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22/04/2024 | FRANCE | N°23/04816

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 22 avril 2024, 23/04816


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 22 Avril 2024



(n° , 6 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/04816 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHIZG



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière,

lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 10 Mars 2023 par M. [O]...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 22 Avril 2024

(n° , 6 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/04816 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHIZG

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 10 Mars 2023 par M. [O] [X]

né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 4] (RUSSIE), élisant domicile au cabinet de Me Clémence WITT - AARPI CHAVANNE - & WITT AVOCATS - [Adresse 2] ;

Comparant et assisté de Me Clémence WITT de la AARPI SIANO AVOCATS, avocat au

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 04 Mars 2024 ;

Entendu Me Clémence WITT de la AARPI SIANO AVOCATS assistant M. [O] [X], substitué par Me Théo BERREBI,

Entendu Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de Paris, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, substitué par Me Célia DUGUES, avocat au barreau de Paris,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [O] [X], né le [Date naissance 1] 1982, de nationalité russe, a été mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme et de financement d'une activité terroriste, puis placé en détention provisoire à la maison d'arrêt d'[Localité 5] le 12 février 2015 par un juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris et ce, jusqu'au 19 octobre 2013, date à laquelle sa détention provisoire n'était pas prolongée et il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris.

Le 02 septembre 2022, le magistrat instructeur du tribunal judiciaire de Paris a rendu une ordonnance de non-lieu à son égard.

Le requérant a produit le 27 juillet 2023 un certificat de non appel du 10 juillet 2023 de la décision du magistrat instructeur, qui a un caractère définitif à son égard.

Le 10 mars 2023, M. [X] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Par conclusions en réponse déposées le 28 février 2024 , soutenue oralement, M. [X] demande :

- constater que M. [X] a fait l'objet d'un non-lieu définitif

- dire que M. [X] est recevable et bien fondé en sa demande,

- constater que l'existence d'un préjudice matériel et d'un préjudice moral subi par ce dernier du fait de la détention provisoire indûment subie du 12 février 2015 au 19 octobre 2015,

- ordonner à titre principal qu'il soit alloué à M. [X] la somme de 9 133,58 euros en réparation de son préjudice matériel,

- ordonner qu'il soit alloué à M. [X] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- ordonner qu'il soit alloué à M. [X] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, eu égard aux frais exposés pour la présente instance.

Dans ses écritures, déposées le 26 juin 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président, à titre principal, de juger irrecevable la requête de M. [X], faute de produire un certificat de non-appel et, à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions, qui ne sauraient excéder la somme de 19 000 euros, la demande formulée par M. [X] en réparation de son préjudice moral en lien avec son placement en détention provisoire et de débouter M. [X] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice matériel, ainsi que de ramener à de plus justes proportions la demande au titre des frais irrépétibles.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 26 janvier 2024, conclut à la recevabilité de la demande d'indemnisation pour une durée de détention provisoire de 249 jours, ainsi qu'à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées et au rejet de la demande au titre du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [X] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 10 mars 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision à son égard par la production du certificat de non appel en date du 19 juillet 2023 de ce décision.

Sa requête est donc recevable pour une durée de détention indemnisable de 249 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

M. [X] considère qu'il a eu des conditions de détention particulièrement difficiles en raison de la surpopulation carcérale chronique de la maison d'arrêt du Val d'Oise établie par un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, certes antérieur à la période de détention ,mais qui doit être pris en compte car aucun autre rapport n'a eu lieu postérieurement. L'impact de la détention sur sa santé est établi par l'attestation d'uns psychologue du SPIP d'[Localité 3] qui l'a suivi entre octobre 2016 et octobre 2018 et qui a constaté une importante dégradation de son état psychologique. Il fait état également d'un préjudice du fait de la privation de liberté, de la séparation d'avec son épouse et ses cinq enfants, de son isolement à la maison d'arrêt, de son sentiment d'injustice d'être accusé à tort et de l'angoisse d'être condamné à tort alors qu'il encourrait une peine de réclusions criminelle à temps. C'est pourquoi il sollicite une somme de 50 000 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat considère qu'il y a lieu de retenir l'âge du requérant au jour de son placement en détention provisoire, la durée de cette détention, sa situation personnelle et l'éloignement du lieu d'incarcération par rapport au domicile de sa famille et son absence de passé carcéral pour apprécier l'importance de son préjudice moral. Il indique qu'il convient également de tenir compte des conditions de détention subies par rapport à la nature terroriste des infractions poursuivies et de l'importance de la peine encourue. Par contre, le requérant ne démontre pas par ailleurs de conditions de détention difficiles liées à la surpopulation carcérale car il évoque un rapport du contrôleur général qui est antérieur à sa période de détention. C'est pourquoi, il propose la somme de 19 000 euros.

Le procureur général indique que le requérant n'a jamais été condamné à une peine d'emprisonnement ferme, qu'il était marié et père de cinq en bas âge. ce qui entraîne un choc carcéral important. Par contre, l'angoisse générée par une accusation grave de nature criminelle, ainsi que le sentiment d'injustice due au fait qu'il était innocent des faits dont on l'accusait ne peuvent pas être retenues au titre du préjudice moral. Le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté est antérieur à l'incarcération du requérant et l'attestation du psychologue faisant état d'un suivi psychologique ne peut être retenue car elle est relative à une pris en charge postérieure à son placement en détention provisoire.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [X] était âgé de 32 ans au moment de son incarcération, était marié et père de 5 enfants en bas âge. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation, de sorte qu'il s'agissait d'une première incarcération pour le requérant. C'est ainsi que le choc carcéral initial a été important.

La durée de la détention provisoire, 249 jours en l'espèce, n'est pas un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.

Il y a lieu de relever que M. [X] était incarcéré à [Localité 5] Val d'Oise, soit loin du domicile familial situé à [Localité 3], ce qui n'a pas permis à son épouse et à ses 5 enfants de venir lui rendre visite de manière régulière. Etant par ailleurs détenu en qualité de détenu dit 'terroriste', il n'a pas pu bénéficier des activités en même temps que les autres détenus et se trouvait à l'isolement. Ces éléments constituent un facteur d'aggravation du choc carcéral.

L'attestation d'un psychologue en date du 7 mars 2023 faisant état de ce que M. [X] présente une dégradation de son état psychologique en raison de son incarcération, de sa situation judiciaire et de son issue indéterminée ne démontre pas en temps que telle la souffrance du requérant liée à la surpopulation carcérale, alors que la prise en charge a débuté en 2016, soit postérieurement à sa remise en liberté. De plus, en 2023 la situation judiciaire du requérant n'était plus indéterminée puisqu'il avait bénéficié d'un non-lieu en septembre 2022. Pour autant, à l'audience du 04 mars 2024 M. [X] apparaissait toujours marqué psychologiquement par son incarcération et en parlait encore avec émotion. C'est ainsi qu'il y a lieu de retenir l'aggravation de l'état de santé du requérant en raison de son plcamenet en détention comme un facteur d'aggravation du choc carcéral.

Par ailleurs, les conditions de détention difficiles au sein de la maison d'arrêt d'[Localité 5] Val d'Oise en raison de sa surpopulation qui a dépassé 140% sont confirmées par la production des statistiques mensuels des personnes écrouées et détenues en France entre le 1er février et le 1er octobre 2015 et par un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté relatif à une visite réalisée en 2013, mis qui est antérieur à l'incarcération du requérant. Pour autant, ce denier ne démontre pas en quoi ces conditions ont été difficiles pour lui à titre personnel en raison de la surpopulation évoquée.

De même, l'importance de la peine de réclusion criminelle encourue, ne constitue pas en tant que telle un facteur d'aggravation du choc carcéral, dès lors que le requérant ne démontre pas en quoi cet élément a eu une incidence sur ses conditions de détention.

En outre, selon la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions (CNRD), le sentiment d'injustice ne peut non plus être retenu comme un facteur aggravant du préjudice moral.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [X] une somme de 22 000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

1- Sur la perte de revenus :

M. [X] indique qu'il percevait le RSA pour un montant mensuel de 684,24 euros et que cette allocation a été diminuée puis suspendue pendant son incarcération. C'est ainsi que sa perte de revenus s'est élevée à la somme de 5 633,58 euros qu'il sollicite aujourd'hui.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat, le requérant ne justifie pas de la réalité d'un emploi au moment de son placement en détention provisoire, ni qu'il percevait le RSA avant son incarcération. En effet, le seul document produit est une attestation de perception du RSA en juin 2014, soit antérieurement à son placement en détention provisoire. Ce document n'étant pas concomitant à la période d'incarcération, la demande sera rejetée.

Le ministère public conclut au fait qu'il convient de rejeter la demande d'indemnisation du fait d'une perte de revenus alors que le requérant ne travaillait pas au jour de son incarcération et qu'il ne justifie pas ni avoir perçu le RSA ni que celui-ci a été suspendu ou diminué durant sa période d'incarcération.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [X] ne travaillait pas au jour de son placement en détention provisoire. Il aurait perçu le RSA en décembre 2014 pour un montant de 684, 24 euros . Il n'est par contre pas possible de savoir si il percevait toujours le RSA au jour de son placement en détention provisoire le 12 février 2015, et, dans l'affirmative, si cette aide a été diminuée ou supprimée durant la période de détention provisoire. En l'absence d'éléments sur ces différents points la demande en ce sens sera rejetée.

2- Sur les frais de défense :

M. [X] sollicite une somme de 3 500 euros au titre de ses frais de défense en lien direct avec le contentieux de la détention provisoire et produit à cet égard une facture acquittée du 1er avril 2915.

L'Agent judiciaire de l'Etat conclut au rejet de la demande car le requérant produit une facture non détaillée sur laquelle il est indiqué 2 000 euros TTC 'espèces' + 1 500, ainsi qu'une attestation de son avocat que cette facture correspond à des honoraires dans le cadre de la procédure pénale et une attestation sur l'honneur de sa soeur indiquant que les fonds ayant servi à payer cette facture lui appartenaient. La facture produite n'étant ni précise ni détaillée, elle ne peut donner lieu à indemnisation.

Le procureur général estime que la facture produite en date du 1er avril 2015 comporte une somme rajoutée à la main et est trop imprécise pour pouvoir donner lieu à indemnisation.

Le requérant produit aux débats une facture en date du 1er avril 2015 comportant deux sommes : 2 000 euros TTC en espèces + 1500 euros rajoutés à la main, qui ne détaille pas les prestations et diligences réalisées qui correspondent à ces deux sommes, dont le conseil indique dans une attestation ultérieure qu'elles correspondent à la procédure pénale, sans qu'il soit précisé si cela est relatif à des diligences en lien direct avec le contentieux de la détention provisoire, seul indemnisable selon la jurisprudence de la CNRD. L'attestation de son conseil n'éclaire pas d'avantage puisque'elle indique que ces prestations sont en lien avec la procédure pénale, sans plus de précision.

Faute d'identifier et de ventiler les diligences effectuées par son conseil en lien direct avec le contentieux de la détention provisoire, et alors qu'il n'appartient pas au premier président d'effectuer un tel tri, la demande de M. [X] au titre de la réparation du préjudice matériel sera rejetée.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [X] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [O] [X] recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 22 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [O] [X] du surplus de ses demandes.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 22 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 23/04816
Date de la décision : 22/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-22;23.04816 ?
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