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24/04/2024 | FRANCE | N°21/06881

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 24 avril 2024, 21/06881


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° /2024, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06881 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEHN



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02290





APPELANTE



S.A.R.L. [Y] + ASSOCIATES

[Adresse 1]

[Localité 4]

ReprésentÃ

©e par Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J044





INTIMEE



Madame [U] [D]

Domiciliée en France chez Cabinet AIACH EDELMAN ASSOCIES

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représent...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 24 AVRIL 2024

(n° /2024, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06881 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEHN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02290

APPELANTE

S.A.R.L. [Y] + ASSOCIATES

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J044

INTIMEE

Madame [U] [D]

Domiciliée en France chez Cabinet AIACH EDELMAN ASSOCIES

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Marie-hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2153

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme. Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, chargée du rapport et Mme. Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Madame SONIA NORVAL-GRIVET, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

La société [Y] + Associates est spécialisée dans le secteur d'activité des intermédiaires du commerce en textiles, habillement, fourrures, chaussures et articles en cuir.

Mme [U] [D] a été engagée par la société [Y] + Associates en France en qualité d'attachée commerciale, suivant contrat à durée indéterminée en date du 27 mai 2013.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective de l'import-export.

Le 8 avril 2016, un nouveau contrat de travail de droit américain est signé en les parties afin que Mme [D] rejoigne les locaux américains de la société à compter du 1er mai 2016, en qualité de responsable de compte client et développement commercial.

Par courrier du 15 mars 2018, la filiale américaine de la société [Y] + Associates a mis fin au contrat de travail américain de Mme [D] avec un préavis de 3 mois.

Par courrier du 28 mars 2018, Mme [D] a sollicité sa réintégration au sein de la société [Y] + associates française, réintégration refusée par celle-ci au motif que le contrat de travail français de la salariée avait été rompu le 27 avril 2016, au profit du contrat de travail de Droit américain.

Par acte du 21 novembre 2018, Mme [D] a assigné la société [Y] + associates devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, constater le défaut de réintégration la concernant au sein de la société française, qu'elle considère comme étant la société mère, à la suite de la rupture du contrat avec la filiale, constater le co-emploi entre les sociétés du groupes [Y] + Associates, et ainsi ordonner sa réintégration et condamner la société à lui verser divers indemnités et dommages-intérêts relatifs à la rupture contractuelle.

Par jugement du 28 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a:

- requalifié le refus de réintégration de Mme [U] [D] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la S.A.R.L. [Y] + Associates à verser à Mme [U] [D] les sommes suivantes :

* 6 253 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 10 005 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 000 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- rappelé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,

* 30 012 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté,

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

* 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [U] [D] du surplus de ses demandes,

- débouté la S.A.R.L. [Y] + associates de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration du 29 juillet 2021, la société [Y] + associates a interjeté appel de cette décision, intimant Mme [D].

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 avril 2022, la société [Y] + Associates demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a requalifié le refus de réintégration de Mme [D] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société [Y] + Associates à verser à Mme [D] les sommes suivantes :

* 3 253 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 10 005 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 30 012 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes sur le surplus,

En conséquence,

- constater que la société [Y] + Associates n'avait aucune obligation de réintégration concernant Mme [D],

- débouter Mme [D] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [D] au remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire de droit,

- condamner Mme [D] à verser à la société la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [D] aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2022, Mme [D] demande à la cour de :

Vu les articles L. 1231-5 du code du travail,

Vu l'article L. 1221-1 du code du travail,

- confirmer le jugement du 28 juin 2021 du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a requalifié le refus de réintégration de la société [Y] + Associates en licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société au versement d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité de congés payés sur préavis, d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté,

- confirmer le jugement du 28 juin 2021 du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a condamné la société [Y] + Associates au versement d'un article 700 du code de procédure civile, mais l'infirmer en son quantum,

- infirmer le jugement du 28 juin 2021 du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a débouté Mme [D] de sa demande de dommages et intérêts pour frais du visa et de " green card ", de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de rapatriement et de sa demande de dommages et intérêts du fait de la privation de l'assurance chômage,

Statuant à nouveau :

- constater le défaut de réintégration de Mme [D] au sein de la société-mère à la suite de la rupture du contrat avec la filiale au sein de laquelle elle était expatriée,

- en tout état de cause, constater le co-emploi entre les sociétés du groupe [Y] + associates,

En conséquence :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la SARL [Y] + Associates et dire qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la SARL [Y] + Associates à verser à Mme [D] les sommes suivantes :

* 30 012 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5 002 euros à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier,

* 6 253 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 10 005 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 000 euros à titre de congés payés y afférents,

En tout état de cause :

- condamner la SARL [Y] + Associates à verser à Mme [D] les sommes suivantes :

* 10 005 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté,

* 5 002 euros à titre de dommages et intérêts pour frais du visa et de " green card ",

* 5 002 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de rapatriement,

* 68 436 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la privation de l'assurance chômage,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- ordonner la remise des documents sociaux et bulletins de salaires manquants, sous astreinte journalière de 50 euros,

- condamner la SARL [Y] + Associates aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les pièces

La société [Y] + Associates demande à ce que les pièces produites par Mme [D], rédigées en anglais et non accompagnées d'une traduction en français, soit les pièces numérotées 3, 4, 5, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, et 30, soient écartées des débats.

Elle n'en tire pour autant aucune conséquence dans les termes de son dispositif qui seul lient la cour. Il sera également constaté que la société verse également des pièces en langue anglaise qu'elle n'a pas plus pris la peine de traduire.

La cour rappelle à toutes fins que la langue utilisée devant les juridictions françaises est le français et non l'anglais, les juridictions anglaises ou américaines utilisant pour leur part l'anglais et non le français.

Sur la résiliation judiciaire

Mme [D] soutient à titre principal que suite à la rupture de son contrat de travail de droit local avec la société filiale américaine de la société [Y]+Associates, cette dernière se devait de la réintégrer par application de l' article L. 1231 -5 du code du travail; que le manquement à cette obligation justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail.

La société [Y] + Associates conclut au débouté des demandes, faisant valoir que Mme [D] a été engagée selon contrat de droit américain par la société américaine après la rupture de son contrat avec la société française.

Sur la prescription de l'action en résiliation

La société [Y]+Associates soutient que ses relations contractuelles avec Mme [D] ayant cessé le 27 avril 2016 suite à la remise du solde de tout compte, celle-ci avait jusqu'au 27 avril 2018 pour contester la rupture de son contrat de travail, de sorte que le conseil de prud'hommes ayant été saisi le 21 novembre 2018, ses demandes sont prescrites.

L'article L. 1231-1 du code du travail dispose : 'le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre.

Ces dispositions ne sont pas applicables pendant la période d'essai.'

Le salarié peut obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail lorsque l'employeur ne respecte pas ses obligations contractuelles.

Il est de jurisprudence constante que le juge saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail devant examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté, il en résulte qu'une demande de résiliation judiciaire ne peut être prescrite.

En l'espèce, c'est à la suite de son licenciement par la société américaine intervenu par courrier du 15 mars 2018 et du refus de réintégration exprimé suivant échanges de courriels entre le 28 mars et le 3 mai 2018 par la société [Y]+ Associates que Mme [D], considérant que son contrat de travail avec la société n'a pas été rompu , a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail avec la société.

La demande de résiliation du contrat de travail n'est donc pas prescrite.

2. Sur la loi applicable

La société [Y] + Associates soutient que le loi applicable à la relation contractuelle entre la société [Y]+ Associates Inc et Mme [D] est le droit américain.

Cependant, il ne s'agit pas en l'espèce d'étudier les modalités d'exécution ou de rupture d'un contrat de travail de droit américain conclu avec la société [Y] + Associates Inc mais les conditions de l'exécution et de la rupture du contrat conclu avec la société [Y] + Associates France que l'intimée considère la société mère du groupe et à laquelle elle demande sa réintégration en application de l'article L. 1231-5 du code du travail.

Il sera par ailleurs relevé que la société [Y]+Associates UK est également domiciliée en France à l'adresse personnelle de Mme [Y], gérante de la société française, CEO de la société américaine et selon le Kbis communiqué dirigeante de la société anglaise.

La loi française est en conséquence applicable au présent litige.

Le moyen sera rejeté.

3. Sur le bien fondé de la demande

Mme [D] soutient que la société [Y]+ Associates, implantée en France, détient une position dominante en ce qu'elle supervise la gestion opérationnelle de l'ensemble des filiales, dont la société [Y]+ Associates Inc basée aux Etats Unis et devait en qualité de société mère ou en raison de sa position dominante la réintégrer après la rupture de son contrat avec la société américaine.

La société [Y]+ Associates conteste être la société mère de la société [Y] + Associates Inc . Elle expose que c'est la société [Y] + Associates Limited qui est la maison mère de la société Limited+ Associates Inc de sorte que la salariée ne peut solliciter sa réintégration.

L'article L. 1231-5 du code du travail dispose : « lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.

Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables.

Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l'indemnité de licenciement. »

Il est établi que Mme [D] a été employée par la société [Y]+ Associates jusqu'au 8 avril 2016, date de son départ pour la société [Y]+ Associates Inc.

Il importe peu que le lien contractuel avec la société [Y]+ Associates subsiste, l'article L. 1231-5 du code du travail ne subordonnant pas son application au maintien d'un contrat de travail entre le salarié et la société mère.

Il est également établi que Mme [D] a été embauchée par la société [Y]+ Associates Inc, société dite américaine, qui l'a licenciée. Il sera également relevé que Mme [J] [Y] a signé tant le contrat de droit français initial que le contrat de droit américain en qualité de présidente de la société [Y]+Associates Inc et la lettre de licenciement.

Pour que l'article L. 1231-5 du code du travail puisse trouver application, le salarié doit établir que la société française contre laquelle il dirige son action est la société mère de la société étrangère auprès de laquelle il a été détaché.

Les notions de société mère et de filiale auxquelles se réfère ce texte ne sont pas celles qui sont définies par le code de commerce, qui impliquent une participation financière au capital de la filiale d'au moins 50 %. Elles sont laissées à l'appréciation du juge, lequel doit déterminer si la société qui met le salarié à disposition exerce, à la date du licenciement, un contrôle sur la société d'accueil auteur du licenciement.

La société mère doit exercer sur la filiale un véritable contrôle économique, suffisamment fort pour permettre la persistance du lien de subordination du salarié détaché à l'égard de la société dominante. L'article L. 1231-5 est inapplicable lorsque le détachement s'opère de filiale à filiale, en l'absence de contrôle de l'une sur l'autre.

Il s'évince des pièces communiquées par Mme [D] qu'elle a été recrutée par la société dont le siège était situé [Adresse 2]. Selon un descriptif donné sur des sites internet, le groupe [Y] est présenté comme ayant des bureaux implantés à [Localité 10], [Localité 7], [Localité 9], [Localité 8] et [Localité 6] et a pour siège social [Adresse 2]. Selon un document présentant la stratégie daté du 20 octobre 2017, les décisions étaient centralisées, étant observé que chaque bureau devait reporter à [Localité 10], la société fonctionnant comme une seule entité avec différentes équipes dans plusieurs villes de par le monde.

L'organigramme du groupe versé aux débats par Mme [D] ne présente pas la société dite anglaise comme la société mère, les décisions et le pouvoir économique et de gestion étant centralisés par la direction française.

Il ressort des courriels échangés produits par Mme [D] que celle-ci recevait des instructions de la part de l'entité française et notamment de Mme [Y] ou Mme [O], tous ses interlocuteurs utilisant une adresse courriel se rattachant à la France et Mme [Y] étant positionnée comme la seule dirigeante de toutes les entités.

La société expose pour sa part que son capital est détenu à 100 % par la société [Y]+Associates Limited, société anglaise. Elle se réfère au certificat portant composition du capital de la société [Y] + Associates détenu à 100 % par la société SARL [Y] + Associates UK, dont le siège social est situé à l'adresse personnelle de Mme [Y] en France. Elle en déduit que la société [Y]+ Associates est une filiale et ne détient donc aucune participation financière dans la société [Y]+ Associates Inc qui a mis fin au contrat de travail.

Or, Mme [D] verse aux débats plusieurs pièces qui établissent que la société [Y]+Associates située en France avait une position dominante envers la société [Y]+Associates Inc. Le seul courriel envoyé le 5 octobre 2016 par M. [W] basé auprès de l'entité de [Localité 7] ne saurait s'analyser, à défaut d'autre pièce, comme pouvant établir le lien de subordination avec celui-ci alors qu'elle recevait des instructions et directives de la société française, devait avoir son approbation pour prendre une décision, sollicitait une autorisation de congés auprès de la société française, a eu son entretien d'évaluation avec Mme [O], directrice opérationnelle de la société française, laquelle lui a fait d'ailleurs des reproches sur son comportement selon courriel produit en date du 30 mai 2018, et a été finalement licenciée par Mme [Y], dirigeante de la société française et de toutes les entités.

La société ne produit pas par ailleurs la convention tripartite alléguée, laquelle doit notamment indiquer l'accord du salarié sur sa mutation et la date de celle-ci, étant rappelé que quand bien même le contrat français aurait été rompu cela n'a pas d'incidence sur l'obligation de rapatriement.

Les documents ainsi produits (organigrammes, présentations, courriels échangés), démontrent que la société [Y]+ Associates Inc recevait des ordres de la société [Y]+ Associates France et que cette dernière exerçait à la date de son licenciement un contrôle sur la société d'accueil auteur du licenciement, ce d'autant que le lien de subordination demeurait avec la société basée en France.

Dès lors, la société appelante devait lui faire bénéficier du droit à rapatriement et à réintégration prévu par l'article L. 1231- 5 du code du travail. Dans ses conditions, son refus de réintégrer la salariée postérieurement à la rupture de son contrat de travail avec l'entité américaine est un manquement grave justifiant que la résiliation judiciaire du contrat de travail soit prononcée à ses torts.

Le conseil de prud'hommes doit en conséquence être approuvé en ce qu'il a retenu que cette résiliation devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement

Mme [D] avait à la date de la rupture du contrat une ancienneté de 5 ans.

Elle peut prétendre aux indemnités de rupture et à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sans pouvoir cumuler avec l'indemnité pour licenciement irrégulier. Elle sera en conséquence déboutée de cette dernière demande.

Au regard de sa rémunération et de son ancienneté, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société à lui verser les sommes de 10 005 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1000 euros à titre de congés payés afférents avec la précision que ces sommes sont exprimées en brut et 6253 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Il est rappelé que l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au présent litige, prévoit au profit du salarié bénéficiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise de plus de dix salariés, dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés en fonction de l'ancienneté dans l'entreprise, soit en l'espèce entre 3 et 6 mois.

Mme [D] réside toujours aux Etats Unis et ne communique aucun document sur sa situation.

Au vu de ces éléments, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de son expérience professionnelle et de l'absence de justificatif quant à sa situation professionnelle postérieurement au licenciement, il lui sera alloué la somme de 20.000 euros conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

La société sera en conséquence condamnée à lui verser cette somme.

Le jugement sera infirmé.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l'obligation de rapatriement

Mme [D] ayant fait le choix de demeurer aux Etats Unis et ne démontrant pas un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et pour manquement à l'obligation de raptriement.

Sur la demande de dommages et intérêts pour frais de visa et green card

Mme [D] indique avoir engagé des frais pour obtenir ces documents et ce à hauteur de 2000 US dollars. Toutefois, elle ne produit aucune pièce au soutien de sa demande.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande et le jugement sera confirmé.

Sur la demande d'indemnisation du préjudice du fait de la privation de l'assurance chômage

Mme [D] se prévaut de ce que la société ne l'a pas affiliée à un régime d'assurance chômage durant sa période de détachement de sorte qu'elle n'a pas pu se prévaloir du régime d'assurance chômage.

Il sera relevé que Mme [D] a souhaité rester aux Etats Unis et ne produit aucun document permettant d'apprécier si elle a entrepris des démarches en France auprès de Pôle Emploi, devenu France Travail.

Enfin, ainsi que le souligne l'employeur, elle n'a pas fait l'objet d'un détachement aux Etats Unis mais a conclu un contrat de droit local avec la société américaine. De plus, son salaire lui a été versé aux Etats Unis, en dollars et soumis aux charges sociales américaines.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande.

Sur les frais du procès

Le jugement sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société, partie perdante au principal, sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à Mme [D] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la Sarl [Y] + Associates à verser à Mme [U] [D] les sommes de 30 012 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté;

L'INFIRME de ces chefs,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société SARL [Y]+ Associates à payer à Mme [U] [D] les sommes suivantes:

-20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

-2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE la société SARL [Y]+ Associates aux dépens d'appel;

REJETTE toute autre demande.

Le greffier La présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/06881
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;21.06881 ?
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