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24/04/2024 | FRANCE | N°21/05256

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 24 avril 2024, 21/05256


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° /2024, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05256 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2WX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/02175





APPELANT



Monsieur [U] [H]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me

Françoise CALANDRE EHANNO, avocat au barreau de PARIS, toque : R101





INTIMEE



S.A. ELECTRICITE DE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Joyce LABI, avocat au barreau de PARI...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 24 AVRIL 2024

(n° /2024, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05256 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2WX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/02175

APPELANT

Monsieur [U] [H]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Françoise CALANDRE EHANNO, avocat au barreau de PARIS, toque : R101

INTIMEE

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Joyce LABI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme. Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, chargée du rapport et Mme. Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Madame SONIA NORVAL-GRIVET, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

M. [H] a été engagé par la société Electricité de France (EDF), producteur d'électricité, suivant contrat à durée indéterminée du 1er août 2009, en qualité de responsable d'études au sein de la Direction informatique et télécommunication, positionné en catégorie Cadre GF 14 - NR 200.

Il occupait en dernier lieu l'emploi de chef de groupe, au sein de la Direction des services utilisateurs et PROXI, positionné au GF 15 - NR 255, échelon 10.

Par courrier du 27 novembre 2018, M. [H] a été convoqué à un entretien préalable 1ère phase fixé au 7 décembre 2018, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 17 décembre 2018, M. [H] a été informé de la tenue d'une séance de la Commission Secondaire du Personnel, le 12 février 2019, afin de statuer sur une éventuelle sanction disciplinaire à son encontre.

A l'issue du rapport de la commission et du débat qui a suivi, M. [H] a été convoqué par courrier du 20 février 2019 à un entretien préalable 2ème phase fixé au 6 mars 2019.

Par courrier en date du 14 mars 2019, M. [H] s'est vu notifier sa mise à la retraite d'office sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Invoquant une disproportion dans la sanction prise à son encontre, M. [H] a, par requête du 13 mars 2020, saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir la société EDF notamment condamnée à lui verser diverses indemnités afférentes à sa mise à la retraite d'office, qu'il considère comme étant dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 10 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a:

- débouté M. [H] [U] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la S.A. EDF de sa demande reconventionnelle,

- condamné M. [U] [H] aux dépens.

Par déclaration du 11 juin 2021, M. [H] a interjeté appel de cette décision, intimant la société EDF.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 septembre 2021, M. [H] demande à la cour de :

Vu les articles R 1234-9, L1332-2, L1243-4 et L1243-1 du code du travail,

Vu les pièces communiquées,

- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris en date du 10 mai 2021,

Et statuant à nouveau,

- juger la sanction disciplinaire prise à l'encontre de M. [H] dépourvue de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société EDF à verser à M. [H] les sommes suivantes :

* 19 343,77 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 17 704,47 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 770,46 euros de congés payés afférents,

* 76 719,37 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société EDF aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 octobre 2021, la société EDF demande à la cour de :

- juger EDF recevable et bien fondée en ses conclusions,

A titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Paris le 10 mai 2021,

Y ajoutant,

- condamner M. [H] à payer à EDF la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- juger que l'indemnité légale de licenciement susceptible d'être allouée à M. [H] sur le fondement des articles L 1234-9 et R 1234-1 du code du travail ne saurait excéder la somme de 4 757,77 euros,

- juger que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse susceptible d'être allouée à M. [H] sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail ne saurait excéder la somme de 47 577 euros,

En toute hypothèse,

- condamner M. [H] aux entiers dépens d'instance et d'appel.

La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Engagé par EDF depuis le mois d'août 2009, M. [H] occupait en dernier lieu le poste de chef de Groupe au sein de la Direction des Services Utilisateurs et PROXI. Alertée le 31 octobre 2018 de la situation reportée à M. [X] par une salariée placée sous la subordination de M. [H], la société a fait diligenter une enquête par un cabinet extérieur puis a conduit plusieurs entretiens. Elle a par suite engagé à l'encontre de M. [H] des poursuites disciplinaires conformément à la procédure réglementaire applicable en procédant à un entretien préalable 'première phase' fixé au 7 décembre 2018 suivi d'une comparution devant la commission secondaire du personnel (CSP).

A l'issue du débat devant la CSP, les quatorze membres la composant ont été amenés à émettre un avis sur l'éventuelle sanction susceptible d'être notifiée à M. [H]. 4 ont émis un avis en faveur d'une rétrogradation de 1 GF avec 'positionnement dans un emploi sans management', 4 ont émis un avis en faveur d'une rétrogradation de 2 GF, dont 2 avec positionnement 'dans un emploi sans management',6 ont émis un avis en faveur d'une 'mise à la retraite d'office'.

Par lettre recommandée du 20 février 2019, M. [H] a été convoqué à un entretien préalable 'deuxième phase' aux termes duquel il lui a été notifié sa mise à la retraite d'office dans les termes suivants:

« Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements fautifs constitutifs d'une exécution déloyale de votre contrat de travail mettant en cause la bonne marche du service.

En effet, vous avez profité de votre position de manager pour imposer de manière récurrente à certaines femmes, placées sous votre dépendance hiérarchique ainsi qu'à une collègue, des agissements et propos inadaptés et déplacés dans un cadre professionnel, sans qu'il s'agisse de comportements souhaités, désirés ou acceptés par les personnes destinataires.

Ces comportements sont d'une gravité telle qu'ils ont contraint certaines des salariées concernées à user de mesure d'évitement, et en définitive à la démission pour l'une d'entre elles. Ces agissements constituent un abus d'autorité manifeste ne correspondant pas à l'exécution normale de votre contrat de travail et caractérisant un manquement à votre obligation contractuelle de veiller à la protection de l'intégrité physique et psychique des salariés placés sous votre subordination ».

Suite au recours exercé par M. [H] à l'encontre de cette décision, les membres du CSP Cadres d'EDF ont lors de leur séance du 16 juillet 2019 émis les avis suivants :

- 3 avis en faveur d'une rétrogradation de Groupe Fonctionnel et d'une mutation dans un poste sans management,

- 4 avis en faveur du maintien de la mise à la retraite d'office,

- 1 avis en faveur du rejet de la requête de M. [H].

L'employeur a par lettre recommandée du 24 juillet 2019 notifié à M. [H] sa décision de maintenir la sanction de mise à la retraite d'office qui lui avait été signifiée le 14 mars 2019.

M. [H] a exercé à nouveau un recours, actuellement suspendu en l'état de la présente procédure.

Au soutien des griefs évoqués, la société produit:

- le rapport d'enquête diligentée par le cabinet Emprunte Humaine;

- le rapport de l'autorité compétente en date du 12 décembre 2018;

- les procès-verbaux des réunions de la commission secondaire du personnel cadre de la tête de groupe et des autres directions d'EDF du 12 février 2019 et du 16 juillet 2019;

- les compte-rendus d'audition de 9 salariés;

- l'attestation sur l'honneur de M. [P];

- les déclarations sur l'honneur de 6 salariés;

- le descriptif normalisé en vigueur au sein d'EDF (dit M3E), érigeant des règles en matière de sécurité des biens et des personnes, des règles de gestion du personnel ;

- le mémento éthique en vigueur au sein d'EDF qui rappelle notamment aux agents de ' ne pas laisser s'établir ou susciter des situations qui pourraient porter atteinte à la sécurité, à la santé et à la dignité d'autres salariés, (') et de 'veiller à ne pas laisser s'établir ou susciter une situation professionnelle de discrimination ou de harcèlement'.

Il résulte des auditions et de l'enquête auxquelles il a été procédé que Mme [V], placée sous la subordination de M. [H], a présenté le 4 octobre 2018 sa démission et a sollicité une « dispense partielle de préavis d'une durée de 3 mois ». Le 31 octobre 2018, le manager direct de M. [H], M. [X], a reçu une demande d'entretien urgent et confidentiel de la part de Mme [A], collègue de travail de Mme [V].

Selon le compte-rendu de son audition devant le rapporteur de la commission de discipline, M. [X] faisait état de l'entretien avec cette salariée dans les termes suivants:

« Le 31/10, Mme [A] m'a contacté (') pour me rencontrer de manière urgente ('). Elle m'a demandé si je savais pourquoi Mme [V] voulait démissionner. Mme [V] avait invoqué des raisons concernant l'intérêt du poste et des projets proposés, ainsi qu'un gain de rémunération ('). Mme [A] m'a alors répondu : « ce n'est pas ça du tout, elle a été harcelée sexuellement par [U] ([H]) ».

Elle m'a raconté ce que lui avait rapporté Mme [V]: M. [H] avait invité Mme [V] à un barbecue chez lui et la situation avait dégénéré. Puis elle m'a dit qu'elle-même avait été « approchée » par M. [H] bien avant, sans conséquences, car elle avait refusé ses avances, mais qu'elle aurait peut-être dû en parler avant car cela s'était finalement reproduit ».

L'enquête diligentée par un cabinet extérieur a fait ressortir :

- « Des propos à connotation sexuelle explicite, des contradictions dans les explications de [H] ([U] [H]) et des excuses non reçues :

Même si [H] nie les attouchements sexuels, le baiser sur la bouche ou dans le cou, il reconnaît et « assume » la proposition de coucher (« dormir ensemble ») et le massage (contacts physiques) faits le 09/08/17 à [V] ([S] [V] ). Offrir un paréo en disant qu'il l'imaginait bien dedans est aussi inapproprié et va dans le sens de la proposition de relations sexuelles (').

- Le refus non équivoque de [V] et la non-réciprocité des familiarités de [Y] ([E] [Y]):

- Des cadeaux personnels :

(') les cadeaux de [V] et [Y] (bouteilles d'alcool) ne sont pas ambigus, contrairement à ceux de [H] (parfum, perle, paréo, '). Nous avons vu qu'il n'offre des cadeaux de ce type qu'à ces deux personnes. Expliquer le fait d'offrir des cadeaux uniquement pour préserver l'équilibre des relations tout en proposant des relations sexuelles à [V] après les avoir offerts n'est pas crédible. Ce sont à l'évidence des comportements de séduction qui ont été vécus comme inappropriés par [Y] et [V].

- Des comportements inappropriés :

[H] est décrit par tous les témoignages comme quelqu'un de tactile avec les hommes et en particulier avec les femmes. [Y] se plaint de familiarités, de propos ou comportements déplacés (bise avec les lèvres, caresse du bras..). Ce qui converge avec le témoignage de [A] sur les caresses de la jambe, de main posée.. après son refus d'avoir des relations sexuelles chez lui. Notons que [H] reconnaît avoir tentér d'inviter à plusieurs reprises [Y] au restaurant.

(') ces comportements gênants sont vécus a minima comme déplacés, gênants voire anxiogènes ou oppressants par [V] et [Y], voir [A] ([K] [A]).

La position hiérarchique de [V] Influence de toute évidence les difficultés de recadrage ou de réaction de [V] et [Y] qui sont des collaboratrices directes..

- Des procédés similaires pour des personnes différentes :

Le témoignage de [A] nous interpelle sur le mode opératoire de [H]. [V] et [A] décrivent un sentiment de « duperie » quand elles sont allées chez [H] (croyant que d'autres personnes seraient présentes : la famille de [H] pour [A] et des collègues pour [V]) (') les similitudes dans les procédés décrits, les convergences de témoignages ([B] ([R] [B]) a entendu à des moments différents [Y] et [V] sur des faits similaires) accréditent fortement les faits dénoncés par [V] et [A].

- Les conséquences sur les relations de travail :

Nous avons vu que [V] et [Y] évitaient par tous les moyens possibles de rencontrer [H] (') le fait que [H] soit manager est une circonstance qui a pu concourir aux peurs des victimes ou témoins de s'exprimer.

- Le contexte masculin et la peur de parler :

Tous les témoins et présumés victimes évoquent le sentiment que dénoncer des comportements puisse leur porter du tort (') au regard de tous ces éléments, EMPREINTE HUMAINE constate qu'il existe un risque probable qu'un Juge considère que Mme [V] ait été placée dans une situation de harcèlement sexuel imputable au comportement de M. [H] à son égard ».

Le rapporteur désigné concluait après avoir entendu M. [H] ainsi que les trois salariées plaignantes et six salariés- dont deux cités par M. [H]- que :

« En résumé, les témoignages des trois salariées plaignantes font ressortir des faits graves caractérisant un comportement inadapté de M.[H] à l'égard de deux salariées placées sous son autorité hiérarchique et d'une collègue. Ces salariées n'étaient pas consentantes. Elles ont, suite à ces événements, usé de mesures d'évitement afin de ne pas se trouver en la présence de M. [H]. De plus, le comportement inapproprié de M. [H] a conduit Mme [V], reconnue comme une bonne professionnelle, à décider de quitter l'entreprise.

Suite à l'intervention de Mme [C], cette dernière a finalement décidé de prendre un congé sans solde de 11 mois (').

M. [H], manager apprécié et investi, reconnaît un certain nombre de faits et dit avoir présenté des excuses à Mme [V] pour ses propos inappropriés.

Au vu de la conclusion du rapport du Cabinet Empreinte Humaine, ces comportements ne sont pas acceptables de la part d'un manager ».

M. [H] objecte que l'existence de faits fautifs constitutifs d'une exécution déloyale du contrat de travail n'est pas démontrée et ne peut reposer sur une enquête empreinte de partialité. Il met en avant, au delà des incohérences de cette enquête, les relations amicales qui s'étaient nouées avec Mme [V] ainsi que des sms échangés autour d'un verre pris une année auparavant et son acceptation de se rendre chez lui peuvent en attester.

Toutefois au delà de ses dénégations quant au déroulement de la soirée, et de la traduction erronée selon lui de son propre récit, il soutient qu'il n'était plus question d'un rapport hiérarchique entre lui et Mme [V] et que ce lien ne peut encore être retenu pour justifier la sanction prise à son égard. La proposition sexuelle qu'il ne conteste pas à l'égard de celle-ci est intervenue dans un cadre purement privé sous les effets selon lui de l'alcool et ne saurait avoir des répercussions sur l'exécution de son contrat de travail en l'absence de conséquences sur son implication et ses relations professionnelles.

Il produit plusieurs témoignages de collaborateurs qui relatent n'avoir pas noté de gestes déplacés de sa part. C'est ainsi que M. [N] déclare : ' je n'ai jamais constaté de geste ou de comportement « déplacé », sinon je l'aurais dénoncé, je l'ai déjà fait une fois. Je n'ai jamais rien vu de choquant. Les salariés vont même le chercher pour aller déjeuner ou fumer une cigarette'. M. [J] atteste de ce que M. [H] 'a su lors d'occasion de convivialité inviter des collègues extérieurs à notre équipe pour améliorer les relations transverses perdues par la mise en place d'outils de communication'.

Mme [D] [L] atteste pour sa part que ' M. [H] n'a jamais eu un geste déplacé à mon égard, bien au contraire il a toujours un profond respect et m'a donné de bons conseils lorsque j'en avais besoin même si je ne faisais pas partie de son équipe. Je n'ai jamais rien entendu ni rien observé concernant une quelconque rumeur de harcèlement moral et encore moins de harcèlement sexuel. A l'inverse M. [H] est un homme très professionnel et bienveillant auprès de son équipe et en dehors, équipe qu'il a managée en recherchant toujours à les porter vers le haut afin d'en faire progresser ses membres.. Il y avait une convivialité entre tous les salariés, sans exception et une ambiance bon enfant'.

M. [N] souligne que M. [H] a toujours été 'humain et à l'écoute quand on le sollicitait'.

Contestant que la démission présentée par Mme [V] ait un quelconque lien avec la soirée privée les ayant réunis à son domicile, il verse également le témoignage d'un autre salarié, M. [G], ingénieur réseau, lequel relate que: 'Je connais [S] [V] pour être entré la même année que cette dernière dans la société EDF et avoir travaillé (tout comme [U]) sur le déménagement de la R&D EDF sur le site de [Localité 5]. Durant cette période j'ai pu maintenir une relation professionnelle avec ces deux personnes et j'ai n'ai jamais constaté de geste déplacé de la part de [U]. Bien au contraire. Ce dernier se voulait toujours bienveillant aussi bien avec les gens travaillant dans son équipe qu'avec les entités clientes.

Je tiens à préciser dans ce courrier que j'ai échangé avec [S] lorsque j'ai appris via LinkedIn que cette dernière avait changé d'entreprise et que cette dernière ne m'a jamais fait part de problème d'harcèlement sexuel pouvant être la cause de son départ (preuve de nos échanges du 13/12/2018 sur LinkedIn en pièce jointe). Son choix de quitter l'entreprise selon ses dires était lié à une exaspération quant à sa situation salariale, des affaires qui lui étaient confiées et je cite « Marre des cassos ».

Cette explication est corroborée par les témoignages d'autres salariés qui précisent que Mme [V] voulait quitter l'entreprise antérieurement à 'l'événement'. Pour autant, aucun élément ne vient corroborer que sa démarche proviendrait d'un ressentiment dû au manque de reconnaissance de son diplôme ou face à une absence d'évolution de carrière et de rémunération, étant observé que selon un témoin M. [H] n'a pas bien pris l'annonce de sa démission.

M. [P] indique également aux termes d'un courrier dactylographié que Mme [A] lui aurait confié qu'elle avait la conviction que Mme [V] lui aurait menti, qu'elle était prise de remords et se sentait mal depuis un an, corroborant les déclarations sur l'honneur de Messieurs [O] et [F] produites aux débats qui attestent que Mme [V] aurait déjà porté de lourdes accusations envers d'autres collègues ' ou que M. [H] 'aurait été victime de faux témoignages de la part de certaines personnes qui attendaient un meilleur déroulement de carrière et l'ont calomnié'.

Toutefois, certains témoignages corroborent des agissements de M. [H] sans lien avec l'événement avec Mme [V].

Mme [Y] témoigne que M. [H] lui avait demandé de venir dans son bureau pour lui offrir un parfum. Elle précisait :'s'être sentie gênée mais ne pas avoir relevé plus que ça... Quand il me disait bonjour, il posait sa main sur mon épaule. Mais je n'ai pas remarqué autre chose. J'ai trouvé certains comportements bizarres qui m'ont interpellée mais comme c'était ma première expérience professionnelle en France je me suis dit que je ne connaissais peut être pas toutes les 'habitudes' . [U] m'avait proposé plusieurs fois de manger avec lui au restaurant en tête à tête et j'ai toujours décliné. De mon point de vue, ce n'était pas quelque chose qui se faisait surtout avec son manager. Du coup, après j'ai pris mes distances pour me préserver, je l'évitais et j'essayais de faire les réunions avec son adjoint..'.

Mme [A] a également témoigné , avant d'exprimer des remords selon M. [P], d'un événement à l'été 2016 où M. [H] lui a proposé de prendre un café à son domicile et a commencé à lui masser les épaules, le dos .. Elle poursuit :'sans me demander mon avis. J'ai tout de suite réagi en lui demandant d'arrêter. Il m'a dit qu'il avait envie de se détendre et je lui ai dit que c'était déplacé de la part d'un collègue et que je ne comprenais pas ce qui lui arrivait'.

Si elle semble avoir pu gérer l'événement seule, elle fait état dans son audition avoir pu constater que lors d'une invitation avec une alternante que M. [H] souhaitait embaucher, il lui avait touché le bras et précise ' c'est à ce moment là que je me suis dit qu'il valait mieux la faire embaucher ailleurs et j'ai envoyé son CV à d'autres managers. Elle a finalement été embauchée à Datacenter. C'était le même profil que moi et Mme [V] et [Y] et instinctivement j'ai eu peur pour elle, c'était un réflexe de protection'.

M. [H] évoque pour sa part avoir posé les mains sur les pieds de Mme [A] 'pour la réchauffer' à sa demande ou avoir souhaité inviter Mme [Y] au restaurant comme il pouvait le faire avec d'autres collaborateurs ' ne souhaitant pas qu'elle reste isolée'.

Si elles confirment les qualités professionnelles de M. [H] en qualité de manager et des relations de confiance ayant pu se nouer au point que Mme [A] changeait son enfant dans son bureau ou le lui confiat en toute confiance selon plusieurs témoignages, les différentes auditions ne font pas moins état d'un comportement inapproprié et inadapté de la part d'un manager qui reconnaissait d'ailleurs selon ses propres termes qu'il était passé à côté du lien hiérarchique qui existe en dehors du lieu de travail. Par ailleurs, il reconnaissait aussi faire 'des massages sur le lieu de travail et en avoir fait à Mme [V] et à Mme [A] mais aussi à des collègues hommes' ' dans un moment de convivialité toujours avec acceptation de la personne et j'arrête s'il y a une gêne', ajoutant ' je n'ai jamais fait un massage peau contre peau, c'est toujours au dessus des vêtements'.

Il en ressort que M. [H] n'avait pas su garder la distance nécessaire que sa fonction de manager lui imposait bien qu'ayant reçu lors de sa prise de poste des formations à la fois sur la relation managériale que sur la prévention des risques psycho-sociaux. Par ailleurs, les appréciations portées par les collaborateurs qui n'ont pas noté de gestes déplacés ne suffisent pas à contredire les éléments recueillis pendant l'enquête sur ses agissements à l'égard de plusieurs collaboratrices.

S'agissant du comportement inapproprié reproché, il ne peut en conséquence être considéré comme un élément de contexte venant tempérer les fautes du salarié puisque celui-ci présente à chaque fois la situation en omettant de prendre en considération les fonctions qui étaient les siennes et qui devaient le conduire à replacer chacun dans une situation professionnelle et hiérarchique lisible. Cela est d'autant plus le cas qu'en tant que manager il ne peut invoquer ce qui relèverait finalement de sa bienveillance ou d'une bonne ambiance faite de gestes tactiles, d'invitations au restaurant, de massages sur le lieu de travail, déchanges de sms à une collaboratrice appelée 'miss' et d'échanges de cadeaux.

Ainsi qu'il a été d'ailleurs souligné lors de son audition devant la commission secondaire du personnel ' une invitation chez soi, la consommation d'alcool ensemble, les cadeaux à connotation de séduction et le massage semblent constituer une accumulation troublante'.

Si la décision de démissionner prise par Mme [V] ne semble pas en l'état des pièces contradictoires versées résulter uniquement des événements qu'elle a pu décrire, la dégradation de ses conditions de travail et le trouble occasionné par les faits reprochés, tant pour elle même que pour l'entreprise, sont avérés, ainsi qu'il ressort tant de son courrier où elle confie son désarroi face à la situation qu'elle a connue, que des témoignages notant la perturbation de son comportement quand bien même elle aurait invité son supérieur hiérarchique à son pot de départ.

M. [M] relatait son entretien avec Mme [V] en ces termes: 'Quand j'ai appris son intention de démissionner, je l'ai d'ailleurs appelée et nous avons déjeuné ensemble le 05/11/2018 à la cantine (..). Je voulais comprendre les raisons de sa décision, je ne trouvais pas ses explications très claires et elle a fini par me raconter son histoire sans entrer dans les détails en me disant qu'elle n'avait jamais osé en parler à son management jusqu'à présent et qu'elle pensait aller porter plainte. Je lui ai répondu qu'il fallait absolument qu'elle alerte son management en tout cas et que pour la plainte c'était à elle de décider'.

Il lui adressait un courriel le 6 novembre 2018 pour l'encourager à faire part 'de l'ensemble des faits au (manager de première ligne) de l'Agence Ile de France..(..).

Les qualités de M. [H] et les appréciations positives sur sa personnalité et son professionnalisme ne sauraient l'exonérer de toute responsabilité. En effet, la proximité managériale avec les équipes, qu'il semblait vouloir développer, ne pouvait justifier tout type de comportement et cette abolition de la frontière avec ses subordonnées entre vie professionnelle et vie privée. S'il est soutenu aux termes de plusieurs témoignages que Mme [V] aurait en quelque sorte menti pour obtenir un 'gain' professionnel, il sera rappelé qu'elle n'est pas celle qui a alerté en premier lieu l'employeur. Par ailleurs les échanges postérieurs à cet événement et sa propre audition traduisent que la salariée avait adopté une attitude d'évitement. Tel était également le cas de Mme [Y] qui se déclarait gênée par le comportement de son supérieur hiérarchique ou encore Mme [A] qui tente de protéger une future candidate.

Dans ces circonstances, il ne peut être soutenu que son comportement, décrit comme tactile, convivial, bienveillant par de nombreux collaborateurs, n'était pas inadapté et inapropprié et en totale contradiction avec ses obligations définies tant par le code éthique de l'entreprise que par son contrat de travail ou fiche de poste.

L'abus d'autorité tient au fait que les agissements dont il est l'auteur étaient commis à l'égard de « femmes placées sous sa dépendance hiérarchique » ainsi qu'il est souligné dans la notification de sanction.

En considération de l'ensemble de ces éléments, sans qu'il soit utile de suivre plus les parties dans le détail de leur argumentation, la cour considère les griefs matériellement établis caractérisent, eu égard au niveau de responsabilité de M. [H], par leur nature et les circonstances de leur commission une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

Le jugement sera en conséquence confirmé et M. [H] sera débouté de ses demandes.

Sur les autres demandes

Partie perdante, M. [H] sera condamné aux dépens et à verser à la société EDF la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [H] aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort;

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [U] [H] à verser à la Société SA EDF la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE M. [U] [H] aux dépens d'appel.

Le greffier La présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/05256
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;21.05256 ?
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