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02/05/2024 | FRANCE | N°21/05444

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 02 mai 2024, 21/05444


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 02 MAI 2024



(n° /2024, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05444 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD33X



Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F18/00758





APPELANTE



Madame [B] [V]

[Adresse 2]

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Représentée par Me Pierre ROBIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0622





INTIMEE



La société ALFORT VOYAGES prise en la personne de son président Monsieur [G]

[Adresse 1]

[...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° /2024, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05444 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD33X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F18/00758

APPELANTE

Madame [B] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Pierre ROBIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0622

INTIMEE

La société ALFORT VOYAGES prise en la personne de son président Monsieur [G]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Francine TOUCHARD VONTRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0838

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme. MEUNIER Guillemette, présidente de chambre

Mme. NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère rédactrice

Mme. MARQUES Florence, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [B] [V] a été embauchée par la société Alfort voyages, société employant à titre habituel moins de dix salariés et spécialisée dans le secteur d'activité des agences de voyage, suivant contrat de professionnalisation du 1er août 2013 au 31 juillet 2014.

La relation contractuelle s'est poursuivie sous la forme d'un contrat à durée déterminée, du 1er septembre 2014 au 28 août 2015, en raison d'un accroissement d'activité, puis par d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2015.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des agences de voyage et de tourisme.

Au dernier état de la relation de travail, la rémunération mensuelle brute de Mme [V] s'établissait à la somme de 2 391, 66 euros.

A compter du 15 juin 2017, Mme [V] a été placée en arrêt de travail.

A l'issue de sa visite de reprise du 12 février 2018, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail, son état de santé faisant 'obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Par courrier du 19 février 2018, Mme [V] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 26 février suivant.

Elle a été licenciée pour inaptitude par lettre du 1er mars 2018.

Par acte du 28 mai 2018, Mme [V] a assigné la société Alfort voyages devant le conseil de prud'hommes de Créteil aux fins de voir, notamment, dire le licenciement nul et condamner son employeur à lui verser divers indemnités et dommages-intérêts relatifs à la rupture du contrat de travail, outre des dommages-intérêts pour exécution fautive de celui-ci et harcèlement moral.

Par jugement du 31 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Créteil a:

- dit que Mme [B] [V] ne justifie pas avoir subi un harcèlement moral,

- dit que le licenciement prononcé pour inaptitude est justifié et régulier,

- condamné la société Alfort voyages à payer à Mme [B] [V] la somme de :

* 640,34 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2018,

* 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la société Alfort voyages devra remettre à Mme [V] une attestation Pôle emploi conforme à la présente décision,

- dit que l'exécution provisoire est de droit,

- débouté Mme [V] du surplus de ses demandes,

- débouté la Société Alfort voyages de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge réciproque de chacune des parties.

Par déclaration du 17 juin 2021, Mme [V] a interjeté appel de cette décision, intimant la société Alfort voyages.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2022, Mme [V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* condamné la société Alfort voyages à lui payer la somme de :

640,34 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2018 ;

500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* dit que la société Alfort voyages devra lui remettre une attestation Pôle Emploi conforme à la présente décision ;

* débouté la société Alfort voyages de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit qu'elle ne justifie pas avoir subi un harcèlement moral ;

* dit que le licenciement prononcé pour inaptitude est justifié est régulier ;

* débouté Mme [V] du surplus de ses demandes ;

En conséquence, et statuant à nouveau,

- constater le harcèlement moral dont elle a été victime ;

- constater que la société Alfort voyages a manqué en tout état de cause à son obligation de sécurité ;

A titre principal,

- prononcer la nullité du licenciement notifié selon lettre recommandée du 1er mars 2018 ;

A titre subsidiaire,

- dire le licenciement abusif ;

En conséquence,

- fixer le salaire brut mensuel moyen à la somme de 2 391,66 euros ;

- condamner la société Alfort voyages au paiement des sommes suivantes :

* 3 952 euros brut à titre de rappel de salaire du mois de décembre 2016 jusqu'en juin 2017 ;

* 640,34 euros à titre de reliquat d'indemnité de licenciement ;

* A titre principal, 28 700 euros à titre de dommages et intérêts en relation avec la nullité du licenciement ;

* A titre subsidiaire, 11 850,30 euros à titre de dommages et intérêts en relation avec le caractère abusif du licenciement ;

* 4 783,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 478,33 euros à titre de congés payés sur préavis ;

* 4 783,32 euros au titre du préjudice subi en relation avec l'exécution fautive du contrat de travail ;

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts dus en relation avec le harcèlement moral ;

- condamner la société Alfort voyages à lui délivrer une attestation Pôle Emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard commençant à courir huit jours après la notification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société Alfort voyages au paiement d'une somme d'un montant de 3 000 euros de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens dont distraction sera ordonnée au profit de Maître Pierre Robin en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2021, la société Alfort voyages demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel incident,

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Créteil le 5 mars 2021 en ce qu'il a :

* dit que Mme [V] n'a subi aucun harcèlement moral de sa part ;

* considéré que le licenciement de Mme [V] n'était pas nul,

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la société n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré le licenciement pour inaptitude de Mme [V] parfaitement justifié et régulier,

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [V] demandes au titre des sommes suivantes :

* 3 952 euros au titre de rappel de salaire du mois de décembre 2016 jusqu'à juin 2017,

* 28 700 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 4 783,32 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 478,33 euros au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis,

* 4 783,32 euros pour exécution fautive du contrat de travail,

* 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- débouter Mme [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

En tout état de cause,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [V] la somme de 640,34 euros au titre de rappel de son indemnité de licenciement,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [V] la somme de 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [V] aux entiers dépens.

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 janvier 2024.

MOTIVATION

Sur la demande de rappel de salaire :

Le paiement d'une prime est obligatoire pour l'employeur lorsque son versement résulte d'un usage répondant à des caractères de généralité, constance et fixité.

En l'espèce, Mme [V] soutient que si son contrat de travail ne prévoyait pas le versement d'une prime, un usage a été instauré du fait du versement régulier d'une prime à compter du mois de septembre 2015 jusqu'au mois de novembre 2016, à hauteur de 608 euros par mois en moyenne. Elle fait valoir qu'elle était la seule à en bénéficier, le caractère de généralité étant ainsi nécessairement rempli.

La société Alfort voyages objecte que cette prime revêtait un caractère exceptionnel et que Mme [V] n'était pas la seule à la percevoir. Elle produit à cet égard les bulletins de salaire attestant du versement de cette prime à une autre salariée. Elle relève que Mme [V] a, en outre, fait l'objet d'une augmentation de son salaire à compter de novembre 2016, à hauteur de 200 euros par mois.

Il ressort des bulletins de salaire versés aux débats que Mme [V] a perçu, en septembre 2015, une prime de 200 euros, puis de 1 000 euros pour les mois de décembre 2015 et avril, juillet et novembre 2016, avec des versements de 600 euros en mai 2016, 800 euros en juin 2016, 400 euros en août 2016 et 700 euros en septembre 2016.

Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette prime, dont le montant a varié et qui n'avait pas été versée pour les mois d'octobre et novembre 2015 et janvier, février, mars et octobre 2016, revêtait un caractère général, constant et fixe permettant de la qualifier d'usage.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de rappel de salaire présentée par Mme [V] et le jugement sera confirmé à cet égard.

Sur la nullité du licenciement :

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1152-2 du même code, aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-21, qui vise notamment le licenciement.

L'article L. 1152-3 sanctionne par la nullité toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2.

L'article L.1154-1 de ce code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier souverainement si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.

En l'espèce, Mme [V] soutient qu'elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral à compter de 2016 dès lors qu'elle a fait l'objet de brimades, de reproches permanents, d'une surveillance constante, et de réflexions en public de la part de son employeur et de son épouse, qui ont engendré une dégradation de son état de santé et l'ont incitée à solliciter une rupture conventionnelle. Elle ajoute que ces agissements procèdent également de l'interruption, à compter du mois de novembre 2016 et sans motif, de la prime qui lui était versée. Elle indique qu'elle a souffert également d'une surcharge de travail à la suite de la démission en août 2016 de sa collègue, Mme [N], elle-même victime de harcèlement moral, et qu'elle n'a pas été soulagée par l'embauche, en contrat de professionnalisation, d'une salariée qu'elle a dû former ni par celle d'une salariée en contrat à durée déterminée qui n'a travaillé dans l'entreprise qu'entre le 17 octobre 2016 et le 10 février 2017.

En premier lieu, s'agissant des brimades, reproches permanents, surveillance constante et réflexions en public, Mme [V] produit notamment, au soutien de ses affirmations :

- une attestation de Mme [N], ancienne collègue de travail, qui indique avoir été conduite à la démission du fait du comportement de son employeur, faisant état notamment de « beaucoup de pressions, un langage inapproprié envers les employés (') des mots blessants envers [ses] collègues de l'époque et [elle]-même (') », et précise : « le patron et sa femme me rabaissaient, me parlaient mal sur un ton moqueur (') » « j'ai donc décidé de démissionner car je n'en pouvais plus de cette manipulation et de cette pression » ;

- le courrier du 3 mai 2017 adressé à son employeur, aux termes duquel Mme [V] avait sollicité l'ouverture d'une procédure de rupture conventionnelle de son contrat de travail ;

- le courrier de son employeur du 14 juin 2017 indiquant mettre fin aux pourparlers engagés aux fins de rupture conventionnelle et lui demandant de respecter ses horaires de travail ainsi que d'autres consignes ;

- un courrier du 28 juin 2017 adressé par la salariée à son employeur en réponse à la lettre du 14 juin, dans lequel elle décrivait une « évolution devenue insupportable » de ses conditions de travail, l'ayant laissée « sans force » et conduite à la dépression, tout en contestant les reproches qui lui avait été faits ;

- son arrêt de travail initial du 15 juin 2017 ainsi que des arrêts de prolongation ;

- un courrier établi par le médecin du travail le 24 octobre 2017 à l'attention d'un confrère, indiquant que la salariée présentait « des symptômes évidents de dépression, dont l'origine est en grande partie liée au travail » et préconisant « d'initier un traitement antidépresseur et de prévoir encore de prolonger l'arrêt en attendant la consultation chez le psychologue » ;

- une attestation de suivi du centre de soins médico-psychologiques ;

- un courrier d'un médecin du 4 décembre 2017 faisant état de la nécessité d'une « évaluation de son état dans le contexte d'une dépression réactionnelle devant des problèmes au travail » ;

- le courrier d'un médecin hospitalier du 15 décembre 2017 indiquant qu'elle « présente un syndrome dépressif réactionnel avec asthénie, perte de l'élan vital, insomnie, anorexie », « parle d'une problématique d'harcèlement sur son lieu de travail » et précise : « je pense qu'une inaptitude à ce poste lui fera beaucoup de bien avec une nouvelle orientation professionnelle à prévoir après son arrêt » ;

- diverses ordonnances médicales lui prescrivant des traitements anxiolytiques.

Les allégations de la salariée, étayée par l'attesttaion établie par Mme [N], sont corroborées par les termes précis et circonstanciés du courrier du 28 juin 2017 par lequel la salariée dénonçait notamment des comportements répétés tendant à la dévaloriser de la part de son employeur, auquel ce dernier n'a pas répondu, ainsi que par les éléments médicaux concordants produits dont il ressort que le syndrome dépressif dont elle a souffert et qui a conduit à son inaptitude est lié aux tensions générées par son environnement professionnel.

Les faits invoqués par la salariée sont établis.

En deuxième lieu, s'agissant du grief tiré de l'interruption, à compter du mois de novembre 2016, de la prime qui lui était versée, Mme [V] verse aux débats ses bulletins de salaire faisant état du versement de primes entre septembre 2015 et novembre 2016.

L'interruption du versement de la prime en litige est donc établi.

En troisième lieu, s'agissant du grief tiré d'uen augmentation de sa charge de travail, la salariée se prévaut de l'attestation susmentionnée établie par Mme [N] établissant la démission de cette dernière.

Les éléments ainsi présentés par Mme [V], pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'existence d'agissements constitutifs de harcèlement étant donc présumée, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En premier liue, s'agissant du grief relatif à la surcharge de travail, la société Alfort voyages produit, notamment, des documents attestant de l'embauche de salariés pour pallier la démission de Mme [N], à savoir un contrat de professionnalisation du 22 août 2016, avec prise d'effet au 1er septembre 2016, au profit d'une salariée en qualité de conseillère en vente, dont il apparaît enfin que le tuteur n'était pas, contrairement aux assertions de l'appelante, Mme [V] mais un autre salarié, ainsi que le justificatif de l'embauche d'une salarié en contrat de travail à durée déterminée le 20 septembre 2016, en qualité de conseillère de voyages, qui, si elle a quitté la société avant le terme de son contrat en février 2017, a été remplacée par une salariée en intérim à compter du mois de mars 2017.

En second lieu, s'agissant de l'interruption du versement de la prime, il résulte de ce qui a été dit plus haut que cette prime revêt un caractère exceptionnel et variable, l'employeur justifiant par ailleurs que ce traitement n'est pas rséervée à Mme [V] et que cette dernière a pu bénéficier d'uen augmentation de salaires à compter du mois de novembre 2016.

Au regard de ces éléments, la surcharge de travail dont se prévaut l'appelante et le caractère fautif de la cessation du versement de la prime ne sont pas établis.

En troisième lieu, s'agissant en revanche des agissements et propos dégradants dont Mme [V] indique avoir été victime, l'employeur se borne à contester la valeur probante de l'attestation établie par Mme [N] en faisant valoir que celle-ci a démissionné en août 2016, alors que cette démission demeure compatible avec les allégations de la salariée, qui sont corroborés par les divers éléments susmentionnés.

Dans ces conditions, les éléments produits par l'employeur ne permettent donc pas d'établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral allégué est ainsi caractérisé et le jugement doit être infirmé sur ce point.

Par suite, le licenciement de Mme [V] doit, en application des dispositions précitées de l'article L. 1152-3 du code du travail, être annulé.

Sur les demandes de dommages et intérêts :

En premier lieu, Mme [V] sollicite l'allocation d'une somme de 28 700 euros, représentant douze mois de salaires, à titre de dommages et intérêts compte tenu de la nullité de son licenciement.

En application de l'article L. 1235-3-1 dans sa version applicable à l'espèce, les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse prévues à l'article L. 1235-3 ne sont pas applicables lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité pour harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'âge de la salariée au jour de la rupture, de son ancienneté de quatre ans et sept mois et de sa capacité à retrouver un emploi, étant relevé qu'elle justifie avoir été sans emploi durant plusieurs mois avant de reprendre une activité dans le secteur de l'immobilier, la cour évalue à 14 400 euros le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement nul.

En deuxième lieu, l'appelante sollicite une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral à raison du harcèlement moral subi.

L'octroi de dommages-intérêts pour licenciement nul en lien avec des faits de harcèlement moral ne fait pas obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Le préjudice moral subi par l'appelante sera indemnisé, au vu de sa durée et de ses circonstances, par des dommages et intérêts à hauteur de 4 000 euros.

En troisième lieu, si l'appelante sollicite des dommages et intérêts de 4 783,32 euros à raison de l'exécution fautive du contrat de travail par son employeur, elle ne justifie ni même n'allègue avoir subi un préjudice distinct de ceux indemnisés au titre de la nullité du licenciement et du préjudice moral résultant du harcèlement moral.

Dès lors, cette demande sera rejetée.

Sur les autres demandes pécuniaires :

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Mme [V] sollicite l'infirmation du jugement ayant rejeté sa demande à hauteur de 4 783,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 478,33 euros à titre de congés payés sur préavis.

La société demande la confirmation du jugement et soutient que conformément à 1'article L. 1226-4 du code du travail, aucune indemnité de préavis ou compensatrice de préavis n'est due lorsque l'inaptitude est d'origine non professionnelle.

Il résulte des dispositions de l'article L.1226-4 du code du travail qu'en cas de licenciement pour inaptitude physique d'origine non professionnelle, le préavis n'est pas exécuté, sans que cette inexécution ne donne lieu au versement d'une indemnité compensatrice, le contrat étant rompu à la date de notification du licenciement.

Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables à l'hypothèse, comme en l'espèce, d'un licenciement nul.

Dès lors, Mme [V] est fondée à solliciter l'octroi d'une indemnité compensatrice de préavis qui sera établie, au regard de la durée de préavis fixée à deux mois par l'article 19.1 de la convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de tourisme, à la somme sollicitée de 4 783,32 euros, outre 478,33 euros au titre des congés payés correspondants.

Sur l'indemnité légale de licenciement :

La société Alfort voyages demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 640,34 euros au titre du reliquat d'indemnité de licenciement.

Mme [V] sollicite la confirmation du jugement.

L'article L. 1234-9 du code du travail dispose que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail.

Il résulte du 1° de l'article R. 1234-2 de ce code que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans.

Enfin, aux termes de l'article R. 1234-4 du même code, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié : 1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ; / 2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1243-11 du code du travail que la durée du contrat de professionnalisation est prise en compte pour le calcul de l'ancienneté et de la rémunération.

Dès lors, c'est à juste titre que la juridiction prud'homale a tenu compte de l'ancienneté acquise par Mme [V] au titre de son contrat de professionnalisation du 1er août 2013 au 31 juillet 2014 et condamné la société Alfort voyages à lui verser la somme de 640,34 euros au titre du reliquat d'indemnité de licenciement. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes :

La société Alfort voyages devra remettre à Mme [V] une attestation destinée à France travail conforme au présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais du procès :

Au regard de ce qui précède, le jugement sera infirmé sur la condamnation aux dépens.

La société Alfort voyages sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de son conseil, et au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la condamnation prononcée à ce titre en première instance qui sera confirmée.

PAR CES MOTIFS 

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- rejeté la demande de Mme [B] [V] au titre du rappel de salaire à hauteur de 3 952 euros et au titre de l'excéution fautive du contrat de travail ;

- et condamné la société Alfort voyages à verser à Mme [B] [V] les sommes de 640,34 euros au titre du reliquat d'indemnité de licenciement et 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

DÉCLARE nul le licenciement de Mme [B] [V] ;

CONDAMNE la société Alfort voyages à verser à Mme [B] [V] les sommes de :

- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant du harcèlement moral,

- 14 400 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la nullité du licenciement,

- 4 783,32 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 478,33 euros bruts au titre des congés payés correspondants,

CONDAMNE la société Alfort voyages aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Pierre Robin, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

 

ENJOINT à la société Alfort voyages de remettre à Mme [B] [V] une attestation destinée à France travail conforme au présent arrêt ;

DIT n'y avoir lieu à astreinte;

CONDAMNE la société Alfort voyages à verser à Mme [B] [V] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/05444
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;21.05444 ?
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