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22/04/2024 | FRANCE | N°23/04812

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 22 avril 2024, 23/04812


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 22 Avril 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/04812 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHIYZ



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière,

lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 10 Mars 2023 par M. [U...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 22 Avril 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/04812 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHIYZ

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 10 Mars 2023 par M. [U] [X]

né le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 6] (RUSSIE), élisant domicile au cabinet de Me Clémence WITT - AARPI - CHAVANNE & WITT AVOCATS - [Adresse 3] ;

Comparant et représenté par Me Clémence WITT de la AARPI SIANO AVOCATS, avocat au barreau de Paris ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 04 Mars 2024 ;

Entendu Me Clémence WITT de la AARPI SIANO AVOCATS assistant M. [U] [X], substitué par Me Théo BERREBI,

Entendu Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de Paris, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, substitué par Me Célia DUGUES, avocat au barreau de Paris,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [U] [X], né le [Date naissance 2] 1979, de nationalité russe, a été mis en examen par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme et de financement d'une activité terroriste le 12 février 2015. Le même jour, par ordonnance du juge des libertés et de la détention il a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 5]. Le 22 septembre 2015, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de mise en liberté assortie d'un contrôle judiciaire à son égard.

Le 2 septembre 2022 une décision de non-lieu a été prononcée par ce magistrat instructeur et cette décision est devenue définitive à l'égard du requérant comme en atteste le certificat de non-appel du 10 juillet 2023.

Le 10 mars 2023, M. [X] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

M. [X] sollicite dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 28 février 2024, soutenues oralement :

- constater qu'il a fait l'objet d'un non-lieu définitif ;

- dire qu'il est recevable et bien fondé en sa demande ;

- constater l'existence d'un préjudice matériel et d'un préjudice moral du fait de la détention provisoire indûment subie du 12 février 2015 au 22 septembre 2015 ;

- ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 4.894,78 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile eu égard aux frais exposés pour la présente instance ;

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 26 juin 2023, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

- juger irrecevable la requête de M. [X] faute de production d'un certificat de non appel

à titre subsidiaire :

- allouer à M. [X] la somme de 17.000 euros en réparation de son préjudice moral en lien avec son placement en détention ;

- débouter M. [X] de sa demande au titre du préjudice matériel ;

- ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le procureur général a, dans ses dernières conclusions notifiées le 26 janvier 2024 et soutenues oralement à l'audience de plaidoiries du 04 mars 2024, conclu :

- à la recevabilité de la requête pour une détention de 222 jours ;

- à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;

- au rejet de la demande au titre du préjudice matériel ;

Le requérant a eu la parole en dernier

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.

En l'espèce, M. [X] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 10 mars 2023, pour la période de détention allant du 12 février 2015 au 22 septembre 2015. Une décision de non-lieu a été rendue à son égard le 02 septembre 2022, devenue définitive, comme en atteste le certificat de non appel du 10 juillet 2023. M. [X] a ainsi présenté sa requête dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive. Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision d'acquittement n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure civile.

La demande de M. [X] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 12 février 2015 au 22 septembre 2015, soit pendant 222 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur l'indemnisation du préjudice moral

M. [X] soutient qu'il a été placé en détention provisoire pour des infractions de nature terroriste, dans un contexte tendu, car son incarcération est intervenue quelques semaines après la perpétration des attentats de janvier 2015. Il considère que doit être pris en considération l'aggravation de son préjudice moral, résultant notamment d'une stigmatisation carcérale en lien avec son statut de " détenu particulièrement signalé ". Il ajoute avoir souffert d'angoisse liée à la gravité des faits qui lui étaient reprochés et de l'importance de la peine encourue. Le requérant précise qu'il a également vécu un profond sentiment d'injustice.

L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public rappellent que le préjudice moral ne doit être apprécié qu'au regard de l'âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures, soulignant l'existence d'une précédente incarcération.

Il convient de rappeler que la réparation provisoire n'a pas vocation à remettre en cause la procédure judiciaire qui a mené au placement en détention. Le requérant ne peut non plus invoquer la lourdeur de la peine encourue comme facteur d'aggravation de son préjudice moral car celle-ci est liée à sa mise en examen et au déroulement de la procédure. En effet, conformément à la jurisprudence de la Commission Nationale de Réparation des Détentions (CNRD) ces éléments ne peuvent être pris en considération dans le cadre d'une indemnisation au titre de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il est également de jurisprudence constante que le choc carcéral ne prend pas compte le sentiment d'injustice qu'a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire.

Cependant, la Commission Nationale de Réparation des Détentions admet que lorsque sont en cause certaines infractions pour lesquelles les peines encourues sont particulièrement lourdes, la souffrance psychologique engendrée par cette mise en cause a pour conséquence d'aggraver le préjudice moral.

En l'espèce, M. [X], âgé de 35 ans au moment de son incarcération, était marié et père de quatre enfants. Un cinquième est né le [Date naissance 1] 2015, lorsqu'il était en détention provisoire. Il a donc souffert de la séparation avec sa famille et ce d'autant plus que sa famille était domiciliée à [Localité 4] alors qu'il était incarcéré à la maison d'arrêt de [Localité 5].

Il s'agissait d'une première incarcération pour lui, car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire ne mentionne aucune condamnation. Le choc carcéral initial a donc été particulièrement important.

M. [X] était mis en examen des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme et de financement d'une activité terroriste, ce qui a entraîné son placement à l'isolement et l'impossibilité de pratiquer des activités avec les autres codétenus. En outre, encourant une peine de 30 ans de réclusion criminelle, il est indéniable que cette qualification pénale criminelle a accentué son angoisse.

L'aggravation de son état de santé invoquée par M. [X] est attestée par la production de deux rapports d'expertise médicale des 16 mai et 31 juillet 2015 qui font état d'un retentissement réactionnel à l'incarcération pour le premier et de symptômes traduisant une somatisation importante d'une anxiété diffuse réactionnelle pour une grande partie liée à la détention selon le second. C'est ainsi que cette évolution de l'état de santé du requérant constitue un facteur d'aggravation du choc carcéral.

M. [X] évoque également des conditions de détention difficiles au sein de la maison d'arrêt de [Localité 5] en raison notamment d'une surpopulation carcérale qui est attestée par la production de statistiques mensuelles des personnes écrouées et détenues en France pour la période du 1er février au 1er septembre 2015 et par un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de sa visite du 8 au 12 juin 2015 qui fait état de conditions indignes de détention en raison de l'état des locaux et d'une surpopulation importante. Ces documents correspondent bien à la période de détention du requérant. Ces éléments constituent également un facteur d'aggravation du choc carcéral.

C'est ainsi qu'il sera alloué à M. [X] une somme de 26.000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur l'indemnisation du préjudice matériel

Le requérant soutient avoir bénéficié du Revenu de Solidarité Active (RSA) avant son incarcération et dont le montant mensuel s'élevait à 667.42 euros et que cette aide lui a été supprimée durant la période de son incarcération. Il demande ainsi la somme de 4894,78 euros en réparation de son préjudice matériel.

L'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général indiquent que le requérant doit produire les pièces qui sont de nature à justifier le montant du préjudice, ce qu'il ne fait pas. Dans ces conditions, il convient de rejeter s demande au titre du préjudice matériel.

En l'espèce M. [X] produit uniquement une attestation datant du mois de septembre 2014, soit antérieurement à son incarcération, indiquant que pour ce mois précis il avait perçu le RSA. Il n'y a aucun autre justificatif précisant que le requérant percevait effectivement le RSA au jour de son placement en détention provisoire et que ce versement aurait été suspendu alors qu'il était incarcéré.

Dans ces conditions, M. [X] sera débouté de sa demande d'indemnisation d'un préjudice matériel.

- Sur les frais irrépétibles :

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant ses frais irrépétibles qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS :

Statuant par ordonnance contradictoire,

Déclarons recevable la requête de M. [U] [X] pour une détention d'une durée de 222 jours ;

Allouons à M. [U] [X] :

- La somme de 26.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- La somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboutons M. [U] [X] de sa demande d'indemnisation du préjudice matériel ;

Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l'Etat ;

Décision rendue le 22 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 23/04812
Date de la décision : 22/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-22;23.04812 ?
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