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25/04/2024 | FRANCE | N°21/09812

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 25 avril 2024, 21/09812


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 25 AVRIL 2024



(n° 2024/ , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09812 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXLH



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/06205





APPELANTE



S.A.S. LE PETIT-FILS DE L.U. CHOPARD FRANCE<

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Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Corinne GABBAY, avoc...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 25 AVRIL 2024

(n° 2024/ , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09812 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXLH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/06205

APPELANTE

S.A.S. LE PETIT-FILS DE L.U. CHOPARD FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Corinne GABBAY, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [B] [C]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Stéphane LAUBEUF, avocat au barreau de PARIS, toque : P 83

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-José BOU,Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-José BOU, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [B] [C] a été engagé par la société Le petit-fils de L.U. Chopard France, ci-après la société, à compter du 10 mars 1997 en qualité d'horloger, sans contrat écrit.

Il a été promu chef d'atelier horlogerie, statut cadre, par contrat conclu le 4 janvier 2005. Il disposait en dernier lieu d'un salaire mensuel de base de 4 500 euros, outre le paiement d'éventuelles heures supplémentaires et d'un treizième mois.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s'y rattachent du 5 juin 1970 et la société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

M. [C] a été convoqué par lettre du 29 janvier 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 février 2019 puis, aux termes d'une lettre du 12 février 2019, a été licencié pour insuffisance professionnelle et dispensé d'effectuer son préavis.

Contestant son licenciement, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris. Par décision du 25 mai 2020, l'affaire a été radiée puis rétablie le 2 septembre 2020 sur demande de M. [C]. Par jugement du 1er juin 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, la juridiction prud'homale a :

- condamné la société à verser à M. [C] les sommes suivantes :

* 55 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [C] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société aux dépens.

Par déclaration du 1er décembre 2021, la société a interjeté appel de ce jugement dont elle a reçu notification le 17 novembre 2021.

Par conclusions n°4 transmises par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 2 octobre 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et ses conclusions, la déclarer bien fondée, et y faire droit ;

- rejeter la demande de M. [C] tendant à voir écarter des débats la pièce 6 versée par elle tant en première instance qu'en appel ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société de ses demandes et a :

* requalifié le licenciement pour insuffisance professionnelle en licenciement sans

cause réelle et sérieuse,

* condamné la société à verser à M. [C] les sommes suivantes :

. 55 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêt au taux légal au jour du prononcé du jugement,

.1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter M. [C] de son appel incident et de toutes ses demandes, que ce soit sa demande nouvelle en paiement d'indemnité pour licenciement nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse et au titre des frais irrépétibles ;

statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- juger le licenciement de M. [C] fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- confirmer le jugement déféré pour le surplus, en ce qu'il a débouté M. [C] de ses demandes d'indemnité pour licenciement vexatoire et préjudice moral ;

- condamner M. [C] à payer à la société la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [C] aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction par application des dispositions de l'article 699 du code précité.

Par conclusions n°4 transmises par le RPVA le 9 octobre 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [C] demande à la cour de :

à titre liminaire

- juger que la pièce 6 de la société est irrecevable faute de présenter des garanties de sincérité et de fiabilité ;

- en conséquence la rejeter et l'écarter des débats ;

à titre principal

- condamner la société à payer à M. [C] la somme de 138 500 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul en application de l'article L.1235-3-1 du code du travail ;

à titre subsidiaire

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à payer à M. [C] des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- le réformer quant au montant alloué ;

et, statuant à nouveau

- condamner la société à payer à M. [C] la somme de 109 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif en application de l'article L 1235-3 du code du travail, avec intérêts à compter du jugement à hauteur de 55 000 euros en application de l'article 1231-7 du code civil et à compter de l'arrêt pour le surplus ;

en tout état de cause

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné à verser à M. [C] la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement pour le surplus ;

et, statuant à nouveau

- condamner la société à verser à M. [C] :

* 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,

* 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral ;

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes ;

y ajoutant,

- condamner la société à payer une indemnité de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 octobre 2023.

A l'audience, la magistrate chargée du rapport a soulevé l'absence de reprise au dispositif des écritures de la société de la demande visant à déclarer irrecevable la demande de M. [C] de rejet de la pièce n°6 de la société et a invité les parties à présenter leurs observations sur ce point au regard des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile par note en délibéré adressée par le RPVA dans un délai de quinze jours.

La société a adressé une note le 14 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de la société visant à déclarer irrecevable la demande de M. [C] tendant à rejeter et écarter des débats la pièce n°6 de la société

Dans le corps de ses écritures, la société demande à la cour, au visa de l'article 564 du code de procédure civile, de déclarer irrecevable la demande de M. [C] tendant à rejeter et écarter des débats la pièce n°6 de la société au motif qu'il n'a, devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, soulevé aucune irrecevabilité de cette pièce communiquée en première instance, ni non plus sollicité de la voir écartée.

Concluant au débouté de toutes les demandes de la société, M. [C] soutient que sa demande visant à rejeter et écarter des débats la pièce n°6 de la société est recevable en appel.

Aux termes de sa note en délibéré, la société indique confirmer qu'eu égard au dispositif de ses conclusions n°4, elle demande à la cour de rejeter la demande de M. [C] tendant à voir écarter des débats sa pièce n°6.

En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

En l'espèce, la demande de la société visant à déclarer irrecevable la demande de M. [C] tendant à rejeter et écarter des débats sa pièce n°6 ne figurant pas au dispositif des écritures n°4 de l'appelante, la cour n'a pas à statuer sur cette fin de non-recevoir.

Sur la demande de M. [C] visant à rejeter et écarter des débats la pièce n°6 de la société

M. [C] considère que la pièce n°6 de la société est irrecevable faute de présenter des garanties de sincérité et de fiabilité. Il prétend que cette pièce a été altérée par l'ajout de deux feuilles (soit les commentaires annexes et un tableau) qui ne lui ont jamais été communiquées et qui ne sont ni signées, ni datées. Il en déduit qu'elle doit être rejetée et écartée des débats.

La société conclut au rejet de la demande en faisant valoir que la pièce arguée de faux ne recèle aucune anomalie et présente au contraire toutes les garanties d'authenticité.

La pièce n°6 de la société qu'elle désigne dans son bordereau comme l' 'évaluation des performances 2017 de M. [C] + commentaires' est composée de plusieurs pages :

- la page 1 est la 'fiche responsable' de l'évaluation des performances de M. [C] pour l'année 2017 signée par sa responsable le 6 novembre 2017 ;

- la page 2 est la 'fiche collaborateur' de cette évaluation, remplie de manière dactylographiée, datée du 6 novembre 2017 et non signée ;

- la page 3 est intitulée 'commentaires annexes à l'entretien des performance du 6/11/2017", non datée et non signée ;

- la page 4 est la suite de l'évaluation et mentionne deux remarques ;

- la page 5 est la 'fiche collaborateur' de cette évaluation mais dans sa version manuscrite, datée du 6 novembre 2017 et signée par M. [C] ;

- la dernière page est un tableau de remarques, faits et réponses qui n'est ni daté, ni signé.

Cette pièce (y compris les 'commentaires annexes' et le tableau) a été communiquée à M. [C] dans le cadre de l'instance puisqu'il en fait la critique dans ses conclusions, en particulier des deux feuilles précitées.

La communication ayant été régulièrement faite et en l'absence de violation du principe de la contradiction, il n'y a pas lieu d'écarter du débat cette pièce mais d'en apprécier la valeur probante qui est critiquée par l'appelant.

La société justifie par un courriel du 4 juillet 2018 adressé par Mme [O] à M. [O] que la feuille comportant les commentaires annexes et celle relative au tableau ont été adressées à cette date-là, en même temps que les autres pages, par la première au second. Il en résulte que les pages contenant les commentaires annexes et la tableau préexistaient à la procédure.

En revanche il n'est pas établi que M. [C] en a eu connaissance à l'occasion ou à la suite de son entretien d'évaluation dès lors qu'il n'a pas contresigné lesdits documents, qu'ils ne sont pas datés, qu'ils se présentent sous une forme différente du support d'évaluation et que sa réponse à la suite dudit entretien (pièce n°34 de la société) ne vise qu'à contester les appréciations faites par sa responsable dans la fiche correspondante.

Il s'en déduit que la pièce n°6 est constitué d'un mélange de pages émanant du support de l'évaluation des performances de M. [C] pour l'année 2017 et de feuilles étrangères à ce support dont la date exacte, de même que l'auteur est ignorée. Ces circonstances altèrent la fiabilité de la pièce n°6 dans son ensemble, la privant de toute valeur probante.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

'Par un courrier en date du 29 janvier 2019, nous vous avons invité à vous présenter dans les Iocaux du [Adresse 3] le 7 février 2019 à 11h00, pour y avoir un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, en présence de Monsieur [Y], Directeur des Ressources Humaines et de Madame [L] [O], Responsable Service Client.

Vous vous y êtes présenté accompagné de Monsieur [I] [F].

Lors de cet entretien, nous vous avons fait part des griefs que nous sommes amenés à formuler à votre encontre et que nous ne pouvons tolérer davantage au regard de votre ancienneté, de votre séniorité dans le poste de chef d'atelier horlogerie et de la patience dont nous avons fait preuve et des alertes répétées quant à votre insuffisance dans la tenue de vos fonctions de Chef de 1'atelier d'horlogerie.

Vous êtes salarié de la société CHOPARD FRANCE depuis le 10 mars 1997 et chef d'atelier depuis le 4 janvier 2005.

Au dernier état de vos missions et selon le cahier des charges, transmis à votre demande début 2018, vous êtes en charge de :

. La gestion et maintenance de 1'atelier

. L'encadrement de l'équipe horlogers et polisseur (motivation, organisation, formation...)

. La gestion des tâches et compétences

. La supervision des achats fournitures pour la filiale et relations avec les services après-ventes des usines

. La formation des horlogers/Support technique

. Le contrôle complet des réparations

. La gestion des litiges liés au service après-ventes

. La supervision du stock de pièces détachées et inventaires

* Le contrôle complet des réparations vous a été retiré en février 2018 du fait de cette mission considérée par vous comme chronophage.

Malgré le fait que nous vous avons alerté à plusieurs reprises et notamment :

$gt; aux travers de vos derniers entretiens annuels, du point à mi année du 15 juin 2018 destiné à vérifier les points d'amélioration de vos prestations de travail), et dont le dernier en date remonte au 10 décembre 2018,

$gt; lors de vos réunions hebdomadaires avec Madame [L] [O] sur le 1er semestre 2018 (depuis le mois de septembre 2018, vous avez demandé à ne plus devoir tenir ces réunions du fait de votre charge de travail)

$gt; au travers des nombreux mails de Madame [L] [O]

sur vos carences organisationnelles et managériales, vous persistez à ne pas prendre la pleine mesure de la situation et de votre nette insuffisance professionnelle.

Les dernières informations portées à notre connaissance depuis votre dernier entretien annuel nous ont encore plus alarmés sur votre capacité à tenir aujourd'hui vos missions, objets des griefs exposés lors de votre entretien préalable.

1. S'agissant de la montre de M. [P] (Montre adressée par le Printemps des Terrasses du Port)

Nous avons reçu le 10 janvier 2019 une réclamation s'agissant d'une montre MILLE MIGLIA GT XL dont vous avez assuré personnellement le diagnostic lors de sa réception à l'atelier début octobre 2018 pour devis engendrant un démontage de cette montre.

Monsieur [P], le client, a refusé le devis de révision proposé sauf s'agissant de la pose d'un nouveau bracelet. La montre a donc fait l'objet d'un changement de bracelet par vos soins et a été renvoyée fin novembre.

Monsieur [P] a récupéré sa montre le 4 décembre 2018

Or il s'est aperçu début janvier 2019 qu'il manquait 6 vis au dos du boîtier!

Outre le fait que ce client est ulcéré par la qualité de notre service après-vente, il est manifeste que l'absence d'un nombre aussi important de vis résulte d'une négligence grave. Vous n'avez pas remonté la montre dans les règles de l'art, après votre diagnostic.

A votre niveau de compétence une telle négligence est non seulement inexplicable mais est inadmissible et démontre un manque d'implication patent dans vos tâches.

Lors de l'entretien préalable, vous avez reconnu que vous n'aviez changé que le bracelet en vous référant uniquement à la fiche de réparation, sans prendre le soin de vérifier si la montre avait été remontée après diagnostic !

Nous aurions pu attribuer cette négligence à un trop grand nombre de réparations à effectuer, mais il n'en est rien comme le second grief le démontre.

2. L'insuffisance du nombre de réparations par vos soins

Depuis février 2018 et afin de vous décharger d'une partie de votre travail, à savoir jusqu'alors le contrôle final des pièces sortant de l'atelier que vous trouviez trop chronophage, une réorganisation du contrôle des réparations a été mise en place, chacun des horlogers étant dorénavant responsable de ses propres réparations sans contrôle a posteriori par vos soins en qualité de Chef d'Atelier.

Cela devait vous permettre de consacrer du temps aux réparations de montres comme cela a été votre travail quotidien durant de nombreuses années de collaboration et que vous appeliez de nouveau de vos voeux.

Pour tenir compte de vos autres fonctions, il a été décidé de limiter la fonction de réparation à 2 montres/jour, objectif plus que raisonnable au regard des réparations effectuées par les membres de votre équipe (en moyenne 5 montres/jour).

Or là encore le constat est édifiant, étant précisé que nous nous sommes limités à ne remonter que sur les derniers mois de l'année 2018 :

Octobre 2018 : 3 montres sur le mois

Novembre 2018 : 9 montres sur le mois

Décembre 2018 : 3 montres sur le mois

Force est de constater que vous êtes très loin de l'objectif fixé et qu'une telle insuffisance de réparations ne se justifie pas par vos autres missions. Elle dénote en revanche un manque d'investissement et d'implication caractérisant une insuffisance professionnelle.

Lors de 1'entretien préalable, vous avez mis en avant le manque d'effectifs et le fait que vous aviez du remplacer les horlogers absents.

Ceci n'explique pas le très faible nombre de réparations.

En revanche, en raison des absences d'horlogers au mois de janvier 2019, nous avons constaté que sur ce mois, votre production a été de 25 montres, ce qui démontre que vous pouvez effectivement prendre en charge plus de réparations que votre activité du dernier trimestre 2018.

Nous sommes donc en droit légitimement de nous interroger sur votre réelle activité au sein de l'atelier, laquelle révèle manifestement une insuffisance professionnelle qui n'est pas acceptable.

3. Sur l'absence de formation et de soutien des nouveaux collaborateurs

$gt; S'agissant de Madame [S] [G], fournituriste et la rétention d'informations à son égard

Madame [G] a été embauchée en octobre dernier afin de gérer les stocks et de passer les commandes aux fournisseurs.

Dans le cadre de ses missions, elle aurait dû être formée par vous aux 'daily analysis'.

Cet outil, comme vous ne l'ignorez pas, est la base de son travail et aurait dû lui être enseigné dès la première semaine de son arrivée. En effet, i1 doit lui permettre de tirer des rapports quotidiens d'avancement des réparations dits 'Repair end customer summary report' et ce afin d'être autonome et de pouvoir distribuer les fournitures nécessaires aux réparations par ordre de priorité.

Or Madame [L] [O] s'est aperçue, avec stupeur, le 18 janvier lors d'un entretien avec cette dernière que non seulement vous n'aviez toujours pas formé Madame [G] alors que cela relève de vos missions de Chef d'Atelier, mais que vous ne lui communiquez ce rapport que de manière hebdomadaire et uniquement sur sa demande expresse.

Pire vous lui communiquez un tableau tronqué où les éléments essentiels à la bonne gestion des priorités que sont les dates de promesse de remises au client sont délibérément manquantes !

Les tableaux que vous lui communiquez ne sont donc d'aucune utilité. En effet l'absence des dates de sortie ne lui permet pas de s'organiser et de traiter les pièces par ordre de priorité, la mettant en situation de stress et d'échec.

C'est donc Madame [L] [O] qui a formé Madame [G] le 18 janvier dernier lorsqu'elle s'est rendue compte que cette dernière ne connaissait même pas l'existence des 'daily analysis'.

Là encore, lors de l'entretien préalable, vous avez tenté de vous justifier en nous indiquant que vous aviez 'd'autres priorités' et que Madame [G] 'ne venait pas de notre secteur d'activité'.

Cette explication, plus que surprenante, est loin de nous avoir convaincus, et ce d'autant que lors du processus de recrutement d'un fournituriste, vous aviez expressément demandé que le fournituriste ne vienne plus du milieu horloger. La raison avancée était qu'un stockiste spécialisé dans 1'horlogerie cherche à évoluer rapidement vers le métier d'horloger et ne souhaite pas être cantonné à cet emploi, entrainant un turn-over des stockistes.

C'est dans ce contexte et pour répondre à votre demande que nous avons recruté Madame [G] qui travaillait auparavant chez HERMES et était chargée de la gestion du stock des pièces détachées de maroquinerie. Nous ne pouvons donc ni accepter le fait que vous auriez d'autres priorités ni que Madame [G] n'aurait pas à être formée ne venant pas du secteur horloger !

Cette tentative d'explication n'explicite pas au demeurant la rétention d'informations que vous avez opérée à son égard.

Cette absence de formation et cette rétention d'informations ne manquent pas de nous interroger sur le but recherché, mais témoignent encore de votre insuffisance professionnelle dans l'exercice de vos missions.

$gt; S'agissant de Monsieur [X] [U], nouveau polisseur

Monsieur [U] a été embauché le 8 janvier 2019 en qualité de polisseur.

Vous ne lui avez fourni aucun commencement de formation et d'information vous contentant de lui montrer son poste de travail au sein de l'atelier.

Monsieur [U] 'lâché dans la nature' s'est retrouvé rapidement en difficulté.

ll a encore fallu l'intervention de Madame [L] [O] qui a dû organiser elle-même avec notre maison mère à Genève une formation de ce dernier aux techniques de polissage exigées pour les produits CHOPARD.

Pourtant cette tâche relève de vos missions, mais là encore vous avez été défaillant.

Lors de l'entretien préalable, vous avez, pour seule défense, indiqué que vous n'étiez pas polisseur.

I1 vous apparait donc parfaitement normal, en votre qualité de chef d'atelier, de laisser vos collaborateurs livrés à eux-mêmes. Nous sommes au regret de vous préciser que nous ne partageons pas votre point de vue et ce notamment à votre niveau de séniorité.

4. S'agissant de la dégradation de l'efficience du service SAV

Enfin vous n'êtes pas sans savoir que le service SAV de notre filiale en matière de réparation de montres non sous garantie accuse une nette dégradation depuis septembre 2018 en termes de respect des délais (objectif de 10 jours) et de qualité (trop de retours) et que nous déplorons à ce jour en moyenne un mois de retard sur les délais fixés aux clients.

C'est d'ailleurs un des objectifs récurrents qui vous est fixé chaque année par Monsieur [D] (Directeur Groupe du Service Client) et Madame [L] [O] afin d'améliorer l'excellence de notre Service Après-Vente et l'optimisation de la satisfaction client.

Ainsi et alors qu'il était attendu de que vous fournissiez tous les efforts nécessaires pour parvenir à cet objectif, votre investissement dans ce domaine est demeuré très insuffisant.

Lors de l'entretien préalable, vous avez également reconnu que vous ne dirigiez pas votre service comme votre responsable le souhaiterait et avez ajouté que vous ne pouviez pas appliquer ce que vous aviez appris lors de vos formations 'manager'. Si tel était le cas, nous nous étonnons que vous ne vous en soyez pas ouvert à votre hiérarchie alors même que vous veniez récemment de suivre une formation en management.

Cette explication ne nous a donc pas plus convaincus.

Notre constat des dysfonctionnements de votre service dont vous êtes à l'origine est d'autant plus alarmant, que vous bénéficiez d'une expérience de nombreuses années dans le métier d'horloger et de chef d'atelier horlogerie et que nous attendions de vous en tant que professionnel que vous preniez toutes les initiatives nécessaires au bon fonctionnement de votre service.

Or, vos réalisations aujourd'hui sont très éloignées de nos attentes légitimes.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous vous avions proposé, au vu de vos difficultés à exercer vos missions tant managériales qu'organisationnelles, en juin 2018, de vous affecter à un poste d'horloger afin de vous permettre de revenir à votre coeur de métier sans toucher à votre statut cadre et à votre salaire.

Vous avez d'abord accepté cette opportunité avant de refuser de signer l'avenant que nous avions préparé. Nous en avons pris acte et maintenu à votre poste avec toutes les responsabilités que cela implique.

Nous vous avons également proposé à deux reprises une ressource complémentaire dans votre service qui compte déjà 7 horlogers et un polisseur, proposition que vous avez déclinée.

Nous avons fait preuve de bienveillance et d'une infinie patience tant du fait de votre ancienneté que du fait que durant plusieurs années vous avez donné satisfaction. Nous vous avons donné les moyens et le temps nécessaire pour vous permettre de vous reprendre.

Cependant force est de constater qu'aucune amélioration n'a été constatée. Votre incapacité à respecter vos obligations contractuelles tenant en des missions et objectifs réalistes entraîne de surcroît des conséquences en termes tant d'image vis à vis de notre clientèle que financiers préjudiciables pour CHOPARD France.

Au cours de l'entretien préalable, vous n'avez apporté aucun élément nous permettant de modifier notre appréciation des faits. Au contraire, malgré diverses tentatives d'obtenir une prise de conscience de votre part, vous avez cherché des excuses et des justifications à vos carences.

Compte tenu de l'ensemble de ces griefs, nous sommes au regret de constater que vous ne répondez pas aux attentes que revêt la fonction de Chef d'Atelier Horlogerie et sommes dans l'obligation de vous notifier par la présente votre licenciement pour insuffisance professionnelle. (...).'.

Indiquant qu'il avait 54 ans lors de son licenciement, qu'il était l'un des salariés les plus âgés de l'entreprise et comptabilisait l'une des anciennetés les plus élevées, de près de 22 ans, M. [C] soutient avoir fait l'objet d'un licenciement discriminatoire compte tenu de son âge, de son ancienneté et de son niveau de rémunération, sous couvert d'une insuffisance professionnelle. Il accuse l'employeur d'avoir mis progressivement en oeuvre une politique discriminatoire à l'égard de ses salariés les plus anciens et les plus coûteux, contournant les règles applicables en matière de suppression d'emplois. Il fait valoir que son poste a été supprimé, que Mme [O] a absorbé ses anciennes fonctions, également reprises pour partie par M. [K], lequel, âgé de 58 ans et occupant aussi la plus haute fonction de l'atelier, a été licencié après lui pour des motifs fallacieux.

A titre subsidiaire, il invoque l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement. Il fait valoir pour l'essentiel que :

- aucune pièce n'établit de lien entre lui et la réclamation de M. [P] ;

- l'objectif de réparation de deux montres par jour lui a été fixé en réaction à son refus d'une rétrogradation et s'inscrit dans le cadre d'une modification de son contrat de travail ; l'employeur ne produit aucune donnée sur le nombre de montres réparées par lui avant octobre 2018 et les pièces qu'il verse au soutien des chiffres qu'il avance sont traduites librement et ne présentent pas de consistance ;

- la formation et le soutien des nouveaux collaborateurs faisaient partie des missions de Mme [O] ;

- la dégradation de l'efficience du service après-vente n'est pas établie, reposant uniquement sur deux tableaux non signés, non certifiés, outre qu'il n'est pas établi que cette dégradation à la supposer avérée lui soit imputable.

La société réplique que bien qu'établis, les éléments avancés par le salarié fondés sur son âge, son ancienneté et le fait qu'il était l'un des employés les plus âgés et comptant l'une des anciennetés les plus importantes ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination. Elle affirme que M. [K] a repris les responsabilités de M. [C], niant leur absorption par Mme [O] et la politique discriminatoire qui lui est imputée. Elle relève que M. [K] a été licencié pour fautes quatre ans après le licenciement de l'intimé. Elle souligne que sur sept horlogers en poste, trois sont âgés de 54 ans et plus, que les salariés toujours en poste sont très loin d'être moins bien rémunérés que M. [C] et qu'il existe aujourd'hui un nombre supérieur d'employés. En conséquence, elle conclut au rejet de la demande de nullité du licenciement.

Elle invoque le caractère bien fondé du licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [C], faisant valoir que :

- Mme [O] a vérifié l'horloger qui est intervenu sur la montre de M. [P] et la contestation de M. [C] sur ce point est nouvelle ;

- l'objectif de deux montres par jour, raisonnable, lui a été fixé à compter du 20 juin 2018 et a été très loin d'être atteint au regard des pièces produites ;

- les faits relatifs à Mme [G], qui n'était pas horlogère et était placée sous l'encadrement de M. [C], résultent notamment du tableau tronqué qui lui a été remis, de même qu'il incombait au salarié d'assurer la formation de M. [U], polisseur ;

- la dégradation de l'efficience du service SAV est justifiée tant en termes de délai que de qualité sans que M. [C] puisse se retrancher derrière un manque d'effectifs puisqu'il avait refusé l'octroi de ressources supplémentaires.

En application de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, a

ucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge.

Conformément à l'article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de la prohibition de la discrimination est nul.

L'article L. 1134-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions relatives à la discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Le salarié soutenant que son licenciement est nul en raison d'une discrimination, la cour doit rechercher si celui-ci est fondé sur des éléments objectifs.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du

licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L'insuffisance professionnelle qui se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié d'exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, constitue une cause légitime de licenciement distincte de la faute. L'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal. Pour autant, l'insuffisance alléguée doit reposer sur des faits objectifs, précis et vérifiables, ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur et le salarié doit avoir bénéficié des moyens nécessaires pour accomplir sa mission.

Il convient d'examiner les faits énoncés dans la lettre de licenciement.

- Sur la montre de M. [P] :

La société vise dans ses écritures :

- un courriel adressé le 10 janvier 2019 par le magasin Printemps à M. [R], retransmis à Mme [O], indiquant qu'il manque 6 vis au dos de la montre que M. [P] a récupérée le 4 décembre 2018, courriel auquel sont jointes des fiches SAV ;

- des photographies de la montre ;

- un échange de courriels de janvier 2019 entre Mme [O] et M. [Y] [J] dans lequel Mme [O] précise que '[B]' (M. [C]) est intervenu sur la montre en cause et n'a pas remis les 6 vis.

Cependant, le courriel de Mme [O] n'indique pas les éléments sur lesquels elle se fonde pour affirmer que M. [P] est l'horloger intervenu sur cette montre. Les autres éléments précités ne comportent pas de renseignement utile à ce sujet. Les propos qu'aurait tenus M. [C] lors de l'entretien préalable au sujet de la montre de M. [P] tels qu'ils sont relatés dans la lettre de licenciement ne sont étayés par aucun élément.

La cour retient que l'intervention de M. [C] sur la montre litigieuse n'est pas établie et que l'absence de remontage des vis sur cette montre ne peut lui être imputée avec certitude.

- Sur l'insuffisance du nombre de réparations :

La société vise dans ses écritures :

- un échange de courriels entre M. [C] et Mme [O] de février 2018 dans lequel Mme [O] indique avoir découvert que M. [C] a délégué à M. [K] une partie du contrôle final des pièces et lui rappelle que cette responsabilité incombe au chef d'atelier, M. [C] répond qu'il a procédé ainsi à trois reprises lors des deux dernières semaines pour améliorer le temps de passage des sorties mais qu'il va se plier à la directive et Mme [O] conclut en disant qu'elle comprend son souci de gain de temps mais que le contrôle final ne peut être délégué ;

- un échange de courriels entre M. [C] et Mme [O] des 4 et 5 avril 2018 dans lequel cette dernière indique à M. [C] qu'en sa qualité de chef d'atelier, il est le plus à même de mettre en place un nouveau mode d'organisation concernant le contrôle final ;

- un courriel adressé le 20 juin 2018 par Mme [O] à M. [C] récapitulant des points évoqués lors d'une réunion du même jour et demandant à ce dernier de les mettre en oeuvre, dont

'Réparer 2 montres par jour' ;

- un échange de courriels entre M. [C] et M. [O] d'août 2018 dans lequel le premier relève qu'un nouvel objectif de réparation de montres lui a été assigné, lequel requiert un temps très important dans une journée normale de travail, et souhaite s'assurer de disposer du temps et des moyens nécessaires pour continuer à exécuter toutes ses missions notamment managériales, le second lui répondant qu'afin de le satisfaire, une réorganisation du contrôle des réparations a été mise en place, que ses autres fonctions étant de plus en plus allégées, un objectif plus que raisonnable de réparation de 2 montres par jour lui a été fixé en plus de la supervision de son équipe et de la formation des plus jeunes ;

- des tableaux de réparation par horloger pour les mois d'octobre 2018 à décembre 2018 indiquant pour M. [C] 5 en octobre (entre 1 et 85 montres pour les autres), 9 en novembre (entre 9 et 81 pour les autres) et 3 en décembre (entre 5 et 69 pour les autres).

Pour sa part, M. [C] invoque notamment :

- un échange de courriels entre lui et M. [O] de début juillet 2018 dans lequel il s'est plaint qu'une rétrogradation au poste d'horloger lui a été proposée à deux reprises, avec une certaine pression, et que face à son refus, Mme [O] lui a adressé le mail du 20 juin 2018 relatif à de nouvelles bases de collaboration (ledit mail comportant l'objectif de 2 montres par jour) ;

- son cahier des charges en tant que responsable d'atelier qui ne contient aucun objectif quantitatif de réparation de montres.

Dans son contrat de travail relatif aux fonctions de chef d'atelier horlogerie, la remise en état de montres figurait au nombre des attributions de M. [C]. En revanche, le cahier des charges qui lui a été adressé en janvier 2018 ne mentionne plus qu'il était lui-même chargé de la réparation de montres. La mission de réparation de montres, avec un nombre quotidien à réaliser, est donc nouvelle par rapport à ce cahier des charges. Mais les autres missions fixées dans le courriel du 20 juin 2018 (organiser une réunion chaque lundi matin, fixer, communiquer et suivre des objectifs quotidiens et hebdomadaires, remonter toutes les informations) relèvent bien de fonctions d'encadrement et de supervision propres à celles d'un chef d'atelier horlogerie. Dès lors M. [C] ne caractérise pas que ces nouvelles missions constituaient une modification unilatérale de son contrat de travail.

Mais la cour estime que le caractère probant des tableaux de réparation par horloger qui ne sont pas signés et dont l'auteur est ignoré n'est pas acquis, en l'absence de tout élément permettant de vérifier l'origine et la fiabilité des données qui y sont mentionnées. De surcroît, les tableaux fournis par la société ne visent que trois mois alors que cette nouvelle mission a été confiée à M. [C] fin juin 2018 de sorte que la cour n'est pas mise en mesure d'apprécier dans la durée la capacité du salarié, employé depuis 1997 comme horloger et promu chef d'atelier horlogerie en 2005, à exécuter cette mission et ce dernier fait valoir à juste titre que la comparaison avec les autres salariés qui sont horlogers et non chef d'atelier n'est pas pertinente.

La cour retient que le nombre insuffisant de réparations de montres ne peut être retenu à l'encontre de M. [C].

Sur l'absence de formation et de soutien des nouveaux collaborateurs :

La société vise dans ses conclusions :

- un tableau 'repair end customer summary report' (sa pièce n°16) ;

- un tableau 'repair end customer summary report' (sa pièce n°17) dont elle soutient qu'il s'agit de la version tronquée remise à Mme [G] ;

- le contrat de travail de M. [C] indiquant notamment qu'au titre de ses fonctions d'encadrement d'une équipe d'horlogers, entre notamment leur formation, le cahier des charges y adjoignant celle des polisseurs et précisant qu'il a pour tâche la formation des horlogers/support technique ;

- des attestations de MM. [H], [Z] et [A], salariés ayant travaillé avec M. [C].

L'intimé invoque pour sa part le contrat de travail de Mme [O] et son annexe incluant dans ses fonctions d' 'assurer la formation des horlogers en organisant en interne ou en externe des cours spécifiques à la marque' et des attestations de Mmes [V] et [N] ayant travaillé avec lui.

Au vu du contrat de travail et du cahier des charges de M. [C], il n'entre pas dans ses missions de former une fournituriste, qualification qui était celle de Mme [G].

En tout état de cause, l'absence de formation de cette dernière et de M. [U], polisseur, n'est pas établie, étant observé que les attestations produites par la société qui ne sont ni précises, ni circonstanciées ne sont pas probantes, outre qu'eu égard au lien de subordination unissant leurs auteurs à la société, elles ne présentent pas une garantie de fiabilité suffisante.

La communication hebdomadaire et seulement sur sa demande expresse de rapports d'analyse à Mme [G] ne repose sur aucune pièce. Les deux tableaux produits par la société sont insuffisants à démontrer que le second aurait été communiqué à Mme [G] et que M. [C] serait à l'origine d'un envoi tronqué.

Enfin, les propos tenus par M. [C] lors de l'entretien préalable portant sur Mme [G] et M. [U] ne sont étayés par aucun élément.

La cour retient que l'absence de formation et de soutien des nouveaux collaborateurs n'est pas établie.

- Sur la dégradation de l'efficience du service SAV :

La société vise dans ses écritures :

- les évaluations de M. [C] pour 2017 et 2018 lui ayant fixé pour objectifs pour la première de diminuer le taux de retour (objectif 1%) et pour la seconde de baisser le temps de passage et le taux de retour ;

- un tableau de décembre 2018 (pièce n°28 de la société) mentionnant le nombre de jours pour les 'no warranty' par pays mentionnant 13 pour la France ;

- un tableau de décembre 2018 (pièce n°29 de la société) mentionnant un taux de 5% pour le total service warranties en France.

M. [C] fait notamment valoir que les objectifs consistaient en deux lignes mentionnées sur ses entretiens d'évaluation que la société tardait à lui communiquer, produisant un courriel du 20 décembre 2017 par lequel il réclamait son évaluation du 6 novembre 2017.

La première évaluation a été jugée non probante et les objectifs de la seconde, faite le 10 décembre 2018, ne sauraient être sérieusement opposés au salarié licencié seulement deux mois plus tard. La cour considère que le caractère probant des tableaux versés aux débats qui ne sont pas signés, dont l'auteur est ignoré et qui ne sont étayés par aucun élément précis, comme les données de base enregistrées dans les outils informatiques existants et/ou une analyse détaillée de la situation ne saurait être retenu. Au surplus, l'imputabilité de cette dégradation à M. [C] n'est pas non plus établie dès lors qu'il résulte des pièces versées aux débats par l'appelante que les absences de l'équipe ont été nombreuses entre octobre et décembre 2018, outre que la société ne vise aucune pièce au soutien de l'allégation suivant laquelle il aurait refusé une ressource complémentaire.

En conséquence, l'insuffisance professionnelle n'est pas établie de sorte que le licenciement de M. [C] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

A l'appui d'une discrimination en raison de l'âge, ce dernier invoque :

- son âge de 54 ans et son ancienneté d'environ 22 ans lors du licenciement, circonstances établies ;

- le fait qu'il était l'un des salariés les plus âgés et comptabilisait l'une des plus grandes anciennetés au sein de l'entreprise, ce fait reconnu par l'entreprise étant établi ;

- la mise en oeuvre d'une politique discriminatoire à l'égard des salariés les plus anciens et les plus coûteux caractérisée par :

* son licenciement sous couvert d'une insuffisance professionnelle : il résulte de ce qui précède que ce licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;

* son niveau de rémunération, qui était en moyenne de 6 593 euros brut, largement supérieur à celle de tous les autres salariés :

M. [C] produit ses bulletins de paie de mars 2018 à février 2019. Il en résulte que la rémunération qu'il invoque correspond à celle des trois derniers mois de l'année 2018 incluant la totalité du treizième mois versé en décembre. En ne prenant en compte le treizième mois qu'à due proportion, sa rémunération moyenne mensuelle ne s'élève qu'à 5 466,49 euros brut, soit un montant nettement moindre que celui allégué. En outre, M. [C] ne produit aucun élément relatif à la rémunération d'autres salariés. Les affirmations de l'intimé sur son niveau de rémunération ne sont pas matériellement établies.

* la suppression du poste de M. [C] : la cour relève à ce sujet que :

. contrairement à ce que soutient M. [C], la société ne reconnaît pas dans ses conclusions cette suppression de poste ;

. si la société n'a pas versé aux débats le registre d'entrées et de sorties du personnel réclamé par M. [C], l'allégation de ce dernier suivant laquelle Mme [O], dont l'intimé admet qu'elle exerçait les fonctions de responsable du service après vente depuis 2015 (soit depuis trois à quatre ans avant le licenciement contesté), a absorbé ses fonctions n'est étayée par aucun élément ;

. les pièces produites par M. [C], soit le contrat de travail de M. [K] du 5 juillet 2004 faisant état de sa qualification d'horloger ainsi que sa lettre de licenciement du 2 janvier 2023 qui mentionne qu'il occupe alors le poste de chef d'équipe horloger et qui lui reproche des carences managériales, sont de nature à contredire la suppression du poste de chef d'atelier horlogerie qu'occupait M. [C], lequel ne justifie pas en quoi les fonctions de chef d'équipe horloger seraient différentes de celles qui étaient les siennes de chef d'atelier horlogerie alors qu'il admet par ailleurs que l'un et l'autre 'possédaient des fonctions d'encadrement'.

La suppression du poste de M. [C] n'est pas établie.

* le licenciement de M. [K], salarié âgé de 58 ans avec une ancienneté de 23 ans et qui disposait d'une rémunération mensuelle brute égale à 4 600 euros, pour des motifs fallacieux :

M. [C] justifie que M. [K], embauché par la société fin 1999, a été licencié pour fautes par lettre du 2 janvier 2023 alors qu'il comptait une ancienneté de 23 ans. Mais le délai d'environ quatre ans entre les deux licenciements infirme l'allégation de M. [C] selon laquelle la société a licencié 'coup sur coup' les deux salariés les plus âgés et occupant les plus hautes fonctions de l'atelier, outre que l'intimé ne produit pas de pièce justifiant de la rémunération de M. [K].

* le départ de la société de M. [O] 'dont la rémunération était très certainement la plus élevée de l'entreprise' :

la société indique que M. [O] a décidé de quitter l'entreprise en février 2021 après 37 ans au sein du groupe Chopard et 31 ans à sa tête. La cour note que ce départ, concernant le directeur général de la société, est éloigné de deux ans du licenciement de M. [C].

La cour estime que les faits matériellement établis par M. [C] (son âge, son ancienneté, le fait qu'il était l'un des salariés les plus âgés et les plus anciens dans l'entreprise, l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement), pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination liée à l'âge.

Il incombe dès lors à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Or la société qui a prononcé à l'égard de M. [C] un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse n'en justifie pas. En conséquence, son licenciement est discriminatoire et partant nul.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, M. [C] dont le licenciement discriminatoire est nul est fondé à réclamer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [C], de son âge (né en 1965), de son ancienneté (remontant au 10 mars 1997), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, telles qu'elles résultent des pièces et des explications fournies (admission au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 20 juin 2019, embauche à compter du 3 février 2020 en qualité de monteur micromécanique au statut ouvrier avec un salaire de base de 2 911,60 euros outre une prime d'ancienneté de 41,77 euros en août 2023), il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, une somme de 80 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, le jugement étant infirmé en ce sens. Ladite somme produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément au principe énoncé à l'article 1231-7 du code civil auquel il n'y a pas lieu de déroger.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et pour préjudice moral

M. [C] soutient que compte tenu de la dégradation des conditions de travail subie par lui, du climat délétère au sein de la société et de la suppression de son emploi au prix de la mise en place d'une nouvelle organisation, il est fondé à solliciter une indemnité de 10 000 euros pour licenciement vexatoire et une autre indemnité de 10 000 euros pour préjudice moral.

La société conclut au rejet de ces demandes.

M. [C] ne caractérise, ni ne prouve les circonstances vexatoires du licenciement dont il se plaint, étant rappelé par ailleurs que la cour a estimé que la suppression de son emploi n'était pas établie. Le jugement est confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande pour licenciement vexatoire.

En outre, M. [C] ne justifie pas non plus de la réalité d'une faute commise par la société autre que celle découlant de la nullité du licenciement, ni de l'existence du préjudice moral subi par lui en lien avec cette faute. Le jugement est aussi confirmé en ce qu'il l'a débouté de ce chef.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, la société est condamnée à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. [C] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société est condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement étant confirmé sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a alloué à M. [C] la somme de 55 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant :

Condamne la société Le petit-fils de L.U. Chopard France à payer à M. [C] la somme de 80 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Le petit-fils de L.U. Chopard France à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. [C] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités ;

Condamne la société Le petit-fils de L.U. Chopard France à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Déboute les parties de toute autre demande ;

Condamne la société Le petit-fils de L.U. Chopard France aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09812
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;21.09812 ?
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