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02/05/2024 | FRANCE | N°20/08395

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 02 mai 2024, 20/08395


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 02 MAI 2024



(n° /2024, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08395 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZO7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/02268





APPELANTE



Madame [U] [T]

[Adresse 1])

[Localité 4]



Représe

ntée par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081





INTIMEE



S.A.S. EFFERVESCENCE LABEL

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Fabienne FAJGENBAUM, avocat au barrea...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° /2024, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08395 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZO7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/02268

APPELANTE

Madame [U] [T]

[Adresse 1])

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081

INTIMEE

S.A.S. EFFERVESCENCE LABEL

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Fabienne FAJGENBAUM, avocat au barreau de PARIS, toque : P0305

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre rédacteur

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Mme Florence MARQUES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [T], née en 1962, a été engagée par la société Effervescence Label, selon contrat de travail à durée déterminée d'usage à compter du 24 novembre 2014 en qualité de responsable de recherches, statut cadre - intermittente du spectacle.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective de la production audiovisuelle.

Les contrats à durée déterminée d'usage se sont succédés du 24 novembre 2014 au 30 juin 2020.

Mme [T] a fait l'objet d'un arrêt de travail plusieurs fois renouvelé couvrant la période du 15 février 2020 au 30 juin 2020, date d'expiration du dernier contrat à durée déterminée.

La société Effervescence Label occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Demandant la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, Mme [T] a saisi le 26 mars 2020 le conseil de prud'hommes de Paris, des demandes suivantes :

- 13 984,23 euros de rappel d'indemnité de sujétion ;

- 1 398,42 euros d'indemnité de congés payés afférents ;

- 30 765,32 euros d'indemnité de requalification ;

- 19 960,90 euros de rappels de salaire ;

- 1 996,09 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 53 699,40 euros de dommages et intérêts pour non-respect des obligations contractuelles et application déloyale du contrat de travail ;

- 53 699,40 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation légale de préservation de la santé ;

- 56 699,40 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 8 949,90 euros d'indemnité de préavis ;

- 894,99 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 6 153,05 euros d'indemnité de licenciement conventionnelle ;

- 53 699,40 euros de dommages et intérêts pour rupture aux torts et griefs de l'employeur;

- 26 849,70 euros d'indemnité de travail dissimulé ;

- 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- avec intérêts au taux légal et mise des dépens à la charge de la défenderesse.

Elle sollicitait en outre la remise des bulletins de paie conformes à la décision depuis le mois de novembre 2014, le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document, la régularisation de la situation auprès des organismes sociaux tels que la Caisse de retraite CNAV et la Caisse de retraite complémentaire, sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document, en se réservant la liquidation de l'astreinte

Par jugement du 10 novembre 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil a rejeté l'ensemble des demandes de Mme [U] [T] et l'a condamnée aux dépens, tandis que la SAS Effervescence Label a été déboutée sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par déclaration du 7 décembre 2020, Mme [T] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 16 novembre 2020.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 septembre 2023, l'appelante demande à la cour d'infirmer la décision du Conseil de prud'hommes de Paris du 10 novembre 2020 en ce qu'il a débouté Mme [T] de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions et condamné Mme [T] aux entiers dépens.

Et statuant de nouveau sur le litige,

2) Juger que Mme [T] bénéficie, du fait des manquements de fond et subsidiairement de forme de la Société Effervescence Label (tant aux règles de l'emploi normal et permanent qu'à celles relatives au recours au contrat intermittent ou aux contrats à durée déterminée), d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de « Chargé de Production » depuis l'origine de sa collaboration, soit depuis le 24 novembre 2014.

3) Juger que la société Effervescence Label aurait dû verser à Mme [T] une indemnité conventionnelle de sujétion de 20 % au regard de l'ajout d'une activité supplémentaire, soit l'émission GRAND SLAM

EN CONSEQUENCE

- Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] à titre de rappels d'indemnité de sujétion la somme de 13 984,23 euros ainsi que 1 398,42 euros au titre des congés payés afférents, sur les 3 dernières années.

4) Fixer le salaire mensuel brut moyen de Mme [T] à la somme de 4 474,95 euros

5) Condamner la Société Effervescence Label à payer à Mme [T] des dommages et intérêts au titre de l'indemnité de requalification prévue à l'article L 1245-2 du Code du Travail, et ce à hauteur de 30 765,32 euros

6) Juger que Mme [T] exerce depuis l'origine à temps plein.

EN CONSEQUENCE

- Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] à titre de rappels de salaire la somme de 19 960,90 euros, ainsi que 1 996,09 euros au titre des congés payés afférents.

7) Juger que Mme [T] est victime d'un processus de harcèlement moral en violation des dispositions des articles L.1152-1 et suivants du Code du travail

EN CONSEQUENCE

- Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] au titre du préjudice subi du fait de harcèlement moral la somme de 56 699,40 euros (12 mois de salaire) à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code civil

8) Juger que la société Effervescence Label a manqué à ses obligations contractuelles et application déloyale du contrat de travail, conformément aux dispositions des articles L.1222-1 du Code du travail, 1103 et 1104 du Code civil

EN CONSEQUENCE

- Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] à titre de dommages et intérêts pour non-respect des obligations contractuelles et application déloyale du contrat de travail, conformément aux dispositions des articles L.1222-1 du Code du travail, 1103 et 1104 du Code civil, la somme de 53 699,40 euros soit 12 mois de salaire;

9) Juger que la société Effervescence Label a manqué à ses obligations légales de préservation de la santé, conformément aux dispositions des articles L 4121-1 et suivants du Code du Travail;

- Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation légale de préservation de la santé, conformément aux dispositions des articles L 4121-1 et suivants du Code du Travail, la somme de 53 699,40 euros soit 12 mois de salaire ;

10) Juger que les manquements graves de la société Effervescence Label dans l'exécution du contrat, de l'application du Code du Travail et de la Convention Collective, justifient la requalification de la rupture du contrat de travail aux torts et griefs de l'employeur.

11) Juger que le contrat travail de Mme [T] rompu à la date du 30 juin 2020 du fait de son non-renouvellement par la société Effervescence Label, a les effets d'un licenciement nul du fait du harcèlement moral subi

A TITRE SUBSIDIAIRE

12) Juger que du fait de la requalification en CONTRAT À DURÉE INDÉTERMINÉE de l'ensemble de la collaboration de Mme [T] depuis l'origine, la rupture de son contrat de travail du 30 juin 2020 intervenue en dehors des règles applicables au licenciement, est nécessairement sans cause réelle et sérieuse ;

QUOI QU'IL EN SOIT EN CONSEQUENCE

- Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] pour la nullité ou l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement les sommes suivantes :

' à titre d'indemnité de préavis, la somme de 8 949,90 euros, ainsi que 894,99 euros au titre des congés payés afférents.

' A titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 6 153,05 euros

' Des dommages et intérêts pour rupture aux torts et griefs de l'employeur à hauteur de 53 699,40 euros

EN TOUT ETAT DE CAUSE

13) Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] au titre du travail dissimulé sur le temps plein, la somme de 26 849,70 euors à titre de dommages et intérêts à hauteur de 6 mois de salaires, conformément aux dispositions des articles L.8221-5 et L.8223-1 du Code du Travail.

14) Ordonner à la société Effervescence Label à remettre à Mme [T] des bulletins de paie conformes depuis le mois de novembre 2014, le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document ;

15) Ordonner à la société Effervescence Label à régulariser la situation de Mme [T] auprès des organismes sociaux, Caisse de retraite CNAV, Caisse de retraite complémentaire, sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document.

16) Juger que la Cour se réserve le contentieux de la liquidation des astreintes ;

Sur l'exécution provisoire :

17) Juger, à titre principal, que le jugement à intervenir est exécutoire de plein droit en application des articles L.1245-2 et R1245-1 du Code du travail ;

18) Prononcer, à titre subsidiaire, l'exécution provisoire sur l'ensemble de la décision à venir sur le fondement de l'article 515 du Code de procédure civile,

19) Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] les intérêts au taux légal ainsi que les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme) conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code Civil ;

20) Condamner la société Effervescence Label à payer à Mme [T] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE ; y ajoutant la même somme à hauteur d'appel

21) Condamner la société Effervescence Label aux entiers dépens ainsi qu'aux éventuels frais d'exécution.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 14 septembre 2023, la société Effervescence Label, intimée, demande à la cour de :

- Déclarer Effervescence Label recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [T] de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de la société Effervescence Label,

- Constater la conformité des CDDU ayant lié la société Effervescence Label à Madame [T] aux dispositions légales et conventionnelles,

- Débouter Madame [T] de sa demande de requalification de ses contrats à durée déterminée d'usage en contrat à durée indéterminée et des demandes indemnitaires liées à cette demande requalification,

- Débouter Madame [T] de sa demande d'indemnité de requalification,

- Débouter Madame [T] de toute demande de rappel de salaire, d'indemnité de congés payés et d'indemnité pour travail dissimulé,

- Débouter Madame [T] de sa demande de rappels d'indemnité de sujétion et des congés payés afférents,

- Donner acte à la société Effervescence Label de ce qu'elle a proposé à Madame [T] de l'embaucher dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée,

- Débouter Madame [T] de toute demande de dommages-intérêts au titre d'un prétendu harcèlement moral, et de sa demande de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

- Dire et Juger que la société Effervescence Label n'a commis aucun manquement à l'encontre de Madame [T] susceptible de permettre une résiliation judiciaire du Contrat de Travail,

- Débouter Madame [T] de sa demande de résiliation judiciaire du Contrat de Travail et des demandes subséquentes, savoir : indemnité de préavis et congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement et dommages-intérêts pour rupture aux torts et griefs de l'employeur ;

- Débouter Madame [T] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect des obligations contractuelles et application déloyale du contrat de travail,

- Débouter Madame [T] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation légale de préservation de la santé,

- Débouter Madame [T] de sa demande de remise de bulletins de salaire conformes aux demandes formulées, et de sa demande d'astreinte subséquente,

- Débouter Madame [T] de sa demande de régularisation auprès des organismes sociaux, de la Caisse de retraite CNAV et de la Caisse de retraite complémentaire et de sa demande d'astreinte subséquente,

A titre subsidiaire, si la Cour jugeait qu'il convient de requalifier les CDDU de Madame [T]

en contrat à durée indéterminée :

- Condamner Madame [T] à rembourser à la société Effervescence Label la somme de 24 134,36 euros, au titre des années 2017, 2018 et 2019, correspondant au trop versé des salaires,

- Calculer les indemnités liées à la rupture du contrat de travail sur la base des minima conventionnels applicables aux contrats à durée indéterminée, soit en l'espèce sur la base d'un salaire de 3 025,47 euros bruts :

- Indemnité de préavis : 2* 3 025,47 euros = 6 050,94 euros bruts,

- Indemnité de licenciement : (3 025,47 euros *1/4*5) + (3 025,47 euros *1/4*7/12) = 4 223,04 euros,

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse selon l'article L.12235-3 du code du travail : 3* 3 025,47 € = 9 076,41 euros ;

- Condamner Madame [T] à payer à Effervescence Label la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- Condamner Madame [U] [T] aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 septembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 novembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1 : Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Mme [U] [T] sollicite la requalification de l'ensemble de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée pour des motifs de fond, à savoir d'une part qu'il s'est agi de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, d'autre part que les contrats à durée déterminée d'usage sont irréguliers, en ce qu'ils ne se justifient pas par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Elle invoque également des motifs de forme, en ce que les contrats à durée déterminée ne donneraient pas la fonction exacte qu'elle remplissait, le motif de recours serait inexistant et les contrats stipulaient plus de 180 jours de travail par an à raison de 7 heures par jour et ce sur 3 années civiles, ce qui impliquait selon elle en application de la convention collective la requalification en contrat à durée indéterminée.

La société Effervescence Label répond que toutes les mentions nécessaires figuraient sur les contrats, que l'audiovisuel est l'un des secteurs d'activité définis par l'article D 1242-1 du Code du travail où il est d'usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée à raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de l'emploi exercé. Elle souligne que la retransmission d'un jeu télévisé à savoir le jeu Slam à la production duquel Mme [U] [T] travaillait est par essence temporaire, puisqu'il est appelé à ne pas être renouvelé en décembre pour l'année suivante, si l'audience moyenne passe sous la barre des 10% des téléspectateurs depuis plus de 4 ans, ou encore si la chaîne décide de changer ses choix éditoriaux.

Sur ce

Aux termes de l'article L. 1242-2 du code du travail, sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans certains cas, et notamment pour des emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

Aux termes de l'article L. 1242-1 du Code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

C'est à l'employeur qui se prévaut de cet usage d'en apporter la preuve.

La possibilité donnée à l'employeur par le texte précité, de conclure des contrats à durée déterminée d'usage dans les secteurs d'activité pour lesquels il est d'usage constant de recourir à de tels contrats et au nombre desquels figure le spectacle, ne peut être utilisée que pour pourvoir un emploi par nature temporaire, chaque contrat devant avoir pour terme la réalisation de l'objet pour lequel il est conclu.

Les contrats litigieux disposaient :

- Cet engagement a pour objet de permettre la préparation des émissions de l'oeuvre audiovisuelle intitulée 'Slam' destinée à être diffusée du lundi au vendredi à 17 heures 30 sur France 3 ;

- La salariée aura pour mission d'assurer, tant dans la phase de préparation que pendant les périodes de tournage, le lien entre l'équipe transactionnelle (dans le suivi et le respect de la charte éditoriale) et la direction artistique de l'émission (dans la conformité du cahier des charges artistique de l'émission) sous contrôle du producteur.

Ce travail était par nature temporaire, puisque le contrat de pré achat liant France télévision à la société Effervescence label disposait :

'Une analyse d'audience sera effectuée sur les émissions diffusées entre le 1er septembre 2017 et le 6 novembre 2017. Dans le cas où l'audience moyenne de ces émissions serait inférieure ou égale à 10 % (données Médiamétrie, 4 ans et +), France télévisions aura la faculté de limiter sa commande aux émissions produites pour diffusion jusqu'à fin décembre 2017, sans indemnité, ni frais d'aucune sorte (...)'.

De plus la chaîne peut ne pas renouveler le contrat qui la lie à l'employeur.

Par suite, l'emploi litigieux n'a pas pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, sans qu'il importe que comme en l'espèce l'activité précaire comme le 'Slam' se soit poursuivi sur plusieurs années, par l'effet de son succès, qui ne pouvait être anticipé.

Les éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi découlent des motifs qui précèdent.

Aux termes de l'article L. 1242-12 du Code du travail, le contrat à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, à défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

Contrairement à ce que développe Mme [U] [T], les contrats litigieux ne sont pas fondés sur l'article L. 3123-34 du Code du travail qui régit les contrats d'intermittent et correspond à un régime de contrat à durée indéterminée, mais sur le statut d'intermittent du spectacle, qui est le régime des artistes et techniciens qui sont embauchés par contrat à durée déterminée d'usage. Aussi en visant cette qualité, les contrats en question se réfèrent bien aux contrats d'usage.

Il ne peut pas plus être reproché aux contrats de ne viser qu'un emploi de 'responsable de recherche' comme le fait Mme [U] [T], car les contrats disposaient qu'elle avait la charge d'assurer le lien entre l'équipe rédactionnelle et la direction artistique de l'émission sous le contrôle du producteur, ce qui implique bien un rôle de coordination polyvalent, qu'elle revendique.

Le fait qu'accessoirement elle se soit occupée de l'émission hebdomadaire 'Le grand slam', qui est variante du jeu 'Slam' n'est pas en contradiction avec la formule générique des contrats selon lesquels son engagement avait pour objet de permettre à la société la préparation des émissions de l'oeuvre audiovisuelle intitulée 'Slam' destinée à être diffusée du lundi au vendredi à 17 heures 30 sur France 3.

Le moyen selon lequel les contrats en question ne visaient pas l'objet du contrat est donc écarté.

Aux termes de l'article V 4 de la convention collective nationale de la production audiovisuelle, dès lors qu'un salarié, employé en contrat à durée déterminée d'usage, a réalisé au titre d'une même fonction plus de 180 jours de travail (d'au moins 7 heures) par année, constatés sur trois années civiles consécutives auprès d'une même entreprise, cette dernière devra proposer une offre d'emploi en contrat à durée indéterminée sur la même fonction (...)

L'offre d'emploi doit être établie par l'employeur, par écrit, dans les deux mois suivant la réalisation des conditions susvisées.

A défaut d'offre de la part de l'employeur, le salarié dispose de deux mois à compter de la réalisation des conditions pour solliciter par écrit une offre d'emploi en contrat à durée indéterminée. L'employeur doit répondre à la demande par écrit dans le mois à compter de la réception de la demande d'offre d'emploi en contrat à durée indéterminée '.

Il n'apparaît pas que la salariée a sollicité par écrit une offre d'emploi en contrat à durée indéterminée et en tout état de cause, la méconnaissance de cette obligation d'offre d'emploi n'est pas sanctionnée par la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

Il suit de l'ensemble de ces motifs, que la requalification est rejetée, de même que par suite la demande d'indemnité de requalification et les demandes liées à la requalification de la cessation des relations en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, à savoir les demandes en paiement d'une indemnité de préavis, de l'indemnité de congés payés y afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture aux torts de l'employeur ou la demande de délivrance de documents de fin de contrat.

2 : Sur la demande en paiement de la somme de 19 960,90 euros

Après avoir relevé que les contrats de travail litigieux stipulaient 39 heures de travail pas semaine et donc 1969 heures par mois et fixaient son salaire mensuel de base, Mme [U] [T] sollicite le paiement de la somme de 19 960,90 euros correspondant à la différence entre les salaires dus sur cette base entre janvier 2017 et décembre 2019 et ceux perçus.

Elle évalue son salaire en ajoutant au salaire minimum conventionnel de 3 729,13 euros sur 39 heures, outre la prime annuelle de 4 000 euros et la prime de sujétion égale à 20 % du salaire de base.

Sur ce

S'agissant de la prime de sujétion, Mme [U] [T] se fonde sur l'article L. VI.7.2.3 qui dispose :

'La rémunération doit tenir compte des responsabilités et des sujétions confiées au salarié dans le cadre de sa fonction. Elle ne peut être inférieure au salaire minimum conventionnel correspondant au classement de l'intéressé par la durée légale du travail applicable, augmenté d'une majoration de 20 % de la référence retenue pour l'annexe « Salaires minima » lorsque le forfait est de 218 jours'.

Toutefois cette disposition qui figure sous le titre forfait en jours ne concerne pas Mme [U] [T] qui n'était pas soumise à une convention de forfait.

Mme [U] [T] n'explique, ni ne justifie l'existence d'une prime de 4 000 euros par an qui lui serait due.

Le salaire mensuel pour 169 heures de Mme [U] [T] était en dernier lieu de 3 700 euros. Elle affirme que le salaire minimum conventionnel était selon elle de 3 729,13 euros, sans démonstrations, de sorte que cette somme doit être rejetée.

Sa demande aboutit à se faire rémunérer des périodes interstitielles séparant les différents contrats. Mais en l'absence de requalification contrat à durée indéterminée, cette prétention ne saurait prospérer.

Les demandes de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés y afférents sont donc rejetées.

L'indemnité de travail dissimulée semble être sollicitée sur le fondement de l'absence de mention de ces salaires sur les bulletins de paie

Dès lors que la demande en paiement de salaire est rejetée il en va de même de la demande d'indemnité de travail dissimulée.

3 : Sur le harcèlement moral

Mme [U] [T] sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 56 699,40 euros de dommages-intérêts en réparation du harcèlement moral dont elle se plaint. Elle soutient que celui-ci est caractérisé en ce que la société l'aurait maintenue pendant cinq ans dans un statut d'intermittente, qu'elle s'est abstenue de défiscaliser la prime versée au mois de décembre 2019, causant un préjudice fiscal et en matière de droits au chômage, qu'elle l'aurait isolée dans l'entreprise, en la surchargeant de travail, de sorte qu'elle a été arrêtée en décembre 2016 du fait de la dégradation de son état de santé.

Sur ce

Aux termes de l'article L 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il convient donc d'examiner la matérialité des faits invoqués, de déterminer si pris isolément ou dans leur ensemble ils font présumer un harcèlement moral et si l'employeur justifie les agissements invoqués par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Quant au maintien dans un statut abusif, il a été démontré plus haut que le maintien des contrats d'usage pendant 5 ans avec Mme [U] [T] était inhérent à la nature de ce contrat.

Quant à la défiscalisation de la prime dite Macron de décembre 2019, Mme [U] [T] soutient que la prime qu'elle a touchée en décembre 2019 d'un montant de 2 000 euros aurait dû faire l'objet d'une défiscalisation dite Macron à hauteur de 1 000 euros, dès lors que son salaire de 3 237,63 euros était inférieur à trois fois le smic mensuel.

La société Effervescence label répond qu'en 2019, seules les primes dite 'pouvoir d'achat' bénéficiaient de cette défiscalisation.

La salarié ne prouve pas son droit, et partant le manquement de l'employeur.

Mme [U] [T] dit avoir été mise à l'écart, ses courriels ne recevant plus de réponse tandis qu'on l'empêchait de mener ses tâches à bien.

L'employeur le nie.

Les échanges de courriels versés aux débats tant par l'une que par l'autre des parties montrent une collaboration normale entre la salariée et son entourage professionnel, même si l'un des messages évoque l'absence de communication entre elle et un collaborateur, qui s'est empressé de répondre pour lui proposer de la voir.

Ce manquement est écarté.

Quant la surcharge de travail, aucune pièce ne vient la démontrer.

Il n'est pas établi que l'arrêt maladie prolongée de la salariée soit lié à des faits de harcèlement moral.

Ainsi les faits sur lesquels s'appuie Mme [U] [T] pour caractériser son harcèlement moral n'étant pas établis, celui-ci n'est pas retenu et la demande de dommages-intérêts formée au titre de sa réparation sera rejetée.

4 : Sur l'obligation de santé et de sécurité

Mme [U] [T] sollicite le paiement de la somme de 53 699,40 euros en réparation d'un épuisement professionnel et de pathologies avec vertiges vestibulaires qui ont conduit notamment à son arrêt de travail du 1er décembre 2016 au 14 décembre 2016, qu'elle impute à son isolement sur son lieu de travail, à son anxiété liée à son activité professionnelle, à l'attitude de l'employeur qui l'aurait court-circuitée, ne lui aurait pas dit bonjour, ni n'aurait répondu à ses différentes interrogations.

Comme le relève l'employeur, les plaintes de la salariée ne sont étayées que par des écrits de sa part, tandis que le médecin du travail l'a déclarée apte le 10 février 2020.

Il s'ensuit que le préjudice invoqué n'étant pas établi, sa demande de dommages-intérêts ne peut qu'être rejetée.

5 : Sur le manquement à l'obligation de loyauté

Mme [U] [T] sollicite l'allocation de la somme de 53 699,40 euros en réparation du manquement de l'employeur à l'obligation de loyauté qu'elle caractérise en ce qu'il aurait été spoliée d'une partie de son salaire entre 2014 et janvier 2016, soit pendant plus d'un an, en s'absentant de lui proposer un contrat à durée indéterminée conformément à ses obligations conventionnelles, dés lors qu'elle ne lui a pas proposé un contrat à durée indéterminée en application de la convention collective de la production audiovisuelle passé 180 jours de contrat à durée déterminée sur trois ans et en ce elle n'a pas bénéficié du salaire minimum qui lui revient, ce qui lui aurait causé un manque à gager de 44,33 heures par semaine.

S'agissant de la proposition d'un contrat à durée indéterminée, aux termes de la convention collective applicable, lorsqu'un salarié, employé en contrat à durée déterminée d'usage, a réalisé au titre de la même fonction, plus de 180 jours d'au moins 7 heures par années constatés sur trois années civiles consécutives auprès d'une même entreprise, cette dernière devra proposer une offre d'emploi en contrat à durée indéterminée sur la même fonction, les périodes en question commençant à courir à compter du 1er janvier 2017 pour les contrats conclus postérieurement à cette date.

Il a été démontré qu'aucun manquement de l'employeur ne peut être retenu sur le fondement de ce texte.

De plus, par lettre du 17 juillet 2020, la société Effervescence Label a proposé à Mme [U] [T] un contrat à durée indéterminée comme chargé de production, statut cadre, pour un salaire de 3 900 euros brut mensuel et 39 heures par semaine.

Par lettre du 4 septembre 2020, l'intéressée a refusé. Elle ne peut donc se plaindre de la méconnaissance de l'obligation conventionnelle.

L'analyse des pièces du dossier et des explications très laconiques de la salariée ne permettent de relever un manque de formation qui aurait fait défaut.

S'agissant de la spoliation de son salaire entre 2014 et janvier 2016 dont se plaint la salariée, si elle soutient qu'elle devait être rémunérée à un niveau supérieur à celui de responsable de recherche, elle ne fournit aucune explication permettant de déduire la perte de la somme mensuelle de 44,33 euros par semaine.

Dans ces conditions, elle ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour déloyauté.

6 : Sur la délivrance des documents de fin de contrat, l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il est équitable au regard de l'article 700 du code de procédure civile de rejeter les demandes de l'une et l'autre des parties au titre des frais irrépétibles et de condamner la salariée qui succombe aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

CONFIRME le jugement déféré ;

REJETTE les demandes au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE Mme [U] [T] aux dépens.

Le greffier Le président de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/08395
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;20.08395 ?
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