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02/05/2024 | FRANCE | N°20/07363

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 02 mai 2024, 20/07363


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 02 MAI 2024



(n° /2024, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07363 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCTHG



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/02871





APPELANT



Monsieur [T] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représent

é par Me Ghislain DADI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0257







INTIMEE



S.A.S. SYMOLIA

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Olivier MOUGHLI, avocat au barreau de PARIS





COM...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 02 MAI 2024

(n° /2024, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07363 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCTHG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/02871

APPELANT

Monsieur [T] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Ghislain DADI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0257

INTIMEE

S.A.S. SYMOLIA

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier MOUGHLI, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 31 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Mme Florence MARQUES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Clara MICHEL, Greffière présente lors de la mise à disposition.

Rappel des faits, procédure et prétentions des parties

La société Symolia est une société exerçant une activité de conseil spécialisé dans la digitalisation des moyens de paiements.

Elle a engagé M. [T] [Y], né en 1962, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 19 février 2019, à effet au 20 février 2019, en qualité d'ingénieur d'affaires.

Le contrat de travail prévoyait une période d'essai de quatre mois, renouvelable une fois.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale SYNTEC.

Par courriel du 22 février 2019 confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception, M. [T] [Y] s'est vu notifier la rupture de sa période d'essai.

La société Symolia occupait alors à titre habituel plus de dix salariés.

Souhaitant faire produire à la rupture de sa période d'essai les effets d'un licenciement nul, à titre principal, et abusif, à titre subsidiaire, M. [T] [Y] a saisi le 5 avril 2019 le conseil de prud'hommes de Paris, aux fins de voir condamner la société Symolia à lui verser les sommes suivantes :

A titre principal :

- 15.000 euros net de dommages-intérêts pour licenciement nul car discriminatoire à raison de sa qualité de défenseur syndical et à raison de l'absence d'autorisation de licenciement par l'inspection du travail comme l'exigeait sa qualité de salarié protégé,

- 82.166,61 euros net à titre principal, 30.000 euros net à titre subsidiaire, de dommages-intérêts au titre de la violation du statut protecteur,

- 5.000 euros net de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.1132-1 du code du travail en réparation de la discrimination dont il a fait l'objet ;

- 10.000 euros net de dommages-intérêts pour licenciement abusif.

- 7.500 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 750 euros d'indemnité de congés payés afférents ;

- 3.500 euros net en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- avec intérêts au taux légal, capitalisation des intérêts et mise des dépens à la charge de l'employeur.

La société Symolia s'est opposée à ces prétentions et a sollicité l'allocation de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la restitution par ce dernier, sous astreinte de 100 euros, d'une carte sim de la marque Orange et d'un ordinateur de la marque Lenovo par jour de retard.

Par jugement du 22 septembre 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté le demandeur de l'ensemble de ses demandes, la société Symolia de la sienne formée en application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné le premier à restituer l'ordinateur de marque Lenovo et la carte sim de marque Orange.

M. [T] [Y] a été condamné aux dépens.

Par déclaration du 2 novembre 2020, M. [T] [Y] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 29 septembre 2020.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 décembre 2020, M. [T] [Y] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement et réitère l'intégralité de ses demandes de première instance sauf à élever à la somme de 3 500 euros l'indemnité sollicitée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 février 2021, l'intimée s'oppose à l'intégralité des demandes formées par M. [T] [Y] et réitère ses demandes de première instance

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 31 octobre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1 : Sur la discrimination

M. [T] [Y] soutient que la rupture lui a été notifiée à raison de sa qualité de défenseur syndical, puisqu'alors qu'il a fait connaître au service des ressources humaines qu'il exerçait cette responsabilité par courriel du 22 février 2019 à 15 heures 13, le courrier de rupture ne lui a été notifié par courriel que postérieurement, soit le même jour à 17 heures 37.

La société Symolia répond que la rupture de la période d'essai lui avait déjà a été notifiée oralement le matin même, qu'il n'est même pas établi que l'intéressé fût défenseur syndical et que la notification de la qualité de défenseur syndical est sans portée comme n'ayant été faite qu'à une assistante. Elle explique que l'unique cause de la rupture était l'inadéquation entre M. [T] [Y] et les qualités de commercial qu'impliquaient ses fonctions d'ingénieur d'affaire, puisqu'il n'a téléphoné que 10 minutes en trois jours, n'a entrepris aucune diligence pour connaître la clientèle et les services de la société, demeurait inactif et adoptait une tenue et une hygiène négligées.

Sur ce

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'action, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales ;

L'article L.2141-5 du code du travail interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail ;

Selon l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La liste des défenseurs syndicaux annexée à l'arrêté du 13 novembre 2019 pour la période allant jusqu'au 31 juillet 2020, comporte le nom de M. [T] [Y], étant précisé que selon l'article D. 1453-2-3 du Code du travail une telle liste est arrêtée pour quatre ans. Ceci démontre que le salarié était bien défenseur syndical à la date de la rupture.

La notification du statut de salarié protégé ne saurait être mise en doute, puisqu'elle a été envoyée au service des ressources humaines à 14 heures 37, puis à Mme [B], assistante de ce service, à 15 heures 13.

L'employeur se borne à répondre que la rupture a été notifiée verbalement le matin du courriel envoyé le soir du même jour pour lui notifier par écrit cette décision ou encore à dire que M. [T] [Y] savait que la rupture allait lui être notifiée.

Si un entretien a pu avoir lieu le matin comme le précise la lettre du 22 février 2019 notifiant la rupture, il n'est pas fait état d'une prise de décision définitive à cette occasion.

Le courriel du 22 février 2019 portant notification de la qualité de défenseur syndical, a pour objet principal en apparence de faire connaître à l'employeur l'adresse à laquelle il faut écrire à M. [T] [Y]. Ceci peut laisser penser que le salarié s'attendait à une telle rupture. Mais il était légitime de notifier sa qualité de défenseur syndical, tant qu'une telle mesure n'était pas notifiée verbalement ou par écrit.

Le délai de deux heures à peine séparant la notification par le salarié de sa qualité de défenseur syndical, de la notification de la rupture laisse supposer l'existence d'une discrimination directe.

Une facture de téléphone de la ligne de M. [T] [Y], faisant état de 10 minutes d'appel téléphonique en trois jours, n'est pas suffisante pour démontrer sans plus d'explication l'absence d'implication du salarié dans son travail. Etant donné qu'aucun autre élément de preuve n'est apporté par la société Symolia, il ne peut être admis que la rupture était fondée sur des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination et tenant à l'insuffisance des capacités professionnelles du salarié. Ainsi l'employeur ne justifie pas du bien fondé de la rupture.

En outre, un tel licenciement était hasardeux, faute de sollicitation d'une autorisation préalable de l'inspecteur du travail comme le prescrit l'article L. 2411-24 du code du travail.

Par suite, la discrimination doit être retenue.

Le contexte discriminatoire de la rupture a causé à l'intéressé un préjudice qui sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 500 euros.

2 : Sur la qualification de la rupture

M. [T] [Y] soutient que la rupture s'analyse comme un licenciement nul, dès lors qu'elle est discriminatoire et irrégulière pour avoir été prononcée sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail.

La société Symolia objecte qu'elle ignorait la qualité de l'intéressé lors de la rupture et qu'il n'y avait pas discrimination.

Sur ce

Les dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés, en raison du mandat ou des fonctions qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, s'appliquent à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai.

Aux termes de l'article L. 2411-24 du Code du travail, le licenciement d'un défenseur syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, faute de quoi il est nul.

A ce premier titre la rupture est nulle.

Aux termes de l'article L. 1132-4 du Code du travail, toute mesure prise en méconnaissance des textes sur la discrimination est nulle.

Il a été retenu que la rupture est discriminatoire.

A ce second titre, la rupture est nulle.

Pour autant, la rupture pendant la période d'essai exclut l'application des règles relatives aux conséquences du licenciement, de sorte que c'est vainement, que M. [T] [Y] demande le paiement d'une indemnité de préavis et de l'indemnité de congés payés y afférents.

L'indemnité prévue par l'article L. 1235-3-1 du code du travail octroyant au salarié protégé les salaires de la période de protection telle que définie notamment par l'article L. 2411-24 précité, a trait à un licenciement prononcé en violation du statut du salarié protégé et l'indemnité égale à au moins six mois de salaire du salarié victime de discrimination est une sanction du licenciement discriminatoire.

Ces textes relatifs au licenciement ne s'appliquent pas à l'indemnisation de la rupture nulle de la période d'essai.

Le salarié n'apporte aucune explication de son préjudice, ni ne donne aucun élément de preuve pour l'illustrer.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [T] [Y], de son âge, de sa très faible ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il ya lieu de lui allouer, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail une somme de 2 000 euros à titre d'indemnité pour rupture nulle.

La sommes allouées portera intérêts à compter du présent arrêt. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ainsi qu'il l'est demandé, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

3 : Sur la restitution de l'ordinateur professionnel et de la carte Sim

La société Symolia sollicite la restitution de l'ordinateur professionnel de marque Lenovo et la carte sim de marque Orange que M. [T] [Y] a conservés par devers lui.

Celui-ci ne répond pas sur ce point.

Dans ces conditions, il y a lieu de le condamner à restituer ces deux objets dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, en fixant une astreinte de 50 euros par jour de retard et par objet, puisqu'ils ne l'ont pas été malgré la décision en ce sens du conseil. Il sera à nouveau fait droit passé un délai de deux mois.

4 : Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il est équitable au regard de l'article 700 du code de procédure civile d'allouer au salarié la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d'appel.

L'employeur qui succombe sur l'essentiel sera débouté de ces chefs et condamné aux dépens.

Il convient de rejeter les demandes au titre des frais d'exécution et du droit de recouvrement de l'huissier qui ne relèvent pas des dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

CONFIRME le jugement déféré, sauf sur les demandes de M. [T] [Y] en paiement d'une indemnité pour rupture nulle, de dommages-intérêts pour discrimination et d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que sur les demandes de la société Symolia de restitution d'un ordinateur et d'une carte sim ;

Statuant à nouveau ;

CONDAMNE la société Symolia à payer à M. [T] [Y] les sommes suivantes :

- 2 000 euros d'indemnité en réparation de la rupture nulle de la période d'essai ;

- 500 euros d'indemnité pour discrimination ;

- 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que les sommes allouées porteront intérêts à compter de la présente décision ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts courus pour une année entière, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

ORDONNE la restitution par M. [T] [Y] dans le mois de la signification du présent arrêt de l'ordinateur de marque Lenovo et la carte sim de marque Orange qui lui ont été remis par la société Symolia, à peine d'une astreinte de 50 euros par jour de retard et par objet, pendant deux mois, après quoi il sera à nouveau fait droit ;

CONDAMNE la société Symolia aux dépens de première instance ;

Y ajoutant ;

REJETTE les demandes de la société Symolia au titre des frais irrépétibles d'appel ;

CONDAMNE la société Symolia à payer à M. [T] [Y] la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

CONDAMNE la société Symolia aux dépens d'appel ;

Le greffier Le président de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/07363
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;20.07363 ?
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