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22/04/2024 | FRANCE | N°21/19212

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 22 avril 2024, 21/19212


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 22 AVRIL 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 21/19212 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETM3



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière,

lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 06 Septembre 2021 par ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 22 AVRIL 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 21/19212 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETM3

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 06 Septembre 2021 par M. [V] [D]

né le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 5], demeurant [Adresse 2] ;

Non comparant et représenté par Me Orly REZLAN, avocat au barreau de Paris

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 04 Décembre 2023 ;

Entendu Me Orly REZLAN représentant M. [V] [D],

Entendu Me Rosa BARROSO, avocat au barreau de Paris, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, substitué par Me Virginie METIVIER, avocat au barreau de Paris,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [V] [D], né le [Date naissance 1] 1986, de nationalité pakistanaise, a été mis en examen du chef de tentative d'assassinat en bande organisée, puis placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 4] le 28 septembre 2019 par un juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny et ce, jusqu'au 25 août 20202, date à laquelle il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire à la suite d'un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

Le 04 mai 2021, la 13e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny a renvoyé M. [D] des fins de la poursuite pour complicité de violences volontaires aggravées.

Le requérant a produit un certificat de non appel du jugement du tribunal correctionnel en date du 19 décembre 2023 qui a un caractère définitif à son égard.

Le 06 septembre 2021, M. [D] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 50 000 euros au titre de son préjudice moral,

* 50 000 euros au titre de son préjudice matériel,

* 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures, déposées le 23 février 2024 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de ramener à de plus justes proportions, qui ne sauraient excéder la somme de 28 330 euros, la demande formulée par M. [D] en réparation de la perte de salaire et de le débouter sur les frais de défense, et de ramener l'indemnité qui sera allouée à M. [D] en réparation de son préjudice moral à la somme de 25 000 euros, ainsi que de ramener à de plus justes proportions la demande au titre des frais irrépétibles.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 27 octobre 2023, conclut à titre principal à l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation, faute de justifier du caractère définitif de la décision de relaxe et, à titre subsidiaire, à la recevabilité de la demande d'indemnisation pour une durée de détention provisoire de 332 jours, ainsi qu'à la réparation du préjudice moral et matériel dans les conditions indiquées.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes

indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [D] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 06 septembre 2021, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision par la production du certificat de non appel en date du 19 décembre 2023 du jugement du tribunal correctionnel de Bobigny.

Sa requête est donc recevable pour une durée de détention indemnisable de 332 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

M. [D] considère qu'il a subi un préjudice du fait de la privation de liberté, de la séparation d'avec son épouse et ses trois enfants, de son isolement à la maison d'arrêt, de son sentiment d'injustice d'être accusé à tort alors que la victime était repartie au Pakistan, de l'angoisse d'être condamné à tort alors qu'il encourrait une peine de réclusions criminelle à perpétuité. Son angoisse a été accentuée par le fait que ses deux frères étaient également détenus dans cette affaire. Son état de santé qui était déjà précaire a été aggravé par cette incarcération puisqu'il est désormais dans l'attente d'une greffe rénale et est atteint d'une carcinome papillaire en lien avec sa détention. C'est pourquoi il sollicite une somme de 50 000 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat considère qu'il y a lieu de retenir l'âge du requérant au jour de son placement en détention provisoire, la durée de cette détention, sa situation personnelle et son absence de passé carcéral pour apprécier l'importance de son préjudice moral. Il observe que son mariage et le fait qu'il ait trois enfants n'est pas justifié. C'est pourquoi, il propose la somme de 25 000 euros.

Le procureur général indique que le requérant n'a jamais été condamné à une peine d'emprisonnement ferme, qu'il était marié et père de trois enfants en bas âge, ce qui entraine un choc carcéral important. Par contre, l'aggravation de son état de santé en lien avec la détention n'est pas démontrée, au delà des examens médicaux effectués en détention. L'angoisse générée par une accusation grave de nature criminelle, ainsi que l'inquiétude due à l'incarcération de ses frères, ne peuvent pas être retenues au titre du préjudice moral.

Il ressort des pièces produites aux débats et notamment des certificats de scolarité et de s avis d'imposition que M. [D] était âgé de 32 ans au moment de son incarcération, marié et père de 3 enfants en bas âge dont le dernier était alors âgé d'un an. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire ne porte trace d'une seule condamnation en 2005 à une peine d'emprisonnement avec sursis, aujourd'hui réhabilitée de droit, de sorte qu'il s'agissait d'une première incarcération pour le requérant. C'est ainsi que le choc carcéral initial a été important.

La durée de la détention provisoire, 332 jours en l'espèce, n'est pas non plus un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.

Il y a lieu de relever que M. [D] était atteint avant son placement en détention provisoire d'une insuffisance rénale sévère qui était traitée et qui a entraîné plusieurs examens médicaux durant sa détention. Il n'est pas pour autant démontré que son état de santé se soit aggravé pendant sa détention provisoire puisqu'il a fait l'objet de plusieurs consultations et examens médicaux. En outre, il n'est pas démontré non plus que le carcinome papillaire qui a été diagnostiqué depuis sa libération soit en lien direct et exclusif avec cette dernière. Ces éléments ne seront donc pas retenus comme des facteurs d'aggravation.

De même, l'importance de la peine encourue, la réclusion criminelle à perpétuité, ne constitue pas en tant que telle un facteur d'aggravation du choc carcéral dès lors que le requérant ne démontre pas en quoi cet élément a eu une incidence sur ses conditions de détention.

Selon la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions (CNRD), le sentiment d'injustice ne peut non plus être retenu comme un facteur aggravant du préjudice moral.

L'incarcération de ses frères dans le même dossier ne peut être retenu comme un facteur d'aggravation de son préjudice moral résultant de son propre placement en détention provisoire.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [D] une somme de 28 000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

M. [D] indique qu'il travaillait depuis le 8 avril 2019 en qualité de chef de chantier dans le cadre d'un CDI conclu avec la société [3] et qu'il percevait un salaire brut mensuel de 4 100 euros. Son épouse, qui ne travaillait pas n'a pu recevoir cet argent pour subvenir aux besoins de la famille. C'est ainsi que sa perte de revenus s'est élevée à la somme de 50 000 euros qu'il sollicite aujourd'hui.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat, le requérant justifie de la réalité de son emploi et de la perte de revenus pendant toute la période de détention provisoire. Par contre le salaire net mensuel à retenir est de 2 833 euros. C'est ainsi que sur la bases d'un revenu net mensuel de 2 833 euros net, il est proposé d'allouer à M. [D] pour la période du mois d'octobre 2019 à celui de juillet 2020 une somme de 28 333 euros en réparation de sa perte de salaire.

Le ministère public conclut au fait qu'il convient d'accueillir favoravblement la demande mais que le montant sollicité ne correspond pas à 11 mois de salaires nets et il convient que M. [D] apporte des justificatifs précis de ses revenus.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [D] a été embauché par la société [3] à compter du 08 avril 2019 en qualité de chef de chantier dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée pour un salaire mensuel net de 2 833 euros, selon la moyenne de ses bulletins de paie pour la période du mois d'octobre 2019 au mois de juillet 20220, soit pendant 10 mois, qui correspondent à sa période de placement en détention provisoire. . C'est ainsi que sur la base de 2 833 euros, il sera alloué à M. [D] la somme de 2 833 euros x 10 mois = 28 330 euros en réparation de sa perte de revenus durant son incarcération.

S'agissant des frais de défense, M. [D] sollicite l'allocation d'une somme de 5 000 euros correspondant à 4 demandes de mise en liberté, une audience devant la chambre de l'instruction et des visites en détention au parloir de la maison d'arrêt de [Localité 4].

Selon l'agent judiciaire de l'Etat et le Ministère public, la CNRD estime qu'il appartient au requérant d'apporter la preuve des frais de défense en lien direct avec le contentieux de la détention. Or, le requérant ne produit aucune facture en ce sens émanant de son conseil.

Selon la jurisprudence de la CNRD, les frais d'avocat ne sont pris en compte au titre du préjudice causé par la détention que si ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin.

C'est ainsi qu'il y a lieu de constater que le requérant ne produit aucune facture d'avocat ni note de diligences justifiant de la réalité de ses demandes indemnitaires au titre des frais de défense. Sa demande sera donc rejetée.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [D] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [V] [D] recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 28 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 28 330 euros en réparation de son préjudice matériel

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [V] [D] du surplus de ses demandes.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 22 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 21/19212
Date de la décision : 22/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-22;21.19212 ?
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