La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/04/2024 | FRANCE | N°20/08024

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 24 avril 2024, 20/08024


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 24 AVRIL 2024



(n° /2024, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08024 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCW7K



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 15/13512





APPELANT



Monsieur [E] [F]

[Adresse 3]

[Loca

lité 4]

Représenté par Me Aurélie RIMBERT-BELOT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 241





INTIMEE



Association GROUPE PROMOTRANS prise en la personne de son représenta...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 24 AVRIL 2024

(n° /2024, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08024 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCW7K

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 15/13512

APPELANT

Monsieur [E] [F]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Aurélie RIMBERT-BELOT, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 241

INTIMEE

Association GROUPE PROMOTRANS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Valérie GUICHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme. MEUNIER Guillemette, présidente de chambre

Mme. NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère rédactrice

Mme. MARQUES Florence, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par contrat de travail à durée déterminée du 15 octobre 2007, l'association groupe Promotrans (l'association Promotrans), spécialisée dans l'enseignement et tous types de formations se rapportant au transport, à la logistique et à la maintenance, a embauché M. [E] [F], né en 1968, en qualité d'attaché de direction responsable pédagogique avec le statut cadre de maîtrise.

La relation contractuelle s'est poursuivie sous la forme d'un contrat à durée indéterminée à compter du 15 avril 2008.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [F] s'élevait à la somme de 2 855,75 euros.

Le 2 avril 2014, M. [F] a fait l'objet d'un avertissement pour ne pas avoir respecté les délais fixés dans l'élaboration d'un projet de plateforme numérique.

M. [F] a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail à compter du 13 mai 2014, en raison d'un état dépressif.

A l'issue d'une visite médicale de reprise du 1er avril 2015, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude définitive de M. [F] à son poste de travail, en raison d'un danger grave et imminent.

Par lettre datée du 12 mai 2015, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 21 mai suivant.

Par lettre du 27 mai 2015, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par acte du 24 novembre 2015, M. [F] a assigné l'association Promotrans devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, condamner son employeur à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement nul à titre principal et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, outre des dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Par jugement du 30 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Paris a, dans sa formation de départage, statué en ces termes :

- dit que le licenciement de M. [E] [F] par l'association Groupe Promotrans est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamne l'association Groupe Promotrans à payer à M. [E] [F] les sommes suivantes :

* 6 104 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 610 euros au titre des congés payés afférents ;

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonne la remise des bulletins de paye et de l'attestation Pôle Emploi conformes au jugement ;

- rappelle que les sommes ayant la nature de salaire produisent intérêts à compter de la saisine de la juridiction prud'homale ;

- dit que les sommes ayant la nature de dommages-intérêts seront assorties du taux légal à compter du jour du jugement ;

Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt à compter de la saisine de la juridiction prud'homale,

- déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

- dit que les dépens seront supportés par l'association Groupe Promotrans ;

- ordonne l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 26 novembre 2020, M. [F] a interjeté appel de cette décision, intimant l'association groupe Promotrans.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 novembre 2023, M. [F] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* condamné l'association Groupe Promotrans à payer à M. [F] les sommes suivantes :

6 104 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

610 euros au titre des congés payés afférents ;

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

En conséquence, statuant à nouveau :

A titre principal :

- dire et juger que l'association Groupe Promotrans a violé son obligation de prévention et de sécurité de résultat, engageant sa responsabilité contractuelle personnelle ;

- dire et juger que l'inaptitude de M. [F] a pour origine les agissements de harcèlement moral de deux collègues de travail sur le lieu du travail ;

- dire et juger que le licenciement pour inaptitude est nul ;

En conséquence :

- condamner l'association Groupe Promotrans à payer à M. [F] les sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour harcèlement moral : 7 000 euros ;

* dommages et intérêts pour la perte injustifiée de l'emploi : 24 500 euros ;

A titre subsidiaire :

- dire et juger que les recherches de reclassement n'ont pas été sérieuses et loyales ;

- dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence :

- condamner l'association Groupe Promotrans à payer à M. [F] les sommes suivantes :

* rappel de salaire sur indemnité compensatrice de préavis : 6 104,54 euros brut ;

* congés payés afférents : 610,45 euros brut ;

* indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 24 500 euros ;

En tout état de cause :

- condamner l'association Groupe Promotrans à payer à M. [F] la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à l'association Groupe Promotrans de remettre à M. [F] un bulletin de paie ainsi qu'une attestation destinée au Pôle emploi conformes à la décision ;

- prononcer les condamnations majorées des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- condamner l'association Groupe Promotrans aux entiers dépens.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2024, l'association groupe Promotrans demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Paris en date du 30 octobre 2020 en ce qu'il a jugé bien-fondé le licenciement pour inaptitude d'origine non-professionnelle et impossibilité de reclassement de M. [F], et écarté toute situation de harcèlement moral à son égard ;

En conséquence :

- juger que M. [F] n'a pas été victime de harcèlement moral ;

- juger bien-fondé le licenciement pour inaptitude physique d'origine non-professionnelle et impossibilité de reclassement de M. [F] ;

- débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner M. [F] au paiement d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [F] aux entiers dépens de l'instance ;

A titre subsidiaire,

Si la cour jugeait le licenciement de M. [F] nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse :

- fixer la moyenne des salaires à 2 855,75 euros brut ;

- fixer à une plus juste valeur la demande d'indemnité pour nullité du licenciement ou licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [F], en tout état de cause à hauteur de 6 mois de salaire maximum (17 134,5 euros) ;

- débouter M. [F] de sa demande de dommages et intérêts à titre de harcèlement moral ou, à tout le moins, la fixer à une plus juste valeur ;

- fixer à une plus juste valeur la demande d'indemnité compensatrice de préavis, soit à hauteur de 5 711,5 euros ;

- débouter M. [F] de sa demande d'indemnité de congés payés sur préavis ;

- débouter M. [F] de sa demande d'application des intérêts au taux légal ;

- débouter M. [F] de sa demande de remise de documents conformes au jugement à intervenir ;

- débouter M. [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens de l'instance à la charge de l'association ;

- condamner M. [F] au paiement d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [F] aux entiers dépens de l'instance ;

Sur l'appel incident de l'association :

- infirmer la décision du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 30 octobre 2020 en ce qu'il a condamné l'Association:

* au paiement des sommes suivantes :

6 104 euros au titre de l'indemnité de compensatrice de préavis ;

610 euros au titre des congés payés afférents ;

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* à la remise conforme des documents de fin de contrat ;

* à l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile ;

* aux intérêts à taux légal à compter de la saisine pour les demandes de nature salariale, et à compter de la décision prud'homale pour les demandes de nature indemnitaire ;

* aux entiers dépens ;

En conséquence, et statuant à nouveau :

- débouter M. [F] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis ;

- débouter M. [F] de sa demande d'indemnité de congés payés sur préavis ;

A titre subsidiaire sur l'appel incident :

- fixer à une plus juste valeur la demande d'indemnité compensatrice de préavis, soit à hauteur de 5 711,5 euros ;

En tout état de cause,

- débouter M. [F] de sa demande d'application des intérêts au taux légal ;

- débouter M. [F] de sa demande de remise de documents conformes au jugement à intervenir ;

- débouter M. [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens de l'instance à la charge de l'association ;

- condamner M. [F] au paiement d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [F] aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 janvier 2024.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'affaire a été examinée à l'audience du 27 février 2024 à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1152-2 du même code, aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-21, qui vise notamment le licenciement.

L'article L.1154-1 de ce même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier souverainement si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.

En l'espèce, M. [F] soutient qu'il a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de deux supérieurs hiérarchiques, et notamment de son responsable direct, qui l'ont conduit à un état dépressif à l'origine de son inaptitude.

Il fait valoir que son employeur lui a confié des tâches qui ne relevaient pas de ses missions, lesquelles consistaient essentiellement à mettre en place la nouvelle plateforme pédagogique du service, en lui demandant d'assurer des sessions de formations alors que cette mission relevait des formateurs et ingénieurs formation, ou encore d'animer et coordonner l'équipe de travail ou proposer des voies d'amélioration des compétences des personnels, alors que ces missions relevaient normalement du manager, M. [O], et de la direction des ressources humaines.

Il indique qu'il s'est toujours adapté au mieux aux exigences de ses fonctions, notamment en suivant des formations, et que son activité se déroulait sans difficulté jusqu'au départ à la retraite, fin 2013, de sa supérieure hiérarchique, Mme [L], qui était à l'origine du projet de plateforme pédagogique, et qu'il s'est alors trouvé sous la responsabilité de deux responsables ayant une vision très différente, M. [I], directeur de l'éthique et de la normalisation, et M. [O], son supérieur hiérarchique direct, lequel a rapidement adopté à son égard un comportement directif, consistant notamment à lui tenir fermement le haut du bras lorsqu'il lui donnait des directives. Il fait valoir que ce nouveau manager ayant abandonné le projet sur lequel il travaillait depuis des mois sans le consulter au profit d'un nouveau projet, il a alors demandé aux deux responsables de définir les rôles de chacun dans le projet et que M. [I] lui a indiqué qu'il serait en charge de son intégralité et devrait, en cas d'échec, en assumer l'entière responsabilité. Il précise que deux mois après le début de ce nouveau projet, il a informé son responsable des nombreuses difficultés rencontrées mais n'a nullement été entendu bien, et qu'à l'occasion d'une réunion qui s'est tenue en juin 2013, il s'est plaint des agissements de M. [O] consistant notamment à le prendre par le haut du bras pour lui donner des directives, à lui serrer la main en lui écrasant les phalanges ou à lui poser les mêmes questions et que son responsable lui a alors répondu qu'il « devait faire une psychanalyse chez [U] », et que « des gens qui ont bonne conscience, il y en a plein en prison ».

Il soutient que le point culminant a été une réunion du 30 avril 2014 en présence des deux responsables qui n'ont cessé de le dénigrer, à l'issue de laquelle il s'est rendu dans le bureau du PDG pour lui faire part de la situation, mais que ni ce denier ni son adjoint ne l'ayant reçu, il lui a adressé un courriel dénonçant le comportement de son responsable et du « N+2 » à son égard.

Il indique qu'il s'est ensuite aperçu, au fil des réunions, que son responsable voulait « le mettre au placard », que sa santé s'est dégradée, qu'il s'est vu notifier deux courriers d'avertissement injustifiés qui lui ont été remis à une semaine d'intervalle et révèlent un processus volontaire de dénigrement, et que la direction n'a pris aucune mesure pour le protéger.

Il produit notamment, au soutien de ses affirmations :

- des communications internes ses 16 avril 2012 et 19 décembre 2013 ainsi qu'un courriel du 3 février 2012, démontrant l'état d'avancement du projet initial de nouvelle plateforme pédagogique ;

- le justificatif de sa formation suivie en septembre 2012, intitulée « Ingénierie de la e formation 2011 2013";

- un organigramme fonctionnel de la DEN, dont il résulte que M. [F] était chargé de mettre en place la plateforme en qualité de webmaster, sous la direction de M. [O], administrateur de la plateforme et chargé de la coordination de quatre services ;

- une communication interne du 16 avril 2012 émanant de M. [O], qui fait état du nouveau projet de plateforme pédagogique et mentionne notamment : « [E] [F] a évoqué ce matin d'utiliser « Ganesha », qui serait plus pertinente que Moodle 2, sous prétexte que l'AFT l'utilise (') Je ne peux me contenter de tels arguments. Je demande donc à [E] de formaliser rapidement un tableau comparatif des avantages et inconvénients d'une telle solution (') » ;

- le compte-rendu d'entretien annuel d'évaluation daté du 11 avril 2013, dont il résulte que le salarié avait assuré les missions qui lui étaient confiées, et ce dans un « contexte managérial qui n'a pas été toujours facilitateur » ;

- des courriels adressés à ses supérieurs hiérarchiques en mai et juin 2013 sollicitant l'aide du service informatique pour la mise en place du nouveau projet, à savoir un mail adressé à M. [O] le 30 mai 2013 indiquant : « je sollicite le service informatique ayant déjà mis en 'uvre une gestion documentaire sous Joomla pour m'aider à mettre en place sur la plateforme pédagogique v2 », un mail adressé le 3 juin 2013 à MM. [O] et [I] indiquant : « j'ai besoin de l'aide du service informatique pour mettre en place la plateforme v2 sous Joomla, le choix de cette solution est de leur initiative, ils connaissent bien cette solution et l'on déjà mise en 'uvre, dans l'attente, merci, Cdt, [E] », ainsi qu'un document de travail adressé à l'ensemble de ses supérieurs hiérarchiques le 6 juin 2013 mentionnant l'état d'avancement du projet et les difficultés rencontrées et indiquant notamment : « Solutions proposées : je n'ai eu que 3 jours de formation à Joomla, j'ai besoin de l'aide du service informatique ayant plus de pratique sur Joomla ou bien d'un prestataire spécialisé pour aider à la mise en place du projet » ;

- des éléments relatifs à l'avertissement du 2 avril 2014 dont il a fait l'objet lui reprochant le non-respect des délais impartis au motif que « la mutation de la nouvelle plateforme (') devait être terminée à fin décembre 2012 », alors que ce projet initié par son ancienne supérieure hiérarchique avait été modifié par M. [O] ;

- un courriel adressé par le salarié à la direction le 9 mai 2014, soit quelques jours avant son placement en arrêt maladie, se plaignant de dénigrements et du comportement de ses deux supérieurs hiérarchiques et indiquant avoir « très mal vécu d'avoir été cassé lors de l'entretien du 30 avril », faisant état d'une « longue liste d'accablements », de ce que son « n+2 » avait désigné la porte en haussant la voix et lui disant de « prendre la porte » s'il n'était « pas content », ses responsables lui indiquant qu'ils mèneraient à deux le prochain entretien d'évaluation et le salarié précisant avoir été « complètement déstabilisé » et ne plus vouloir « être cassé comme ça », préférant être informé d'un éventuel projet de licenciement, qui « serait plus clair » ;

- les recommandations émises médecin du travail à l'issue de la visite de pré-reprise du 17 septembre 2014, préconisant une reprise à mi-temps thérapeutique et « au sein d'une autre équipe de la DEN », adressées mi-octobre à l'employeur ;

- la réponse adressée, après relance par le médecin du travail, le 6 novembre 2014 par l'association Promotrans en ces termes : « Nous ne disposons à ce jour d'aucun poste ('). Par ailleurs nous sommes surpris qu'il soit nécessaire que [E] [F] reprenne au sein d'un service autre que le DEN alors qu'aucune enquête ou visite au siège auprès des responsables de la DEN a été effectuée qui permette de prendre ces conclusions » ;

- un courrier du 15 septembre 2015 d'un médecin psychiatre faisant état de son « état dépressif sévère survenu dans le cadre de difficultés professionnelles et de changement d'organisation du travail » avec un diagnostic de « burn out », le patient rapportant « des relations compliquées avec ses supérieurs directs » et relevant que « malgré le traitement prescrit, la reprise de son poste reste inenvisageable pour le moment » tout en relevant que son état « s'est amélioré grâce aux soins (') et à l'éloignement de son environnement professionnel » ;

- la fiche d'aptitude médicale de reprise établie par le médecin du travail le 1er avril 2015, concluant à « [une inaptitude définitive] au poste d'attaché de direction à Promotrans » et portant la mention : « article R. 4624-31 du code du travail, procédure en un temps pour raison de danger grave et imminent », faisant ainsi référence aux dispositions de ce texte dans sa version applicable permettant l'émission d'un avis d'inaptitude en un seul examen lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité, et évoquant, au titre de ce danger, le « risque de décompensation » en cas de reprise ;

- une attestation établie par un autre salarié, M. [K], le 26 novembre 2015, en ces termes : « j'ai constaté le désarroi de M. [F] à chaque retour de réunion avec la direction de Promotrans. Par ailleurs celui-ci a toujours travaillé en parfaite entente avec ses collègues du service pédagogique, il a toujours été disponible pour mettre en place ma partie sur la plateforme pédagogique v2 en particulier pour la revue de presse » ;

Les éléments ainsi présentés sont, pris dans leur ensemble, de nature à caractériser des actes répétés ayant entraîné une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié et d'altérer sa santé physique ou mentale et permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement.

L'existence d'agissements constitutifs de harcèlement étant donc présumée, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A cet égard, l'association Promotrans soutient que M. [F] a rencontré des difficultés dans l'exercice de ses missions, que le projet initial de nouvelle plateforme n'avait pas été abandonné mais seulement adapté dans ses modalités, ce qui ne remettait pas en cause le travail accompli, mais que le salarié n'a jamais accepté le changement de responsable et ces nouvelles modalités, qu'il faisait preuve d'un manque de proactivité, en particulier dans la recherche de solutions sur les points techniques bloquants, et qu'il avait des problèmes de communication avec le service, ne faisant pas « remonter » les informations. Elle ajoute que l'avertissement infligé au salarié était justifié, et, en tout état de cause, n'est pas de nature à démontrer l'existence d'un harcèlement moral, qui n'est établi par aucune des pièces produites par l'appelant.

Elle produit notamment, au soutien de ses allégations, différents comptes-rendus dont il résulte que le salarié assistait aux réunions relatives à l'évolution de la plateforme pédagogique ainsi que des justificatifs des formations et divers moyens mis à sa disposition.

Toutefois, d'une part, en se bornant à soutenir que les courriels produits par l'appelant aux termes desquels il sollicitait l'aide du service informatique sont produits tardivement, ce qui ne la met pas en capacité, compte tenu du temps écoulé depuis les faits, d'y répondre, l'association employeur ne justifie pas d'éléments de réponse qu'elle aurait apportés au salarié à ces demandes.

Il en résulte que l'avertissement prononcé à l'encontre de M. [F], quand bien même il n'aurait pas eu d'incidence professionnelle sur la carrière de l'intéressé, s'inscrivait dans le contexte d'une modification organisationnelle et de difficultés rencontrées par lui auxquelles l'employeur ne justifie pas avoir répondu.

En outre, s'agissant des allégations de l'appelant relatives au comportement dégradant et au dénigrement dont il a été victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques, et notamment de M. [O], l'association fait pertinemment valoir que l'attestation émanant de M. [K] ne suffit pas à établir la réalité des faits allégués dès lors que ce dernier n'en a pas été le témoin direct.

Il n'en demeure pas moins que cette attestation, qui fait état du « désarroi » de l'intéressé à « chaque » sortie de réunion avec ses supérieurs hiérarchiques, combinée aux éléments médicaux détaillés plus haut, comprenant les précisions du médecin du travail tendant à éloigner l'intéressé du service puis au signalement d'un « danger grave et imminent », ainsi qu'au courrier adressé par M. [F] à la direction le 9 mai 2014, étaye les allégations du salarié.

Or pour contester ces allégations, l'intimée se borne à faire valoir que M. [O] n'a fait qu'user de son pouvoir de contrôle en qualité de responsable hiérarchique, tout en admettant qu'il ait pu être, pour M. [F], exercé maladroitement, et à produire une attestation émanant de M. [O] lui-même, qui conteste tout dénigrement à l'occasion de la réunion du 30 avril 2014. Les éléments produits par l'association ne permettent donc pas de contredire utilement les allégations du salarié.

En outre, si l'employeur relève que la pathologie dont a souffert le salarié n'a pas été reconnue comme maladie professionnelle, cette circonstance ne permet pas d'exclure le harcèlement moral allégué. Il en va de même de l'absence de saisine par le salarié des représentants du personnel ou des services de l'inspection du travail.

Dans ces conditions, les éléments produits par l'employeur ne permettent pas de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral doit ainsi être regardé comme établi.

Sur la méconnaissance de l'obligation de sécurité :

M. [F] soutient que son employeur a méconnu son obligation de prévention et de sécurité de résultat et sollicite l'allocation d'une somme de 7 000 euros en réparation de son préjudice causé par le harcèlement moral dont il a été victime.

L'association conteste tout manquement à son obligation de sécurité en se prévalant de l'absence de preuve d'un harcèlement moral.

Il résulte des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral exercés par l'un ou l'autre de ses salariés.

En l'espèce, au regard des considérations qui précèdent, le salarié est fondé à soutenir que l'association Promotrans a méconnu les obligations édictées par les dispositions précitées des articles L. 4121-1 et L. 4121-2.

Compte tenu des circonstances de l'espèce et de sa durée, le préjudice en résultant sera indemnisé par des dommages et intérêts à hauteur de 6 000 euros, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur la nullité du licenciement :

L'article L. 1152-3 sanctionne par la nullité toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2.

En l'espèce, le licenciement pour inpatitude de M. [F] a été prononcé au visa de l'avis d'inaptitude du médecin du travail pour 'danger grave et imminent avec 'un risque de décompensation'en cas de reprise.

Il s'en déduit un lien direct et certain entre les faits de harcèlement moral et l'avis d'inaptitude

La nullité du licenciement doit, en conséquence, être prononcée.

Dès lors, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande du salarié tendant au prononcer de la nullité du licenciement et déclarer nul le licenciement intervenu.

Sur la demande de dommages et intérêts pour nullité :

M. [F] sollicite l'octroi d'une indemnité de 24 500 euros en réparation du préjudice subi en raison de la perte injustifiée de son emploi.

L'association Promotrans conclut au rejet de cette demande ou à titre subsidiaire à la fixation d'une somme de 17 134,50 euros.

Au regard de son ancienneté dans l'association, du montant de sa rémunération, et des éléments relatifs à sa situation professionnelle, il lui sera alloué une somme de 17 135 euros en réparation du préjudice résultant de sa perte d'emploi, lequel est distinct de celui résultant du harcèlement moral.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Le salarié sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 6104 euros outre 610 euros au titre des congés payés correspondants.

L'employeur demande l'infirmation en soutenant que l'indemnité compensatrice de préavis n'est pas due lorsque le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est d'origine non-professionnelle, comme en l'espèce, et subsidiairement sa réduction à une plus juste valeur, soit à hauteur de 5 711,5 euros, correspondant au salaire brut moyen des deux derniers mois travaillés.

Il résulte des articles L.1226-2 et L.1226-4 du code du travail qu'en cas de licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel et impossibilité de reclassement, le préavis n'est pas exécuté, et cette inexécution ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice.

Toutefois, le salarié a droit à l'indemnité compensatrice de préavis prévue par l'article L. 1234-5 du code du travail lorsque, comme en l'espèce, le harcèlement moral est à l'origine de l'inaptitude ayant motivé le licenciement, même s'il s'agit d'une inaptitude non consécutive à un accident ou une maladie non professionnelle.

Il y a lieu de tenir compte des salaires que M. [F] aurait perçus s'il avait effectué son préavis sur la base de ses deux derniers salaires, et de condamner l'association à lui payer la somme de 5 711,5 euros à ce titre, outre la somme de 571,15 euros au titre des congés payés correspondants, le jugement étant sur ce point infirmé.

Sur les autres demandes :

Il sera rappelé que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

L'employeur devra remettre au salarié les documents - bulletins de paie et attestation destinée au France travail- conformes au présent arrêt.

Sur les frais du procès :

Au regard de ce qui précède, le jugement sera confirmé sur la condamnation aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'association Promotrans sera condamnée aux dépens d'appel, et au paiement à M. [F] d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les demandes présentées à ce titre par l'intimée étant rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné l'association groupe Promotrans aux dépens et au versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

DECLARE nul le licenciement de M. [F] ;

CONDAMNE l'association groupe Promotrans à verser à M. [F] les sommes de :

- 6 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral ;

- 17 135 euros en réparation du préjudice subi en raison de la perte injustifiée de son emploi ;

- 5 711,5 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 571,15 euros au titre des congés payés afférents ;

RAPPELLE que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne ;

ENJOINT à l'association groupe Promotrans de remettre à M. [F] les bulletins de paie et attestation destinée au France travail conformes au présent arrêt ;

CONDAMNE l'association groupe Promotrans aux dépens d'appel ;

CONDAMNE l'association groupe Promotrans à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE le surplus des demandes.

La greffière La présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/08024
Date de la décision : 24/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-24;20.08024 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award