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24/04/2024 | FRANCE | N°21/06936

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 24 avril 2024, 21/06936


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° /2024, 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06936 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEMG



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 18/03485





APPELANTE



Madame [A] [L]

[Adresse 1]

[Loc

alité 2]

Représentée par Me Pierre BREGOU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0093





INTIMEE



S.A.S. SERVICEPLAN PARIS prise en la personne de ses représentants légaux domicili...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 24 AVRIL 2024

(n° /2024, 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06936 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEMG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 18/03485

APPELANTE

Madame [A] [L]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Pierre BREGOU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0093

INTIMEE

S.A.S. SERVICEPLAN PARIS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme. MEUNIER Guillemette, présidente de chambre rédactrice

Mme. NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère

Mme. MARQUES Florenc, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

La société DCS, devenue Serviceplan Paris, est spécialisée dans le secteur des activités des agences de publicité.

Elle a engagé Mme [A] [L] en qualité de chef de publicité, statut cadre, suivant contrat à durée indéterminée en date du 21 septembre 1992.

Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [L] occupait les fonctions de Directrice générale opérationnelle, moyennant une rémunération mensuelle brute de 9 500 euros, outre des avantages en nature.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité.

A compter du 15 octobre 2014, Mme [L] a été placée en arrêt maladie et a été déclarée en invalidité 2ème catégorie par la CPAM le 30 juin 2017, à effet au 1er juillet 2017.

A l'occasion de sa visite de reprise le 12 septembre 2017, Mme [L] a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, son état de santé faisant " obstacle à tout reclassement dans un emploi ".

Par courrier du 25 septembre 2017, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 4 octobre 2017.

Par courrier du 9 octobre 2017, Mme [L] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par requête du 9 mai 2018, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, juger son licenciement comme étant nul à titre principal et dépourvu de cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et ainsi condamner son employeur à lui verser diverses indemnités afférentes, outre des dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité.

Par jugement du 5 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a:

- dit que le licenciement de Mme [A] [L] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [A] [L] de l'ensemble de ses demandes,

- laissé les frais irrépétibles à la charge des parties,

- condamné Mme [A] [L] aux dépens.

Par déclaration du 29 juillet 2021, Mme [L] a interjeté appel de cette décision, intimant la société Serviceplan Paris.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 11 décembre 2023, Mme [L] demande à la cour de :

- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par Mme [L],

Jugeant à nouveau,

- infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,

- juger établie l'existence d'un harcèlement moral,

- juger établie la violation de l'obligation de sécurité et de santé au travail,

- condamner la société Serviceplan Paris à payer à Mme [L] la somme de 232 123 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul et, à titre subsidiaire, à la somme de 174 092 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En toute hypothèse,

- condamner la société Serviceplan Paris à régler à Mme [L] la somme de 57 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, en réparation du préjudice subi durant l'exécution du contrat de travail,

- condamner la société Serviceplan Paris à payer à Mme [L] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation de l'obligation de sécurité durant l'exécution du contrat de travail,

- condamner la société Serviceplan Paris au paiement de la somme de 29 015,40 euros à titre de préavis conventionnel, 2 901,54 euros à titre d'incidence des congés payés sur le préavis et 967,18 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement conventionnelle de licenciement,

- ordonner à la société Serviceplan Paris la remise des documents sociaux conforme à la décision à intervenir (bulletin de paie et attestation Pole Emploi) sous astreinte de 20 euros par jour de retard et par document, un mois après le prononcé de la décision,

- dire que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale (R 1454-14 du Code du travail) seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et s'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision à intervenir,

- ordonner la capitalisation des intérêts (article 1343-2 du Code civil) sur l'ensemble des condamnations,

- ordonner la condamnation de la société Serviceplan Paris à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage perçues par Mme [L] dans la limite de 6 mois d'allocations en application de l'article L 1235-4 du code du travail,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans les deux revues CB News et Stratégies, aux seuls frais de la société Serviceplan Paris, dans la limite de 6 000 euros par publication, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard courant un mois après le prononcé de la décision,

- condamner la société Serviceplan Paris au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 11 décembre 2023, la société Serviceplan Paris demande à la cour de :

Vu la jurisprudence ;

Vu la Convention collective de la publicité ;

Vu les articles L. 1152-1 et suivant du Code du travail ;

Vu les articles L.4121-1 et suivants du Code du travail ;

Vu l'article R.4624-42 du Code du travail ;

Vu les articles L.1226-2-1 et L.1226-12 du Code du travail ;

Vu l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les pièces du dossier ;

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du 5 juillet 2021 en toutes ses dispositions,

- débouter Mme [L] de son appel, de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,

- condamner reconventionnellement Mme [L] au paiement de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- dire que ceux d'appel seront recouvrés par Maître Audrey Hinoux, SELARL Lexavoue Paris Versailles conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Mme [L] soutient avoir été victime de harcèlement moral conduisant à une dégradation manifeste de son état de santé.

La société conteste pour sa part tout harcèlement moral.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, il appartient au candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou au salarié de présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement . Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement . Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [L] évoque au titre du harcèlement les agissements suivants de l'employeur:

- la perte progressive et constante de ses nombreuses attributions et responsabilités au sein de la société au point de subir, in fine, une véritable rétrogradation;

-la mise à l'écart systématique et la non-divulgation d'information notamment relative à des appels d'offres et à l'évolution organisationnelle de la société;

- la privation d'outils de travail : perte de son bureau individuel et personnel au profit d'un bureau en « open-space », perte de client qui lui était historiquement confié en toute autonomie, perte de ses collaborateurs, refus de la part des créatifs de travailler avec elle;

-la répétition de faits violents et déplacés de membres du comité de Direction et d'actes de violation de son espace physique;

- l'absence d'entretien et la rupture d'égalité de traitement;

- alors qu'elle a officiellement été nommée Directrice Générale (non-mandataire) en mars 2010, la société n'a cessé d'opérer des humiliations autour du titre et de sa fonction et cela jusqu'au licenciement;

- un déclassement quotidien;

- une stratégie en vue de son éviction;

- la répétition de bévues et malveillances administratives et d'humiliations dégradantes et sexistes pendant son arrêt maladie et son licenciement;

-l'inertie fautive de l'employeur à mettre en place une visite médicale presque 3 mois après la déclaration de reconnaissance en invalidité 2° catégorie.

Il convient de les examiner un par un.

1. Sur la rétrogradation continue de la salariée

Mme [L] expose à ce titre qu'elle était la seule responsable du service commercial de l'agence, exerçait différentes responsabilités, avait créé et animé trois pôles d'expertise (brand partner, brand retail et brand international) et avait la responsabilité hiérarchique de 30 collaborateurs. Elle soutient qu'à compter du second semestre 2012 la décision a été prise de scinder le service commercial et développement qui lui était confié dans son intégralité en trois unités, de lui confier le management de la seule unité 'Brand Partner' avec une équipe réduite à six personnes. Elle fait valoir qu'à partir de mi-juillet 2012 elle sera cantonnée uniquement sur la ' business unit brand' avant d'être dépossédée à compter de juillet 2013, date de l'arrivée d'un nouveau président, de l'ensemble de ses responsabilités au sein du service commercial mais également en matière de management et de développement et d'être ' ramenée ' en octobre 2014 à un statut de responsable commercial, soit à un niveau hiérarchique inférieur à celui auquel elle a été recrutée en 1992.

A l'appui de ses allégations, elle produit :

- des couriels et documents démontrant qu'elle exerçait les fonctions de directrice du pôle marketing puis directrice générale opérationnelle, était présentée en tant que telle en interne et vis à vis de l'extérieur et désignée comme l'unique responsable du service commercial;

- des organigrammes de son service ainsi que les mémos de note de finances et des présentations faites en date du mois de juillet 2012;

- des courriels qu'elle a adressés de 2012 à 2015 et ce afin de connaître le périmètre de sa mission et de ses compétences, évoquer des réunions convoquées sans qu'elle ne soit informée ainsi que sa rétrogradation alors que l'employeur procédait au recrutement d'une directrice du développement sans l'informer;

- des échanges de courriels aux termes desquels elle apparaît ne plus faire partie de la direction;

- un courriel de M. [U] en date du 7 octobre 2014 annonçant qu'elle est avec 6 autres collaborateurs et au même niveau ' lead marges' lors des réunions.

Il ressort des documents que Mme [L] dirigeait un service comprenant plusieurs unités et encadrait trente collaborateurs. Il est établi qu'avant son arrêt maladie cette équipe ne comprenait plus que six personnes. Il est également établiqu'une nouvelle directrice de développement était nommée.

Le fait est établi.

2. Sur la mise à l'écart de Mme [L]

Mme [L] soutient que dès l'arrivée de M. [V] en qualité de président, elle se voyait retirer toute autonomie et tout leadership des clients historiques. Elle était également évincée de tous les appels d'offres qui étaient confiés à ses collaborateurs ou à d'autres salariés et écarté de ses attributions concernant le développement. Enfin, elle ne se verra plus confier de nouveaux appels d'offres et sera écartée des réunions.

Au soutien de ses allégations, elle se réfère aux pièces suivantes:

- le compte-rendu de la réunion interne d'une unité;

- des courriels annonçant le recrutement à l'été 2013 d'une nouvelle directrice de développement; l'organisation d'une réunion sur les prospects alimentaires; l'organisation d' une réunion alors qu'elle était en déplacement;

- des échanges autour d'une visite auprès du plus gros client qu'elle suivait jusque là, des réunions organisées sans elle sur ce dossier selon ses courriels ( pièce n°55 notamment) ainsi que sur des appels d'offres dont elle n'était pas informée (pièces n° 59 et 60 par exemple) et pour lesquels les 'créatifs' ne souhaitaient pas travailler avec elle.

Ces pièces convergent vers la dépossession de tâches entrant dans le périmètre de la salariée. Elle adressait à ce titre le 11 février 2014 un courriel au président de la société pour lui demander de faire un point sur sa situation.

Le fait est établi.

3. Sur la privation des outils de travail

Mme [L] fait valoir que sans aucune information préalable les cloisons de son bureau ont été retirées et qu'elle a travaillé en open space avec d'autres collaborateurs tandis que d'autres conservaient un bureau seul.

Elle verse au soutien de cette allégation un courriel qu'elle a adressé à son président sur ce point en novembre 2012 relatant les événements en ces termes: ' non seulement je ne suis plus informée de rien à l'étage des commerciaux ou alors de fausses informations.. Pas de déménagement prévu lundi 12... puis finalement j'arrive lundi et tout le monde s'agite.. Et aujourd'hui j'arrive à 9 h 20 j'installe mes affaires dans mon bureau .. Je vais faire un point au 3 ème étage , je remonte à mon bureau à 10 h et la moitié de mes affaires a été déménagée sans que je le sache..'.

Toutefois, il ressort des nombreux plans communiqués et de la chronologie rappelée par Mme [L] que la société a connu de nombreux réaménagements de ses bureaux au gré de ses activités . Si la salariée a pu conserver un bureau seule pendant plusieurs années, elle a du changer à plusieurs reprises de localisation sur le plateau dédié. Selon le plan établi au 21 décembre 2012, elle partageait son bureau avec une collaboratrice et a participé par ses directives, ainsi qu'il ressort des courriels échangés, à ses déménagements avant que la décision ne soit prise en 2014 de la positionner dans un open space. Au vu de la répartition des bureaux plaçant de nombreux collaborateurs dans la même configuration, en ce compris d'autres directeurs et le Président lui même, l'attribution d'un autre bureau en open space en lien avec un réaménagement ne caractérise pas une privation d'outil de travail.

Le fait n'est pas établi.

4. Sur la répétition de propos violents et déplacés à l'égard de la salariée

Mme [L] soutient qu'elle a régulièrement subi des invectives et des attitudes violentes de la part de certains membres du comité de direction (ci-après codir) qu'elle a dénonçées au Président en titre. Elle indique avoir vu également son casier personnel fracturé à plusieurs reprises et les codes de sa webmail changés à son insu.

Elle se réfère sur ce point aux courriels qu'elle a adressés dénonçant 'l'attitude de [N]' lors d'un codir sans autre précision. Elle a adressé par ailleurs plusieurs courriels pour signaler que le ' barillet de son casier' a été cassé par deux fois et que ses codes webmail ont été changés.

Toutefois, outre que le lien entre les violences et la fracture d'un barillet de casier ou le changement de codes pendant les vacances n'est pas démontré, Mme [L] se réfère à ses seuls et nombreux courriels, aucune autre pièce n'établissant la réalité des propos tenus à son encontre. Alors qu'elle évoque aux termes d'un long courriel en date 17 mars 2011 le conflit l'ayant opposé à M. [J] et l'absence de soutien de l'employeur, il en ressort qu'elle connaissait des difficultés pour asseoir sa légitimité et réclamait à ce titre plus de loyauté des uns et des autres dans le respect de leurs missions respectives. Par ailleurs, l'employeur a procédé au licenciement de M. [J] le 31 octobre 2012 mettant ainsi fin au conflit l'ayant opposé à Mme [L].

Enfin, l'incident ayant conduit M. [P] à lui raccrocher au nez selon encore le récit qu'elle en fait par courriel du 17 octobre 2014 autour de l'appel d'offres Weight Watchers dont elle indiquait avoir été évincée ne contient aucune précision quant aux propos tenus ou violences dites verbales.

Ce fait n'est pas établi.

5. Sur l'absence d'entretien professionnel et la rupture d'égalité de traitement

Mme [L] fait valoir qu'elle n'a jamais eu d'entretien personnel qui aurait pu lui permettre de faire valoir sa rétrogradation progressive et la rupture d'égalité de traitement qu'elle a subie en ayant en particulier la rémunération la plus basse du Codir. Elle indique avoir subi une baisse de revenus due à la suppression des RTT lors de sa promotion comme directrice générale.

Elle produit à l'appui de ses allégations le tableau des rémunérations des dirigeants, la relance faite en vue de la revalorisation de sa rémunération et des courriers et courriels relatifs à la suppression des reliquats de congés et au système de retraite supplémentaire qui ne lui a pas été versée contrairement aux autres membres du Codir.

Ce fait est établi.

6. Sur les ' humiliations' subies autour du titre de 'directrice générale' de Mme [L] jusqu'au licenciement

Mme [L] dénonce que sa nomination ou promotion en qualité de directrice générale officiellement annoncée en 2010 sera remise en cause par la suite. Elle produit sur ce point des échanges de courriels la présentant comme directrice commerciale, food, directrice de clientèle..etc

Selon la convention collective applicable et la classification des emplois, Mme [L] était employée en qualité de ' directrice Pôle marketing'. Alors que le titre de directrice générale lui avait été attribué, il apparaît des pièces versées qu'il ne correspondait pas à un emploi selon la classification des emplois. La présentation de la nouvelle directrice de développement la classant comme commerciale ou ' food' est à tout le moins indélicate et peu professionnelle sans qu'il soit possible, hors les allégations de la salariée, de la rattacher à une volonté de l'humilier.

Ce fait n'est pas établi.

7. Sur l'acharnement 'quasi quotidien' subi par la salariée

Aux termes de ses écritures non dépourvues de répétitions, Mme [L] dénonce un acharnement au quotidien depuis l'arrivée de M. [V] à la tête de la société. Elle en veut pour preuve la chronologie des faits et ses échanges de courriels tant avec M. [G] qu'avec M. [V] sollicitant des rendez vous, la clarification de ses fonctions puis sa rétrogradation (pièces 36, 43 , 79, 80, 82 et 119 à titre d'exemples) en vain.

Elle produit également trois attestations de Mme [S] [I], cliente de la société et d'anciens salariés (Mme [K] et M. [R] par exemple) qui témoignent des difficultés qu'elle a rencontrées, le récit qu'elle pu faire de ses difficultés ou sa rétrogradation et son état d'épuisement.

Mme [K] décrit la situation en ces termes: ' depuis août 2013 l'arrivée du nouveau président [X] [V] et de la nouvelle directrice de développement Béatrice de Rivet, nous avons constaté que notre travail était minimisé en réduisant notre rôle. Cette réduction a été faite de façon insidieuse en nous enlevant des missions ou des contacts, ce qui nous a isolés du reste des collaborateurs et mis dans une situation douloureuse..(..)'.

Si les attestations convergent pour décrire une réduction des tâches et des missions de la salariée conduisant à un certain isolement, ils ne permettent pas de caractériser ' un archanement ' à l'égard de la salariée , ce d'autant que ces agissements sont à mettre en lien avec la mise à l'écart et la rétrogradation.

Ce fait n' est pas établi.

8.Sur la stratégie d'éviction anticipée de la salariée

Mme [L] expose que 3 mois après son arrêt maladie, un collaborateur, qui dépendait d'elle, sera nommé directeur général adjoint, responsable de l'ensemble du service commercial. Elle produit un courriel en date du 15 janvier 2015 diffusé au personnel annonçant que ce dernier prend en charge l'ensemble de l'animation commerciale.

Elle souligne également avoir disparu du trombinoscope de l'entreprise dès lors que sa photographie a été supprimée et produit le trombinoscope avant et après son arrêt maladie.

Ce fait est établi.

9. Sur la répétition de malveillances administratives et d'humiliations dégradantes et sexistes pendant son arrêt maladie et son licenciement et sur l'inertie fautive de l'employeur à mettre en place une visite médicale de reprise

Mme [L] reproche à son employeur d'avoir communiqué des fausses informations concernant le remboursement de la ' prévoyance', d'avoir tardé non seulement à mettre en place la visite médicale de reprise alors même que l'information sur l'invalidité date du 30 juin 2017 et à lui notifier le licenciement, de ne pas lui avoir envoyé les documents de fin de contrat l'obligeant à saisir l'inspection du travail et retardant son inscription à Pôle Emploi. Elle se réfère sur ce point aux nombreux courriels et courriers qu'elle a pu adresser, notamment le 3 et le 11 août 2017 au Président de la société et au médecin du travail.

Elle fait encore valoir que l'employeur aurait fait pression sur le médecin du travail pour que ce dernier établisse une nouvelle fiche de visite mentionnant le poste de 'Directrice pôle marketing' au lieu et place de 'directrice générale' comme pour les autres visites ainsi qu'en attestent les avis du médecin du travail délivrés de 2011 à 2017.

Or, il ressort des échanges de courriers que la société demandait à Mme [L] le 31 juillet 2017 suite à son classement en invalidité de clarifier sa situation quant à une éventuelle reprise du travail afin d'organiser la visite de reprise. Le 3 août 2017, Mme [L] leur répondait que le classement en invalidité a été notifié par la CPAM et non par la médecine du travail et indiquait être toujours dans l'attente d'une convocation par le médecin du travail. Le 16 août 2017, l'employeur l'informait que la médecine du travail avait en premier lieu refusé l'organisation d'une pré-visite avant en second lieu d'obtenir après le retour du congé du médecin un avis de convocation de la salariée. La première visite de reprise était fixée le 28 août 2017. Le 7 septembre suivant, le directeur administratif et financier précisait que l'intitulé de poste exact mentionné sur les bulletins de salaire de Mme [L] est directrice Pôle Marketing. Par courriel du 5 septembre 2017, le médecin du travail informait l'employeur qu'il organisait une visite de reprise le 12 septembre 2017 et précisait que 'les différents avis de ces médecins traitants contre-indiquent une reprise du travail. Dans ces conditions, je vais être obligée de la déclarer inapte à tout poste dans votre entreprise, ce qui vous dispensera de lui chercher un reclassement'. Le 12 septembre 2017, le médecin du travail a déclaré Mme [L] inapte ' en un seul avis', l'état de santé de la salariée faisant obstacle à tout reclassement. Mme [L] était licenciée le 22 septembre 2017.

Dès, lors il s'est écoulé en pleine période estivale et de congés moins de trois mois entre la notification par Mme [L] de son classement en invalidité, l'avis d'inaptitude du médecin du travail et le licenciement, étant observé que lors de la première visite le médecin n'avait pu se positionner et avait procédé à une étude de poste après échanges avec l'employeur. Enfin, ainsi qu'il le souligne, l'employeur n'est assujetti à aucun délai légal pour organiser la visite de reprise du salarié classé en invalidité lorsque celui-ci n'a pas manifesté sa volonté de reprendre le travail et a pour obligation essentielle de reprendre le versement du salaire à l'expiration du délai d'un mois à compter de l'avis d'inaptitude.

Il convient de noter sur ce point que Mme [L] a perçu l'intégralité de sa rémunération pendant la totalité de la période d'arrêt maladie selon la décision prise par son employeur au delà de ses obligations conventionnelles et en dépit d'erreurs commises par les services de l'entreprise qu'elle a rectifiées ainsi qu'elle en justifie (pièces n° 33 et 34, 36 notamment) sans qu'il soit possible de relier, hors les allégations de la salariée, ces erreurs à des malveillances administratives.

Par ailleurs, il s'évince de l'examen des bulletins de salaire que l'intitulé du poste occupé par Mme [L] était ' directrice du pôle marketing'. S'il est avéré que le titre jusque là référencé par l'entreprise en interne et externe selon les présentations rappelées ci-dessus et par le médecin du travail était celui de directrice générale, il sera rappelé que la salariée relève de la convention collective du travail de cadres dans la publicité. Selon la classification, la 3 ème catégorie correspond à celle des cadres 'où la fonction de conception/élaboration est la caractéristique essentielle. Ce niveau peut s'accompagner d'une responsabilité hiérarchique ou fonctionnelle vis-à-vis des collaborateurs relevant du domaine de leur compétence'. Mme [L] bénéficiait du plus haut niveau de cette catégorie, soit le niveau 3.4.

Il est également précisé qu'au-delà du niveau 3-4, il s'agit généralement de fonctions concourant à la direction de l'entreprise, et/ou dont le contenu relève implicitement ou explicitement d'une délégation émanant de la plus haute autorité de direction. Il s'agit de cadres hors catégorie. En l'espèce, Mme [L] n'était pas titulaire d'un mandat social et n'était pas référencée selon l'extrait Kbis comme directrice générale.

S'il y a eu une confusion entre le titre, la fonction et l'emploi par l'usage du titre de 'directrice générale opérationnelle' puis ' directrice générale' , il n'en demeure pas moins que Mme [L] était employée en qualité de Directrice Pôle marketing, intitulé que le médecin du travail devait reprendre dans son avis d'inaptitude par référence à la classification des emplois déterminée par la convention collective applicable sans que cette exigence caractérise une 'manipulation' ou 'pression' par l'employeur.

Il sera également rappelé que les documents sociaux sont quérables et non portables et que si l'employeur a accepté de les envoyer à la salariée, il ne peut être tenu responsable des délais de leur délivrance.

Enfin, la salariée reproche à son employeur de lui avoir adressé à l'occasion de la réception du solde de tout compte des 'tampons hygiéniques, serviettes usagées et baume à lèvres qui ne lui appartenaient pas' la conduisant à évoquer dans un autre courriel adressé au Président de la société son ressentiment . Toutefois, sur ce dernier point, alors que la salariée avait été absente depuis 2014, il n'est pas établi par ses seules allégations que l'envoi de ces effets par la société 3 ans plus tard procèderait d'une malveillance et d'une volonté de l'humilier et non d'une simple erreur.

Dans ces conditions, les faits ne sont pas établis.

En synthèse sont établis dans leur matérialité les faits suivants:

- la rétrogradation de la salariée;

- sa mise à l'écart;

- la stratégie d'éviction anticipée de la salariée qui n'est pas sans lien avec les deux faits précédents en l'état des répétitions des éléments;

- l'absence d'entretien et la rupture d'égalité de traitement.

Par ailleurs, Mme [L] verse aux débats de nombreuses pièces médicales qui attestent de l'altération de son état de santé. Le médecin mandaté par l'assureur de l'employeur et la CPAM elle-même conclut à un épisode dépressif majeur d'intensité sévère avec idéations suicidaires ayant nécessité une prise en charge alors qu'elle n'a aucun antécédent de dépression. Il n'était pas relevé d'amélioration de la thymie en juin 2015 avec recrudescence en raison de la diminution du traitement des idées suicidaires. L'expertise diligentée le 26 janvier 2017 confirmait le syndrome dépressif majeur justifiant une prise en charge qui était la conséquence selon Mme [L] de difficultés relationnelles dans le cadre de son activité professionnelle depuis 2012.

Le 1er février 2018, la maison départementale des handicapés lui notifiait la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé du 1er novembre 2017 au 31 octobre 2020.

Mme [L] présente ainsi des éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu des ces éléments, il incombe à la société de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que les décisions qu'elle a prise sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société fait valoir en premier lieu que la salariée s'est inscrite dans une position contestataire face à l'évolution de la société tout en témoignant un ressentiment de n'avoir pas accédé à la gouvernance. Plus spécifiquement, elle expose qu'une réorganisation envisagée dès 2010 et concrétisée en 2012, à laquelle la salariée était associée, a entraîné la scission d'une entité en plusieurs unités et ce dans un souci de passer d'un modèle d'organisation dit ' horizontal' à un modèle vertical plus adapté aux nouveaux besoins des clients et prospects.

L'employeur se réfère sur ce point aux pièces produites par la salariée et ses pièces et dont il s'évince que la réorganisation a été présentée aux salariés, en ce compris Mme [L].

Il oppose également que Mme [Z] a été nommée directrice de développement au lieu et place de M. [J] fin 2012 et occupe des fonctions qui ne sont pas concurrentes de celle de Mme [L], ce d'autant qu'il fait justement observer que celle-ci ne lui a pas fait le reproche de la nomination d'une nouvelle directrice de développement mais de ne pas avoir été informée de cette nomination. Il fait également valoir que M. [U], directeur commercial, a connu une évolution au sein de la société qui l'a conduit à pouvoir s'adresser directement au Président sans que cette promotion ne reflète une rétrogradation de Mme [L].

Il précise également que la qualification de la salariée n'a jamais été modifiée, elle a toujours été associée aux décisions de la direction et a toujours conservé ses missions de management, mais a mal vécu le fait que le nouveau Président a encouragé toutes ses équipes à travailler et s'impliquer collégialement, faisant un choix de gouvernance s'imposant à tous.

Procédant à une analyse des pièces versées par la salariée, l'employeur conclut enfin que contrairement à ce qu'elle soutient, Mme [L] a continué à suivre le développement de l'agence et à travailler sur les dossiers prestigieux et importants de la société en ayant été l'interface de plusieurs clients (12 marques), gagné des budgets importants, participé à un grand nombre de compétitions, était partie prenante des décisions stratégiques en étant conviée aux réunions et en faisant valoir ses propres suggestions ainsi que le courriel du 7 octobre 2014 l'atteste, était informée des calendriers de rendez-vous et y assistait en fonction de ses disponibilités, était destinataire des compte-rendus, y compris ceux concernant le client [Y].

La société verse aux débats:

-l'organigramme du groupe;

- le trombinoscope de la société duquel il résulte que plusieurs photographies d'autres salariés étaient manquantes;

- le courrier en réponse de l'employeur en date du 29 septembre 2017 indiquant que ce trombinoscope avait été mis en place avant les soucis de santé de Mme [L] et l'absence de sa photographie s'explique par le fait que son portrait n'a pu être réalisé lors de la mise à jour en raison de son arrêt maladie;

- des échanges de courriels sur les réunions des 13 et 14 octobre 2014 auxquels la salariée a été associée;

- plusieurs attestations de salariés qui témoignent ne pas avoir été témoins de harcèlement à l'encontre de Mme [L] et de la réorganisation continue de l'agence en concertation avec les managers aboutissant au projet de reprise en 2014; de l'autonomie dans la gestion de comptes sans que Mme [L] n'intervienne sur les clients (attestation de M.[U]) ; de sa gestion de ses propres comptes et de son autonomie conservée avec la nouvelle gouvernance (attestation de Mme [H]); de l'attribution d'un titre honorifique de directeur général à d'autres collaborateurs et de la précision donnée que ce titre ne s'entendait pas au sens de mandataire social de la société (M. [O]). M. [J], ancien salarié, fait état de ce qu'une compétition avait pu naître avec Mme [L] pour obtenir ' la direction générale'. M. [W] atteste pour sa part que Mme [L] a été associée aux réunions et aux différentes prises de décisions concernant les clients ou l'organisation de l'entreprise et que leurs relations ont toujours été tendues, ce d'autant qu'il avait été écarté par elle du budget du groupe [Y] repris par la suite en direct par M. [P]. Il indique encore avoir fait le constat de l'attitude réfractaire de Mme [L] face au changement apporté par M. [V] ayant nourri le projet d'obtenir la ' présidence' de la société (Mme [H]).

M. [C] relate quant à lui que Mme [L] bénéficiait d'une grande confiance de la part des dirigeants, y compris M. [V], à tel point qu'elle a eu en parallèle de ses fonctions de direction l'opportunité de créer une société, ce qui l'a conduit à être moins présente y compris pour accompagner les clients historiques.

La société verse également aux débats:

- la présentation de la réorganisation aux employés le 25 mars 2013 en quatre pôles, le pôle ' brand partner food' étant dirigé par Mme [L];

- un tableau comparatif des missions et rôle de Mme [L] faisant apparaître leur évolution jusqu'en octobre 2014;

- un courriel qu'elle a adressé le 3 février 2014 à M. [G] dans lequel elle se félicite d'une année 2013 très dense et fertile de sa part en ' new business' et 'compétitions gagnées en grande autonomie.

Il ressort de ce tableau comparatif que Mme [L] gérait en 2014 le budget de 9 clients (au lieu de 12 en novembre 2012) dont [Y] avec lequel M.[P] avait souhaité instaurer une relation directe.Selon ce document, les missions effectivement réalisées par Mme [L] n'avaient pas été modifiées depuis décembre 2012.

Il ressort également de l'examen des bulletins de salaire que Mme [L] n'a pas connu de modification de son emploi et de sa rémunération.

En outre, comme le relève justement l'employeur, le fait qu'un collaborateur de la salariée,auparavant placé sous sa subordination, se trouve désormais au même niveau hiérarchique sur l'organigramme n'est pas de nature à établir un déclassement de Mme [L], celui-ci ayant pu être promu à de nouvelles fonctions.

La société réplique encore qu'elle n'a jamais mis en place d'entretien pour les cadres de la société, de sorte que Mme [L], par ailleurs défaillante dans la preuve qui lui incombe, ne peut nullement reprocher une rupture d'égalité de traitement. S'agissant plus précisément de sa rémunération, il fait état de ce que Mme [L] percevait la quatrième plus haute rémunération de la société et ne saurait se comparer aux autres dirigeants qui cumulaient leurs fonctions avec d'autres missions ou un mandat social et étaient actionnaires. Il sera également relevé que Mme [L] avait créé pour compléter ses revenus une autre société, MD Soleil, et ce pour rentrer dans le capital d'une société Yris détenue majoritairement par la société holding de la société Seviceplan selon l'organigramme transmis.

Le 19 mai 2011, Mme [L] était informée par ailleurs de la bonification de sa rémunération sous la forme de l'attribution de 5 jours par an.

Enfin, par courriel du 17 mai 2020, la société informait les salariés de la nécessité de prendre ses congés dans un délai précis et qu'à défaut ces congés seraient perdus. Ce fait est ainsi objectivé comme concernant tous les salariés et ne peut en conséquence caractériser une rupture d'égalité.

Dès lors au vu des explications et pièces apportées par l'employeur et sans entrer dans le détail de l'argumentation des parties sur les contours du litige les opposant devant la juridiction commerciale, la répartition des tâches ayant pu conduire au retrait de certaines missions auparavant confiées à Mme [L] est justifiée par une réorganisation relevant du pouvoir de direction et de gestion de l'employeur.

Sans minimiser les implications de cette réorganisation sur le positionnement de l'intéressée dans cette nouvelle structure, l'employeur démontre que celle-ci était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il en est de même des autres faits évoqués par la salariée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a pas retenu le harcèlement moral et a débouté Mme [L] de ses demandes de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral, de nullité du licenciement de ce chef et de l' indemnité subséquente.

Sur le licenciement

Le licenciement pour inaptitude d'un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

Il ne suffit pas toutefois d'établir un lien entre le travail et l'inaptitude pour démontrer l'existence d'un manquement de l'employeur qui serait à l'origine de l'inaptitude. À l'inverse, tout manquement imputable à l'employeur n'est pas nécessairement à l'origine de l'inaptitude et il revient au salarié qui l'invoque de démontrer l'existence d'un lien entre le manquement établi et l'inaptitude.

Mme [L] soutient que son inaptitude avait uniquement pour cause les agissements de l'employeur et la violation de l'obligation de sécurité et de santé au travail, ce d'autant que l'employeur n'a pas agi avec bonne foi dans l'exécution du contrat de travail.

La société objecte qu'aucun manquement ne saurait lui être reproché de sorte que Mme [L] ne peut lui imputer la dégradation de son état de santé.

En vertu de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L.4161-1, par des actions d'information et de formation, et par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes et met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention définis par l'article L.4121-2.

Ainsi, il appartient à l'employeur tenu d'une obligation de moyen renforcée en matière de sécurité, d'établir qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail destinées à garantir la protection de la sécurité et de la santé du salarié, et ensuite, si tel n'est pas le cas, à ce dernier d'établir que ce manquement est à l'origine de l' inaptitude .

L'avis d'inaptitude du médecin du travail qui n'a pas été régulièrement contesté s'impose à l'employeur et à la salariée. Dès lors que l'état de santé fait obstacle à tout reclassement, l'employeur n'a pas à procéder à une recherche de reclassement. Par ailleurs, ainsi qu'il a été précisé, l'emploi de de Directrice Pôle Marketing visé par l'avis d'inaptitude était celui effectivement occupé par la salariée.

Toutefois, la cour constate que Mme [L] a été placée en arrêt de travail par son médecin traitant le 15 octobre 2014 pour ' burn out' puis 'dépression. Les pièces médicales produites corroborent le diagnostic de syndrome anxio dépressif sévère.

Les rapports d'expertise psychiatrique concluent également que les éléments recueillis ont mis en évidence un épisode dépressif sévère avec idéations suicidaires et mentionnent une absence d'état antérieur.

Une attestation de Mme [B] [T], psychomotricienne, mentionne que Mme [L] a démarré une psychothérapie fin 2010 en lien avec des agressions répétées dès 2010 de la part de sa hiérarchie. Elle mentionne dans un courrier du 18 mai 2015 avoir pu observer les premiers symptômes tels que pleurs, des troubles du sommeil importants avec des réveils anxieux toujours en lien avec une difficulté professionelle, troubles de conduite alimentaires. Elle indique que le tableau clinique que présente Mme [L] décrit de façon précise le ' burn out ' tel que la littérature médicale le définit avec de nombreux symptômes somatiques..(..).

Ces éléments établissent de manière indiscutable la réalité de la survenance d'un burn-out, ce qui est significatif d'une pathologie liée aux conditions d'exercice de son activité professionnelle. Contrairement à ce que soutient l'employeur, il ne peut se déduire des éléments recueillis par la psychomotricienne qu'il existait un état antérieur indépendant des difficultés professionnelles évoquées.

Si les différents professionnels de santé que Mme [L] a rencontrés ne peuvent attester des conditions réelles de son travail au sein de la société Serviceplan, ces derniers ne mentionnent aucun autre facteur qui pourrait être à l'origine de cette pathologie.

L'employeur ne pouvait ignorer qu'il n'a pas été prévenu du mal être grandissant de la salariée face aux changements opérés. En effet, la salariée l'a à de nombreuses reprises alerté sur le sentiment de rétrogradation depuis 2013 et avait signalé en être très affectée. M. [G] avait noté son mal être dans un courriel en date du 29 janvier 2014 notant ' la conversation que nous venons d'avoir met pour moi en lumière de façon plus marquée que je ne le pensais ton désarroi personnel face à une situation de changement, dans laquelle tous les signes prennent pour toi une importance qu'ils ne méritent probablement pas... Je te dis encore que je suis dispo.. Et qu'il faut absolument faire bouger cette situation qui t'est insupportable'.

Pour autant, l'employeur ne produit aucun élément sur les mesures qui ont pu être prises.

Il résulte de ces éléments que la démonstration est faite de la détérioration des conditions de travail de Mme [L] compte tenu de la réorganisation opérée en lien avec un burn-out médicalement constaté. Face à cette situation, la société Serviceplan ne justifie pas avoir réagi, alors qu'il lui appartient de prévenir les risques psychosociaux, et au contraire elle a laissé Mme [L] dans une situation telle qu'elle a déclenché un burn-out.

La société Serviceplan ne produit d'ailleurs aucun élément sur sa politique de prévention des risques psychosociaux.

Dans ces conditions, non seulement le lien entre la pathologie développée par Mme [L] et les conditions de travail est établi, mais également la connaissance qu'en avait la société. La réalité de l'état de santé de la salariée ne peut en l'état des pièces médicales être contestée, quand bien même elle aurait poursuivi à travers la société qu'elle avait créée une activité.

Le manquement de l'employeur à son obligation de prévention en matière de risques psychosociaux et le fait qu'il ait exposé Mme [L] à de tels risques, compte tenu de la dégradation de ses conditions de travail et de ses alertes, causant ainsi un burn-out, permet à la cour de considérer que l'inaptitude de Mme [L] est consécutive à des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.

Au vu des pièces médicales communiquées, la société sera condamnée à lui verser la somme de 15. 000 euros en réparation du préjudice consécutif au manquement à son obligation de sécurité.

En conséquence de ce qui précède, le jugement entrepris sera infirmé et le licenciement requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes financières

Mme [L] était âgée de 50 ans à la date du licenciement et avait 25 ans d'ancienneté.

Elle peut en conséquence prétendre à l'indemnité de préavis fixée par la convention collective à trois mois de salaire, soit compte tenu d'un salaire de référence de 9627, 50 euros, la somme de 28 882, 50 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 2888, 25 euros au titre des congés payés afférents, étant observé que les sommes sont exprimées en brut.

Eu égard au salaire de référence retenu, elle sera débouté de sa demande au titre d'un complément d'indemnité de licenciement.

Mme [L] peut prétendre aux indemnités de rupture et à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est rappelé que l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au présent litige, prévoit au profit du salarié bénéficiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise de plus de dix salariés, dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés en fonction de l'ancienneté dans l'entreprise, soit en l'espèce entre 3 et 18 mois.

Compte tenu de son âge à la date de la rupture, de son ancienneté, de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé mais également de l'absence de justificatif au delà des pièces médicales sur sa situation professionnelle postérieure au licenciement, il sera alloué à Mme [L] la somme de 96. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de son emploi.

Le jugement sera infirmé.

Il sera rappelé que les créances de nature salariale produisent intérêt au taux légal à compter de la notification à l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée.

La société Serviceplan sera condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage éventuellement versées à la salariée dans la limite de six mois d'indemnité.

Sur les autres demandes

Il sera enjoint à la société de remettre à Mme [L] les documents sociaux sans qu'il y ait lieu à astreinte.

La demande de publication de la décision formée par la salariée n'apparait pas fondée en l'état des pièces et explications des parties, ce d'autant que Mme [L] ne produit, hors ses allégations, aucun élément justifiant sa demande.

Partie perdante, la société Serviceplan sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser à la salariée la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [A] [L] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral, de nullité du licenciement, de l'indemnité de licenciement et de publication de la décision dans deux revues sous astreinte;

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de Mme [A] [L] dénué de cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la société SAS Serviceplan Paris à payer à Mme [A] [L] les sommes suivantes:

15. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité;

28 882, 50 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;

2888, 25 euros bruts au titre des congés payés afférents;

96.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

RAPPELLE que les créances de nature salariale produisent intérêt au taux légal à compter de la notification à l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne;

ORDONNE la capitalisation des intérêts;

ENJOINT à la société SAS Serviceplan Paris de remettre à Mme [A] [L] les documents sociaux (bulletin de paie et attestation Pôle Emploi) conformes au présent arrêt;

DIT n'y avoir lieu à astreinte;

ORDONNE à la société SAS Serviceplan Paris de rembourser à Pôle Emploi, devenu France Travail, les indemnités chômage éventuellement versées à la salariée dans la limite de six mois d'indemnité;

CONDAMNE la société SAS Serviceplan Paris aux dépens de première instance et d'appel;

REJETTE toute autre demande.

Le greffier La présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/06936
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;21.06936 ?
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