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25/04/2024 | FRANCE | N°23/05811

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 25 avril 2024, 23/05811


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRET DU 25 AVRIL 2024

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05811 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHLUR



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Février 2023 -Pole social du TJ de PARIS - RG n° 22/01212





APPELANTES :



Syndicat CONFÉDÉRATION AUTONOME DU TRAVAIL (CAT)

[Adresse 2]

[Localité 5]>


C.E. CSE DE LA SOCIÉTÉ D'ENCOURAGEMENT À L'ELEVAGE DU CHEVAL FRANÇAIS

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Rudy OUAKRAT, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRET DU 25 AVRIL 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05811 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHLUR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Février 2023 -Pole social du TJ de PARIS - RG n° 22/01212

APPELANTES :

Syndicat CONFÉDÉRATION AUTONOME DU TRAVAIL (CAT)

[Adresse 2]

[Localité 5]

C.E. CSE DE LA SOCIÉTÉ D'ENCOURAGEMENT À L'ELEVAGE DU CHEVAL FRANÇAIS

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Rudy OUAKRAT, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : C2445 et par Me Ilan MUNTLAK, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS,

INTIMÉE :

Association SOCIÉTÉ D'ENCOURAGEMENT A L'ÉLEVAGE DU CHEVAL FRANÇAIS (SECF) représentée par son Président

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : L0050 et par Me Stéphanie DE LA LANDE, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Paule ALZEARI, présidente

Eric LEGRIS, président

Christine LAGARDE, conseillère

Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La Société d'Encouragement à l'Elevage du Cheval Français (SETF), nouvelle désignation de la Société d'Encouragement à l'élevage du Trotteur Français (SECF) (ci-après indifféremment SECF ou SETF) est une association régie par la loi du 1er juillet 1901. Sa principale mission est d''uvrer au développement des courses au trot en France et à la protection de la race « Trotteur Français ». Ainsi, la SETF a le statut de Société-Mère des courses au trot sur le territoire.

L'effectif de l'association SETF est d'environ 200 salariés.

Elle compte plusieurs sites dont le siège social, les hippodromes de [Localité 13] (le plus important), [Localité 7], [Localité 6] et [Localité 8], ainsi que le centre d'entraînement [Localité 9].

Depuis le mois de novembre 2020, la représentation du personnel au sein de la SECF est assurée par un comité social et économique (CSE).

La Confédération Autonome du Travail (CAT) y est représentative et majoritaire, puisqu'elle a recueilli la majorité des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles (58,78%).

Le 16 mars 2018, un accord de méthode a été conclu par la SECF et les organisation syndicales. Cet accord avait pour objectif d'organiser les négociations pour parvenir à mettre en place un statut unique pour l'ensemble du personnel.

Le 16 mars 2020, l'État a annoncé le confinement sur tout le territoire national en raison de l'épidémie de Covid 19 conduisant à la fermeture de toutes les entreprises dans tous les secteurs d'activité à l'exception des établissements dont les activités demeuraient autorisées ou qui étaient autorisés à recevoir du public, dont la liste était arrêtée par décret.

Pendant la période de confinement, la SECF a donc cessé toute activité de course de trot qui est son activité habituelle. Une présence de salariés était toutefois assurée afin de veiller notamment aux opérations de maintenance des différents sites.

Lors de la réunion du 26 mars 2020, la direction a informé et consulté le CSE des Sites (regroupant les sites de [Localité 13], [Localité 7], [Localité 6], [Localité 8] et [Localité 9]) sur le projet de mise en place de l'activité partielle.

Le CSE des Sites a émis un avis défavorable (7 avis défavorables et un avis favorable).

Le 27 mars 2020, la SECF a informé et consulté le CSE du siège social sur le projet de mise en place de l'activité partielle compte tenu des contraintes liées à la pandémie. Le CSE a émis l'avis suivant : « 4 sans avis 1 défavorable 1 favorable ».

A partir du 30 mars 2020 et jusqu'en septembre 2020, la SECF a sollicité auprès de la Direccte plusieurs autorisations d'activité partielle sur des périodes successives tant pour son siège (75 salariés concernés) que pour ses différents sites ([Localité 9] 32 salariés, [Localité 8] 8 salariés concernés, [Localité 13] 67 salariés concernés). Ces demandes d'autorisation d'activité à temps partiel étaient toutes motivées par les mesures imposées par la crise sanitaire conduisant notamment à la suppression des réunions de courses et à la baisse du chiffre d'affaire. Chacune de ces demandes d'autorisation a donné lieu à une réponse positive de la Direccte.

Une réouverture partielle des hippodromes devant un public restreint a été initiée à partir du 15 août 2020.

Par mail du 26 août la CAT et Force Ouvrière ont adressé à la SECF différentes revendications.

Par mail du 16 septembre 2020, la CAT a rappelé les revendications.

Sur proposition de la CAT, les salariés ont initié un mouvement de grève le dimanche 20 septembre 2020 sur l'hippodrome de [Localité 13], consistant pour les grévistes à manifester pendant une heure environ en bord de piste.

La direction a informé les sites, que poursuivant les négociations en vue d'aboutir à un accord, et compte tenu de l'incertitude causée par le mouvement social, elle avait décidé de délocaliser trois réunions de courses qui ont effectivement été délocalisées selon les modalités suivantes :

- le 22 septembre 2020, la course prévue à [Localité 13] en semi-nocturne a été transférée à [Localité 10] ;

- 24 septembre 2020, la course prévue à [Localité 8] en semi-nocturne a été transférée à [Localité 11] ;

- 25 septembre 2020, la course prévue à [Localité 13] en nocturne a été transférée à [Localité 10].

Cette délocalisation a généré la suppression des primes liées aux courses compte-tenu de l'absence d'intervention des salariés concernés sur ces événements ainsi que la mise en activité partielle.

Suite à l'intervention de l'inspection du travail, en novembre 2021, la SECF a régularisé les bulletins de paie des 28 salariés qui avaient été placés en activité partielle les 22 et 23 septembre 2020 du fait de la délocalisation des réunions de courses.

C'est dans ce contexte que par acte du 25 janvier 2022, la CAT et le CSE ont assigné la SECF devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir ordonner à cette dernière de régulariser les primes de courses au bénéfice des salariés sur la semaine du 22 au 25 septembre 2020 et de voir condamner la SECF à verser au CSE la somme de 10.000 euros pour entrave à son fonctionnement, et le même montant à la CAT en réparation de l'atteinte au droit de grève des salariés.

Par jugement en date du 14 février 2023, le tribunal a rendu la décision suivante :

« Déboute la Confédération Autonome du Travail (CAT) et le Comité Social et Économique (CSE) de la Société d'Encouragement à l'élevage du Cheval Français de toutes leurs demandes ;

Condamne la Confédération Autonome du Travail et le Comité Social et Économique de la Société d'Encouragement à l'élevage du Cheval Français à verser, chacun, la somme de 2.500 euros à la Société d'Encouragement à l'élevage du Cheval Français sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que l'exécution provisoire est de droit ;

Condamne la Confédération Autonome du Travail et le comité social et économique de la Société d'Encouragement à l'élevage du Cheval Français aux entiers dépens ».

La CAT et le CSE ont interjeté appel de la décision le 16 mars 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 24 janvier 2024, les appelants demandent à la cour de :

« Vu le Code du Travail et notamment les articles L. 2312-8 et suivants ;

INFIRMER le jugement rendu le 14 février 2023 par le Tribunal judiciaire de Paris dans son intégralité ;

Et statuant à nouveau,

Déclarer, les appelants recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et conclusions,

Juger que l'Association SECF a commis une atteinte au droit de grève,

Juger que l'Association SECF a pris une sanction pécuniaire prohibée à l'égard des salariés grévistes et non-grévistes,

Juger que l'Association SECF a manqué à ses obligations légales en matière d'information-consultation du CSE,

EN CONSEQUENCE

Juger que la Société n'a pas respecté ses obligations légales vis-à-vis du CSE, étant constitutif d'une entrave à son fonctionnement et d'une atteinte aux intérêts professionnels défendus par la Confédération Autonome du Travail (CAT),

Ordonner à l'Association SECF de régulariser les primes de courses au bénéfice des salariés sur la semaine du 22 au 25 septembre 2020, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par salarié à compter du prononcé du jugement à intervenir,

Condamner l'Association SECF à verser à la CAT la somme de 10 000 € pour entrave au droit de grève,

Condamner l'Association SECF à verser au CSE de l'Association SECF la somme de 10 000 € pour entrave au fonctionnement du CSE,

Ordonner l'exécution provisoire sur l'intégralité de la décision à intervenir,

Condamner l'Association SECF à verser à chaque requérant la somme de 6 500 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens ».

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 08 février 2024, le SETF demande à la cour de :

« Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 14 février 2023 en toutes ses dispositions,

- Y ajoutant :

' Condamner la Confédération Autonome du Travail à verser à la Société d'Encouragement à l'élevage du Trotteur Français la somme de 3.000 euros au titre de la procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner le comité social et économique de la Société d'Encouragement à l'élevage du Trotteur Français à verser à la Société d'Encouragement à l'élevage du Trotteur Français la somme de 6.000 euros au titre de la procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ».

La clôture a été prononcée le 16 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, et ainsi que l'a déjà relevé le premier juge, il n'y a pas lieu de répondre aux demandes tendant voir « juger » qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4 et 768 du code de procédure civile, en ce qu'elles rappellent les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes et sont dépourvues d'effet juridictionnel.

Sur l'atteinte au droit de grève et aux droits du CSE :

Les appelants font valoir que :

- les décisions de la direction de délocaliser les courses et de placer les salariés concernés en activité partielle ont directement impacté les rémunérations des salariés concernés par ces événements et constituent en réalité des sanctions infligées aux salariés grévistes et non-grévistes, alors que le placement en activité partielle des salariés les a conduits à percevoir une indemnité diminuée, et la délocalisation des courses les a privés de la contrepartie versée pour les vacations nocturnes et semi-nocturnes effectuées sur les sites de [Localité 13] et d'[Localité 8] ce qui constitue des sanctions de nature disciplinaire ;

- ce qui est reproché ce n'est pas d'avoir privé de leurs primes des salariés ayant travaillé durant les courses mais d'avoir empêché des salariés de travailler afin de priver les salariés grévistes de ces primes ;

- tous les salariés grévistes, excepté M. [G], dont la présence était indispensable, ont subi la répression mise en place par la direction ;

- la sanction pécuniaire que constitue cette délocalisation doit donc s'analyser en une mesure discriminatoire, par conséquent illicite, et donc entachée de nullité ;

- la situation de « lock out » porte atteinte au droit de grève, alors que les salariés privés d'intervention sur les courses nocturnes et semi-nocturnes par la seule volonté unilatérale de leur employeur ont été de fait privés d'accéder à leur lieu de travail habituel en nocturne et semi-nocturne, les conséquences étant en pratique les mêmes que pour un « lock out » ce qui est illicite ;

- le CSE devait être consulté en présence d'une question intéressant l'organisation de l'entreprise et des changements intervenus au sens de l'article L. 2312-8 du code du travail, l'employeur aurait dû consulter le CSE, le motif de sa décision, l'urgence ou les nécessités économiques, étant indifférents.

La SETF oppose que :

- la grève est intervenue sans concertation et sans prévenance alors que l'activité venait de reprendre, que des courses étaient prévues, que des discussions étaient en cours et que d'autres syndicats avaient estimé cette grève « malavisée » alors qu'elle avait déféré à plusieurs revendications ;

- elle n'a pas fermé les sites de [Localité 13] et d'[Localité 8], elle a réorganisé son activité ce qui relève de son pouvoir de direction et non du pouvoir de sanction et a versé aux salariés impactés par la délocalisation leurs salaires, suite à l'intervention de l'inspection du travail ;

- la décision de délocaliser a été ponctuelle afin d'assurer la bonne marche de l'entreprise alors que la grève de 1 heure 10 avait engendré une perte de chiffre d'affaires de l'ordre de deux millions d'euros et ne constitue pas une atteinte au droit de grève ;

-elle n'avait pas à consulter le CSE du fait du caractère ponctuel des mesures.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail« constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

L'article L. 1331-2 de ce code ajoute que « Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite ».

La grève se définit comme une cessation collective, concertée et totale du travail en vue de soutenir des revendications professionnelles.

Le droit de grève est un droit fondamental à valeur constitutionnelle.

Afin d'apprécier l'atteinte au droit de grève, il convient de rappeler le contexte et les circonstances qui ont accompagné tant la grève de une heure, que les mesures décidées par la SECF, par l'étude des pièces produites aux débats.

Le 26 août 2020, la CAT et Force Ouvrière ont envoyé un e-mail à la SECF dans les termes suivants :

' « Non à la suppression de 5 postes « courses » à [Localité 13]

' Demande des chiffres détaillés : du CA PMU (Trot) + les charges et Produits de la SETF pour les périodes suivantes :

* Du 1er février 2020 au 16 mars 2020 (début du confinement)

*Du 17 mars 2020 au 11 mai 2020 (date de reprise des courses françaises)

*Du 12 mai 2020 à ce jour

' Reprise du travail à 100% de tous les salarié-e-s de la SETF

' Compensation des 16% de perte du salaire net des salarié-e-s concernés par le chômage partiel

' Accord d'intéressement :

*suppression de la condition Article V ' 1.2 p.6 « Pour l'exercice 2020, dès lors que la part A sera supérieure à zéro la part B se déclenchera ».

*Répartition de l'intéressement : 100% en fonction du temps de présence.

' Renouvellement de la prime de mobilité. »

Le 16 septembre 2020, la CAT a envoyé un e-mail à la SECF dans les termes suivants :

«  Suite à notre mail du 26 août dernier, qui est resté sans réponse de votre part, veuillez trouver ci-dessous un rappel des revendications syndicales, à savoir :

' Non à la suppression de 5 postes « courses » à [Localité 13]

' Reprise du travail à 100% de tous les salarié-e-s de la SETF

' Compensation des 16% de perte du salaire net des salariés-e-s concernés par le chômage partiel

' Accord d'intéressement :

*Suppression de la condition Article V ' 1.2 p.6 « Pour l'exercice 2020, dès lors que la part A sera supérieure à zéro la part B se déclenchera »

*Répartition de l'intéressement : 100% en fonction du temps de présence

' Demande des indicateurs financiers du PMU et de la SETF

- Du 1er janvier 2020 au 16 mars 2020 (début du confinement)

- Du 17 mars 2020 au 11 mai 2020 (date de reprise des courses françaises)

- Du 12 mai 2020 à ce jour (') ».

Le vice-président de la SETF, a communiqué le message suivant daté du 19 septembre 2020 :

« Suite au mouvement observé ce jour à [Localité 13], suite aux discussions entre la direction et les salariés, il est acté un moratoire sur la suppression des 5 postes courses concernant les salariés du Trot lors des réunions de [Localité 13]. Une négociation sera ouverte pour préciser les modalités de mise en place de cette mesure ».

La grève a été initiée le 20 septembre 2020 et s'est tenue en bord de piste pendant une heure sur l'hippodrome de [Localité 13].

Par mail du 20 septembre 2020, M. [B], directeur administratif et financier de la SETF, a indiqué aux partenaires sociaux :

« Bonsoir à tous,

Je vous informe de la tenue d'une réunion demain matin entre les DS [délégués syndicaux] et la direction à [Adresse 1], en salle de réunion.

Cordialement. »

Le lundi 21 septembre 2020, une réunion de négociation s'est tenue entre la SECF et les partenaires sociaux.

Le lundi 21 septembre 2020, le communiqué suivant a été diffusé à tous les sites :

« Transfert des réunions [courses] du 22 au 24 septembre

Suite à un mouvement social, la réunion du dimanche 20 septembre à l'Hippodrome [Localité 12]-[Localité 13] a débuté avec 1h10 de retard, une situation qui a eu de lourdes répercussions sur le chiffre d'affaires de la journée. Ce mouvement social a été organisé sans préavis alors que les discussions avec les partenaires sociaux se déroulent régulièrement depuis le début du confinement.

La Direction réaffirme sa volonté de poursuivre les négociations en vue d'aboutir à un accord. Une réunion s'est d'ailleurs tenue ce matin au siège. Cependant, dans un contexte difficile, fortement fragilisé par deux mois sans aucune activité, et où nous nous sommes battus pour reprendre le chemin des hippodromes, la Direction ne peut pas prendre le risque de mettre en péril l'équilibre financier de la filière dans son ensemble. Elle se doit de protéger les ressources financières indispensables pour tous les acteurs du Trot et de l'institution des courses.

Compte tenu de l'incertitude causée par le mouvement social du 20 septembre, il a donc été décidé :

- de transférer la réunion [course] du mardi 22 septembre de [Localité 12]-[Localité 13] à [Localité 10] ;

- de transférer la réunion [course] du jeudi 24 septembre d'[Localité 8] à [Localité 11] ».

Les négociations se sont poursuivies, des réunions du CSE se sont tenues les 5 et 6 octobre 2020, et ont abouti à un « accord d'entreprise-temps de travail et garanties sociales 1ère partie » du 04 décembre 2020, qui a notamment supprimé les primes existantes et les a remplacées par une indemnité différentielle venant compenser la suppression de certaines primes et usage, dont les vacations nocturnes et semi-nocturnes des salariés des hippodromes.

La SECF a été sollicitée aux fins de régulariser la situation de salariés grévistes et non grévistes impactés par la délocalisation des courses.

Suite à une visite de contrôle du 29 avril 2021, l'inspecteur du travail a adressé à la SECF le 18 mai 2021, un courrier contenant ses observations sur les questions relatives à la « délocalisations des courses consécutive à l'exercice du droit de grève » et des incidences financières au préjudice des salariés impactés du fait de cette délocalisation.

Il y était notamment mentionné qu'il apparaissait à l'inspecteur du travail que les mesures prises,(délocalisation des courses et recours à l'activité partielle) avaient été prises hors des conditions légales.

Le 23 juin 2021, la SECF a adressé un courrier en retour répondant à certaines observations, affirmant que le recours à l'activité partielle n'avait aucun lien avec l'exercice du droit de grève.

Il était cependant conclu : « Notre société n'entend pas s'engager sur ce sujet dans une discussion avec l'inspection du travail ni avec ses représentants du personnel et pour cette raison, nous déférons à votre injonction, mais néanmoins sans la considérer fondée ».

C'est ainsi que la SECF concluait « Nous vous prions de bien vouloir prendre acte du fait que la société s'engage à procéder :

- Au versement du différentiel de salaire non perçu par les salariés de l'hippodrome de [Localité 13], pour la période de fermeture du 21 au 25 septembre 2020,

- Au remboursement, auprès de l'agence de services et de paiement (ASP), des allocations d'activité partielle perçues sur la même période, sur simple demande de sa part et transmission à la SETF d'un relevé des sommes afférentes ».

En novembre 2021, tout en continuant d'échanger avec l'inspection du travail, la SECF a remboursé à l'Etat les allocations d'activité partielle dans les termes demandés par l'inspection du travail, pour un montant de 3.200,07 euros et a régularisé les bulletins de paie des 28 salariés qui avaient été placés en activité partielle les 22 et 23 septembre 2020.

Concernant le lock out :

Les appelants ne démontrent pas que les conséquences de la décision de la direction de délocalisation des courses ont été strictement les mêmes, pour les salariés, qu'une fermeture pure et simple de l'établissement. En effet, s'il est de principe que la fermeture de l'entreprise ou de l'établissement est illicite dans un contexte de grève, ce qui implique de devoir rémunérer les salariés qui n'ont pas pu avoir accès, du fait de cette fermeture, à leur poste, force est de constater les sites de [Localité 13] et d'[Localité 8] n'ont pas été fermés, même temporairement, de sorte que l'accès au site était possible.

La situation de lock out n'est donc pas caractérisée.

S'agissant de la décision de délocalisation et des incidences financières :

Il ressort de la chronologie des échanges repris ci dessus et du contexte dans lequel est intervenue la décision diffusée le 21 septembre 2020, que la direction rappelait que le mouvement social avait été organisé sans préavis, alors que le dialogue social était en cours et que les négociations se poursuivaient, qu'un moratoire avait été accordé sur la suppression de cinq postes et que des réunions étaient programmées.

Si cette décision de délocaliser qui est l'expression du pouvoir de direction de l'employeur a été motivée par le fait que cette grève a eu des répercussions en terme de chiffre d'affaire, et ce dans un contexte de reprise de l'activité en sortie de confinement lié à la crise sanitaire, force est de rappeler cependant que cette décision a été prise « Compte tenu de l'incertitude causée par le mouvement social du 20 septembre », donc en considération du mouvement de grève qui entraînait nécessairement des répercutions d'ordre économique.

Ainsi, en délocalisant les réunions de course, les salariés étaient privés de l'exercice du droit de grève sous la forme qui avait conduit à retarder le départ de course, et surtout privait les salariés, grévistes et non grévistes, d'une partie de leur rémunération suite à la décision initiale de mise en chômage partiel ou à la perte des primes au titre des courses nocturnes ou semi-nocturnes qui avaient été délocalisées.

Si du fait de cette délocalisation, la majeure partie du personnel a rempli ses missions habituelles et que seulement 28 salariés sur les 65 travaillant sur le site de [Localité 13], ont été directement impactés par la mesure, les courses nocturnes et semi nocturnes n'étant plus planifiées, de sorte qu'ils n'avaient plus leurs missions habituelles à accomplir, il s'évince de ce constat que cette délocalisation a fait perdre aux salariés concernés par les réunions de courses nocturnes et semi-nocturnes qui ne se sont pas réalisées à [Localité 8] et [Localité 13] les primes de 72 à 142 euros par vacation sur la période considérée, la non-perception de ces primes résultant ainsi du fait que les prestations supports de ces primes de courses ont été réalisées sur d'autres hippodromes, ce qui constitue une mesure de rétorsion à l'exercice normal du droit de grève.

En effet, si la délocalisation des courses est l'expression du pouvoir de direction de l'employeur, cette délocalisation décidée dans ce contexte de grève combinée avec le non-versement des primes qui auraient initialement dues être perçues par les salariés concernés par ces courses délocalisées, a ainsi été prise dans le but de faire échec à l'exercice du droit de grève par les salariés, de sorte que la décision du premier juge sera infirmée en ce qu'il n'a pas été fait droit aux demandes de dommages et intérêts de la CAT.

De telles circonstances caractérisent ainsi une atteinte aux droits collectifs des salariés, que la CAT est légitime à défendre.

S'agissant de la demande de dommages et intérêts, le contexte très particulier dans lequel cette grève est intervenue, au sortir de la crise sanitaire et alors que des négociations se poursuivaient, que le dialogue n'était pas rompu avec les organisations syndicales, (et aboutira quelques mois plus tard en décembre 2020 à la signature d'un accord), et qu'une heure de grève avait eu des conséquences négatives sur le chiffre d'affaires nécessairement mis à mal dans le contexte de crise sanitaire, et que suite aux observations de inspecteur du travail la SECF a régularisé la situation en versant le complément de salaire aux salariés mis en activité partielle, il sera fait droit à cette demande à hauteur de la somme de 2.000 euros qui constitue la juste réparation du préjudice subi dans ce contexte particulier.

S'agissant des demandes de « régularisation des primes de courses au bénéfice des salariés sur la semaine du 22 au 25 septembre 2020  », au regard des développements qui précèdent, il y a lieu de faire droit à la demande uniquement sur le principe de régularisation des primes de course au bénéfice des salariés sur la période considérée, et ce sans qu'il ne soit donc utile de prononcer une astreinte.

En effet, pour le surplus , ces demandes qui ont trait à des situations individualisées, au titre des droits exclusivement rattachés aux contrats de travail des seuls salariés concernés, relèvent nécessairement de la juridiction prud'homale.

Le jugement est donc infirmé sur ce point .

Le grief relatif à l'absence de consultation du CSE n'est pas caractérisé.

En effet, l'article L. 2312-8 du code du travail, dans sa version applicable aux faits (version en vigueur du 1er janvier 2018 au 25 août 2021) dispose :

«  Le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production.

Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur:

1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ;

2° La modification de son organisation économique ou juridique ;

3° Les conditions d'emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ;

4° L'introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;

5° Les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l'aménagement des postes de travail.

Le comité social et économique mis en place dans les entreprises d'au moins cinquante salariés exerce également les attributions prévues à la section 2. »

2. L'information et la consultation du comité social et économique s'imposent à l'employeur si les mesures qu'il envisage de prendre, dans l'ordre économique, sont importantes et ne revêtent pas un caractère ponctuel ou individuel ».

Or, comme le soutien à juste titre la SETF et ainsi que l'a pertinemment retenu le premier juge, cette consultation ne s'imposait pas alors que les mesures en cause n'étaient pas importantes au sens de l'article précité, et surtout revêtaient un caractère ponctuel.

Dès lors qu'il n'était pas caractérisé de manquement de l'employeur à ses obligations d'information consultation, ni d'une entrave à ses prérogatives, les demandes du CSE ne pouvaient utilement aboutir.

Ainsi, le premier juge sera confirmé en ce qu'il a débouté le CSE de ses demandes et en ce qu'il l'a condamné aux dépens et à une indemnité de procédure.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La SETF qui succombe pour l'essentiel doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée en ses demandes fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le CSE sera débouté de cette demande et il sera fait application de cet article au profit de la CAT.

A l'opposé, aucune considération d'équité ne justifie de faire droit à cette demande présentée par La SETF à l'encontre du CSE.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement :

- en ce qu'il a débouté, la Confédération Autonome du Travail de sa demande de dommages et intérêts ;

- en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande de régularisation des primes de courses sur la semaine du 22 au 25 septembre 2020 ;

- en ce qu'il a condamné la Confédération Autonome du Travail aux dépens et à une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau du seul chef des dispositions infirmées ;

CONDAMNE la Société d'Encouragement à l'Elevage du Cheval Français (SETF), nouvelle désignation de la Société d'Encouragement à l'élevage du Trotteur Français (SECF) à payer à la Confédération Autonome du Travail la somme de 2.000 euros en réparation de l'atteinte aux intérêts collectifs de la profession du fait de l'atteinte au droit de grève ;

DÉCIDE que la demande régularisation des primes de courses sur la semaine du 22 au 25 septembre 2020 est fondée au regard de l'atteinte portée au droit de grève ;

CONFIRME le surplus et y ajoutant ;

CONDAMNE la Société d'Encouragement à l'Elevage du Cheval Français (SETF) aux dépens d'appel ;

DÉBOUTE le comité social économique de la Société d'Encouragement à l'Elevage du Cheval Français (SETF) de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Société d'Encouragement à l'Elevage du Cheval Français (SETF) à payer à la Confédération Autonome du Travail la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de ses demandes à ce titre.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/05811
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;23.05811 ?
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