délais de livraison : 7 à 8 semaines à réception de la commande et validation technique des plans.

Le contrat prévoyait expressément un délai contractuel de livraison et d'installation du matériel à la charge de la société Jungheinrich.

Si les parties n'ont pu s'accorder sur la date de validation des plans à laquelle correspond le point de départ des délais, elles fixent toutes deux la date du début des travaux au 25 mars 2016, tel que cela ressort d'un compte-rendu d'une réunion de chantier intervenue le 14 avril 2016 selon lequel : "le chantier de montage de rayonnage archives a été ouvert le vendredi 25 mars 2016 pour la livraison de divers matériels ainsi que le mardi 30 mars 2016. Depuis le 31 mars 2016, assemblage des échelles et montage proprement dit de la structure".

L'offre stipulait un planning prévisionnel de 21 semaines de la semaine 50 de l'année 2015 à la semaine 19 de l'année 2016 soit une fin des travaux au 27 mai 2016.

Aux termes de l'offre, le temps de montage et d'installation des rayonnages ayant été évalué entre 7 et 8 semaines, le chantier, qui a débuté le 25 mars 2016, aurait dû être terminé à la fin du mois de mai 2016. Le compte-rendu de la réunion de chantier en date du14 avril 2016 confirme ce planning en ce que les travaux ont débuté le 26 mars 2016 et, devant durer huit semaines, devaient prendre fin le 27 mai 2016.

La société Jungheinrich a inséré dans son offre un courrier que lui a adressé la société Prodiser pour préciser les termes du devis qui lui a été proposé. Ce courrier daté du 10 décembre 2015 est signé des responsables des deux sociétés sous la mention "bon pour commande" de la part de la société Prodiser et "bon pour accord" de la part de la société Jungheinrich. Il est mentionné dans ce courrier "démontage de la cathédrale de [Localité 5], celle-ci doit être impérativement terminée le 6 mai 2016, nous avons une astreinte par le nouveau propriétaire de 1000 euros HT par jour de retard" et "le démontage peut commencer dès à présent ou à temps perdu pour les 21 premières travées et le solde à convenir."

Il résulte des échanges de courriels entre les parties en date des 30 et 31 décembre 2015 que la société Prodiser a insisté sur le caractère impératif du respect des délais et s'est inquiétée de ne pas avoir reçu les plans à signer. La société Jungheinrich a confirmé que le planning serait respecté. Les dispositions contractuelles et les échanges entre les parties démontrent qu'un délai de livraison avait été fixé et que la société Jungheinrich avait précisé qu'elle s'y conformerait.

Il ne peut être tenu compte pour fixer la date de réception des aménagements du procès-verbal de réception du 15 mars 2018, mentionnant des réserves à lever, rédigé par société Jungheinrich mais non signé par la société Prodiser et aux termes duquel "Il est constaté que l'exécution des travaux de réalisation d'une installation de stockage est conforme au cahier des charges de la commande du client et aux recommandations et au règlement en vigueur. Le client prend possession effectivement de l'installation".

Aux termes de la mise en demeure de payer le solde des travaux du 14 décembre 2018 adressée par la société Jungheinrich à la société Prodiser, celle-ci indiquait que le rayonnage était utilisable, après levée de la totalité des réserves, depuis le 17 septembre 2018 ce qui équivaut à la réception définitive de l'installation qui a eu lieu plus de deux ans après le terme du délai contractuel.

La société Jungheinrich fait observer que le retard constaté résulte des difficultés causées par la société Prodiser au cours des travaux et de sa désorganisation mais elle n'a pas, malgré les délais impératifs stipulés dans l'offre acceptée, soumis à celle-ci une demande de modification du planning.

Il résulte de ces éléments que le contrat prévoyait un délai de livraison et d'exécution des installations et que ce délai n'a pas été respecté. Il sera retenu que le fait de terminer un chantier d'installation de matériel 2 ans après l'expiration du délai contractuel est fautif.

Sur la mauvaise exécution des travaux

L'article 1146 du code civil énonce que "les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s'était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu'il a laissé passer. La mise en demeure peut résulter d'une lettre missive, s'il en ressort une interpellation suffisante."

La société Prodiser reproche à la société Jungheinrich d'avoir commandé des lisses courbées à gauche en lieu et place de lisses courbées à droite, la lisse étant un équipement technique destiné à supporter les caillebotis des allées de circulation des équipements.

Ce défaut des lisses dans la proportion de 12% n'est pas contesté par la société Jungheinrich qui, aux termes d'un courriel du 9 décembre 2016, indiquait à la société Prodiser : "les perçages ont été mal réalisés (sans les masques de perçages) et de ce fait nous observons une dispersion sur la hauteur trop importante. Celle-ci va créer une différence altimétrique d'appui pour le plancher caillebotis. Ceci n'est pas acceptable et la décision a donc été prise de changer ces lisses (env 240 unités). Du fait de la différence de construction induite par un changement partiel des lisses, nous allons donc changer toutes lisses cornières de l'installation. La livraison des nouvelles lisses est prévue pour la semaine 11/2017. Nous reprenons le chantier à cette période pour finir cette installation."

Ce défaut des lisses a été compensé par le changement du matériel défectueux constaté en cours de chantier. Si cette défectuosité des lisses a contribué au retard pris dans l'exécution du chantier, il ne peut cependant être retenu un défaut d'exécution auquel il n'aurait pas été remédié.

Sur le manquement de la société Jungheinrich à son devoir de conseil et de mise en garde

Le vendeur professionnel est tenu d'une obligation de conseils à l'égard de l'acquéreur, même professionnel et il appartient au vendeur de rapporter la preuve qu'il a rempli son obligation quant à l'adéquation du matériel proposé à l'usage prévu.

Par courrier du 29 décembre 2017, la préfecture de l'Essonne a mis en demeure la société Prodiser de mettre les locaux qu'elle occupait à [Localité 7] en conformité avec les dispositions relatives à la sécurité incendie. L'arrêté de la préfecture de l'Essonne visait 12 non conformités relatives aux normes en matière d'incendie auxquelles il y avait lieu de remédier.

Il y était notamment précisé que l'exploitant n'avait pas justifié de la levée des non-conformités du rapport Tyco du 3 janvier 2017 relatif aux installations "sprinkler", ce rapport signalant qu'il fallait reprendre la répartition des îlots de stockage et mettre en oeuvre des réseaux intermédiaires sur les stockages en étage.

La société Prodiser soutient que la société Jungheinrich est seule responsable du fait qu'elle n'a obtenu les autorisations nécessaires d'utiliser les installations litigieuses que le 6 mai 2021.

La société Jungheinrich répond qu'elle est intervenue auprès de la DRIEE (direction régionale interdépartementale de l'environnement et de l'énergie) ce qui ne relevait pas de ses obligations contractuelles mais a permis d'obtenir plus rapidement l'autorisation de poursuite du chantier. Elle ajoute que la société Prodiser a modifié son projet en souhaitant développer ses installations en hauteur sous forme de cathédrale et non plus horizontalement ce qui constituait de nouvelles exigences.

Il résulte de l'inspection de la DREE du 29 juin 2015 que la société Prodiser était en cours de déménagement et avait souhaité installer une cathédrale permettant le stockage en hauteur des cartons d'archives ce qu'elle ne conteste pas. La DRIEE indique que "l'installation de la cathédrale est une modification du mode de stockage pour laquelle l'exploitant doit adresser un porter à connaissance avec les éléments d'appréciation ad hoc (plan des stockage, plan des flux thermiques, caractéristiques de la cathédrale, etc)."

La DRIEE précisait en page 3 que "contrairement à ce qui était initialement indiqué lors de l'inspection, la hauteur maximale de 8 m est à considérer pour chaque étage de la mezzanine et non pour la cathédrale au global." "Contrairement à ce qu'avait indiqué en premier lieu l'inspection, la réglementation prévoyait la réalisation d'une étude ingénierie sécurité incendie pour le projet consistant en la superposition de mezzanine (cathédrale). Cette étude était demandée par le point 2. 2.7. de l'annexe 1 de l'arrêté du 15 avril 2010 relatif au régime de l'enregistrement dans le cas où, dans une cellule, un niveau comporte plusieurs mezzanines, l'exploitant démontre, par une étude, que ces mezzanines n'engendrent pas de risque supplémentaire, et notamment qu'elles ne gênent pas le désenfumage en cas d'incendie."

Il résulte de ce rapport que la société Prodiser a été informée avant l'élaboration du projet des exigences de la DRIEE en matière de sécurité incendie et aucune mention de celles-ci ne figurent dans les dispositions contractuelles litigieuses.

Il était précisé dans le courrier du 10 décembre 2015 de validation du devis adressé par la société Prodiser à la société Jungheinrich : "validation des travaux : le respect des différentes normes auxquels ces ouvrages sont soumis, sont contrôlés à nos frais par la société Andine, société à laquelle vous devez apporter tous éclaircissements demandés." Aucune intervention de cette société n'est rapportée quant à l'absence de validation des travaux réalisés.

Il résulte des différents rapports de la DRIEE versés aux débats que le projet de la société Prodiser était possible mais nécessitait le respect des normes en matière de sécurité incendie et d'environnement qu'il lui appartenait de mettre en 'uvre.

La société Prodiser ne précise ni ne justifie quelles démarches en relation avec un comportement fautif de sa cocontractante elle a dû effectuer pour obtenir les autorisations nécessaires à l'utilisation des nouveaux locaux.

La seule non-conformité des installations " sprinkler " constatée le 29 décembre 2017, alors même que cette non-conformité avait déjà été dénoncée dans un rapport du 3 janvier 2017, est insuffisante pour caractériser la responsabilité de la société Jungheinrich quant à son devoir de conseils et de mise en garde en ce qu'il appartenait à la société Prodiser de remédier dans les délais qui lui étaient impartis aux non conformités dénoncées.

Sur le recyclage du fer

Aux termes de l'offre du 10 décembre 2015, la société Jungheinrich s'engageait dans le cadre de la "récupération de matériels du site de [Localité 5]"

- "à la mise en place de bennes afin d'évacuer le matériel démonté

- au chargement des bennes sera effectué par nos soins

- à la récupération du matériel à hauteur de 0,08 € le kg

Une facture vous sera adressée (lorsque le poids total de la structure sera défini) par la suite".

La société Jungheinrich oppose le fait que la société Prodiser ne lui a pas laissé l'accès aux locaux de [Localité 5] sans cependant le démontrer. La société Prodiser a évalué le poids du matériel à recycler à 375 tonnes sans en justifier. Elle ne verse aucune pièce relative à l'évacuation du fer et ne rapporte pas la preuve du coût exposé pour l'évacuation de ce matériel et de l'existence d'un préjudice en résultant pour elle. Sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 30 000 € sera rejetée.

Sur les demandes de la société Prodiser en réparation de ses préjudices

Sur l'application des conditions générales de vente de la société Jungheinrich

La société Jungheinrich invoque ses conditions générales de vente. L'offre de fourniture et d'installation de matériels du 10 décembre 2015, en sa page 15 précise que : "cette offre est soumise aux conditions générales de vente de la société Jungheinrich".

La société Jungheinrich oppose la clause suivante de ses conditions générales de vente :

"En cas de retard de livraison, JHF peut mettre à disposition du client, un matériel de dépannage en attendant la livraison des matériels, objets du contrat. A défaut et si le retard est imputable à JHF, le client est fondé à réclamer une compensation des préjudices subis, fixée pour chaque semaine de retard à un montant forfaitaire de 0,5 % du prix du matériel livré en retard, somme ne pouvant accéder 5 % du prix du matériel concerné et/ou à mettre JHF en demeure de livrer le matériel prévu et ce sous un délai raisonnable et avec indication expresse de ce qu'il se réserve, si la livraison n'intervient pas dans ce délai, de résilier le contrat. Cette résiliation interviendra sans indemnité de part et d'autre. Toute autre réclamation du client fondée sur un retard de livraison est exclue, y compris toute demande de dommages et intérêts".

Si la mention de ces conditions générales de vente figure dans l'offre contractuelle du 10 décembre 2015 en page 15, ces conditions générales ne sont pas jointes à l'offre contrairement à ce qui est indiqué dans le paragraphe "Conditions tarifaires", ni produites et il n'est pas précisé de quelle manière la société Prodiser peut en prendre connaissance. En conséquence, les conditions générales de vente de la société Jungheinrich ne sont pas opposables à la société Prodiser en ce qu'il n'est pas démontré qu'elles ont été portées à sa connaissance ou qu'elle en a eu communication. Elles ne seront donc pas applicables.

Sur la demande de réduction du prix du marché

La société Prodiser fait valoir qu'en raison du manquement de la société Jungheinrich à son devoir de conseils et de mise en garde, elle a été contrainte d'attendre le mois de mai 2021 pour obtenir les autorisations administratives nécessaires et a dû installer trente-quatre lignes de réseau sprinkler supplémentaires, sur deux des quatre niveaux de la plateforme, ce qui a eu pour effet de rendre 9771 emplacements de conteneurs inexploitables. Elle sollicite que le prix convenu de 648 000 € TTC soit ramené à la somme de 578 728,80 € TTC, à due concurrence des 91 382 emplacements de conteneurs dont elle a été privée soit 10,69 % du nombre total et contractuel de ceux-ci.

La société Jungheinrich réplique que la preuve d'une inexécution n'est pas rapportée, qu'elle n'est pas responsable de la non occupation par la société Prodiser de son site de [Localité 7], que le travail d'installation ayant été terminé à hauteur de 88 % fin 2017, cette dernière lui impute à tort l'impossibilité d'avoir pu utiliser les installations litigieuses pendant une durée qui approche 4 années supplémentaires parce qu'elle n'a pu installer 34 lignes de réseau d'eau.

La société Prodiser fonde sa demande sur le défaut de devoir de conseils et de mise en garde pour lequel il n'a été retenu aucune faute de la société Jungheinrich. En conséquence, la demande d'indemnisation à ce titre de la société Prodiser sera rejetée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 478 000 euros au titre du contrat, la société Prodiser ayant versé un acompte de 170 000 euros.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts sur la somme de 478 000 euros au 14 juin 2019.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2018, date de la mise en demeure de payer adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Sur la demande d'indemnisation des coûts supplémentaires

Du fait du retard dans la livraison des rayonnages, la société Prodiser a été contrainte de louer des locaux extérieurs à son site pour entreposer les archives dont elle avait la responsabilité.

La mise en demeure n'est pas une condition préalable de l'allocation de dommages et intérêts compensatoires. La stipulation d'un délai de rigueur prévu pour l'exécution des prestations vaut dispense de mise en demeure.

Il a été retenu que les travaux d'aménagement devaient être terminés fin mai 2016. La société Prodiser verse aux débats des factures de stockage des archives dans des locaux situés à [Localité 6] (91) à compter du 1er juin 2016 jusqu'au 30 septembre 2018.

La société Prodiser justifie par la production de factures émises durant la période des travaux avoir acquitté auprès de la société STIO la somme de 64 491,92 € HT pour l'externalisation temporaire du stockage des archives.

Il existe un lien de causalité direct entre cette dépense et le retard pris dans l'exécution du chantier puisque la société Prodiser a été contrainte de louer des locaux pour entreposer ses archives dans l'attente de la fin des travaux.

La société Prodiser sollicite également le remboursement des frais de transport par camion semi-remorque (5372,16 € HT) (12 (aller) + 12 (retour) x 223,84 €) pour transférer les archives dans les locaux loués auprès de la société STIO à [Localité 6].

Seront déduites de ce montant les factures correspondant à une période antérieure au mois de mai 2016 et ne seront retenues que les factures correspondant au trajet [Localité 5] vers [Localité 6], et [Localité 6] vers [Localité 7].

Seront prises en compte les factures suivantes :

- facture n° 10 334 du 31/10/2016 : 8 trajets

- facture n° 10 335 du 31/10/2016 : 5 trajets

- facture n° 10 428 du 30/11/2016 : 1 trajet

- facture n° 10 429 du 30/11/2016 : 1 trajet

- facture n° 10 615 du 31/01/2017 : 1 trajet

- facture n° 10 773 du 31/03/2017 : 1 trajet

- facture n° 10 088 du 31/07/2017 : 1 trajet

- facture n° 11 239 du 30/09/2017 : 2 trajets

- facture n° 11 420 du 30/11/2017 : 2 trajets

- facture n° 11 721 du 31/03/2018 : 2 trajets

- facture n° 11 792 du 31/05/2018 : 5 trajets

- facture n° 11 851 du 31/05/2018 : 1 trajet

- facture n° 12 021 du 31/07/2018 : 1 trajet

- facture n° 12 035 du 31/07/2018 : 1 trajet

La demande de la société Prodiser à ce titre sera accueillie en ce que celle-ci limite sa demande à 24 trajets et que le nombre de trajets figurant sur les factures retenues excède ce nombre.

La société Prodiser sollicite le remboursement des dépenses suivantes qui ne sont établies que par des calculs élaborés par elle-même ce qui est insuffisant pour justifier de dépenses supplémentaires.

Les demandes suivantes seront rejetées :

- retrait des palettes par la société STIO : 1364 € HT (2 € par palette) ;

- suivi informatique des palettes (207,69 € HT) (un quart d'heure par camion semi-remorque calculé sur la base du salaire d'un gestionnaire à 3.500 euros mensuel : 15 minutes x 2 (aller-retour) x 12 (camions) x (3.500 x 1,5 (incidence des charges sociales/ 151.67 (durée mensuelle travaillée)).

La société Prodiser sollicite également le remboursement des coûts de mise à disposition d'une caisse d'archives demandée par les clients pour un montant de 4 867,31 euros HT et les coûts supplémentaires nécessités pour le traitement des nouveaux archivages chez la société STIO (2 956,09 euros HT).

La société Prodiser ne démontre pas que ces coûts constituent un supplément qui n'aurait pas été exposé en l'absence de retard lors de la livraison des rayonnages. Ces sommes resteront à sa charge.

Les dépenses supplémentaires nécessitées par les manquements contractuels de la société Jungheinrich s'élèvent à :

Frais d'externalisation temporaire du stockage (société STIO)

64 491,92 HT + 20 % (TVA) : 77 390,30 €

Frais de transport des caisses d'archives

5 732,16 HT + 20 % (TVA) : 6 446,59 €

Total

82 762,46 euros TTC

La société Jungheinrich sera condamnée à verser à la société Prodiser la somme de 82 762,46 euros TTC au titre des coûts supplémentaires engendrés par ses manquements contractuels.

Sur la compensation légale

L'article 1347 du code civil énonce que : "la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère de plein droit, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies."

L'article 1347-1 précise que : "' la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles'"

Les dettes répondant aux dispositions susvisées, la compensation entre elles sera ordonnée.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société Jungheinrich au titre de la résistance abusive

La société Jungheinrich ne justifie d'aucun préjudice autre que le retard à s'acquitter des sommes dues, déjà réparé par l'allocation des intérêts moratoires conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil. Sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive de la société Prodiser sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

Les sociétés Prodiser et Jungheinrich succombant chacune pour parties, les dépens d'appel seront partagés par moitié et les parties conserveront la charge de leurs frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Prodiser à payer à la société Jungheinrich France la somme de 478 000,00 euros, sur les frais irrépétibles et les dépens,

Infirme le jugement en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts sur la somme de 478 000,00 euros au 14 juin 2019, en ce qu'il a débouté la société Prodiser de ses demandes reconventionnelles et de compensation,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la somme de 478 000 euros TTC portera intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2018,

Condamne la société Jungheinrich à verser à la société Prodiser la somme de 82 762,46 euros TTC au titre des coûts supplémentaires engendrés par ses manquements contractuels,

Rejette la demande de la société Prodiser en paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l'évacuation de matériels,

Ordonne le paiement des sommes dues entre les parties par compensation,

Rejette la demande de la société Jungheinrich France de dommages-intérêts pour résistance abusive,

Dit que chaque partie conservera ses frais irrépétibles d'appel,

Dit que chaque partie conservera ses dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/06910
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;21.06910 ?
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