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22/04/2024 | FRANCE | N°20/18328

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 22 avril 2024, 20/18328


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 22 Avril 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 20/18328 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZ4K



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière,

lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 09 Novembre 2020 par M. [I] [B]

né le [Date naissance 2] 1...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 22 Avril 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 20/18328 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZ4K

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 09 Novembre 2020 par M. [I] [B]

né le [Date naissance 2] 1997 à [Localité 5], élisant domicile au cabinet de Me François MAQUAIR [Adresse 1] ;

non comparant

Représenté par Me François MAQUAIR, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 19 Février 2024 ;

Entendu Me François MAQUAIR représentant M. [I] [B],

Entendu Me Ali SAIDJI, avocat au barreau de Paris substitué par Me Alexandre SOMMER, avocat au barreau de Paris, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Madame Martine TRAPERO, Substitute Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [I] [B], né le [Date naissance 2] 1997, de nationalité française, a été mis en examen des chefs de vol avec violence commis en bande organisée et en récidive, tentative de vol avec violence commis en bande organisée en récidive et de recel en bande organisée de biens provenant d'un délit et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime, puis placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 6] le 9 mars 2018 et ce, jusqu'au 5 octobre 2018, date à laquelle il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny.

Le 12 mai 2020, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bobigny a rendu une ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal pour enfants et devant le tribunal correctionnel dans laquelle il prononçait un non-lieu total à l'égard de M. [B] pour lequel il n'y avait pas de charges suffisantes.

M. [B] a produit les 23 janvier et 16 février 2024 un certificat de non appel de la décision du magistrat instructeur qui a un caractère définitif à son égard.

Le 9 novembre 2020, M. [B] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 52 750 euros au titre de son préjudice moral,

* 2 000 ou 5 000 euros au titre de son préjudice matériel,

* 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures, déposées le 23 novembre 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président, à titre principal, de juger la requête irrecevable faute de démonstration du caractère définitif de la décision de non-lieu du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bobigny du 12 mai 2020, et à titre subsidiaire, de fixer la juste indemnisation du préjudice moral de M. [B] à la somme de 16 000 euros, de rejeter la demande d'indemnisation de M. [B] au titre de la perte de chance d'obtenir un emploi et de percevoir des salaires et de réduire à de plus justes proportions la demande sollicitée par M. [B] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 12 janvier 2024, conclut à titre principal à l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation faute de justifier du caractère définitif de l'ordonnance de non-lieu, et à titre subsidiaire, à la recevabilité de la requête pour une détention de deux-cent-cinq jours, à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées et au rejet de la demande au titre du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [B] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 9 novembre 2020, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision par la production les 23 janvier et 16 février 2024 du certificat de non appel de l'ordonnance de non-lieu du magistrat instructeur.

La requête est donc recevable pour une durée de détention de 205 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral :

M. [B] considère'il a subi un choc carcéral violent car, même si son casier judiciaire porte trace de plusieurs condamnations, il n'avait jamais été incarcéré avant son placement en détention provisoire. Il s'agit donc d'une première incarcération pour lui. Il évoque aussi la durée importante de sa détention pendant 211 jours et son sentiment d'innocence et d'injustice. Il fustige ses condition de détentions à la maison d'arrêt de [Localité 6] où il existe une surpopulation carcérale avec un taux d'occupation de 190% entre mars et octobre 2018 qui est d'ailleurs confirmée par la directrice de la maison d'arrêt qui avait tiré la sonnette d'alarme en indiquant que son établissement était saturé. Il sollicite en réparation de son préjudice moral la somme de 52 750 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat considère que le requérant ne peut prétendre à être indemnisé que pour une période de 205 jours car il a été en détention provisoire pendant cinq jours pour une autre affaire. S'agissant des conditions de détention, M. [B] produit un tableau de répartition des personnes détenues par établissement établi par la direction inter régionale de [Localité 3] pour la période comprise entre mars et octobre 2018 mais ne démontre pas avoir personnellement souffert de conditions de détention difficiles. C'est pourquoi, l'AJE propose la somme de 16 000 euros en réparation du préjudice moral du requérant.

Le procureur général estime qu'il s'agit d'une première incarcération de M. [B] qui n'avait jusqu'alors été condamné qu'à une peine d'emprisonnement avec sursis et qui a donc subi un choc carcéral, alors qu'il avait 20 ans et était célibataire..S'agissant de ses conditions de détention, le requérant ne démontre pas de conditions particulières qui lui soient propres mais évoque seulement des documents qui sont soit antérieur à son incarcération, soit généraux, mais ne permettent pas déterminer les conditions propres à M. [B] qui auraient été difficiles lors de son incarcération.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [B] était âgé de 20 ans au moment de son incarcération et était célibataire, sans enfant. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire porte trace de 7 condamnations entre juin 2016 et décembre 2019 dont 4 condamnations à des peines d'emprisonnement ferme. Mais pour autant, à la date du placement en détention, M. [B] n'avait été condamné qu'à des peines d'emprisonnement avec sursis et n'avait jamais été incarcéré. C'est ainsi que le choc carcéral initial a été important.

La durée de la détention provisoire est de 205 jours et non pas de 211 jours car M. [B] a été également placé sous mandat de dépôt pendant 5 jours pour d'autres faits du 4 juillet au 9 juillet 2018, pendant qu'il était par ailleurs placé en détention provisoire par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bobigny. Cette durée de détention, importante, n'est pas non plus un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.

S'agissant de ses conditions de détention, la surpopulation de la maison d'arrêt de [Localité 6] est évoquée par un article de presse qui est antérieur à la période de placement e détention provisoire du requérant et par un tableau de répartition des détention au sein des établissements pénitentiaire de la direction inter régionale de [Localité 3] qui évoque un taux d'occupation de 181%. Mais, le requérant échoue à démontrer l'existence de conditions particulières de détention qui lui sont propres au sein de la maison d'arrêt de [Localité 6].

Selon la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions, le sentiment d'injustice ne peut être retenu comme un facteur aggravant du préjudice moral.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [B] une somme de 18 000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel :

M. [B] considère qu'il a perdu une chance de pouvoir exercer une activité professionnelle rémunérée durant sa détention provisoire car il était alors en procédure de recrutement par la [4] pour un poste de machiniste. Il avait été convié à cete effet à une journée de sélection prévue le 28 juin 2018 et n'avait pas pu s'y rendre en raisond e son incarcérattion. Il estime ainsi avoir perdu la possibilité d'avoir un salaire mensuel de 1 980 euros et sollicite l'allocation d'une somme de deux mille en toutes lettres ou de 5 000 euros en chiffres, aussi bien dans le corps que dans le dispositif de sa requête, pour sa période en détention.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat, la perte de chance évoquée par le requérant n'est pas sérieuse mais purement hypothétique dès lors qu'il n'est pas démontré que M. [B] avait de grandes chances de réussir les tests de sélection, qu'il n'apporte pas de justificatifs selon lesquels il aurait activement recherché un emploi et qu'il aurait retrouvé un emploi dès sa remise en liberté. C'est ainsi qu'il y a lieu de rejeter la demande au titre du préjudice matériel.

Le ministère public conclut que la perte de chance d'exercer un emploi à la [4] ne peut être indemnisée que si elle présente un caractère sérieux, or, rien ne laisse présumer que le requérant aurait obtenu le poste pour lequel il devait passer les sélections, ni qu'il a effectivement eu ce poste à sa sortie de la maison d'arrêt, ni même qu'il a à nouveau postulé pour ce poste. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande de réparation du préjudice matériel.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [B] a présenté sa candidature pour obtenir un contrat de professionnalisation au poste de machiniste à la [4] et qu'il a reçu une convocation pour passer les épreuves de sélection pour devenir machiniste au sein de la [4]. Ces épreuves devaient avoir lieu le 28 juin 2018, date à laquelle M. [B] se trouvait en détention provisoire. Pour autant, il ressort du courrier de convocation du 29 mai 2018 que plusieurs candidats étaient attendus ce jour là pour la sélection au poste de machiniste, qu'en cas de réussite à ces premiers tests la procédure de recrutement se poursuivrait et que, par ailleurs, une enquête administrative concernant chacun des candidats pressentis serait sollicitée auprès du ministère de l'intérieur. C'est ainsi que M. [B] échoue à démonter qu'il allait réussir ces premiers tests qui n'étaient par ailleurs pas suffisants pour aboutir automatiquement à une embauche et qu'il allait passer le cap de l'enquête administrative, alors que son casier judiciaire porte trace de 7 condamnations pénales. D'ailleurs, il n'est produit aux débats aucun élément qui prouverait que M. [B] a poursuivi, à sa libération, les tests de sélection et que ces derniers se seraient révélés positifs. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que le requérant a perdu une chance sérieuse d'être embauché par la [4] au poste de machiniste et qu'il allait percevoir un salaire mensuel de 1 980 euros.

C'est ainsi qu'aucune somme ne sera allouée à M. [B] en réparation d'un préjudice matériel.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [B] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [I] [B] recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 18 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [I] [B] de sa demande au titre de la réparation de son préjudice matériel.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 22 Avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/18328
Date de la décision : 22/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-22;20.18328 ?
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