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24/04/2024 | FRANCE | N°21/06888

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 24 avril 2024, 21/06888


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° /2024, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06888 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEIF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/08776





APPELANT



Monsieur [P] [S]

[Adresse 3]

Bâtiment

B

[Localité 1]

Représenté par Me Cyrille BONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : NAN702





INTIMEE



S.A LES BISTROTS DU QUAI

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me C...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 24 AVRIL 2024

(n° /2024, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06888 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEIF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/08776

APPELANT

Monsieur [P] [S]

[Adresse 3]

Bâtiment B

[Localité 1]

Représenté par Me Cyrille BONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : NAN702

INTIMEE

S.A LES BISTROTS DU QUAI

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Claire LAVERGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0161

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme. MEUNIER Guillemette, présidente de chambre

Mme. NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère rédactrice

Mme. MARQUES Florence, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présent lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [S] a été embauché par la société Les Bistrots du quai, spécialisée dans le secteur d'activité de la restauration traditionnelle, en qualité de second de cuisine, suivant contrat à durée indéterminée du 18 mars 2018.

Il exerçait ses fonctions dans le restaurant le [5], à [Localité 7].

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des Hôtels, cafés, restaurants.

Par avenant en date du 31 août 2018, M. [S] a été promu chef de cuisine, niveau 4, échelon 1, puis, à compter du 1er décembre 2019, il a été proposé au salarié d'exercer parallèlement à son poste les fonctions de superviseur du restaurant de l'hôtel [6] (8ème arrondissement).

Au dernier état de la relation de travail, la rémunération mensuelle brute de M. [S] s'établissait à la somme de 4 220,60 euros.

Courant février 2020, M. [S] a sollicité un entretien avec son employeur afin d'envisager la rupture amiable de son contrat de travail sans succès.

A partir du 3 mars 2020, M. [S] a cessé de se présenter sur son lieu de travail.

Les restaurants de la société les Bistrots du quai ont fermé le samedi 14 mars 2020 à minuit, en application des mesures prises par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire liée au COVID 19.

L'ensemble des salariés ont alors été placés en activité partielle, à l'exception de M. [S].

Par courrier du 19 mai 2020, M. [S] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 3 juin 2020.

Par courrier du 16 juin 2020, il a ensuite été licencié pour faute grave, en raison de son absence injustifiée.

Par requête du 24 novembre 2020, M. [S] a assigné la société les Bistrots du quai devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, dire et juger que la faute grave n'est pas caractérisée et qu'ainsi son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, sollicitant par suite la condamnation de son employeur à lui verser divers indemnités et dommages-intérêts afférents, outre un rappel de salaires pour heures supplémentaires.

Par jugement du 17 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a:

- débouté M. [P] [S] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la SAS les Bistrots du quai de sa demande reconventionnelle,

- laissé les dépens de l'instance à la charge de M. [P] [S].

Par déclaration du 28 juillet 2021, M. [S] a interjeté appel de cette décision, intimant la société les Bistrots du quai.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 décembre 2023, M. [S] demande à la cour de :

Vu les pièces versées aux débats,

Vu notamment les articles L.1332-4, L.1235-3 et L.8223-1 du code du travail,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 17 juin 2021 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- condamner la société les Bistrots du quai à payer à M. [S] la somme de 8 441,20 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme de 844,12 euros brut au titre des congés payés afférents,

- condamner la société les Bistrots du quai à payer à M. [S] la somme de 2 261,01 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- condamner la société les Bistrots du quai à payer à M. [S] la somme de 14 089,98 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société les Bistrots du quai à payer à M. [S], à titre principal, la somme de 14 772,10 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er mars au 16 juin 2020, outre la somme de 1 477,21 euros au titre des congés payés afférents ; à titre subsidiaire, la somme de 13 051,80 euros à titre de rappel de salaire pour les 1er et 2 mars et du 15 mars au 16 juin 2020, outre la somme de 1 305,18 euros au titre des congés payés afférents,

- condamner la société les Bistrots du quai à payer à M. [S], à titre principal, la somme de 46 422,56 euros brut à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées entre le 1er mai 2019 et le 1er mars 2020, outre la somme de 4 642,26 euros au titre des congés payés afférents ; à titre subsidiaire, la somme de 20 709 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées entre le 1er mai 2019 et le 1er mars 2020, outre la somme de 2 070,90 euros au titre des congés payés afférents,

- condamner la société les Bistrots du quai à payer à M. [S] la somme de 24 154,26 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- condamner la société les Bistrots du quai à payer à M. [S] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société les Bistrots du quai aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 janvier 2022, la société les Bistrots du quai demande à la cour de :

- dire et juger que le licenciement de M. [S] repose sur une faute grave,

- dire et juger que M. [S] ne rapporte pas la preuve d'avoir effectué des heures supplémentaires non rémunérées,

En conséquence,

- débouter M. [S] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [S] à payer à la société Les Bistrots du quai la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [S] aux entiers dépens.

La cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2023.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail et la rémunération des heures supplémentaires

Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences des dispositions légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

M. [S] sollicite l'allocation d'une somme de 46 422,56 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées entre le 1er mai 2019 et le 1er mars 2020, outre la somme de 4 642,26 euros au titre des congés payés afférents, et, à titre subsidiaire, d'une somme de 20 709 euros outre 2 070,90 euros au titre des heures effectuées entre le 1er mai 2019 et le 1er mars 2020.

Il soutient avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires dès lors qu'il travaillait en moyenne 15 heures par jour, soit 75 heures par semaine, alors que son contrat de travail prévoyait une durée hebdomadaire de 39 heures.

Il précise qu'au mois de mai et de juin 2019, il travaillait 13,5 heures par jour de 10h à 23h30-minuit, et au minimum 10 heures par jour entre le 1er juillet et le 30 novembre 2019, étant précisé qu'entre le 1er décembre 2019 et le 2 mars 2020, s'ajoutait à ses heures de travail en tant que chef de cuisine son heure de supervision du restaurant de l'Hôtel [6], ce qui portait son temps de travail à un minimum de 11 heures par jour pendant cette période.

Il fait valoir que si ses plannings font état d'un début de service à 10h30, il démarrait en réalité son activité le matin à 7h30, dès lors qu'il devait contacter les pêcheurs pour s'assurer de la commande du poisson pour le lendemain matin.

Au soutien de sa demande, M. [S] produit notamment :

- un récapitulatif, contenu dans ses écritures, de sa journée de travail type précisant heure après heure le déroulement de ses activités quotidiennes de 7h30 le matin à 23h30 le soir ;

- une attestation établie par un salarié, M. [M], indiquant que M. [S] « arrivait le matin avant [lui] pour passer les commandes de poissons à 7h30 à [leurs] fournisseurs en Bretagne (') », que la « grosse charge de travail ne [leur] permettait pas de manger à chaque repas du midi (11h30-12h00) » et précisant : « à la fin du service (15h), je partais en coupure et je revenais à 18h30. Pendant ce temps, M. [S] restait au restaurant pour continuer la mise en place et s'occuper de ses nombreuses tâches de chef qu'il devait effectuer la journée : entretien, embauche, planning, mise en place, hygiène' Le soir, M. [S] effectuait le service avec nous de 19h à 23h. Nous quittions la cuisine ensemble entre 23h30 et minuit presque tous les soirs » ;

- une attestation établie par un ancien salarié, M. [B], employé par la société jusqu'en juin 2019, qui évoque « la réouverture du restaurant au mois de mai 2019 dans le but d'agrandir la terrasse et d'ouvrir l'établissement en service continu de midi à 23h00 » et indique : « J'arrivais le matin à 10h00 et je repartais entre 23h30 et minuit. Avec mon chef [P] [S] nous dormions 15/20mn vers 16h contre la porte des vestiaires pour récupérer de l'énergie. Il nous arrivait parfois de travailler sur nos jours de congés sans les rattraper. Ce rythme infernal a provoqué une fatigue que je n'arrivais pas à rattraper, j'ai donc décidé de quitter le restaurant le dimanche 30 juin 2019 (') ».

Il présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre. Dès lors, il incombe à ce dernier de répliquer utilement en produisant ses propres éléments.

La société, qui conteste devoir une somme au titre d'heures supplémentaires, réplique que les attestations versées par le salarié sont dépourvues de valeur probante au motif que M. [M] n'a pu attester directement de la réalisation des heures alléguées et a changé de lieu de travail à compter de décembre 2019, et que M. [B] a, pour sa part, été licencié pour faute grave. Elle soutient, subsidiairement, que l'existence d'heures supplémentaires ne pourrait être retenue que pour les mois de mai et juin 2019.

Elle produit un planning signé par M. [S] qui ne mentionne pas les heures réclamées et dont elle indique qu'il était établi par le salarié, ce que ce dernier conteste, faisant valoir que les plannings étaient certes signés par les salariés mais semble-t-il avant le début de chaque période travaillée et qu'ils étaient préétablis par l'employeur.

A cet égard, il ne ressort en effet d'aucune pièce du dossier que le planning versé aux débats par l'employeur, qui concerne différents salariés et dont il comporte certaines signatures, aurait été établi par M. [S]. Cette pièce n'est donc pas de nature à remettre en cause les attestations produites par l'appelant, dont il se déduit que le salarié a effectivement réalisé des heures supplémentaires.

Au regard de l'ensemble des éléments produits par l'une et l'autre partie, l'existence d'heures supplémentaires est ainsi établie, toutefois dans une moindre mesure que celle alléguée par le salarié au regard des élements communiqués, et, le jugement étant infirmé sur ce point, il y a lieu de condamner l'employeur à lui payer la somme de 14 640 euros bruts à ce titre, outre la somme de 1 464 euros au titre des congés payés correspondants.

Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé :

Aux termes du 2° de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

Il résulte de l'article L. 8223-1 du même code qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours sans s'être soumis aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Pour allouer une indemnité pour travail dissimulé en application de l'article L. 8221-5 précité du code du travail, le juge doit rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation, le seul fait de mentionner sur la fiche de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement exécuté ne suffisant pas à caractériser une intention de dissimulation.

En l'espèce, au regard des éléments du dossier, l'intention de dissimulation de la société Les Bistrots du quai n'est pas démontére.Par suite, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de M. [S] tendant à l'octroi d'une indemnité à ce titre.

Sur le licenciement

Sur le moyen tiré de la prescription :

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Ces dispositions ne s'opposent pas à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi date de la convocation à l'entretien préalable.

M. [S] soutient qu'aucune absence ne pouvait lui être reprochée à partir du 14 mars 2020, date de la fermeture des restaurants en raison de la crise sanitaire, et que son employeur avait donc jusqu'au 15 mai 2020 pour engager une procédure disciplinaire. Il fait valoir que plus de deux mois s'étant écoulés entre le 14 mars et le 19 mai 2020, date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable, il est fondé à opposer la prescription, moyen auquel la juridiction prud'homale n'a pas répondu.

Toutefois, les faits reprochés à M. [S] concernaient une période courant à compter du 3 mars 2020, soit la réitération d'un comportement identique, son employeur lui reprochant son absence continue à compter de cette date.

Or l'appréciation du caractère fautif de son absence à compter du 14 mars 2020, date à partir de laquelle les restaurants se sont vu interdire l'accueil du public, a trait au bien-fondé du licenciement.

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave :

En application de l'article L.1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

En cas de licenciement pour faute grave, c'est-à-dire rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, et qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, il appartient à l'employeur qui l'invoque de rapporter la preuve d'une telle faute.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 16 juin 2020, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants : « Vous êtes absent de votre poste de travail depuis le 3 mars 2020 sans justificatif de quelque nature que ce soit. Notre courrier du 13 mars 2020, expédié en recommandé (...) et lettre simple, vous demandant de justifier votre absence, est resté sans réponse. (') Votre absence du 3 au 14 mars, toujours injustifiée à ce jour, a entraîné la suspension sans équivoque de votre rémunération, ce que vous ne pouvez ignorer. Vous rémunérer, et au vu de la situation liée au COVID 19, vous faire indemniser par le chômage comme vous l'avez suggéré dans votre courrier du 22 avril constituerait une fraude aux ASSEDICS, ce que nous refusons catégoriquement ('). Votre absence a porté atteinte à l'organisation de l'entreprise (') puisque vos collègues ont dû suppléer à vos manquements ».

M. [S] ne conteste pas qu'il ne s'est plus présenté à son poste de travail à compter du 3 mars 2020 mais soutient que cette pratique lui avait été proposée par son employeur, comme une modalité permettant d'engager la rupture de la relation contractuelle alors que la société ne souhaitait pas procéder à une rupture conventionnelle. Il fait valoir qu'il n'a jamais reçu la mise en demeure du 13 mars 2020, son employeur n'étant d'ailleurs pas en mesure de produire un accusé de réception.

La société Les Bistrots du quai conteste avoir proposé au salarié d'avoir cessé de travailler. Elle soutient que celui-ci avait choisi de quitter l'entreprise afin de créer une société, et qu'il a ensuite tenté de bénéficier de manière frauduleuse du système d'activité partielle mis en place durant le confinement. Elle considère qu'elle ne peut être tenue de subir les conséquences d'un défaut de réception de la mise en demeure du 13 mars 2020 du fait du dysfonctionnement des services de la Poste.

Il sera relevé, à titre liminaire, que si l'employeur fait valoir que le salarié envisageait la création d'une entreprise qui lui serait plus profitable tandis que M. [S] soutient que son souhait de quitter l'entreprise résultait de sa situation d'épuisement professionnel, le motif de ce projet est sans incidence sur l'appréciation du grief reproché à l'intéressé, à savoir son absence injustifiée depuis le 3 mars 2020.

La matérialité du grief tiré de l'absence prolongée du salarié n'est pas contestée, seul étant discuté son caractère fautif.

A cet égard, la société Les Bistrots du quai fait valoir que cette absence n'était nullement autorisée, que le courrier du 13 mars 2020 mettant en demeure l'intéressé de justifier de son absence et de se présenter à son poste de travail est resté sans réponse, et que cette absence a désorganisé l'entreprise.

L'employeur produit, au soutien de son argumentation, plusieurs attestations dont il résulte que M. [S] a fait part, au début de l'année 2020, à plusieurs autres salariés de son souhait de quitter l'entreprise.

La gestionnaire de paie atteste en outre qu'il s'était rendu à la fin du mois de février 2020, au sein de la direction afin de « dire au revoir et (..) souhaiter bonne continuation parce qu'il quittait son poste », la salariée indiquant en avoir été surprise dès lors qu'il n'avait pas présenté sa démission.

Il ressort toutefois de la seconde attestation établie le 21 décembre 2020 par M. [L] [R] [W], chef des cuisines et supérieur hiérarchique de l'appelant bien que la société fasse valoir qu'il n'était pas décisionnaire, que celui-ci indique qu'au mois de février 2020, M. [S] lui avait « demandé que l'entreprise lui fasse une rupture conventionnelle », ce à quoi il avait répondu qu'il pensait que cette pratique « ne faisait pas partie de la politique interne du groupe » en lui suggérant soit de « démissionner », soit « de ne plus se présenter à son travail ». Ce responsable précise que « quelques jours plus tard, M. [S] (') [lui] a indiqué qu'à partir du 3 mars, il ne se présenterait plus sur son lieu de travail ».

Par ailleurs, aux termes de son courrier adressé à son employeur le 17 juin 2020 dans le cadre de l'engagement de la procédure disciplinaire, M. [S] a répondu en ces termes : « Le groupe Richard m'a refusé la rupture conventionnelle. Vous m'avez donc proposé de faire une procédure d'abandon de poste à compter du 1er mars ('). Au mois de février (') vous avez recruté un nouveau chef afin de me remplacer ('). Je suis donc en absence injustifiée depuis le 3 mars (') à votre demande ».

Il résulte de ces éléments que l'absence de M. [S] avait été, sinon suggérée par son employeur, du moins évoquée entre les parties.

En outre, si le licenciement est fondé sur la circonstance que le salarié a continué à être absent après la mise en demeure du 13 mars 2020, laquelle lui demandait de se présenter à son poste dans les 48 heures à la date de présentation du courrier et de justifier sa période d'absence depuis le 3 mars, la société Les bistrots du quai ne justifie, par la production d'un simple avis de dépôt, que de l'envoi de ce courrier.

En l'absence de justification de la présentation du courrier au salarié et sans que la société ne puisse démontrer à cet égard une défaillance des services postaux, il n'est pas établi que le salarié aurait été avisé de ces demandes, et ainsi mis en mesure d'éviter la procédure de licenciement en rejoignant son poste de travail, alors qu'est contesté le caractère non autorisé de son absence. A cet égard, il sera en outre observé que si le salarié a ensuite reçu le courrier du 27 avril 2020 aux termes duquel son employeur, en réponse à sa demande de versement de salaires, lui indiquait être « toujours en attente d'un justificatif de [son] absence depuis le 3 mars », ce courrier ne comportait aucune mise en demeure de rejoindre son poste de travail et n'a été au demeurant distribué que le 15 mai suivant, soit quatre jours avant la convocation à l'entretien préalable au licenciement.

Enfin, les faits se sont en partie déroulés dans le contexte de l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, qui a interdit aux restaurants d'accueillir du public à compter de cette date, cette interdiction étant partiellement levée à compter du 19 mai 2020. La société, qui n'apporte aucune précision à cet égard, ne justifie pas que l'absence prolongée du salarié dans ces circonstances particulières aurait engendré une désorganisation de l'entreprise telle que mentionnée dans la lettre de licenciement.

Dans ces conditions, l'employeur ne rapporte pas la preuve de faits justifiant un licenciement de M. [S] pour faute grave.

Au regard de ce qui précède, les faits litigieux ne peuvent davantage s'analyser une cause réelle et sérieuse de licenciement. Le jugement doit donc être infirmé.

Sur les conséquences du licenciement :

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents :

M. [S] sollicite, en application de l'article 30.2 de la convention collective applicable des Hôtels, cafés, restaurants, prévoyant que les agents de maîtrise bénéficient d'un préavis de deux mois après deux années d'ancienneté, l'octroi d'une somme de 8 441,20 euros bruts, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 844,12 euros bruts au titre des congés payés y afférents.

Cette demande n'est pas contestée par la société intimée quant à son montant.

Il résulte de ce qui précède que le licenciement pour faute grave de l'intéressé n'était pas fondé. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Au regard des éléments du dossier, et en application des dispositions de l'article L. 1234-5 du code du travail, il sera fait droit à l'intégralité de cette prétention.

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :

M. [S] sollicite à ce titre, en application de la convention collective l'octroi d'une somme de 2 261,01euros bruts, au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, demande qui n'est pas contestée par la société intimée dans son quantum.

Le jugement sera infirmé sur ce point et il sera fait droit à l'intégralité de cette demande.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

M. [S] demande la condamnation de la société à lui verser une somme de 14 089,98 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en faisant valoir qu'il est fondé à solliciter l'indemnité maximale représentant trois mois et demi de salaire, au regard de son ancienneté, de son absence d'antécédents disciplinaires et de la difficulté de sa situation du fait de son licenciement.

La société conteste ce montant et soutient que l'appelant n'est pas fondé à obtenir une indemnité supérieure à un mois de salaire, soit la somme de 4 220,60 euros bruts.

Il résulte de l'article L. 1235-3 du code du travail que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris, pour les salariés ayant une ancienneté en années complètes dans l'entreprise de deux ans, entre trois et trois mois et demi de salaire brut.

Au regard des circonstances de l'espèce, il sera accordé au salarié une somme de 12 661,80 euros bruts à ce titre, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

Sur la demande de rappel de salaires sur la période du 1er mars au 16 juin 2020 :

Le contrat de travail emporte pour l'employeur l'obligation de fournir du travail au salarié et de lui payer le salaire et celle, pour le salarié, de se tenir à disposition de l'employeur pour effectuer le travail fourni.

Il résulte de la combinaison de l'article L. 1221-1 du code du travail et de l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil que pour s'exonérer de son obligation de paiement du salaire, l'employeur doit établir que le salarié a refusé d'exécuter le travail fourni ou ne s'est pas tenu à sa disposition.

Par ailleurs, le dispositif d'activité partielle permet de compenser la perte de revenu subie par les salariés imputable à une baisse de l'activité de l'entreprise.

En l'espèce, il est constant que l'employeur a cessé le versement des salaires à M. [S] à compter du 1er mars 2020, alors qu'il ne l'a considéré comme étant en absence injustifiée qu'à compter du 3 mars suivant.

Dans ces conditions, l'appelant est fondé à réclamer un rappel de salaire pour les journées des 1er et 2 mars 2020 à hauteur de 281,38 euros.

En revanche, si M. [S] soutient que son employeur était tenu de continuer à lui verser son salaire à partir du 3 mars 2020, il résulte des développements qui précèdent que le salarié a cessé de se présenter à son lieu de travail à partir de cette date, de sorte que son employeur était fondé à lui opposer l'exception d'inexécution en cessant de lui verser sa rémunération.

M. [S] soutient à titre subsidiaire qu'il était fondé à percevoir son salaire pour la période allant du 15 mars au 16 juin 2020, dès lors que le restaurant étant fermé en raison de la crise sanitaire, son absence n'était pas injustifiée.

Il ressort toutefois des pièces du dossier et notamment des échanges de courriers entre les parties comme de leurs écritures que M. [S], qui avait cessé le travail depuis plus de dix jours, ne se tenait pas davantage à la disposition de son employeur durant cette période.

A cet égard, ainsi que l'observe l'intimée, la perte de revenu subie par l'intéressé à compter du 3 mars 2020 était imputable à son absence et non à la baisse de l'activité de l'entreprise en raison de la crise sanitaire.

Dès lors, si, ainsi qu'il a été dit, l'absence prolongée du salarié ne pouvait dans les circonstances de l'espèce caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, eu égard notamment à l'absence de justification d'une mise en demeure préalable, l'employeur n'en demeurait pas moins fondé à lui opposer une exception d'inexécution à raison de cette absence.

Par suite, le jugement doit infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de salaire dans son intégralité, la société n'étant toutefois condamnée à cet égard qu'au versement d'une somme de 281,38 euros au titre du rappel de salaire pour les journées des 1er et 2 mars 2020.

Sur les frais du procès :

Le jugement sera infirmé sur la condamnation aux dépens

La société Les Bistrots du quai, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser à M. [S] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- rejeté la demande de M. [P] [S] tendant à l'octroi d'une indemnité pour travail dissimulé.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE la société Les Bistrots du quai à payer à M. [P] [S] les sommes suivantes :

- 14 640 euros bruts au titre des heures supplémentaires et 1 464 euros bruts au titre des congés payés afférents;

- 281,38 euros bruts à titre du rappel de salaire pour les journées des 1er et 2 mars 2020 ;

- 8 441,20 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 844,12 euros bruts au titre des congés payés y afférents.

- 2 261,01euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 12 661,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE la société Les Bistrots du quai aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier La présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/06888
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;21.06888 ?
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