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25/04/2024 | FRANCE | N°17/15323

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 25 avril 2024, 17/15323


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 25 AVRIL 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/15323 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4WBM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Août 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 14/06375



APPELANTE



SA LA POSTE

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Charles

ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2130, ayant pour avocat plaidant Me Paul André CHARLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2138



INTIME



Monsieur [D] [Y]

[Adresse 2]

[Local...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 25 AVRIL 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/15323 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4WBM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Août 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 14/06375

APPELANTE

SA LA POSTE

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Charles ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2130, ayant pour avocat plaidant Me Paul André CHARLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2138

INTIME

Monsieur [D] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

INTERVENANTE

Syndicat SUD POSTE 66

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre et de la formation

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine BRUNET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Catherine BRUNET, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, la société La Poste emploie deux catégories de personnel : des fonctionnaires et des salariés de droit privé.

Par instruction du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993, il a été arrêté que les primes et indemnités existantes constituant un complément de rémunération avaient vocation à être regroupées dans un complément indemnitaire applicable à tous les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de droit public. Par délibération du 25 janvier 1995, le conseil d'administration de La Poste a approuvé le principe de la suppression des primes et indemnités regroupées dans le complément indemnitaire de chaque catégorie de personnel et a constaté que le complément indemnitaire dénommé complément Poste constituait désormais, de façon indissociable, l'un des sous-ensembles de la rémunération de base de chaque catégorie de personnel. Par cette délibération, le complément indemnitaire a été étendu aux agents contractuels relevant de la convention commune La Poste-France Télécom.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, la rémunération de référence a été définie comme comprenant :

- le traitement indiciaire pour les fonctionnaires ou le salaire de base pour les agents contractuels qui rémunère l'ancienneté et l'expérience ;

- le complément Poste qui rétribue le niveau de fonction et tient compte de la maîtrise du poste.

M. [D] [Y] est salarié de droit privé de cette société.

Considérant notamment qu'un rappel de complément Poste lui était dû, M. [D] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 3 août 2016 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, cette juridiction a :

- condamné la SA LA POSTE à lui verser les sommes suivantes :

* 3 531,88 euros au titre du rappel de complément Poste,

* 353,19 euros au titre des congés payés incidents,

* 20 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné à la SA LA POSTE de remettre un bulletin de paie conforme à la présente décision ;

- débouté Monsieur [Y] du surplus de sa demande ;

- débouté la SA LA POSTE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

La société La Poste a interjeté appel de ce jugement le 5 décembre 2017.

Le Syndicat SUD Poste 66 est intervenu volontairement en la cause le 17 mai 2018.

Par conclusions transmises et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 21 février 2018 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société La Poste soutient notamment que le montant du complément Poste résulte d'accords collectifs signés avec les organisations syndicales représentatives. Elle fait valoir qu'elle n'a pas contrevenu au principe 'à travail égal, salaire égal'.

En conséquence, elle demande à la cour de :

- voir réformer pour les motifs sus visés le jugement ;

En conséquence :

- voir réformer le jugement en ce qu'il a condamné LA POSTE à régler au salarié intimé, un complément Poste, les congés payés y afférents, un article 700 du code de procédure civile et a ordonné la remise d'un bulletin de paye conforme tels que visés dans la déclaration d'appel et ses annexes ;

Ce faisant et statuant à nouveau,

- voir déclarer mal fondé l'intimé en ses demandes ;

- voir condamner l'intimé aux entiers dépens.

Par conclusions transmises et notifiées par le RPVA le 27 septembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [D] [Y] et le Syndicat SUD Poste 66 soutiennent notamment que l'inégalité de traitement ne résulte pas des accords collectifs conclus et que la société La Poste a violé le principe 'à travail égal, salaire égal'.

En conséquence, il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la violation par LA POSTE du principe ' à travail égal, salaire égal ' au titre du Complément Poste et condamné LA POSTE à verser à l'intimé un rappel de salaire et de congés payés afférents à ce titre,

Statuant à nouveau s'agissant des quantum,

- condamner LA POSTE à verser à M. [D] [Y] les sommes suivantes :

À titre principal, sur la base d'une comparaison à niveau de fonction identique,

* 4 068,04 euros à titre de rappel de Complément poste,

* 406,80 euros à titre de congés payés afférents,

À titre subsidiaire, sur la base d'une comparaison à fonction et niveau de fonction identiques,

* 4 068,04 euros à titre de rappel de Complément poste,

* 406,80 euros à titre de congés payés afférents ;

- ordonner à LA POSTE de remettre à M. [D] [Y] des bulletins de salaire conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner LA POSTE à verser à M. [D] [Y] les sommes suivantes :

* 3 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi du fait de l'inégalité de traitement,

* 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner LA POSTE à verser au Syndicat SUD Poste 66 les sommes suivantes :

* 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession,

* 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ces sommes avec intérêt au taux légal à compter de la date de la demande de convocation portée devant le conseil de prud'hommes ;

- condamner LA POSTE aux entiers dépens.

L'affaire a été communiquée au ministère public qui, dans ses observations écrites du 1er avril 2022 dont les parties ont reçu communication écrite pour pouvoir y répondre utilement, est d'avis qu'une comparaison in concreto par la cour de la situation de chaque salarié et du fonctionnaire auquel il se compare sera nécessaire sur la base des pièces produites aux débats par les parties ; que lorsque l'examen des pièces révèlera 'une fonction exercée' et 'une maîtrise du poste' identiques au sens des critères retenus par la Cour de cassation, la cour fera droit, quant au complément Poste, aux demandes des salariés concernés ; que lorsque cet examen fera apparaître une différence de 'fonction exercée' et/ou de 'maîtrise du poste', la cour fera droit quant au complément Poste aux demandes de La Poste.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 avril 2022 et l'affaire a été appelée à l'audience du 14 avril 2022.

Les parties ont sollicité à plusieurs reprises le renvoi de cette affaire, un accord étant en cours.

En l'absence d'accord, l'affaire a été évoquée à l'audience du 16 novembre 2023.

MOTIVATION

Sur le rappel de complément Poste

La société La Poste soutient que le complément Poste est fixé depuis des années et notamment depuis 2001 par des accords collectifs majoritaires conclus avec des organisations syndicales majoritaires constituant ainsi, une source de droit opposable aux salariés. Elle souligne que ces organisations représentent aussi bien des salariés que des fonctionnaires de sorte qu'elles ont signé ces accords en sachant que certains fonctionnaires présents avant 1995 perçoivent des montants de complément Poste supérieurs car celui-ci intègre les primes et indemnités qu'ils percevaient antérieurement à cette date. Elle fait valoir que les demandes de M. [D] [Y] se heurtent aux dispositions qui ont institué ce complément et notamment à la décision n° 717 du 4 mai 1995. Elle ajoute que le salarié ne se trouve pas dans une situation identique à celle des fonctionnaires auxquels il se compare, l'identité de situation supposant une identité ou des parcours similaires, une identité de fonctions ou de travail, conditions auxquelles le salarié ne satisfait pas selon elle. Enfin, elle expose que l'accord du 5 février 2015 a validé les indemnités acquises antérieurement par les fonctionnaires présents avant 1995 auxquels le salarié se compare à tort.

M. [D] [Y] et le Syndicat SUD Poste 66 soutiennent que le principe 'à travail égal, salaire égal' s'applique au complément Poste qui constitue un complément de rémunération. Ils précisent que ce principe a vocation à s'appliquer aux travailleurs se trouvant dans une situation identique au regard de l'avantage considéré de sorte que seuls le niveau de fonction et la maîtrise du poste peuvent être pris en compte pour apprécier l'identité de situation, l'ancienneté et l'expérience étant liées au traitement indiciaire pour les fonctionnaires et au salaire de base pour les salariés. S'agissant du niveau de fonction, ils soulignent que le montant du complément Poste n'a jamais dépendu de la fonction exercée comme le révèlent les textes édictés par la société et ses modalités d'évolution. Ils soutiennent que la société ne peut pas invoquer une différence d'ancienneté pour justifier une différence de maîtrise du poste et donc une disparité de complément Poste. Ils ajoutent que la maîtrise du poste doit être évaluée à l'aune de critères objectifs et qu'en l'espèce, seul celui de l'évaluation établie par l'employeur est opérant. Ils soutiennent que, compte tenu des niveaux d'évaluation, seule une évaluation au niveau D serait susceptible d'influer à la baisse sur le montant du complément Poste de sorte que la société ne pourrait justifier une différence de traitement entre M. [D] [Y] et un fonctionnaire exerçant au même niveau de fonction que le sien que si son activité professionnelle avait été évaluée par la lettre D contrairement à celle du fonctionnaire ce qui n'est pas le cas. Ils font valoir que la notion d'expérience ne peut pas se substituer à celle d'ancienneté et que la notion d'historique de carrière n'est pas opérante ; qu'ainsi, il ne peut pas être retenu que l'exercice antérieur de fonctions variées entraîne une meilleure maîtrise d'un poste et ils font valoir qu'ils démontrent le contraire à partir d'exemples concrets. M. [D] [Y] et le Syndicat SUD Poste 66 soutiennent que les accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives ont vocation à s'appliquer aux seuls salariés de sorte qu'ils n'ont pas d'incidence sur la différence de traitement dénoncée, celle-ci résultant du dispositif incluant ces accords pour les salariés et les décisions de la société pour les fonctionnaires. Ils font valoir que l'accord du 5 février 2015 n'a aucune incidence sur l'illégalité du dispositif du complément Poste jusqu'à cette date. En conséquence, M. [D] [Y] demande à la cour de condamner la société La Poste à lui payer un rappel de complément Poste à titre principal, sur la base d'une comparaison avec des fonctionnaires exerçant au même niveau de fonction que le sien et à titre subsidiaire, sur le fondement d'une comparaison avec un fonctionnaire exerçant selon lui une fonction égale ou de valeur égale au même niveau de fonction que le sien.

Sur les accords salariaux

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, il a été arrêté que l'évolution du niveau des 'Compléments Poste' serait discutée chaque année dans le cadre de négociations salariales avec les organisations syndicales. Comme l'indique la société La Poste, l'évolution du montant du complément Poste des salariés résulte d'accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives. Cependant, l'objet des accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives des salariés portait uniquement sur l'évolution du montant du complément Poste payé aux salariés et ne s'étendait pas à l'appréciation globale du système de rémunération mis en oeuvre de sorte qu'il ne peut pas être retenu que la signature de ces accords s'oppose aux prétentions de M. [D] [Y].

Enfin, par accord du 5 février 2015, le complément Poste a été supprimé et a été remplacé par :

- un Complément de Rémunération d'un montant identique pour les salariés et les fonctionnaires ayant le même niveau de fonction ;

- une Indemnité de Carrière Antérieure Personnelle constituée de la différence entre le complément Poste actuellement versé à chaque agent quel que soit son statut et le Complément de Rémunération.

Ces dispositions étant entrées en vigueur à compter du 1er juillet 2015 et le terme de la période de réclamation du salarié étant fixé au mois de juin 2015, les mesures de cet accord sont applicables pour la période postérieure à la période de réclamation.

D'autre part, il ne peut être déduit des termes de l'accord que les partenaires sociaux ont validé les indemnités acquises antérieurement par les fonctionnaires présents avant 1995 comme soutenu par la société La Poste ce d'autant que la présomption de justification d'avantages institués par accord collectif ne s'étend pas à la différence de traitement objet du litige.

Sur le principe d'égalité de traitement

Le principe d'égalité de traitement dont le principe 'à travail égal, salaire égal' énoncé par les articles L. 2271-1 8° et L. 3221-2 du code du travail constitue une déclinaison, s'applique à tous les droits et avantages accordés aux salariés. Il implique que deux personnes placées dans une situation identique ou similaire, perçoivent la même rémunération ou le même avantage. Si, aux termes de l'article 1315, devenu l'article 1353 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence. En conséquence, il appartient à M. [D] [Y] de justifier qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celle du fonctionnaire auquel il se compare et il incombe à la société La Poste de démontrer que la différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Aux termes de l'article L. 3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, des capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. S'il n'est pas nécessaire que les fonctions exercées soient strictement identiques, il convient qu'elles impliquent un niveau de responsabilité, de capacité et de charge physique ou nerveuse comparable.

Afin de trancher le litige, il convient de définir la notion de situation identique ou similaire applicable au cas d'espèce avant éventuellement, dans le cas où le salarié justifie se trouver dans une situation identique ou similaire à celle du fonctionnaire auquel il se compare, de définir et d'examiner les éléments objectifs et matériellement vérifiables de nature à justifier une différence de traitement.

Sur la notion de situation identique ou similaire

La société La Poste soutient que M. [D] [Y] doit se comparer à un fonctionnaire exerçant des fonctions identiques.

M. [D] [Y] et le Syndicat SUD Poste 66 soutiennent à titre principal qu'il doit percevoir un complément Poste d'un montant égal à celui perçu par un fonctionnaire exerçant au même niveau de fonction que le sien. Ils font valoir à ce titre que le complément Poste a toujours été lié au niveau de fonction et non à la fonction exercée comme le démontrent selon eux, la décision de 1995 définissant des champs de normalité, la perception par les salariés exerçant au même niveau de fonction d'un montant identique de complément Poste et les dispositions de la circulaire du 26 septembre 1996.

Il résulte de l'instruction BRH du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993 que le complément Poste payé initialement aux seuls fonctionnaires, a regroupé des primes et indemnités existantes liées à l'exercice de fonctions déterminées, énumérées en annexe. Contrairement à ce que soutiennent M. [D] [Y] et le Syndicat SUD Poste 66, la définition du champ de normalité énoncée par la décision BRH du 4 mai 1995 n'est pas contraire à l'existence d'un lien entre le montant du complément Poste et la fonction. En effet, le champ de normalité est défini par l'article 5.1.1 comme 'étant la plage à l'intérieur de laquelle et pour un même niveau de fonction, les 'compléments Poste' ou les rémunérations de référence doivent se situer et évoluer dans le temps. Il y a donc pour chaque champ de normalité, un niveau de 'Complément Poste' maximum constituant la borne supérieure du champ, et un niveau de 'Complément Poste' minimum constituant la borne inférieure de ce même champ.'. Il est précisé à l'article 5.2.1 : 'Les 'Compléments Poste' ont été composés sur la base de primes et d'indemnités ayant un caractère permanent que percevait chaque agent en septembre 1993 pour la première vague, mars 1994 pour la seconde vague et janvier 1995 pour les agents contractuels.(...) La reclassification des personnels (...) met en évidence le caractère hétérogène des compléments au sein d'un même niveau de fonction. (...) il a donc été décidé de diviser chaque plage de normalité en trois secteurs égaux, à savoir le secteur bas, le secteur médian et le secteur haut(...).'. Il en résulte que la création des champs de normalité a eu pour seul objet, compte tenu de la diversité des montants de complément Poste au sein d'un même niveau pour les fonctionnaires, d'établir des bornes hautes et basses puis à l'intérieur de ces bornes des secteurs bas, médian et haut.

L'instruction BRH du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993 a arrêté le principe d'une corrélation entre la mise en oeuvre progressive de ce complément Poste et un processus de reclassification qui a conduit à terme à la définition de huit niveaux de fonction communs aux fonctionnaires et aux salariés et à la classification des fonctions dans ces niveaux. La circulaire du 26 septembre 1996 citée par M. [D] [Y] et le Syndicat SUD Poste 66 explicite les opérations de reclassification en indiquant qu'elles consistent en un 'pesage' des postes c'est-à-dire en une étude du poste permettant son rattachement à un niveau de fonction. Les niveaux de fonction définis regroupent des fonctions différentes. Ainsi à titre d'exemple, sont classées au niveau I.3 les fonctions de conducteur routier, celles d'agent logistique, d'agent de production et de facteur comme le révèlent les Edarax et les bulletins de paie produits aux débats.

Il ressort des BRH produits par le salarié se référant aux accords salariaux conclus annuellement et concernant uniquement les salariés, que les partenaires sociaux ont défini un montant de complément Poste par niveau de fonction pour les salariés de sorte que les salariés d'un même niveau de fonction perçoivent le même montant de complément Poste. Par contre, il est établi par les décisions de la société précitées que les fonctionnaires d'un même niveau de fonction peuvent percevoir des montants de complément Poste différents, répartis en trois secteurs, bas, médian et haut.

Il résulte de ces éléments que, dès lors que M. [D] [Y] invoque une inégalité de traitement par rapport à un fonctionnaire et non à un autre salarié et qu'il est établi qu'au sein d'un même niveau de fonction, les fonctionnaires exerçant des fonctions différentes peuvent percevoir des montants de complément Poste distincts, la situation identique ou similaire requise s'entend comme l'exercice de fonctions identiques ou similaires au même niveau de fonction. L'ancienneté qui est rémunérée par le traitement indiciaire du fonctionnaire et le salaire de base du salarié, ne peut pas être prise en compte à nouveau pour la détermination du complément Poste. En conséquence, le salarié doit en premier lieu retenir comme cadre de référence un niveau de fonction identique au sien puis au sein de ce niveau, comparer sa situation à celle d'un fonctionnaire exerçant les mêmes fonctions que lui ou des fonctions similaires, ce pour chaque période de réclamation.

En l'espèce, à titre principal, M. [D] [Y] compare sa situation au cours de la période de réclamation, à celle de fonctionnaires exerçant au même niveau de fonction que le sien. Compte tenu de ce qui précède, dans la mesure où le salarié ne justifie pas s'être trouvé dans une situation identique ou similaire à celle des fonctionnaires auxquels il se compare, il sera débouté de ses demandes formulées à titre principal.

A titre subsidiaire, M. [D] [Y] compare à l'aide d'un tableau les montants de complément Poste qu'il a perçus au cours de la période de réclamation, du mois de mai 2009 au mois de juin 2015, à ceux perçus par un fonctionnaire, M. [T] [F], ayant exercé au même niveau de fonction que le sien selon lui pendant une même période de temps des fonctions identiques ou similaires aux siennes.

M. [D] [Y] a exercé les fonctions de facteur au cours de la période de réclamation alors que comme cela ressort des bulletins de salaire de M. [F] produits aux débats, celui-ci exerçait les même fonctions.

La cour retient en conséquence que du mois de mai 2009 au mois de juin 2015, M. [D] [Y] justifie avoir exercé au même niveau de fonction, des fonctions identiques ou similaires à celles exercées par le fonctionnaire auquel il se compare et qu'il justifie dès lors s'être trouvé dans une situation identique ou similaire à celle de ce fonctionnaire.

Il résulte des bulletins de paie produits et du tableau comparatif établi par le salarié que ce fonctionnaire a perçu un montant de complément Poste supérieur au cours de la période considérée. Ces éléments de fait sont susceptibles de caractériser une inégalité de traitement.

Il incombe dès lors à la société La Poste de démontrer par des élément objectifs et matériellement vérifiables que la différence de complément Poste est justifiée par une plus grande maîtrise de son poste par ce fonctionnaire.

Sur la maîtrise du poste

Une différence ne peut constituer un élément objectif de nature à justifier une inégalité de traitement que si elle a une incidence sur l'élément à apprécier. En l'espèce, l'élément à apprécier comme cause justificative de la différence de complément Poste est la meilleure maîtrise du poste par le fonctionnaire. Il appartient donc à la société La Poste de démontrer en quoi une différence de parcours professionnel notamment par la diversité et la nature des fonctions exercées, peut conférer une maîtrise de son poste distincte.

En outre, l'activité professionnelle des agents de la société La Poste est évaluée de manière codifiée par des lettres A, B, D, E :

A : remplit partiellement les exigences du poste,

B : correspond bien aux exigences du poste,

D : ne satisfait pas aux exigences du poste,

E : dépasse les exigences du poste.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, il a été arrêté que ' le 'Complément Poste' rémunérant le niveau de fonction et la maîtrise du poste, l'appréciation annuelle de chaque agent peut avoir également un impact sur le niveau du complément indemnitaire'. Il a été également arrêté que l'agent dont l'activité professionnelle était évaluée D verrait son complément Poste diminuer dans des proportions précisées en annexe. Il résulte de ces éléments que l'évaluation annuelle de l'agent est un élément d'appréciation important de la maîtrise de son poste même si son activité professionnelle n'est pas évaluée comme ne satisfaisant pas aux exigences du poste (lettre D), ce d'autant qu'elle constitue un élément objectif et contradictoire comme le démontre notamment l'instruction n° 355-03 du 21 décembre 2006 produite aux débats.

En l'espèce, la société La Poste ne compare pas le parcours professionnel du fonctionnaire à celui du salarié et elle ne produit aucun élément concernant celui-ci.

La société La Poste ne verse pas d'élément relatif à l'évaluation de l'activité professionnelle de M. [F] et de M. [D] [Y] et ne produit aux débats aucun autre élément objectif de nature à démontrer que ce fonctionnaire dispose concrètement d'une meilleure maîtrise de son poste que le salarié.

En conséquence, la société La Poste ne démontre pas que la différence de complément Poste perçu par M. [D] [Y] et par ce fonctionnaire exerçant des fonctions identiques ou similaires aux siennes au même niveau de fonction que le sien auquel il se compare, est justifiée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Dès lors, il sera retenu que la société La Poste n'a pas respecté le principe d'égalité de traitement.

M. [D] [Y] établit sa demande de rappel de salaire à partir du tableau comparatif évoqué précédemment. Compte tenu de ce qui précède, la société La Poste sera condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 4 068,04 euros à titre de rappel de complément Poste ;

- 406,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.

Sur les dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi du fait de l'inégalité de traitement

M. [D] [Y] soutient que l'inégalité de traitement dont il a été victime, lui a causé un préjudice moral dont il doit être indemnisé.

M. [D] [Y] ne justifie pas suffisamment de l'existence d'un préjudice moral.

En conséquence, il sera débouté de sa demande à ce titre.

Sur la demande du Syndicat SUD Poste 66

Le Syndicat SUD Poste 66 soutient que le non-respect par l'employeur du principe 'à travail égal, salaire égal' a porté préjudice à l'ensemble du personnel de La Poste et, plus généralement, à l'ensemble de la profession de sorte qu'il est recevable et fondé à obtenir réparation du préjudice ainsi porté à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente.

Aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Les demandes d'un syndicat professionnel sont donc recevables si elles relèvent de la défense de l'intérêt collectif de la profession.

En conséquence, il appartient au Syndicat SUD Poste 66 de caractériser le préjudice direct ou indirect apporté à l'intérêt collectif de la profession ce qu'il ne fait pas dès lors qu'il énonce seulement que la société La Poste a nécessairement porté préjudice à l'intérêt collectif de la profession soit en mettant en oeuvre des normes collectives génératrices d'inégalité de traitement soit en ne respectant pas ces normes collectives.

Dès lors, il sera débouté de sa demande à ce titre.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société La Poste de remettre à M. [D] [Y] des bulletins de salaire conformes à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante à titre principal, la société La Poste sera condamnée au paiement des dépens. La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

La société La Poste sera condamnée à payer à M. [D] [Y] la somme de 120 euros au titre des frais irrépétibles, la décision des premiers juges étant confirmée à ce titre.

Le Syndicat SUD Poste 66 qui succombe, sera débouté de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation soit le 12 juin 2014 et, pour les salaires échus postérieurement à la saisine, à compter de leur date d'exigibilité ; la créance indemnitaire produit intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement mais seulement en ce qui concerne le montant du rappel de complément Poste et des congés payés afférents,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Condamne la société La Poste à payer à M. [D] [Y] les sommes suivantes :

- 4 068,04 euros à titre de rappel de complément Poste ;

- 406,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société La Poste de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 12 juin 2014 et, pour les salaires échus postérieurement à la saisine, à compter de leur date d'exigibilité ;

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Ordonne à la société La Poste de remettre à M. [D] [Y] des bulletins de salaire conformes à la présente décision,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Condamne la société La Poste à payer à M. [D] [Y] la somme de 120 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société La Poste aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 17/15323
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;17.15323 ?
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