REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRET DU 25 AVRIL 2024
(n° 106/2024, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 21/15065 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHMS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 mai 2021 - Tribunal judiciaire de Paris (5ème chambre, 1ère section) RG n° 20/03653
APPELANT
M. [W] [X]
né le 31 mai 1942 à [Localité 14] (Algérie)
[Adresse 2]
[Localité 12]
Représenté et assisté par Me Yael TRABELSI de la SELEURL YLAW AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : C1780
INTIMES
Mme [K] [G] [R] [Y] Veuve de M. [U] [D] [C]
née le 06 août 1965 à [Localité 15]
[Adresse 3]
[Localité 9]
M. [B] [L] [V] [Y]
né le 05 janvier 2000 à [Localité 17] (93)
[Adresse 7]
[Localité 8]
Mme [R] [A] [S] veuve [O]
née le 06 octobre 1945 à [Localité 13] (63)
[Adresse 11]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : B1055
Assistée de Me Monika SEIDEL-MOREAU substituant Me Franck MOREAU, avocat au barreau de Paris, toque : A0538
M. [J] [N]
né le 09 mars 1994 à [Localité 19]
[Adresse 5]
[Localité 10]
Défaillant (déclaration d'appel et conclusions signifiées le 28 octobre 2021 par procès-verbal article 659 du code de procédure civile)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et Mme Sandra Leroy, conseillère, rapport ayant été présenté par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre
Mme Sandra Leroy, conseillère
Mme Emmanuelle Lebée, magistrate honoraire exerçant des fonctions
juridictionnelles
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRET :
- défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 18 août 1999, Mmes [F], [S], épouse [O], [Y] et M. [M] [Y], ces co-indivisaires étant désormais [K] [Y], [B] [Y] et [R] [S] (les consorts [Y]), ont donné à bail à M. [I] un local à usage commercial sis [Adresse 3] à [Localité 18].
Le fonds de commerce exploité dans les locaux loués a fait l'objet de plusieurs cessions, M. [I] l'ayant cédé par acte du 16 juillet 2003 à la société Admr Teinturerie, qui l`a cédé par acte du 4 mai 2009 à la société Blanck K, détenue notamment par M. [W] [X] et son épouse, qui l'a cédé par acte du 1er juillet 2013 à la société Kkl Parnters (la société Kkl) dont le gérant était alors M. [N], laquelle société Kkl l'a cédé à la société Majka par acte du 28 janvier 2016, signifié aux bailleurs le 5 février 2016.
Le 31 octobre 2017, M. [W] [X] est devenu le gérant de la société Kkl.
Par jugement du 6 décembre 2017, signifié le 3 janvier 2018 à la société Kkl, le tribunal judiciaire de Paris a condamné celle-ci à payer aux bailleurs la somme de 33 299,09 euros au titre d'un arriéré de loyers et charges au 26 janvier 2016, outre une clause pénale.
Le 26 avril 2018, les consorts [Y] ont inscrit un nantissement sur un fonds de commerce de pressing appartenant également à la société Kkl, situé [Adresse 5] à [Localité 10] pour un montant de 38 904,40 euros, inscription dénoncée le 4 mai 2018.
La société Kkl avait amiablement résilié le bail le 11 janvier 2016. Le 1er février 2016, la société Makja a créé à cette même adresse un fonds de commerce de pressing, qui sera déplacé, sous la même enseigne, au [Adresse 6], transfert constaté par huissier de justice dans un procès-verbal en date des 16 août, 20 août et 19 septembre 2018. Ce fonds sera cédé, le 3 août 2018, à la société Blonsky Compagny, détenue par [E] [X], fils de M. [W] [X] et Mme [Z] [X], épouse de celui-ci.
Le le 31 janvier 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l`égard de la société Kkl.
Les consorts [Y] ont, par actes des 19 et 21 février 2020, fait assigner M. [W] [X] et M. [N] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins principales d'obtenir leur condamnation in solidum à leur payer la somme de 38 129,09 euros avec intérêts au taux légal et majoration de 5 points à compter du 6 décembre 2017, outre la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice moral, celle de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de l'instance comprenant notamment le coût du constat de Me [H] et les actes d'huissier visant à l'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 6 décembre 2017.
Par jugement réputé contradictoire en date du 4 mai 2021, le tribunal, qui a retenu la responsabilité du gérant de la société Kkl, a condamné M. [W] [X] à payer aux consorts [Y] la somme de 38 129,09 euros avec intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 6 février 2018, la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens, en ce compris le coût du constat des 16, 20 août et 19 septembre 2019, et a débouté les consorts [Y] de leur demande de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral.
M.[X] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 30 juillet 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS EN CAUSE D'APPEL
Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :
Vu les conclusions récapitulatives de M. [X], en date du 30 janvier 2024, tendant à voir la cour, in limine litis, déclarer le tribunal judiciaire de Paris incompétent au profit du tribunal de commerce soit de Paris, soit de Bobigny, prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance et, par conséquent, la nullité du jugement attaqué, au fond, réformer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a débouté les intimés de leurs demandes formées à l'égard de M. [N], débouter les consorts [Y] de leurs demandes, les condamner à lui payer la somme de 20 000 euros à au titre de son préjudice moral et celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Vu les conclusions récapitulatives des consorts [Y], en date du 5 février 2024, tendant à voir la cour débouter M. [X] de sa demande d'incompétence, de ses demandes de nullité de l'assignation signifiée le 19 février 2020 et du jugement attaqué, confirmer le jugement, y ajoutant, condamner M. [X] au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée.
La déclaration d'appel et les conclusions de M.[X] ont été signifiées à M. [N], non comparant, par acte en date du 28 octobre 2021, les conclusions des intimés lui ont été signifiées par actes en date des 27 janvier 2022 et 25 janvier 2024.
DISCUSSION
Sur la compétence :
L'article L. 721-3 du code de commerce dispose que « Les tribunaux de commerce connaissent : 1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; 2° De celles relatives aux sociétés commerciales ; (...) 3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes ».
à l'appui de son exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Paris ou de Bobigny, l'appelant soutient qu'en application de l'article L. 721-3 du code de commerce, le tribunal de commerce est exclusivement compétent pour statuer sur l'action en nullité de la société et sur l'action en responsabilité contre la société et ses dirigeants pour des fautes contractuelles et extracontractuelles, pour statuer sur une action en responsabilité engagée contre une personne à qui l'on reproche une faute dès lors que les faits allégués contre cette personne se rattachent par un lien direct à la gestion de la société, peu important qu'elle n'ait pas la qualité de commerçant, ni même celle de dirigeant de droit de la société.
Cependant, comme le relèvent à bon droit les intimés, si la compétence des juridictions consulaires peut être retenue lorsque les défendeurs sont des personnes qui n'ont ni la qualité de commerçant ni celle de dirigeant de droit d'une société commerciale dès lors que les faits qui leur sont reprochés sont en lien direct avec la gestion de cette société, il est toutefois de principe que lorsque le demandeur est un non-commerçant, il dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce. Tel est le cas en l'espèce, l'appelant ne soutenant pas que les consorts [Y], bailleurs de la société Kkl, aient la qualité de commerçants ou qu'ils aient fait actes de commerce. Le tribunal judiciaire était donc compétent pour connaître de leur demande mettant en cause la responsabilité personnelle du gérant de la société commerciale preneuse à bail.
Sur la nullité de l'assignation introductive d'instance :
M. [X] soutient que l'assignation délivrée [Adresse 4] à [Localité 16] est nulle dès lors que l'huissier de justice instrumentaire n'a pas procédé aux vérifications nécessaires, que cette nullité, et celle subséquente du jugement entrepris, lui a causé un grief, puisqu'une mesure d'exécution, à savoir une saisie-attibution, partiellement fructueuse, a été diligentée à son encontre à la suite de la signification de ce jugement. Il expose que son domicile personnel est situé [Adresse 2] à [Localité 12] (Seine Saint-Denis).
En vertu des articles 654, 655 et 656 du code de procédure civile, la signification d'un acte d'huissier doit être faite à personne, l'huissier devant relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification, et l'acte ne peut être délivré à domicile et remis en l'étude de l'huissier que si la signification à personne s'avère impossible et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée.
En l'espèce, l'huissier de justice instrumentaire s'est rendu à l'adresse personnelle du gérant de la société Kkl, telle que mentionnée sur l'extrait K bis de celle-ci et, en l'absence de boîte aux lettres au nom de l'appelant, de liste des occupants de l'immeuble et de concierge, a interrogé un voisin, étant rappelé que l'huissier n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations qui lui sont faites, qui lui a indiqué que l'immeuble appartenait à M. [X] et que sa boîte à lettre était celle de la société civile immobilière Chokolat dont il avait été le gérant.
De surcroît, M. [X] étant né le 31 mai 1942 et donc dans sa 77e année à la date de la tentative de signification de l'assignation, l'huissier de justice n'avait pas à rechercher son lieu de travail.
La constatation de l'inscription sur le K bis de la société Kkl de l'adresse personnelle de son gérant et les délarations du voisin constituent les vérifications nécessaires à la délivrance d'une assignation en l'étude.
En outre, comme le soutiennent avec raison les intimés, l'appelant est mal fondé à leur reprocher de l'avoir sciemment assigné à une adresse inexacte alors que c'est lui-même qui a fait mentionner, contrairement aux dispositions de l'article R. 123-54, 2° du code de commerce, dont l'inobservation est pénalement sanctionnée, un domicile personnel inexact au registre du commerce, non seulement de la société Kkl, mais également d'autres sociétés dont il était le gérant, telle la société Blanc K et la société Alvira Stores, adresse également mentionnée comme étant sienne par le Crédit Agricole lors de la saisie-attribution du 13 juillet 2021, soit plus d'un an après la délivrance de l'assignation litigieuse.
Il sera donc débouté de sa demande en nullité de l'assignation et, partant de celle du jugement attaqué.
Au fond
Il résulte de l'article L. 223-22 du code de commerce que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers peut être retenue s`il a commis une faute séparable de ses fonctions c'est à dire intentionnelle, d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions.
Par ailleurs, l'article L. 143-1 du code de commerce précise qu'« En cas de déplacement du fonds de commerce, les créances inscrites deviennent de plein droit exigibles si le propriétaire du fonds n'a pas fait connaître aux créanciers inscrits, quinze jours au moins d'avance, son intention de déplacer le fonds et le nouveau siège qu'il entend lui donner ».
Il est reproché à M. [X] par les intimés, qui avaient obtenu par jugement du 6 décembre 2017 la condamnation de la société Kkl à leur payer une somme correspondant à des loyers sur la période de 2013, 2014 et 2015, d'avoir frauduleusement cédé le fonds de pressing exploité au [Adresse 5] à [Localité 10] par la société Kkl dont il était associé puis gérant, à une société Majka, dont les associés sont, chacun à 50 %, sa belle-fille et M. [N], ancien gérant de la sté Kkl, en résiliant amiablement le bail, un nouveau bail étant souscrit concomitamment par le bailleur, dont il était également associé, avec la société Majka, pour l'exploitation d'un fonds de pressing, ultérieurement déplacé au [Adresse 6], puis cédé le 3 août 2018 à une société Blonsky Compagny, dont son épouse et leur fils [E] étaient associés. La société Kkl a été ultérieurement radiée et la société Majka mise en liquidation judiciaire. En 2019, l'intégralité des parts de la société civile immobilière Longchamp, laquelle créée en 2017, soit postérieurement à la résiliation du bail, était néanmoins bailleresse du fonds créé par la société Majka au [Adresse 5], ont été cédées à [E] [X].
M. [X] soutient, en substance, qu'il n'était pas le gérant de la société Kkl lors de la période de défaut de règlement des loyers, qu'entre le 1er juillet 2013 et le 1er novembre 2017, il n'y avait aucun lien entre les sociétés Blanc K et Kkl, qu'il n'existait aucun fonds de commerce au [Adresse 5] et ce, depuis le 26 juillet 2017, date de la vente des murs, que la société Kkl a toutjours eu un compte bancaire et qu'il n'y a eu aucun transfert de fonds.
Cependant, il importe peu que M. [X] n'ait pas été le gérant de la société Kkl lors de la période de défaut de règlement des loyers, dès lors qu'il en était le gérant lors du jugement condamnant la société à payer des loyers, qu'il ne soutient pas ne pas avoir été associé de cette société et du bailleur de cette société lors de la « résiliation amiable » du bail, dont la date n'est au demeurant pas certaine, et que la société Majka, ainsi que l'indique son extrait K bis, a créé un fonds de commerce identique à la même adresse à une date concomitante, ce qui caractérise le caractère frauduleux de la cession, alors que sur l'extrait Kbis de la société Kkl en date du 11 mars 2018, il est indiqué que cette société exploite au [Adresse 5] à [Localité 10] un fonds de commerce de pressing sous l'enseigne Blanc Bleu. Les états d'endettement de la société Kkl daté des 12 mars et 5 juin 2018 mentionnent des inscriptions de l'Urssaf et et de l'organisme de retraite Arco de 2016 à 2018, ce qui démontre la continuité de l'exploitation postérieurement à la prétendue résiliation. En outre, M. [X] était de façon non contestée le gérant de la société Kkl lors du transfert de ce fonds au [Adresse 6], attesté par le procès-verbal de constat versé au débat, et il est établi par l'huissier ayant vainement tenté une saisie-attribution en 2018 que la Ficoba indique que la société Kkl, contrairement à ses obligations réglementaires, n'avait pas de compte bancaire à l'époque de la saisie.
Ces éléments caractérisent ses man'uvres frauduleuses et intentionnelles, imputables à l'appelant, lui ayant permis de soustraire le fonds de commerce de pressing exploité à l'origine au [Adresse 5] du patrimoine de la société Kkl, de le transférer vers une société dans laquelle il a un intérêt indirect et pour favoriser les membres de sa famille et d'organiser ainsi l'insolvabilité de la société Kkl afin de la faire échapper au paiement des sommes dues à ses créanciers, faits séparables de ses fonctions de gérant et d'une particulière gravité. Il convient donc de confirmer le jugement attaqué.
Sur les dommages-intérêts :
La confirmation du jugement conduit la cour à débouter M. [X] de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le jugement entrepris sera confirmé sur l'indemnité de procédure allouée.
L'appelant qui succombe en son appel doit être condamné aux dépens, débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer aux intimés , en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu par défaut en dernier ressort ;
Rejette l'exception d'incompétence soulevée par M. [X] ;
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Condamne M. [X] à payer à Mme [K] [Y], M. [B] [Y] et Mme [R] [S] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente