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25/04/2024 | FRANCE | N°23/02327

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 25 avril 2024, 23/02327


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 25 AVRIL 2024

(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02327 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CHBVO



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Février 2022 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 20/00029





APPELANT

EPFIF - ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D'ILE-DE-FRANCE

[Adresse 7]

[Localité 9]

représenté par Me Micha

ël MOUSSAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : T07 substitué à l'audience par Me Cédric BORTOLUSSI, avocat au barreau de PARIS , toque : T07





INTIMÉS

Madame [C] [J] [Y] ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 25 AVRIL 2024

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02327 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CHBVO

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Février 2022 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 20/00029

APPELANT

EPFIF - ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D'ILE-DE-FRANCE

[Adresse 7]

[Localité 9]

représenté par Me Michaël MOUSSAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : T07 substitué à l'audience par Me Cédric BORTOLUSSI, avocat au barreau de PARIS , toque : T07

INTIMÉS

Madame [C] [J] [Y] épouse [N]

[Adresse 2]

[Localité 11]

représentée par Me Wutibaal KUMABA MBUTA, avocat au barreau de PARIS, toque : A926

non comparante

Monsieur [I] [N]

[Adresse 2]

[Localité 11]

représenté par Me Wutibaal KUMABA MBUTA, avocat au barreau de PARIS, toque : A926

non comparant

DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SEINE SAINT DENIS - COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

Division Missions Domaniales

[Adresse 8]

[Localité 10]

représentée par Madame [L] [F] en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Hervé LOCU, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Hervé LOCU, Président

Madame Nathalie BRET, Conseillère

Madame Valérie DISTINGUIN, Conseillère

Greffier : Madame Dorothée RABITA, lors des débats

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Hervé LOCU, Président et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Par décret n°2015-99 du 28 janvier 2015, l'opération de requalification des copropriétés dégradées du [Adresse 17], comprenant les copropriétés du [Adresse 14] et de l'[Adresse 16], a été déclarée d'intérêt national et sa mise en 'uvre a été confiée à l'Établissement Public Foncier d'Île-de-France (EPFIF).

La [Adresse 17] dans laquelle se situent les copropriétés du [Adresse 14] et de l'[Adresse 16] a été créée par arrêté préfectoral n°2018-1913 du 2 août 2018 et publié le 3 août 2018.

Aux termes de l'arrêté préfectoral n°2019-0278 du 29 janvier 2019, une enquête publique préalable à la déclaration publique et une enquête parcellaire ont été menées du 11 mars 2019 au 12 avril 2019.

Par arrêté préfectoral n°2019-2388 du 6 septembre 2019, la [Adresse 17] a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique.

Par arrêté préfectoral n°2021-0701 du 19 mars 2021, les lots situés dans le bâtiment 10 de la copropriété de l'[Adresse 16] ont été déclarés cessibles au profit de l'EPFIF.

Par décret n°2021-1005 du 29 juillet 2021, l'EPFIF a été autorisé à prendre possession immédiate des immeubles concernés par l'opération.

L'ordonnance d'expropriation, emportant transfert de propriété au profit de l'EPFIF, a été rendue le 21 octobre 2021.

La copropriété de l'[Adresse 16] est édifiée sur les parcelles cadastrées section AM n°[Cadastre 1], AM n°[Cadastre 3], AM n°[Cadastre 4], AM n°[Cadastre 5] et AM n°[Cadastre 6].

Sont notamment concernés par l'opération, Mme [C] [Y] épouse [N] et M. [I] [N] (les consorts [N]) en tant que propriétaires des lots 154, 256 et 1431, et, ainsi que des 1.707/1.000.000èmes des parties communes générales. Le lot est un appartement de type F4, d'une superficie de 65 m². Le lot 256 est une cave. Le lot 1431 est un emplacement de stationnement.

Faute d'accord sur l'indemnisation, l'EPFIF a saisi le juge de l'expropriation de Bobigny par requête reçue par le greffe le 21 février 2020 .

Par un jugement contradictoire du 17 février 2022, après transport sur les lieux, le juge de l'expropriation de Bobigny a :

Annexé à la décision le procès-verbal de transport ;

Annexé à la décision les termes de comparaison produits par les parties ;

Fixé la date de référence au 11 mars 2018 ;

Retenu la méthode d'évaluation globale par comparaison ;

Retenu une valeur unitaire de 800 euros/m² ;

Retenu une indemnité complémentaire de 2.310 euros au titre de la dépossession d'une place de stationnement partiellement intégrée ;

Retenu une majoration globale de 10% pour plus-value immobilière générée par la mise en service du tramway T4 ;

Fixé l'indemnité due par l'EPFIF au titre de la dépossession des lots 154 (appartement), 256 (cave) et 1431 (emplacement de stationnement) du bâtiment 10 de la copropriété de l'[Adresse 16] situé [Adresse 12] à [Localité 15] à la somme de 60750 euros en valeur occupée ;

Dit que l'indemnité de dépossession foncière se décompose de la façon suivante :

54310 euros au titre de l'indemnité principale (65 m² × 800 euros/m² + 2.310 euros ),

6431 euros au titre de l'indemnité de remploi,

Condamné l'EPFIF à payer aux consorts [N] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné l'EPFIF au paiement des dépens.

L'EPFIF a interjeté appel le 25 octobre 2022 du jugement en demandant sa réformation aux motifs que le juge de l'expropriation a :

- fixé la date de référence à la date du 11 mars 2018 soit un an avant l'ouverture de l'enquête préalable en méconnaissance des dispositions de l'article L 322-2 du code de l'expropriation et l'article L 213-4 ainsi que L 213-6 du code de l'urbanisme.

- intégré une plus-value de 10% pour prendre en considération la desserte par le Tramway 4 en violation des dispositions de l'article L 322-2 Alinéa 4 du code de l'urbanisme.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :

1/ adressées au greffe le 20 janvier 2023 par l'EPFIF, notifiées le 9 février 2023 (AR intimés le 13 février 2023, AR CG le 13 février 2023 ), aux termes desquelles il est demandé à la cour de :

Infirmer partiellement le jugement du 17 février 2022 en ce qu'il a :

Fixé la date de référence au 11 mars 2018 soit un an avant l'ouverture de l'enquête publique,

Appliqué une majoration de 10% au motif de l'entrée en exploitation de la nouvelle ligne du tramway T4 ;

Par suite,

Réformer le jugement en fixant le montant des indemnités à revenir à l'exproprié pour la dépossession des lots de copropriété n° 154, 256 et 1431, et ainsi que des 1.707/1.000.000èmes des parties communes générales dépendant du bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 14] à [Localité 15] comme suit :

A/ Indemnité principale :

Méthode d'évaluation : globale - caves et parties communes générales intégrées

État : moyen à bon

Valeur unitaire retenue : 800 euros/m², valeur occupée

Indemnité complémentaire au titre de la perte de l'emplacement de stationnement : 2.310 euros

Superficie retenue : 65 m²

Soit une indemnité principale de (800 euros/m² × 654 m²) + 2.310 euros =

54 310 euros ;

B/ Indemnités accessoires :

Frais de remploi :

20% sur 5.000 euros = 1.000 euros

15% sur 10.000 euros = 1.500 euros

10% sur 39310 euros = 3931 euros

Total frais de remploi : 6431 euros

Total de l'indemnité de dépossession : 60.741 euros arrondi à 60.750 euros en valeur occupée, sauf à parfaire.

2/ adressées au greffe le 9 mai 2023 par le commissaire du gouvernement, intimé, notifiées le 23 mai 2023 (AR appelant le 24 mai 2023, AR intimé le 25 mai 2023), aux termes desquelles il forme appel incident et demande à la cour de :

Fixer à la somme de 60750 euros, en valeur occupée, l'indemnité d'expropriation due aux consorts [N] pour la dépossession des lots , décomposée comme suit :

Une valeur unitaire de 800 euros en valeur occupée,

Une indemnité complémentaire au titre de la perte d'emplacement de stationnement de 2.310 euros,

Une indemnité de remploi de 6431 euros.

3/ adressées au greffe par Madame [C]-Fedelien [Y] épouse [N] et M. [I] [N], intimés et formant appel incident, le 29 janvier 2024 et notifiées le 29 janvier 2024 (AR appelant non retourné et AR CG le 1er février 2024) aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

'recevoir l'appel interjeté par l'EPFIF quant au montant de l'indemnité de dépossession totale qui leur a été allouée,

Et, statuant à nouveau,

'fixer l'indemnité qui leur est due par l'EPFIF pour l'expropriation de leur bien à la somme totale de 220'000 euros ;

'rejeter la demande de l'EPFIF tendant à fixer l'indemnité de dépossession totale à la somme de 60'750 euros ;

'condamner l'EPFIF à leur verser la somme de 5000 euros au titre du préjudice moral ;

'condamner l'EPFIF à leur verser la somme de 5500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES :

L'EPFIF fait valoir que :

Concernant la description des lots expropriés, le lot 154 est un logement d'une surface de 65 m², le lot 256 est une cave et le lot 1431est un emplacement de stationnement. Les parties communes du bâtiment 10 sont vétustes et les équipements ont fait l'objet d'un arrêté municipal (Pièce 6A).

Concernant la situation locative, le bien est occupé en vertu d'un bail d'habitation. Dans ces conditions, le bien a été évalué en valeur occupée, ce qui n'est pas contesté en cause d'appel.

Concernant la date de référence, lorsqu'un bien soumis au droit de préemption fait l'objet d'une expropriation, la date de référence à retenir est celle à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien. En l'espèce, un droit de préemption a été instauré à [Localité 15] (Pièce 1A). Ce droit de préemption a été délégué à l'EPFIF sur le périmètre de l'opération de requalification des copropriétés dégradées du quartier dit du [Adresse 17] suivant délibération du 27 janvier 2015. Les lots expropriés sont situés dans le périmètre de ladite opération. En application des dispositions des articles L.213-4 et L.213-6 du code de l'urbanisme, la date de référence à retenir est celle de la dernière modification du délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont il s'agit, à savoir la modification du 08 avril 2016.

Concernant le principe de la majoration de 10% appliquée en raison de l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4, le premier juge a méconnu les dispositions de l'article L.322-2 du code de l'expropriation qui dispose qu' « il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués ['] par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble ». La date de référence étant celle du 8 avril 2016, l'enquête préalable s'étant tenue du 11 mars 2019 au 12 avril 2019, et la mise en service de la ligne de tramway T4 étant intervenue fin 2019 après plus de trois ans de travaux par nature publics, cette ligne de tramway ne peut pas être prise en compte comme un facteur de plus-value. En tout état de cause, il ne ressort pas des termes de comparaison une quelconque évolution du marché ou de la pression foncière. Enfin, la cour d'appel de Paris a refusé le principe d'une telle majoration (CA Paris 21/09860).

L'indemnité totale d'expropriation s'établit donc à 60.741 euros arrondie à 60.750 euros en valeur occupée, soit 54.310 euros au titre de l'indemnité principale, 6.431 euros au titre de l'indemnité de remploi.

Le commissaire du gouvernement conclut que :

Concernant la description physique des lots expropriés, leur consistance, leur description intérieure et extérieure, leurs éléments de plus-value ou de moins-value, le bâtiment 10 de la copropriété de l'[Adresse 16] est constitué d'un rez-de-chaussée et dix étages à usage d'habitation, ainsi qu'un sous-sol à usage de caves. Le bâtiment comprend, au total en ses quatre entrées, 167 appartements dont 122 appartements de type F3 et 45 appartements de type F4 ainsi que divers locaux communs (un logement de gardien, un local à bicyclettes et un local à voitures d'enfants, un local commun et un local de transformateur). Le lot 154 est un appartement de type F4 de 65 m² . Le lot 256 correspond à une cave. Le lot 1431 correspond à une place de stationnement.

Concernant l'origine de propriété, les lots expropriés ont été acquis le 31 août 2007 au prix de 85.000 euros.

Concernant la situation locative, les lots sont considérés occupés.

Concernant la date de référence, il résulte des article L.322-2 du code de l'expropriation et L.213-4 du code de l'urbanisme que celle-ci doit être fixé à la date à laquelle est devenue opposable aux tiers la dernière modification du plan local d'urbanisme délimitant la zone dans laquelle est située l'ensemble immobilier.

Au cas présent, il s'agit du PLU approuvé le 10 juillet 2012 et modifié le 8 avril 2016, mis en conformité par délibération du conseil du territoire du 26 septembre 2017 et modification numéro deux approuvée par délibération du conseil de territoire du 13 novembre 2018, mise en compatibilité par arrêté préfectoral du 6 septembre 2019.

Concernant la situation d'urbanisme, l'ensemble immobilier est situé en zone UR1. La zone UR1 correspond au renouvellement urbain du centre-ville.

Concernant l'application d'une majoration de 10% pour tenir compte de l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4, l'article L.322-2 du code de l'expropriation dispose que « les biens doivent être évalués à la date de la décision de première instance » et qu'il « ne peut être tenu compte ['] des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués ['] par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble ». Or, la mise en service du tramway T4 est intervenue fin 2019, soit quelques mois après le déroulement des enquêtes préalable et parcellaire. La réalisation de ces travaux ne peut être prise en compte pour la détermination de la valeur unitaire du bien objet de l'expropriation (CA Paris 21/09860).

L'indemnité totale d'expropriation s'établit donc à 60750 euros en valeur occupée.

Madame [C]-[J] épouse [N] et M. [I] [N] concluent que :

'ils se sont mariés le 27 décembre 2008 et ont la charge de cinq enfants.

Ils ont acquis le 31 août 2007 un bien dépendant d'un ensemble immobilier situé [Localité 15], à savoir le lot numéro 154, correspondant à un appartement, avec les 1640/1 000 000èmes de la propriété du sol des parties communes générales, le lot numéro 256, une cave numéro 90 avec les 12/1/1 000 000èmes de la propriété du sol des parties communes générales et le lot 1431 correspondant à un parking avec les 55/1'000'000èmes de la propriété du sol et les parties communes générales.

Le bien est occupé au moment de son exploitation.

Après l'achat, la partie privative a fait l'objet d'une campagne de travaux importants d'embellissement et d'aménagement, pour un montant d'environ 6 000 euros.

Ils ont acquis ce bien par emprunt au prix de 85'000 euros, soit un prix unitaire de 1.550 euros/m² pour l'ensemble des lots susmentionnés, le paiement étant assuré moyennant le financement par un prêt bancaire et Madame [N] s'est obligée à rembourser ce prêt.

L'indemnité de dépossession totale de 60'750 euros n'a pas un caractère juste au sens de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme, puisque celle-ci ne couvre même pas le montant du prêt ; en outre, le montant proposé est très en deçà du prix du marché ; depuis le lancement du projet du Métropole Grand Paris en 2016, le prix immobilier connaît une croissance continue en Île-de-France.

Le prix du marché immobilier à [Localité 15] connaît une croissance continue et varie entre 6.530 euros/m² à 7.440 euros/m², le prix le plus bas est évalué à plus de 4.000 euros/m².

Ils demandent donc une valorisation avec un prix unitaire de 4.000 euros/m², soit une indemnité totale de dépossession de 220'000 euros.

Ils font état d'un préjudice moral directement lié à l'expropriation de leur bien immobilier.

Ils perdent la possibilité d'accéder à la propriété et s'inquiètent de leur avenir et celui de leurs cinq enfants. Ils sont contraints de rembourser un prêt de 85'000 euros, alors même qu'il ne leur est proposé qu'un peu plus de 60'000 euros comme indemnité totale d'expropriation.

Ils demandent donc une somme de 5000 euros au titre du préjudice moral créé par l'expropriation.

SUR CE, LA COUR

- sur la recevabilité des conclusions

Aux termes de l'article R311-26 du code de l'expropriation modifié par décret N°2017-891 du 6 mai 2017 - article 41 en vigueur au 1er septembre 2017, l'appel étant du 25 octobre 2022, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel.

À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, l'intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction.

L'intimé à un appel incident ou un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui en est faite pour conclure.

Le commissaire du gouvernement dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et l'ensemble des pièces sur lesquelles il fonde son évaluation dans le même délai et sous la même sanction que celle prévue au deuxième alinéa.

Les conclusions et documents sont produits en autant d'exemplaires qu'il y a de parties, plus un.

Le greffe notifie à chaque intéressé et au commissaire du gouvernement, dès leur réception, une copie des pièces qui lui sont transmises.

En l'espèce, les conclusions de l'EPFIF du 20 janvier 2023 et du commissaire du gouvernement du 9 mai 2023 déposées ou adressées dans les délais légaux sont recevables.

La cour a soulevé d'office en application de l'article R311-26 du code de l'expropriation l'irrecevabilité des conclusions de M. et Mme [N] comme mentionné sur la note d'audience, puisque les conclusions de l'appelant l'EPFIF leur ont été notifiées le 9 février 2023, qu'ils ont signé l'accusé de réception le 13 février 2023, et qu'ils n'ont adressé un mémoire valant réponse n°1 que le 29 janvier 2024, soit au-delà du délai de trois mois prévu par le texte susvisé.

En raison de l'absence de leur conseil à l'audience, ce moyen soulevé d'office n'a pu lui être soumis.

En conséquence, il convient de déclarer irrecevable le mémoire valant réponse n°1 du 29 janvier 2024 de M. et Madame [N].

AU FOND

Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée ayant force de loi en France , toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

Aux termes de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la réserve d'une juste et préalable indemnité.

L'article 545 du code civil dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Aux termes de l'article L321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Conformément aux dispositions de l'article L322-2, du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance , seul étant pris en considération - sous réserve de l'application des articles L322-3 à L322-6 dudit code - leur usage effectif à la date définie par ce texte.

Les appels de l'EPFIF et du commissaire du gouvernement portent sur :

- la date de référence, à savoir le 11 mars 2018, soit un an avant l'ouverture de l'enquête publique ;

- le principe de la plus- value de 10% retenue à raison de l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4.

L'EPFIF ne conteste pas :

-la méthode d'évaluation par comparaison ;

-la superficie des biens de 56 m² ;

-la situation locative à savoir occupée ;

-la valeur unitaire retenue ;

-l'état d'entretien tel qu'il a été constaté par la juridiction de première instance ;

-l'indemnité complémentaire au titre de la perte de l'emplacement de stationnement ;

-le rejet de l'indemnité spéciale de la procédure d'extrême urgence ;

- le montant des frais de remploi.

Le commissaire du gouvernement, appelant incident, demande de retenir comme date de référence celle de la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est située l'ensemble immobilier, à savoir le PLU approuvé le 10 juillet 2012 et modifié le  8 avril 2016, mis en conformité par délibération du conseil du territoire du 26 septembre 2017 et modification n° 2 approuvée par délibération du conseil de territoire du 13 novembre 2018, mise en compatibilité par arrêté préfectoral du 6 septembre 2019.

Il demande de fixer l'indemnité de dépossession à la somme de 60'750 euros en valeur occupée.

1° sur la date de référence

S'agissant de la date de référence, le premier juge a retenu en application de l'article L 322-2 du code de l'expropriation, la création de la ZAC dite du [Adresse 17] étant antérieure de moins d'un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la DUP, la date du 11 mars 2018, soit un an avant l'ouverture de l'enquête.

L'EPFIF demande l'infirmation, le bien étant soumis au droit de préemption, et de retenir en application des articles L213-4 et L 213-6 du code de l'urbanisme, la date de la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont s'agit, à savoir la modification N°1 du 8 avril 2016.

Le commissaire du gouvernement, appelant incident demande en application des articles L213-4 et L 213-6 du code de l'urbanisme, de retenir la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est située l'ensemble immobilier, à savoir le 13 novembre 2018.

L'article L 322-2 du code de l'expropriation dispose que :

Les biens sont estimés à la date de la décision première instance.

Toutefois, et sous réserve de l'application des dispositions des articles L322-3 à L322-6, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L1 ou, dans le cas prévu à l'article L 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l'article L 121-8 du code de l'environnement ou par l'article 3 de la loi numéro 2010'597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat (mots ajoutés, loi N°2018-1021, 23 novembre 2018) ou, lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté mentionné à l'article L311-1 du code de l'urbanisme, à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.

Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au 2e alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.

Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les 3 années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé le bien.

En outre, les articles L 213-4 et suivants du code de l'urbanisme prévoient des règles particulières, notamment dans le cas où le bien est grevé du droit de préemption urbain.

L'article L 213-6 du code de l'urbanisme dispose que lorsqu'un bien soumis au droit de préemption fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique, la date de

référence prévue à l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est celle prévue au a) de l'article L213-4.

L'article L 213-4 a) du code de l'urbanisme prévoit que pour les biens non compris dans une zone d'aménagement différé, la date de référence devant être prise en compte est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

Par arrêt du 1er mars 2023 n°22-11467, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu'en application des articles L 213-4 a) et L213-6 du code de l'urbanisme, lorsque le bien exproprié est soumis au droit de préemption, la date de référence pour déterminer l'usage effectif du bien, est celle à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant , révisant ou modifiant le POS ou le PLU et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien, règle qui s'applique également pour la qualification de terrain à bâtir.

En l'espèce, par délibération n° 2015. 01. 27. 07 du conseil municipal de la commune de [Localité 15] du 27 janvier 2015, un droit de préemption urbain renforcé a été instauré sur le territoire de la commune (pièce n° 1).

Ce droit de préemption a ensuite été délégué à l'EPFIF sur le périmètre de l'Opération de Requalification des Copropriétés Dégradées d'Intérêt National (ORCOD-IN) par la commune suivant délibération du 26 mai 2015, délégation ensuite confirmée par délibération du conseil de territoire de l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est du 28 février 2017.

Il est établi que les biens expropriés sont situés dans le périmètre de l'ORCOD-IN et qu'ils

sont donc soumis au droit de préemption urbain.

L'ordonnance d'expropriation est intervenue le 21 octobre 2021, soit postérieurement à la loi N°2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (dite loi ELAN).

La dernière modification du PLU proposée par le commissaire du gouvernement du 13 novembre 2018 ne modifiant pas les caractéristiques de la zone où se situe l'ensemble immobilier ne sera pas retenue comme date de référence.

En conséquence, en application des dispositions susvisées des articles L 213-4 et L213-6 du code de l'urbanisme, la date de référence est celle de la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont s'agit, à savoir la modification n°1 du 8 avril 2016.

En conséquence le jugement sera infirmé en ce sens.

2° sur la nature du bien, de son usage effectif et de sa consistance :

A sur les copropriétés du [Adresse 14] et de l'[Adresse 16]

La commune de [Localité 15] est constituée de plusieurs quartiers de grands ensembles présentant de nombreux handicaps dus à l'urbanisme développé dans les années 1960, le plan de composition reposant en effet sur la réalisation de l'autoroute A 87 qui n'a jamais vu le jour. Le quartier souffre donc de l'absence de voies expresses et de transports structurants, les seuls transports en commun étant des bus et la gare RER la plus proche « [Localité 13] » étant située à 5,5 km.

La copropriété de l'[Adresse 16] a été édifiée en 1966 sur un terrain de 34 214 m², plat, situé près de la mairie de [Localité 15].

L'EPFIF et le commissaire de gouvernement exposent les conclusions d'une étude concernant les copropriétés contiguës du [Adresse 14] et de l'[Adresse 16] réalisée par la commune de [Localité 15] en 2014 mettant en évidence que :

'près de 60 % des ménages ont un niveau inférieur au seuil de pauvreté

'85 % des ménages présentent des revenus inférieurs au plafond PLAI

'un taux de chômage de 29 %, encore plus marqué chez les jeunes

'un quart des familles sont monoparentales

'près de 20 % des logements sont occupés par plus d'un ménage

'l'occupation moyenne est de plus de 4 personnes par logement

'une rotation importante des propriétaires comme chez les locataires.

Le commissaire du gouvernement précise qu'il résulte de cette situation une progression continue des impayés des charges de copropriété et en conséquence un déficit d'entretien du bâti, produisant une dégradation importante du bâtiment et le développement des situations d'insalubrité et de péril ; ces difficultés ont entraîné la mise sous administration judiciaire de la copropriété ; les pouvoirs publics sont également intervenus dans le cadre d'un plan de sauvegarde signé entre l'État, le département et la commune de [Localité 15] le 19 janvier 2010 qui a fixé différents objectifs afin de parvenir à la requalification de la copropriété :

'résorption des impayés,

'réalisation des travaux urgents et mise aux normes,

'lutte contre les marchands de sommeil,

'individualisation des réseaux de fluides des bâtiments afin de réaliser leur scission,

'réalisation des travaux de rénovation énergétique.

La conclusion du plan de sauvegarde achevé fin 2014 a relaté les limites ou impasses concernant les objectifs, notamment le redressement de la gestion, l'assainissement des finances, ou encore la réhabilitation du bâti.

En conséquence, l'ampleur des dégradations a justifié la définition d'un périmètre pour une Opération de Requalification des Copropriétés dégradées d'intérêt National (ORCOD-IN).

Par décret numéro 2015-99 du 28 janvier 2015 a été déclarée d'intérêt national l'opération de requalification des copropriétés dégradées du quartier dit du « [Adresse 17] » et la mise en 'uvre a été confiée à l'EPFIF.

B sur le bâtiment 10 de la copropriété de l'[Adresse 16]

Par arrêté préfectoral N°2021-0701 du 19 mars 2021, les lots situés dans le bâtiment 10 de la copropriété ont été déclarés cessibles au profit de l'EPFIF.

L'ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété a été rendue le 21 octobre 2021.

Un décret N°2021-1005 du 29 juillet 2021 a autorisé l'EPFIF à prendre possession immédiate d'immeubles dégradés situés dans le périmètre défini par le décret N°2015-99 du 28 janvier 2015 déclarant d'intérêt national l'opération de requalification de copropriétés dégradées du [Adresse 17] à [Localité 15].

Il s'agit d'un immeuble à usage d'habitation, composé de onze niveaux, soit un rez de chaussée et dix étages, comprenant 167 logements, dont 122 F3 et 45 F4, accessibles par quatre entrées et cages d'escaliers nommées A, B, C et D. Le bâtiment est également composé de locaux communs, d'un toit terrasse à usage de séchoir commun et d'un sous-sol comprenant des caves, étant précisé que ces éléments ne sont plus utilisables en ce qui concerne les deux premiers, l'est difficilement en ce qui concerne le troisième.

C sur le bien exproprié

Il s'agit :

' du lot n°154 : un appartement de type F4, situé au troisième étage de l'escalier C, d'une superficie de 65 m².

.

Il est composé d'une entrée et d'un couloir qui desservent une cuisine, un WC et une salle de bain ainsi qu'une pièce de vie et trois chambres, l'une d'entre elles étant accessible à partir de la pièce de vie.

Le premier juge a retenu un état d'entretien moyen.

' du lot n°256 : une cave, qui n'a pas été visitée par le premier juge en raison d'un accès peu aisé et la présence de nombreux nuisibles ;

' du lot n°1431 : un emplacement de stationnement extérieur, associé au bâtiment 10, à l'état d'usage et sans aménagement.

3° sur la date d'estimation

S'agissant de la date à laquelle le bien exproprié doit être estimé, il s'agit de celle du jugement de première instance, soit le 17 février 2022.

4° sur la fixation de l'indemnité principale

A sur les surfaces

La surface pour l'appartement de 65 m² n'est pas contestée.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

B sur la situation locative

Aux termes de l'article L322-1 du code de l'expropriation le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété ; en conséquence en l'espèce, la consistance des biens doit être fixée à la date de l'expropriation du 21 octobre 2021.

La fixation en valeur occupée n'est pas contestée par les parties.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

C sur la méthode d'évaluation

La méthode par comparaison retenue par le premier juge n'est pas contestée par les parties.

En outre, les parties ne contestent pas le fait que le premier juge a dit n'y avoir pas lieu d'évaluer la cave en sus de l'appartement, la valeur de celle-ci étant intégrée à celle de l'appartement.

Le jugement sera donc confirmé en ce sens.

D sur la fixation de l'indemnité principale

1° sur la valeur de l'appartement et de la cave

Le premier juge après examen des références des parties et en tenant compte de l'état moyen du bien a retenu une valeur de 800 euros/m².

2° sur la valeur de l'emplacement de stationnement

Le premier juge a retenu une valeur de 2310 euros pour l'indemnité au titre de la place de stationnement.

3° sur les appels de l'EPFIF et du commissaire du gouvernement sur le principe de la majoration de 10% appliquée en raison de l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4

L'article L322-2 du code de l'expropriation alinéa 4 dispose que quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subie depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble.

En outre, le Conseil Constitutionnel a été saisi de deux QPC relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, pour la première, des deuxième et quatrième alinéas de l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et, pour la seconde, de ce même article.

Par décision n°2021-915/916 du 11 juin 2021, il a notamment indiqué :

' sur le fond :

Aux termes de l'article 17 de la Déclaration de 1789 : 'la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ;

Afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique a été légalement constatée. La prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité. Pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation. En cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnité, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée.

En application des articles L311-5 et L311-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, lorsqu'ils ne parviennent pas à un accord amiable sur le montant de l'indemnité, l'expropriant et l'exproprié peuvent saisir le juge de l'expropriation. Il lui appartient alors de fixer le montant de cette indemnité selon les modalités prévues aux articles L322-1 à L 322-13. Le premier alinéa de l'article L322-2 prévoit à cet égard qu'il apprécie la valeur des biens expropriés à la date de la décision de première instance. Le deuxième alinéa de ce même article impose néanmoins au juge de prendre en considération, sous réserve de certains cas, l'usage effectif du bien à une date de référence antérieure à cette date. Son dernier alinéa exclut par ailleurs la prise en compte par le juge de l'expropriation des changements de valeur subis par le bien depuis la date de référence, lorsqu'ils résultent de certaines circonstances.

Parmi ces circonstances, les dispositions contestées interdisent au juge de tenir compte de changements de valeur du bien exproprié lorsqu'ils sont provoqués par l'annonce des travaux ou des opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée par l'expropriant.

Il en résulte que la hausse de la valeur vénale du bien exproprié résultant le cas échéant, d'une telle circonstance n'a pas vocation à être prise en compte dans le calcul de l'indemnité due à l'exproprié, alors même que l'expropriant entend céder le bien à un prix déjà déterminé et incluant cette hausse.

En premier lieu, d'une part, l'expropriation ne peut être prononcée qu'à la condition qu'elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée sous le contrôle du juge administratif.

D'autre part, en interdisant au juge de l'expropriation, lorsqu'il fixe le montant de l'indemnité due à l'exproprié, de tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence lorsqu'ils sont provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée par l'expropriant, les dispositions contestées visent à protéger ce dernier contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations.

Le législateur a ainsi entendu éviter que la réalisation d'un projet d'utilité publique soit compromise par une telle hausse de la valeur vénale du bien exproprié, au détriment du bon usage des deniers publics. Ce faisant, il a poursuivi un but d'intérêt général.

En second lieu, pour assurer la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, le juge peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de références à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. A ce titre, il peut notamment prendre en compte l'évolution du marché de l'immobilier pour estimer la valeur du bien exproprié à la date de sa décision.

Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne portant pas atteinte à l'exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration de 1789 doit être écarté'.

Le premier juge a retenu la date de référence du 11 mars 2018, qui a été infirmée par la cour.

À l'appui de son appel, l'EPFIF indique que s'il ne conteste pas qu'il a revu les valeurs unitaires retenues à la hausse, il a expressément précisé dans ses écritures de première instance que cette hausse ne saurait être justifiée par l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4 et que le tribunal a méconnu les dispositions de l'article L 322-2 du code de l'expropriation.

La date de référence retenue par la cour est celle du 8 avril 2016.

L'enquête préalable à la DUP la [Adresse 17] s'est tenue du 11 mars 2019 au 12 avril 2019 inclus et la mise en service de la ligne de tramway T4 est intervenue fin 2019 après trois ans de travaux (pièce numéro 5).

En conséquence, ces travaux étant de par leur nature des travaux publics, leur réalisation dans les trois années ayant précédé l'enquête publique préalable à la DUP de la [Adresse 17] et leur impact éventuel ne peuvent être pris en compte comme facteur de plus-value ; en tout état de cause, les termes de l'autorité expropriante de septembre 2016 à juillet 2021 ne démontrent pas une évolution du marché, ce qui démontre que la mise en service de la ligne du tramway T4 est sans incidence sur la valeur vénale du bien exproprié.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Les valeurs unitaires n'étant pas contestées, l'indemnité principale est de :

(65 m² X 800 euros/m²) + 2 310 euros= 54 310 euros en valeur occupée.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

4° sur les indemnités accessoires

1° sur l'indemnité de remploi

20 % sur 5 000 euros : 1 000 euros

15 % sur 10'000 euros : 1 500 euros

10 % sur 39 310 euros : 3 931euros

Total : 6 431 euros.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

En conséquence, l'indemnité totale de dépossession due par l'EPFIF à M. et Mme [N] en valeur occupée est de :

54 310 euros (indemnité principale)+ 6 431 euros (indemnité de remploi)=60 741 euros arrondie à 60 750 euros.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

- sur les dépens

Il convient de confirmer le jugement pour les dépens de première instance, qui sont à la charge de l'expropriant conformément à l'article L312-1 du code de l'expropriation.

Au regard de la solution du litige, chaque partie supportera la charge de ses dépens.

PAR CES MOTIFS,

la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevables les conclusions de l'EPFIF et du commissaire du gouvernement ;

Déclare irrecevable le mémoire valant réponse n°1 du 29 janvier de Madame [C]-[J] [Y] épouse [N] et de M. [I] [N];

Statuant dans les limites des appels,

Infirme partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Fixe la date de référence au 8 avril 2016 ;

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 23/02327
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;23.02327 ?
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