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12/04/2024 | FRANCE | N°21/07396

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 12 avril 2024, 21/07396


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 12 Avril 2024



(n° , 6 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 21/07396 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHI7



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Juin 2021 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 20/02500





APPELANTE

SOCIETE [5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Xavier BONTOUX, a

vocat au barreau de LYON, toque : 1134 substitué par Me Ariane SOFIANOS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0903



INTIMEE

CPAM 27 - EURE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 12 Avril 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 21/07396 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHI7

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Juin 2021 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 20/02500

APPELANTE

SOCIETE [5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Xavier BONTOUX, avocat au barreau de LYON, toque : 1134 substitué par Me Ariane SOFIANOS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0903

INTIMEE

CPAM 27 - EURE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Raoul CARBONARO, président de chambre

Mme. Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

M. Philippe BLONDEAU, conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par M Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la SAS [5] (la société) d'un jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Paris dans un litige l'opposant à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure (la caisse).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de préciser que la SAS [5] a formé un recours devant une juridiction en charge du contentieux de la sécurité sociale à l'encontre de la décision implicite de la commission de recours amiable de la Caisse primaire d'assurance maladie de Paris ayant rejeté sa demande d'inopposabilité des soins et arrêts prescrits à la suite de la maladie professionnelle déclarée le 11 mai 2016 par Mme [T] [M] (l'assurée).

Par jugement en date du 15 juin 2021 le tribunal a :

déclaré recevable le recours formé par la SAS [5], mais mal fondé ;

rejeté la demande d'expertise formée par la SAS [5] ;

dit que la requérante supporte les dépens.

Le tribunal a relevé que la caisse démontrait l'existence de la présomption d'imputabilité des soins et arrêts à la maladie professionnelle en ayant produit notamment l'intégralité des certificats médicaux portant arrêts de travail et soins. Il a retenu que la note médicale du médecin-conseil de la société était laconique ne permettait pas de créer un doute médical ni de constituer un commencement de preuve d'une cause étrangère.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise à une date non déterminée à la SAS [5] qui en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception adressée le 21 juillet 2021.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la SAS [5] demande à la cour de :

infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :

déclaré recevable le recours formé par la SAS [5] , mais mal fondé ,

rejeté la demande d'expertise formée par la SAS [5] ;

dit que la requérante supporte les dépens ;

rejugeant à nouveau

à titre principal :

juger inopposables à la SAS [5] les arrêts et soins prescrits à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure à compter du 16 août 2016 au titre de la maladie professionnelle du 5 avril 2016 ;

à titre subsidiaire :

ordonner, avant-dire droit, une expertise médicale judiciaire sur pièces aux frais avancés de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure ou l'employeur, le litige intéressant les seuls rapports caisse/employeur, afin de vérifier la justification des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de la maladie du 5 avril 2016 déclaré par Mme [T] [M] ;

nommer tel expert avec pour mission de :

prendre connaissance de l'entier dossier médical de Mme [T] [M] établi par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure ;

déterminer exactement les lésions provoquées par la maladie ;

fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe et exclusive avec ces lésions ;

dire si la maladie a seulement révélé ou si elle a temporairement aggravé un état indépendant à décrire et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte,

en tout état de cause, dire à partir de quelle date la prise en charge des soins et arrêts de travail au titre de la législation professionnelle n'est plus médicalement justifiée au regard de l'évolution du seul état consécutif à la maladie ;

rédiger un pré-rapport à soumettre aux parties ;

intégrer dans le rapport d'expertise final les commentaires de chaque partie concernant le prérapport et les réponses apportées à ces commentaires,

renvoyer l'affaire puis juger inopposables à la SAS [5] les prestations prises en charge au-delà de la date réelle de consolidation et celles n'ayant pas de lien direct, certain et exclusif avec la maladie du 5 avril 2016.

La SAS [5] expose que la durée anormalement longue des arrêts de travail accordés à Mme [T] [M] semble dès lors conforter l'idée que la date de consolidation a été fixée tardivement ou qu'il existait un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte ; que le docteur [X] relève notamment une absence de prise en charge spécifique ou d'avis spécialisé entre le 13 août 2016 et le 29 juin 2018 ; que l'employeur qui conteste la durée des arrêts pris en charge au titre de la législation professionnelle, ne dispose pas des moyens d'investigations lui permettant de rapporter la preuve à l'appui de ses prétentions, et peut donc solliciter une mesure d'expertise médicale devant la juridiction compétente ; que refuser une expertise à l'employeur qui ne dispose d'aucun autre moyen pour faire la preuve de ses prétentions, constituerait une atteinte au principe du droit à un procès équitable ; que la note du médecin consultant qu'elle a déposée est détaillée et motivée, fondée sur les éléments que la caisse a daigné fournir.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

en conséquence,

à titre principal,

débouter la SAS [5] de toutes ses demandes ;

à titre subsidiaire dans l'hypothèse où la Cour devait ordonner une expertise judiciaire avant-dire droit,

ordonner une expertise avec une mission conforme à la présomption d'imputabilité ;

fixer la mission confiée à l'Expert comme suit :

dire s'il existe un état antérieur ou une cause étrangère au travail et le cas échéant, le ou la caractériser ;

dire si la maladie professionnelle déclarée le 11 mai 2016 a révélé ou aggravé cet état antérieur ;

déterminer les soins et arrêts de travail pris en charge exclusivement imputables à une cause étrangère au travail ou à cet état antérieur qui évoluerait pour son propre compte.

mettre les frais d'expertise à la charge de la SAS [5] ;

en tout état de cause

condamner la SAS [5] aux entiers dépens.

La Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure expose que lorsque la prise en charge de la maladie professionnelle est parfaitement justifiée, toutes les conséquences de la maladie professionnelle bénéficient de la présomption d'imputabilité jusqu'à la guérison ou la consolidation du salarié ; que si le certificat médical initial n'est assorti que de soins, sans arrêt de travail, l'assurée s'est vue prescrire un arrêt de travail dès le 12 avril 2016, soit sept jours après l'établissement du certificat médical initial ; que cet arrêt de travail a été sans cesse renouvelé jusqu'au 22 avril 2017, sans interruption, date à laquelle une reprise du travail a été possible avec une poursuite des soins, ininterrompue, jusqu'au 22 juin 2018 ; que les certificats médicaux ont tous été prescrits au titre de l'épicondylite du coude droit ; qu'enfin, par avis du 31 mai 2017, le médecin conseil a considéré que l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail était en lien avec la maladie professionnelle prise en charge ; que la présomption d'imputabilité est donc parfaitement établie jusqu'à la date de guérison fixée au 29 juin 2018 par le médecin conseil ; que l'employeur doit rapporter la preuve que les soins et arrêts de travail dont la prise en charge est contestée ont une cause totalement étrangère à la maladie professionnelle déclarée ou que le salarié présente un état pathologique préexistant auquel les prestations sont exclusivement imputables ; que la fixation de la date de consolidation est une prérogative exclusive du médecin conseil, de sorte que la société est mal fondée à la remettre en cause ; qu'à l'appui de son argumentation, la société se fonde, de nouveau, sur la note médicale de son médecin conseil, le docteur [X], sans produire aucun élément nouveau ; que c'est à juste titre que cette note médicale a été jugée comme étant « laconique » par le tribunal ; qu'en effet, le praticien se contente de fixer, aléatoirement, la durée des arrêts qu'il considère comme étant imputables à l'épicondylite prise en charge, au 15 août 2016, sans développer aucune argumentation médicale précise ; qu'il n'évoque aucunement l'existence d'un état pathologique antérieur qui serait en lien exclusif avec les arrêts prescrits au-delà du 15 août 2016, sans même le caractériser ; que cette note médicale ne saurait constituer un commencement de preuve permettant de justifier l'organisation d'une expertise médicale judiciaire, et encore moins de renverser la présomption d'imputabilité.

SUR CE

Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime. Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, à savoir celle de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou la maladie ou d'une cause extérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs (2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi nL176 "Symbol"\s12 20-20.655 ). La cour ne peut, sans inverser la charge de la preuve demander à la caisse de produire les motifs médicaux ayant justifié de la continuité des soins et arrêts prescrits sur l'ensemble de la période. (2e Civ., 10 novembre 2022, pourvoi n 21-14.508). Il en résulte que l'employeur ne peut reprocher à la Caisse d'avoir pris en charge sur toute la période couverte par la présomption d'imputabilité les conséquences de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle s'il n'apporte pas lui-même la démonstration de l'absence de lien.

Ainsi, la présomption d'imputabilité à l'accident des soins et arrêts subséquents trouve à s'appliquer aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l'accident (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n 19-24.945) et à l'ensemble des arrêts de travail, qu'ils soient continus ou non.

En outre, les dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ne sont pas applicables lorsque la demande de prise en charge porte sur de nouvelles lésions survenues avant consolidation et déclarées au titre de l'accident du travail initial. (Civ.2: 24 juin 2021 n 19-25.850).

En l'absence d'arrêt de travail prescrit à la suite immédiate de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, le bénéfice de la présomption d'imputabilité est conditionné à la preuve par l'organisme de sécurité sociale, de la continuité des symptômes et des soins (2 Civ., 9 octobre 2014, pourvoi n° 13-21.748 ; - 15 février 2018, pourvoi n° 17-11.231 ; 24 juin 2021, pourvoi n° 19-24.945, Bull. 2019, II).

En l'espèce, Mme [T] [M] a déclaré une maladie professionnelle le 11 mai 2016, une épicondylite du coude droit, en joignant un certificat médical du 5 avril 2016 décrivant cette pathologie, sans prescription d'un arrêt de travail. Dès lors, la caisse doit démontrer la continuité des soins et arrêts jusqu'à la date de consolidation.

En l'espèce, le certificat médical initial mentionnant une épicondylite droite et prescrivant des soins jusqu'au 15 avril 2016 est suivi d'un arrêt de travail prescrit le 12 avril 2016 jusqu'au 12 mai 2016 pour le même motif médical, mention étant faite d'une infiltration. Cet arrêt de travail est renouvelé sans discontinuité le 12 mai 2016 jusqu'au 12 juin 2016, le 9 juin 2016 jusqu'au 12 juillet 2016, le 11 juillet 2016 jusqu'au 15 août 2016, le 13 août 2016 jusqu'au 22 août 2016 inclus, le 23 août 2016 jusqu'au 23 septembre 2016, le 23 septembre 2016 jusqu'au 23 novembre 2016, le 22 novembre 2016 jusqu'au 15 février 2017, le 15 février 2017 jusqu'au 21 avril 2017, le 21 avril 2017 jusqu'au 3 mai 2017, le 22 avril 2017 jusqu'au 30 juin 2017, le 29 juin 2017 jusqu'au 30 décembre 2017 inclus, le 31 décembre 2017 jusqu'au 29 juin 2018 , toujours pour ce même motif médical. La date de guérison est fixée au 29 juin 2018.

Au regard de l'identité de nature et de siège des lésions au regard de celle mentionnée au certificat médical initial, la présomption d'imputabilité doit être retenue, sauf à la société de démontrer la cause étrangère ou un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte.

Il résulte de la combinaison des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l'opportunité d'ordonner les mesures d'instruction demandées. Le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté d'ordonner une mesure d'instruction demandée par une partie, sans qu'il ne soit contraint d'y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable, tels qu'issus de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, pas plus qu'une violation du principe d'égalité des armes.

En l'espèce, la note médicale du docteur [X] ne mentionne aucune pathologie préexistante et ne fait état d'aucune cause extérieure. Le seul fait de mentionner la longueur des arrêts de travail sans prise en charge spécifique ni avis spécialisé entre le 13 août 2016 et le 29 juin 2018 ne suffit pas à rapporter le liminaire de preuve nécessaire à l'organisation d'une mesure d'expertise.

Dès lors, tant la demande d'inopposabilité des soins et arrêts que la demande subsidiaire d'expertise seront rejetées.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé.

La SAS [5], qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

DÉCLARE recevable l'appel de la SAS [5] ;

CONFIRME le jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ses dispositions soumises à la cour ;

DÉBOUTE la SAS [5] de ses demandes ;

CONDAMNE la SAS [5] aux dépens.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 21/07396
Date de la décision : 12/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-12;21.07396 ?
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