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25/04/2024 | FRANCE | N°23/15608

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 25 avril 2024, 23/15608


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 25 AVRIL 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15608 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIIRX



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Août 2023 -Président du TJ de CRETEIL - RG n° 23/00108





APPELANTE



Mme [E] [B]

[Adresse 14]

[Localité 6] (POLY

NÉSIE FRANÇAISE)



Ayant pour avocat postulant Me Aurélie TABUTIAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : D1416

Représentée à l'audience par Me Emeline SPADONI, substituant Me Hélène DUFOURG, avoc...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 25 AVRIL 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15608 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIIRX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Août 2023 -Président du TJ de CRETEIL - RG n° 23/00108

APPELANTE

Mme [E] [B]

[Adresse 14]

[Localité 6] (POLYNÉSIE FRANÇAISE)

Ayant pour avocat postulant Me Aurélie TABUTIAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : D1416

Représentée à l'audience par Me Emeline SPADONI, substituant Me Hélène DUFOURG, avocats au barreau de BORDEAUX

INTIMES

M. [S] [L]

[Adresse 2]

[Localité 17]

S.C.I. [10], RCS de Créteil sous le n°[N° SIREN/SIRET 5], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentés par Me Laurent HOUARNER, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, présent à l'audience

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Mars 2024 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et Michèle CHOPIN, Conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

****

EXPOSE DU LITIGE

La société civile immobilière [10] (la SCI) a été constituée le 22 octobre 2013. Elle a pour objet social l'acquisition, la vente, l'administration et la gestion par voie de location ou autrement de tous biens immobiliers dont elle viendrait à être propriétaire.

Elle compte quatre associés détenant chacun 25 % du capital social : M. [S] [L] (gérant), M. [K] [F], M. [N] [H], Mme [E] [B].

Elle a pour unique actif un immeuble de rapport situé [Adresse 3] à [Localité 8], où la SCI a son siège social.

Par acte du 5 janvier 2023, Mme [B] a assigné la société [10] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins de voir :

A titre principal :

désigner un administrateur provisoire de la société [10] pour une durée d'un an, sauf renouvellement, avec pour mission notamment d'établir les comptes annuels, de convoquer les assemblées générales et de préserver son actif jusqu'au retour de l'affectio societatis entre les associés ou à défaut une décision de révocation judiciaire du mandat de gérant de M. [L] ;

A titre subsidiaire :

désigner un administrateur ad'hoc pour une durée d'un an, avec pour mission :

* de se faire remettre par M. [L] les comptes et documents sociaux de la société [10] des exercices 2014 à 2022 ;

* d'examiner la régularité des comptes et documents sociaux des exercices 2014 à 2022 et de faire un rapport sur la situation juridique, comptable et financière de la société [10] ;

* de s'assurer de l'établissement de rapports annuels de gestion exempts d'erreurs tels que prévus à l'article 17 des statuts de la société [10] ;

* informer les associés sur les conventions relevant des conventions réglementées conclues par M. [L] notamment concernant la société [15] ;

* convoquer l'assemblée générale ordinaire de la société [10] et fixer l'ordre du jour pour procéder notamment à l'approbation des comptes clos des années 2014 à 2022 ainsi qu'à la demande de révocation du gérant ;

* tenir l'assemblée en rédigeant une feuille de présence en dressant le procès-verbal d'assemblée ;

* diligenter toute procédure nécessaire pour défendre les intérêts de la société [10].

condamner M. [L] à régler la provision des honoraires du mandataire ad'hoc, à titre d'avance sur sa rémunération ;

dire qu'en cas de défaillance de M. [L], la société [10] pourra avancer la provision des honoraires du mandataire en ses lieu et place ;

A titre infiniment subsidiaire :

désigner un expert comptable avec pour mission de vérifier, notamment, la régularité des déclarations comptables émises par la société [10] de 2014 à ce jour ;

En tout état de cause :

condamner la société [10] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société [10] et M. [L] ont conclu au débouté et, à titre reconventionnel, sollicité la suppression d'écrits diffamatoires contenus dans les conclusions de la demanderesse.

Par ordonnance du 8 août 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil a :

dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de Mme [B] ;

débouté la société SCI [10] et M. [L] de leurs demandes reconventionnelles ;

condamné Mme [B] à payer à la société [10] et M. [L] la somme totale de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné Mme [B] aux entiers dépens.

Par déclaration du 19 septembre 2023, Mme [B] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 16 février 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 145 et 835 du code de procédure civile, de :

infirmer l'ordonnance du 8 août 2023 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur ses demandes et l'a condamnée à payer à la société [10] et à M. [L] la somme totale de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la société [10] et M. [L] de leurs demandes reconventionnelles ;

Statuant à nouveau :

A titre principal sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile :

constater des irrégularités caractérisant un dangereux appauvrissement de la société [10] et un enrichissement corrélatif de M. [L] ;

constater une gestion opaque de la société [10] susceptible de dissimuler aux associés des irrégularités de plus grande ampleur ;

constater la situation de péril imminent dans laquelle se trouve la société [10] et ses associés, du fait de la gestion opérée par M. [L] ;

constater l'existence d'une gestion anormale de la société [10] caractérisant un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ;

En conséquence :

désigner un administrateur provisoire pour une durée limitée à un an, sauf renouvellement, avec pour mission de gérer la SCI [10] avec les pouvoirs les plus étendus notamment d'établir les comptes annuels conformément aux règles légales et statutaires applicables et de convoquer les assemblées générales des associés et d'une manière générale de préserver son actif jusqu'au retour de l'affectio societatis entre les associés ou à défaut une décision de révocation judiciaire du mandat de gérant de M. [L] ;

A titre subsidiaire sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile :

constater des irrégularités caractérisant un dangereux appauvrissement de la société [10] et un enrichissement corrélatif de M. [L] ;

constater une gestion opaque de la société [10] susceptible de dissimuler aux associés des irrégularités de plus grande ampleur ;

constater l'existence d'une gestion anormale de la société [10] caractérisant un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ;

constater la situation de péril imminent dans laquelle se trouve la société [10] et ses associés, du fait de la gestion opérée par M. [L] ;

En conséquence :

désigner un administrateur ad hoc pour une durée limitée à un an, sauf renouvellement avec pour mission de :

* se faire remettre par M. [L] les comptes et documents sociaux de la société [10] des exercices 2014 à 2023;

* examiner la régularité des comptes et documents sociaux des exercices 2014 à 2023 et faire un rapport sur la situation juridique, comptable et financière de la société [10];

* s'assurer de l'établissement de rapports annuels de gestion exempts d'erreurs tels que prévus à l'article 17 des statuts de la société [10] ;

* informer les associés sur les conventions relevant des conventions réglementées conclues par M. [L], notamment concernant la société [15] et la SCI [11] ;

* convoquer une assemblée générale ordinaire de la société [10] et en fixer l'ordre du jour pour procéder notamment à l'approbation des comptes clos des années 2014 à 2023 ainsi qu'à la demande de révocation du gérant ;

* tenir l'assemblée en rédigeant une feuille de présence en dressant le procès-verbal d'assemblée ;

* diligenter toute procédure qu'il estimera nécessaire pour défendre les intérêts de la société [10] et notamment les actions en recouvrement des loyers impayés et les actions en expulsion des occupants sans droit, ni titre ;

condamner M. [L] à régler la provision des honoraires du mandataire ad hoc que la société [10] devra lui verser, dès sa saisine, à titre d'avance sur sa rémunération et dire qu'en cas de défaillance de M. [L], la société [10] pourra avancer la provision des honoraires du mandataire en ses lieu et place ;

A titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile :

constater l'existence d'un intérêt légitime pour elle à établir et/où conserver la preuve dont pourrait dépendre la solution d'un litige ;

En conséquence :

désigner, tel expert-comptable qui lui plaira, avec pour mission de :

* se faire communiquer de la société [10] ou de son expert-comptable, par voie dématérialisée où en se rendant au cabinet d'expertise comptable de la société [10] où à son siège social, la comptabilité courante et des neuf dernières années, ainsi que tous documents justificatifs qu'il jugera utiles ;

* de procéder à leur examen ;

* de donner son avis sur l'existence d'éventuelles irrégularités dans la tenue de cette comptabilité ;

* de vérifier s'il existe, à l'étude de la comptabilité et des pièces comptables de la société [10] des conventions susceptibles de relever des conventions réglementées prévues à l'article L. 612-5 du code de commerce non déclarées par le gérant ;

* de déterminer la nature des encaissements en espèces sur le compte de la société [10] et de rapprocher ses encaissements des baux et quittances de loyers ;

* de vérifier la régularité des déclarations comptables émises par la société [10] de 2014 à ce jour ;

* de déterminer en conséquence si la gestion de la société [10] opérée par M. [L] est ou non fautive, et si sa responsabilité est susceptible d'être engagée à l'égard de la société [10] et des autres associés, et dans quelles proportions ;

* plus généralement, de répondre à toutes les questions des parties liées aux anomalies comptables constatées et à leurs conséquences fiscales et financières pour la société [10] et ses associés ;

* dire que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix et notamment tout expert en construction permettant de déterminer si les travaux facturés par la société [15] et à la société [10] ont réellement été réalisés, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ;

* dire que l'expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;

En tout état de cause :

condamner M. [L] à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner M. [L] aux entiers dépens ;

débouter M. [L] et la société [10] de l'intégralité de leurs demandes.

L'appelante fait valoir :

- que la désignation d'un administrateur provisoire à la société [10] est nécessaire à titre conservatoire pour faire cesser un trouble manifestement illicite et prévenir un dommage imminent ;

- que le péril imminent résulte de l'appauvrissement dangereux de la société [10] du fait des agissements de son gérant et l'enrichissement corrélatif de ce dernier, du fait des irrégularités suivantes :

- le paiement par la SCI d'importantes factures établies par une société de travaux dont M. [L] est associé avec son épouse, la société [15], sans autorisation préalable ni même ratification ultérieure de ses associés conformément aux dispositions de l'article L 612-5 du code de commerce, la société [15] ayant ainsi été réglée d'une somme de 73.810 euros TTC de 2020 à 2022, qui représente plus de 40 % des ressources de la SCI ;

- l'absence de facturation de loyers par la société [10] à des sociétés dans lesquelles M. [L] détient des participations et qui occupent des locaux ou y ont une domiciliation, notamment la société [15], ce qui représente une perte d'au moins 12.600 euros par an depuis juin 2020 ;

- l'absence de recouvrement de loyers impayés, l'analyse du grand livre comptable faisant apparaître un débit de 9.949,32 euros sur le compte locataires ;

- l'absence de mise en location de l'intégralité des places de stationnement appartenant à la SCI, 6 à 7 places seulement sur les 17 étant louées sur les années 2020 à 2022, ce qui représente un manque à gagner de 18.000 euros ;

- l'absence de reddition des charges en qualité de bailleur contrairement aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989, ce qui expose la SCI à un risque important de contentieux locatifs ;

- le défaut de retracement en comptabilité des loyers encaissés en espèces ;

- la délégation à M. [H], associé non gérant, d'une partie de la gestion de la SCI, ce qui est susceptible d'engager la responsabilité de la SCI vis-à-vis des tiers ;

- la location d'un local à une société [12] qui est radiée du registre du commerce et des sociétés depuis le 12 juin 2020, un bail étant communiqué au nom de M. [J] qui n'est pas immatriculé au RCS et dont la qualité de commerçant n'est pas vérifiée ni par suite son assurance au titre des risques locatifs ;

- que le trouble manifestement illicite est caractérisé par l'existence d'une crise sociale résultant de la gestion opaque de la SCI par son gérant et qui porte atteinte à son fonctionnement normal, les relations ayant commencé à se détériorer en 2019, deux groupes d'associés s'opposant (Mme [B] et M. [F] d'un côté, M. [L] et M. [H] de l'autre), conflit auquel il a été tenté de mettre un terme par la vente des parts sociales d'un groupe à l'autre, ce qui n'a toutefois pu aboutir faute par le gérant de justifier des éléments nécessaires à l'approbation des comptes depuis 2014, aucune assemblée générale ne s'étant jusqu'alors tenue ; que ce n'est que sous la menace d'une action judiciaire que M. [L] s'est décidé à convoquer une assemblée générale le 6 juillet 2020, les comptes n'ayant cependant pu être approuvés, le gérant s'étant refusé à transmettre aux associés les documents nécessaires à une prise de connaissance éclairée de la comptabilité.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 12 février 2024, la société [10] et M. [L] demandent à la cour de :

confirmer la décision déférée ;

débouter Mme [B] de l'intégralité de ses demandes ;

condamner Mme [B] au paiement de la somme de 1.000 euros à verser à M. [L] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner Mme [B] au paiement de la somme de 6.000 euros à la société [10] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner Mme [B] aux entiers dépens.

Ils font valoir :

- que les prétentions doivent être écartées au visa de l'article 834 du code de procédure civile, ce texte visé au dispositif des conclusions de l'appelante n'étant pas évoqué dans la discussion, aucune urgence n'étant au surplus démontrée et tous les griefs invoqués étant sujets à contestation sérieuse, ne serait-ce qu'en raison de leur ancienneté ;

- que des assemblées générales ont bien été régulièrement tenues de 2014 à 2023 : certes il y a eu du retard jusqu'à l'exercice 2019, dû à la confiance qui régnait alors entre les associés mais qui a été régularisé à première demande de l'un des associés par une assemblée générale du 30 septembre 2020 qui a délibéré successivement sur les exercices des années 2014 à 2019 ; s'agissant des comptes de l'exercice 2021 une assemblée générale a été convoquée le 20 mars 2023 et s'est réunie le 11 avril 2023, et pour ce qui est de l'exercice 2022 l'assemblée générale s'est tenue le 7 décembre 2023 ;

- que la comptabilité de la SCI est tenue régulièrement et sincèrement par un expert-comptable sans qu'aucune anomalie n'apparaisse et sans aucun redressement fiscal ; une société civile immobilière n'est pas tenue de tenir un grand livre ni de déposer ses comptes au greffe du tribunal de commerce ;

- que lors de la convocation aux assemblées générales le gérant a transmis les documents prévus à l'article 14 des statuts, il ne peut lui être fait grief de n'avoir pas communiqué d'autres documents comptables sur lesquels les associés disposent d'un droit de consultation au siège de la société, notamment prévu à l'article 48 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978 qui lui donne même la possibilité de se faire assister par un expert, droit qu'il appartient à Mme [B] d'exercer ;

- que les paiements en espèces effectués par certains locataires ont donné lieu à la délivrance de quittances et ont été régulièrement déclarées en comptabilité puisque ces espèces ont fait l'objet de dépôts sur les comptes bancaires de la société et ont ainsi été intégrées au bilan, ces fonds figurant en compte 512 (compte banque) et non en compte 530, raison pour laquelle ce compte 530 est à 0 ;

- que si la somme des loyers encaissés par la SCI conduit à un chiffre d'affaires annuel de 221.960 euros alors que la déclaration fiscale fait état d'un chiffre d'affaires de 206.280 euros, la différence s'explique par la refacturation des frais locatifs qui, sur la déclaration fiscale, viennent en déduction du montant des charges locatives réglées ;

- qu'il est justifié d'actions en justice pour recouvrement des loyers impayés, le gérant faisant là encore diligence ;

- qu'il n'y a aucun montage frauduleux dans le fait que le dirigeant de la société [12] ait repris un bail à son propre nom ;

- que la société [15], qui est un fournisseur de la SCI comme le savent les associés, bénéficie simplement de la possibilité de mettre son nom sur la boîte aux lettres, elle n'exerce pas son activité dans les locaux de la SCI sauf pour ses interventions facturées, elle ne reçoit aucun client, les rendez-vous se font sur les chantiers et l'administratif est fait au domicile de la présidente, [Adresse 2] à [Localité 17] ;

- que l'article L 612-5 du code de commerce relatif aux conventions réglementées s'applique aux personnes morales de droit privé commerçantes exerçant une activité économique, la location ne ressortant pas de cette notion d'activité économique de sorte que ce texte n'est pas applicable en l'espèce ; en tout état de cause son non-respect ne justifie pas la désignation d'un administrateur provisoire, la seule sanction possible étant la réparation de l'éventuel préjudice subi par la société, inexistant en l'espèce puisque la SCI a bénéficié de conditions avantageuses par la société [15] ;

- qu'il n'est pas sérieux de critiquer l'aide bénévole apportée par l'un des associés, M. [H], qui ne s'est jamais présenté comme le représentant légal de la société.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire, il y a lieu de relever que la décision entreprise n'est pas critiquée en ce qu'elle a débouté la SCI [10] et M. [L] de leurs demandes reconventionnelles. La cour n'est donc pas saisie de ces demandes.

Il doit ensuite être relevé qu'aux termes de ses dernières conclusions, Mme [B] fonde se demande principale de désignation d'un administrateur provisoire et sa demande subsidiaire de désignation d'un administrateur ad hoc sur les seules dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, les développements de l'intimé sur l'application de l'article 834 du code de procédure civile étant par conséquent inopérants.

En application de l'article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Le trouble manifestement illicite découle de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

La désignation judiciaire d'un administrateur provisoire, dès lors qu'elle porte atteinte aux droits fondamentaux des sociétés, est une mesure exceptionnelle qui suppose que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.

En l'espèce, il y a lieu de relever :

- que la société [10], société civile immobilière ayant pour objet selon ses statuts l'acquisition, la vente, l'administration et la gestion par voie de location ou autrement de tous biens immobiliers dont elle viendrait à être propriétaire et toutes opérations financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à l'objet social et susceptible d'en favoriser le développement, exerce bien une activité économique au sens de l'article L.612-5 du code de commerce, ce qu'elle admet d'ailleurs elle-même puisque les rapports de gérance qu'elle a établis et adressés aux associés se réfèrent expressément à ces dispositions légales et qu'un rapport spécial aux associés a été établi pour chaque exercice sur le fondement de ce texte, au terme duquel le gérant indique qu'aucune convention visée à l'article L. 612-5 du code de commerce n'est intervenue et ne s'est poursuivie au cours de l'exercice clos ;

- qu'aux termes de ce texte toute personne morale de droit privé non commerçante ayant une activité économique doit établir et soumettre à l'approbation de son organe délibérant les conventions passées entre cette personne morale et une autre personne morale dont un associé indéfiniment responsable, un gérant, un administrateur, le directeur général (...) est simultanément administrateur ou assure un rôle de mandataire social de ladite personne morale;

- qu'en l'espèce il est constant et résulte de l'extrait Kbis de la société [15] que M. [S] [L], associé gérant de la SCI [10], conclut régulièrement des conventions avec la [15] dans laquelle il est associé avec son épouse et dont il est le directeur général ;

- qu'il n'est pas plus contesté que cette société [15], entreprise de bâtiment en gros et second oeuvre, effectue des prestations qui lui sont facturées par la SCI [10] pour l'entretien de l'immeuble de rapport appartenant à cette dernière ;

- que si l'existence de cette relation contractuelle entre la SCI [10] et la société [15] est connue des associés, les contrats conclus n'ont jamais été soumis au contrôle de l'assemblée générale des associés qui n'ont donc pas été mis en mesure de vérifier leur conformité à l'intérêt social, alors qu'au vu des factures produites par l'appelante les montants payés par la SCI [10] à la Société [15] ne sont pas négligeables, les dépenses s'étant chiffrées à 8.800 euros en 2020, 20.680 euros en 2021, 44.330 euros en 2022 soit pour cette année 2022 40% des revenus de la SCI, son résultat net étant de 113.789 euros ;

- qu'il ressort en outre de l'extrait Pappers du registre national du commerce et des sociétés que la société [15] a son siège social dans l'immeuble de la société [10] sis [Adresse 3] à [Localité 8], et il ne peut être sérieusement contesté par les intimés que cette société, compte tenu de la nature de son activité de travaux de gros et moyen oeuvre, du matériel qu'elle possède et des six salariés qu'elle embauche au vu de ses documents comptables, occupe nécessairement des locaux au sein de la société [10], et cela gratuitement puisqu'aucun bail ne les lie et qu'elle n'acquitte aucune contrepartie financière, ce qui n'est pas contesté par les intimés ;

- que l'appelante justifie aussi qu'une SCI [11], détenue par M. [L], M. [H] et une société [16] a elle aussi son siège au sein de l'immeuble de la société [10], sans bail ni contrepartie financière ;

- qu'il résulte en outre des tableaux de suivi mensuels de l'encaissement des loyers payés par les locataires, communiqués par les intimés à l'appelante, que les 17 places de stationnement que possède l'immeuble ne sont pas toutes louées mais seulement 6 à 7, les intimés ne fournissant pas d'explication sur ce point ;

- que dans ces conditions il est incontestable que la SCI [10] subit un manque à gagner important, et cela à l'avantage de son gérant dont les sociétés [15] et SCI [11] bénéficient de locaux à titre gracieux, ce qui est financièrement préjudiciable à la SCI [10] même si elle réalise des bénéfices ;

- qu'en outre, il est constant que M. [H] participe à la gestion de la SCI [10] avec le gérant de droit M. [L], sans que les statuts ne stipulent cette cogérance, ce qui est susceptible d'engager la responsabilité de la SCI envers les tiers ;

- qu'il n'est pas non plus contesté par son gérant que la SCI [10] n'opère pas de régularisation annuelle des charges auprès de ses locataires, M. [L] expliquant dans un message adressé à son coassocié M. [F] qu'il récupère ces charges par des retenues sur les dépôts de garantie, ce qui est irrégulier et susceptible d'engager la responsabilité de société [10] envers ses locataires ;

- que force est ainsi de constater, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs, l'existence de fautes de gestion qui ont des conséquences sur la situation financière de la SCI et qui ont généré une perte de confiance de deux des quatre associés (détenteurs de 50 % du capital social) dans la gestion du gérant de droit, aboutissant à une situation de blocage dans le fonctionnement de la société puisque si des assemblées générales des associés sont réunies depuis 2020, aucun des exercices comptables n'est approuvé depuis 2014, date de création de la société ;

- qu'à compter de 2019 une profonde mésentente s'est installée entre Mme [B] et M. [F] d'une part, M. [L] et M. [H] d'autre part, qui ressort clairement de leurs échanges de mails produits en pièce 27 par l'appelante, des cessions de parts sociales entre les deux groupes d'associés ou même à des tiers étant envisagés mais sans qu'aucun accord aboutisse en raison notamment de l'impossibilité d'approuver les comptes de la société ;

- qu'ainsi se trouvent menacés tant la gestion actuelle de sa société, aucune majorité ne se dégageant sur les décisions importantes, que son devenir, une cession des parts entre associés ou à des tiers se révélant impossible faute de validation des comptes.

La désignation d'un administrateur provisoire est en conséquence justifiée et nécessaire pour qu'il soit remédié aux fautes de gestion et procédé à la vérification et à la régularisation de la comptabilité afin de permettre le rétablissement de la confiance entre les associés et l'approbation des comptes de la société.

Cette mesure sera ordonnée aux frais avancés de Mme [B], demanderesse à la mesure, mais son coût total sera supporté par la SCI [10], qui en bénéficie.

Elle sera ordonnée pour une durée d'une année, avec faculté de renouvellement, avec la mission précisée au dispositif.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de Mme [B], ainsi que sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

La nature du litige et l'équité commandent de laisser à chaque partie la charge des frais et dépens qu'elle a exposés pour les besoins des deux instances.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme l'ordonnance entreprise,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne la désignation d'un administrateur provisoire à la SCI [10] pour une durée d'une année renouvelable,

Désigne en qualité d'administrateur provisoire :

Maître [O] [D], administrateur judiciaire au sein de la Selas [7], demeurant [Adresse 4] à [Localité 9]

([Courriel 13] - [XXXXXXXX01]),

avec pour mission de :

- se faire remettre par tous détenteurs (gérant, organismes bancaires, comptables...) les documents, archives et fonds de la société ;

- faire tous actes d'administration nécessaires conformes aux statuts, gérer la société avec les pouvoirs du gérant et, si nécessaire, la représenter tant en demande qu'en défense dans toutes les instances dont l'objet entre dans la limite de ses pouvoirs d'administrateur ;

- remédier aux fautes de gestion constatées, vérifier et régulariser les comptes afin de permettre leur approbation par l'assemblée générale des associés ;

- préserver l'actif de la société jusqu'au retour de l'affectio societatis ou à défaut la révocation du gérant et son remplacement ;

Dit que l'administrateur provisoire rendra compte de sa mission au service des administrateurs judiciaires du tribunal judiciaire de Créteil en vue de son éventuelle prorogation et lui soumettra pour examen les frais exposés ainsi que sa demande d'honoraires ;

Dit que la mission de l'administrateur pourra être prorogée sur requête conjointe ou en référé ;

Fixe à 2.000 euros la provision à valoir sur les frais et honoraires de l'administrateur qui sera versée par Mme [B], directement entre les mains de l'administrateur judiciaire dans le délai de deux mois à compter de la présente décision à peine de caducité de la désignation ;

Dit que le coût total de la mesure sera supporté par la SCI [10] ;

Dit que chaque partie conservera la charges des frais et dépens qu'elle a exposés pour les besoins des deux instances,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/15608
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;23.15608 ?
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