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12/04/2024 | FRANCE | N°19/10029

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 12 avril 2024, 19/10029


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 12 AVRIL 2024



(n° , 11 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/10029 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAXLK



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY RG n° 19/00310



APPELANT

Monsieur [X] [Y]

[Adresse 4]

[Localité 7]

représenté par Me Arnaud

OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476



INTIMEES

SARL [8]

[Adresse 1]

[Localité 7]

représentée par Me Barbara BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1064



CAISSE PRIM...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 12 AVRIL 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/10029 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAXLK

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY RG n° 19/00310

APPELANT

Monsieur [X] [Y]

[Adresse 4]

[Localité 7]

représenté par Me Arnaud OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476

INTIMEES

SARL [8]

[Adresse 1]

[Localité 7]

représentée par Me Barbara BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1064

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT -DENIS

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Décembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe LATIL, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Christophe LATIL, conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 01 mars 2024, puis prorogé au 05 avril 2024, puis au 12 avril 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par M Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par M. [X] [Y] d'un jugement prononcé le 11 septembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Bobigny dans un litige l'opposant à la société [8] et la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que, salarié de la société [8] (l'employeur), M. [X] [Y] (le salarié) a déclaré avoir été victime, le 26 décembre 2011, d'un accident du travail consistant en une inhalation par vapeur de produits toxiques, pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis (la caisse), consolidé le 15 janvier 20215 ayant entraîné des séquelles justifiant un taux d'incapacité permanente partielle de 5 %, s'agissant de 'séquelles chez un assuré victime d'une inhalation de produits irritant traité médicalement, consistant en une gêne respiratoire modérée et une toux persistante.'.

Après une rechute considérée comme imputable à cet accident du travail, une nouvelle date de consolidation est intervenue le 1er mai 2016, sans modification du taux d'IPP pour dyspnée et toux persistante.

Entre-temps, le salarié avait saisi la caisse, le 27 février 2014 d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Suite au courrier de la caisse en date du 30 novembre 2017, informant le salarié de l'impossibilité d'aboutir à une conciliation, le salarié a, par requête du 06 novembre 2018, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny.

En application de la réforme des contentieux sociaux issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, l'affaire a été transférée le 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance de Bobigny qui par jugement du 11 septembre 2019 a :

- déclaré l'action du salarié en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur recevable,

- l'a dite mal fondée,

- débouté le salarié de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur au titre de son accident du travail du 26 décembre 2011,

- condamné le salarié à payer à son employeur la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise le16 septembre 2019 au salarié qui en a interjeté appel par lettre recommandée adressée au greffe le 04 octobre 2019.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du 03 février 2022, puis renvoyée à la demande des parties aux audiences des 13 octobre 2022, 14 juin 2023 et enfin celle du 04 décembre 2023, après annulation de celle du 14 juin 2023, pour être plaidée et lors de laquelle les parties ont oralement présenté leurs conclusions écrites déposées au dossier.

L'assuré demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 11 septembre 2019 en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. [X] [Y] en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [8],

- infirmer ce même jugement en ce qu'il a

débouté M. [X] [Y] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8] à l'origine de son accident du travail du 26 décembre 2011,

débouté M. [X] [Y] de ses demandes de majoration de rente, de provision d'expertise, d'allocation d'une somme au titre de l'article 700 et de condamnation de la société [8] aux entiers dépens,

condamné M. [X] [Y] à payer la société [8] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- dire M. [X] [Y] bien fondé en ses demandes,

- dire et juger que l'accident du travail dont M. [X] [Y] a été victime le 26 décembre 2011 résulte de la faute inexcusable de la société [8],

- ordonner la majoration à son taux maximum du capital versé à M. [X] [Y],

- indiquer dans le dispositif de la décision à intervenir qu'en cas de modification du taux d'incapacité permanente partielle de M. [X] [Y], la majoration du capital ou de la rente versée par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis suivra l'évolution de son taux d'incapacité permanente partielle et qu'en cas d'aggravation de son état, le dossier pourra être rouvert pour que soit sollicité une indemnisation complémentaire,

- désigner tel expert qu'il appartiendra avec mission d'examiner M. [X] [Y], en prenant en considération la décision du Conseil constitutionnel n°2010-8 QPC et selon la mission proposée dans la motivation, étant précisé en tant que de besoin que les frais d'expertise seront avancé par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis conformément à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,

- condamner la société [8] à verser à M. [X] [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner aux entiers dépens la société [8].

Le salarié expose que le jour de l'accident, s'agissant d'une intoxication pulmonaire par vapeurs toxiques, le responsable des travaux lui a demandé de mélanger les deux produits chimiques en cause, dénommés 'R1" et 'R14" pour nettoyer une piscine, alors qu'il n'était pas équipé d'un masque adapté, filtrant seulement les poussières, sa combinaison de travail étant en outre déchirée.

Il estime que son employeur était nécessairement conscient du danger et devait en conséquence procéder à l'évaluation des risques pour mettre en place une démarche effective de prévention propre à l'entreprise, s'agissant de risques particuliers liés à l'exposition aux produits chimiques.

Il fait valoir qu'aucune mesure de prévention n'était mise en oeuvre en l'absence de matériel de protection individuel adapté, de renouvellement efficace de l'air respiré par les salariés, l'atmosphère de travail n'étant pas maintenue dans un état de pureté propre à préserver la santé des salariés.

L'employeur demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 11 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny, en ce qu'il a :

débouté M. [X] [Y] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8] à l'origine de son accident du travail du 26 décembre 2011,

débouté M. [X] [Y] de l'ensemble de ses autres demandes,

condamné M. [X] [Y] à payer la société [8] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [X] [Y] aux dépens,

Y ajoutant,

- débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- le condamner à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis devra faire l'avance des sommes allouées au salarié pour le compte de l'employeur, conformément aux dispositions des articles L. 452-2 alinéa 6 et L. 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale,

- limiter la mission de l'expert à l'évaluation des postes de préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable,

- en conséquence, exclure de la mission de l'expert l'évaluation du déficit fonctionnel permanent et l'assistance à tierce personne après consolidation,

- exclure de la mission de l'expert la perte de chance, de promotion professionnelle,

- dire que l'expert devra déposer un pré-rapport afin de laisser le temps aux parties d'émettre leurs éventuelles observations,

- débouter le salarié de sa demande tendant à ce que 'en cas d'aggravation de son état, le dossier pourra être rouvert pour que soit sollicitée une indemnisation complémentaire',

- le débouter de sa demande de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

- le débouter de sa demande de condamnation de la société [8] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur soutient qu'aucune faute inexcusable peut être retenue à son encontre dans la mesure où l'évaluation des risques a toujours été correctement prise en compte dans l'entreprise, ainsi que le prouve le compte-rendu de la réunion du CHSCT qui s'est tenue le 23 juin 2011, six mois avant l'accident du travail subi par le salarié et où contrairement à ce que le salarié affirme aucun ordre ne lui a été donné de mélanger les produits ayant provoqué les émanations toxiques causes de cet accident.

Il fait également valoir que le salarié disposait d'une solide expérience et ancienneté professionnelle, ayant déjà effectué les opérations de nettoyage telle que celle effectuée le jour de l'accident, ses connaissances étant suffisantes pour utiliser à bon escient les produits mis à sa disposition et procéder aux travaux de nettoyage qui lui étaient confiées.

La caisse demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur les mérites de l'appel interjeté par le salarié quant au principe de la faute inexcusable et la majoration de l'indemnité en capital qui en résulterait,

Dans l'hypothèse où la cour retiendrait la faute inexcusable,

- lui donner acte de qu'elle n'entent pas s'opposer la demande d'expertise sollicitée par le salarié,

- débouter le salarié de sa demande tendant à ce que 'en cas d'aggravation de son état, le dossier pourra être rouvert pour que soit sollicitée une indemnisation complémentaire',

- limiter la mission de l'expert à l'évaluation des postes de préjudice indemnisable au titre de la faute inexcusable,

- exclure de la mission d'expertise l'évaluation du déficit fonctionnel permanent, de la tierce personne permanente et la perte de chance de promotion professionnelle,

- ramener à de plus justes proportions la somme allouée au salarié à titre provisionnel,

- rappeler que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis avancera les sommes éventuellement allouées au salarié dont elle récupérera le montant sur l'employeur, y compris les frais d'expertise,

- condamner tout succombant aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l'audience pour l'exposé complet des moyens développés et soutenus à l'audience.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité, notamment en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle. Il a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été l'origine déterminante de l'accident subi ou de la maladie contractée par le salarié, mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.

La notion et la réalité de l'accident du travail du 26 décembre 2011 ne sont pas discutées à la présente instance.

En l'espèce, le salarié occupait un emploi d'agent de propreté au service de l'employeur, entreprise de nettoyage et de prestations associées à la propreté, depuis le 02 septembre 1991, soit depuis vingt ans au jour de l'accident du 26 décembre 2011.

Initialement embauché en qualité de laveur de vitres, classe 2, il a évolué au sein de l'entreprise jusqu'à occuper le poste d'agent de propreté en 1998 et obtenu la qualification d'agent très qualifié de service (ATQS) à compter du 1er décembre 2011.

A ce titre et à ce niveau de qualification, la convention collective applicable versée au dossier (CCN des entreprises de propreté et services associés) prévoit que l'ATQS :

- 'choisit les moyens et les méthodes à utiliser pour la réalisation des prestations et les adapte à la situation de travail.',

- 'Il organise son travail. Il peut transmettre son savoir et il est en mesure d'apprécier le contrôle global de la prestation exécutée.',

- 'Il recueille, informe, conseille et propose des solutions dans son environnement professionnel (équipe, client et hiérarchie).'.

Il est établi et non contesté que pour exécuter les travaux inhérents à l'activité principale de l'entreprise et les taches liées au poste de travail du salarié, des produits chimiques étaient régulièrement utilisés, dont certains toxiques.

Les fiches techniques des deux produits R1 et R14 utilisés par le salarié le jour de l'accident, ne prévoient pas d'obligation de porter un masque lors de leur utilisation normale.

La fiche du produit R14 indique qu'il dégage un gaz toxique au contact d'un acide.

Or le produit R1 est, selon sa fiche technique, 'un détergent acide alimentaire'.

Pour établir que l'employeur avait commis une faute inexcusable, ayant rendu possible l'accident du travail du 26 décembre 2011, le salarié affirme notamment que le mélange toxique, dont les émanations l'ont affecté, a eu lieu en raison de l'ordre que lui aurait donné le chef d'équipe, M. [W] [B], de mélanger ces deux produits.

Au-delà du fait que M. [W] [B] et l'employeur contestent que cet ordre ait été donné, les collègues de travail, présents sur le chantier du 26 décembre 2011, affirment également le contraire :

- M. [R] [K] déclare : 'Nous faisions le nettoyage piscine à [Localité 9] avec l'équipe et [le salarié] depuis plusieurs années. M. [W] [B], mon chef passait souvent sur le site. Il ne nous a jamais demandé de mélanger les produits R1 et R14 que l'on n'utilisait pas pour la même chose et comme d'habitude nous savons qu'il ne faut surtout pas mélanger les produits. En plus ça ne sert à rien.',

- M. [F] [B] : 'Déjà je n'ai vu personne mélanger les produits quand on était à la piscine de [Localité 9].'.

A l'appui de son affirmation quant à cet ordre qui aurait été donné de procéder au mélange des deux produits, le salarié produit le témoignage de M. [J] [C], chef de bassin, salarié de la piscine dans les locaux de laquelle les opérations de nettoyage avaient lieu :

- 'En effet à 9 H du matin je sens une très forte odeur acide dans mon bureau. Afin de trouver l'origine de cette odeur d'acide je comprends rapidement que [le salarié] et 3 de ses collègues sont en train de frotter le sol en mélangeant 2 produits(voir document) R1 avec un (illisible) et une base R14 (PH 14) sous les ordres de leur chef d'équipe qui leur a demandé de les mélanger.'

Ce témoin ne dit pas avoir lui-même entendu le chef d'équipe donner cet ordre de mélanger les produits, ni ne précise que celui-ci était présent sur les lieux pour pouvoir l'entendre donner un tel ordre.

Le salarié précise lui même que M. [W] [B] n'est pas présent à ce moment-là.

Si le salarié échoue à établir la réalité d'un ordre que son chef d'équipe aurait donné de mélanger sciemment mais dangereusement ces deux produits incompatibles, il résulte toutefois de ces éléments que sur un chantier tel que celui du nettoyage des plages d'une piscine, ces produits chimiques incompatibles entre eux pouvaient être utilisés l'un après l'autre aux mêmes endroits, le même jour.

Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus les fiches techniques des deux produits en cause dans la survenue de l'accident du travail (R1 et R14) indiquent très clairement que leur mélange provoque l'émanation d'un gaz toxique. L'employeur ne peut prétendre qu'il ignorait ce risque, sauf à reconnaître qu'il ne s'informait pas sur les caractéristiques des produits qu'il mettait à la disposition de ses employés sur les chantiers.

L'employeur ne justifie d'aucune mesure prévue pour prévenir le risque de mélange involontaire de ces produits ainsi utilisés l'un après l'autre sur les mêmes surfaces à traiter sur une même période de temps.

Au-delà de ce risque particulier, l'employeur ne fournit pas le DUERP qu'il devait rédiger en application des articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail, ni celui en vigueur en 2011en invoquant sa non conservation pour des raisons d'ancienneté, ni celui établi ou mis à jour depuis l'accident du travail.

Pur justifier que l'entreprise avait agi pour prévenir les risques, l'employeur évoque le fait qu'avant l'accident du travail du 26 décembre 2011, lors de la réunion du CHSCT du 23 juin 2011, une formation et un accompagnement de la société auprès d'un organisme extérieur, le CTIP, ont été programmés pour le 20 juillet 2011 pour aider à évaluer les risques en fonction de l'utilisation des produits, de l'exposition des produits, et de la dilution des produits.

Pour autant il ne fournit aucune attestation de l'intervention effective du CTIP auprès des personnels de l'entreprise, de certificats de formation des employés susceptibles d'utiliser les produits chimiques pour réaliser les travaux de nettoyage, objet principal de l'activité économique de l'entreprise, a fortiori de la formation que le salarié aurait reçue, notamment pour l'accompagner dans son évolution, pendant les vingt années de sa présence au sein de l'entreprise, vers la qualification d'ATQS, pour lui permettre d'être en capacité de prendre des initiatives dans la réalisation des prestations.

L'employeur produit des factures d'achat de matériel de protection individuel des personnels, mais ne précise pas de quelle façon les salariés étaient sensibilisés à son utilisation et informés de la mise à leur disposition du matériel adapté.

Le témoin, M. [J] [C], chef de bassin de la piscine, présent au moment de l'accident, indique que le salarié avait une combinaison déchirée au moment de l'accident.

La lecture du courrier de réponse de l'employeur à la médecine du travail, en novembre 2010, permet de constater que la nature de l'activité est définie comme 'nettoyage industriel' et qu'aucune réponse n'est apportée au questionnaire précis portant sur les mesures concernant :

- un contrat de prévention (article L. 422-5 du code de la sécurité sociale),

- la formation à la sécurité, moyens, modalités,

- les soins et les premiers secours.

Les données chiffrées des accidents du travail et maladies professionnelles éventuelles ne sont pas renseignées.

Dans la rubrique 'Mesures de prévention technologique' la réponse est 'Tenue' pour '2.1 Nature et efficacité de la protection collective'

Pour le point '2.2 Nature et efficacité de la protection individuelle' l'employeur a indiqué : 'Tenue obligatoire : blouse pour les femmes, pantalon-veste pour les hommes. Protection variable selon le type de travail * chaussures de sécurité, Parkas pour le froid, * gants croutés'

L'employeur produit des documents intitulés 'le risque chimique en entreprise de propreté' (pièce 27), ''Gérer le risque chimique sur site' (pièce 26), mais issus de la documentation du CTIP, sans preuve de leur diffusion et de leur explication aux employés de l'entreprise pour permettre la prise de conscience des risques et la mise en oeuvre de mesures de prévention.

Dans ce contexte d'action de prévention totalement inexistante au sein de l'entreprise, d'absence totale de formation des salariés, d'absence de documentation technique rédigée par les services de l'entreprise pour répondre à ses besoins spécifiques, pour recenser les risques existants, de réponse indigente à la médecine du travail, il apparaît que l'accident du 26 décembre 2011 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, conscient des risques encourus, mais acteur d'aucune prévention effective.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur l'évaluation et la réparation des préjudices

- sur la majoration du capital

Le taux d'IPP ayant été fixé à 5 %, le salarié n'a perçu qu'un capital et non une rente.

La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue à l'exclusion de toute faute de même nature de la victime, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal du capital en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale.

Cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle reconnu au salarié.

- sur l'évaluation des préjudices subis

Il sera fait droit à la demande d'expertise dont la mission sera précisée dans le dispositif, portant sur les chefs de préjudice indemnisables en application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Relativement à la demande de provision, la cour retiendra pour la fixer le fait que le salarié, dont le taux d'IPP a été fixé à 5 %, présente les séquelles de 'dyspnée, toux chronique'. La provision sera donc fixée à la somme de 1 000 euros.

- sur l'action récursoire de la caisse

La caisse faisant l'avance des sommes dues au salarié sera autorisée à recouvrer contre la société [8] les montants versés, dans le cadre de l'exercice de son action récursoire. La société [8] sera donc condamnée à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis toutes les sommes dont cette dernière sera tenu de faire l'avance au salarié en application des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, ainsi que le coût de l'expertise.

Partie succombante, la société sera tenue aux dépens et déboutée de sa demande en paiement formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande qu'il soit fait droit à la demande en paiement formée en application de ces mêmes dispositions par le salarié à hauteur de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 11 septembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Bobigny (RG n°19/00310), sauf en ce qu'il a déclaré l'action de M. [X] [Y] en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur recevable ;

Statuant à nouveau,

DIT que la société [8] a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail subi le 26 décembre 2011 par M. [X] [Y] ;

ORDONNE la majoration du capital servi à M. [X] [Y] par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis au maximum légal qui sera fixé en fonction de l'évolution éventuelle du taux d'IPP ;

ALLOUE à M. [X] [Y] une provision de 1 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ;

ORDONNE une expertise médicale judiciaire sur la réparation des préjudices de M. [X] [Y] ;

DÉSIGNE pour procéder à l'expertise judiciaire :

Mme le Docteur [H] [Z],

[Adresse 3],

[Localité 5] ;

DONNE mission à l'expert :

- d'entendre tout sachant et, en tant que de besoin, les médecins ayant suivi la situation médicale de M. [X] [Y],

- de convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception,

- d'examiner M. [X] [Y],

- d'entendre les parties ;

DIT qu'il appartient à M. [X] [Y] de transmettre sans délai à l'expert ses coordonnées (téléphone, adresse de messagerie, adresse postale) et tous documents utiles à l'expertise, dont le rapport d'évaluation du taux d'IPP ;

DIT qu'il appartiendra au service médical de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis de transmettre à l'expert sans délai tous les éléments médicaux ayant conduit à la prise en charge de l'accident, et notamment le rapport d'évaluation du taux d'IPP ;

DIT qu'il appartiendra au service administratif de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis de transmettre à l'expert sans délai le dossier administratif et tous documents utiles à son expertise ;

RAPPELLE que M. [X] [Y] devra répondre aux convocations de l'expert et qu'à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l'expert, l'expert est autorisé à dresser un procès-verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;

DIT que l'expert devra :

- décrire les lésions occasionnées par l'accident du 26 décembre 2011 et de sa rechute du 15 février 2016 ;

- en tenant compte de la date de consolidation fixée par la caisse, et au regard des lésions imputables à l'accident du travail et à sa rechute :

- indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ; en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;

- indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne ; préciser la nature de l'aide à prodiguer et sa durée quotidienne ;

- décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique (avant consolidation) ; les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 ;

- donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif ; évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7 ;

- indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement ; en évaluer l'importance et en chiffrer le taux, hors indicence professionnelle ; dans l'hypothèse d'un état antérieur préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences ;

- donner toutes informations de nature médicale susceptibles d'éclairer la demande faite au titre de la perte de chance de promotion professionnelle,

- indiquer s'il existe ou s'il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité) ;

- dire si la victime subit une perte d'espoir ou de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale ;

- indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir ;

- donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap ;

- fournir tous éléments utiles de nature médicale à la solution du litige ;

DIT que l'expert constatera le cas échéant que sa mission est devenue sans objet en raison de la conciliation des parties et, en ce cas, en fera part au magistrat chargé du contrôle de l'expertise;

DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis devra consigner à la régie de la cour avant le 13 juin 2024 une provision de 900 euros à valoir sur la rémunération de l'expert, et qu'à défaut la désignation de l'expert sera caduque ;

DIT que l'expert devra communiquer ses conclusions aux parties dans un pré-rapport, leur impartir un délai pour présenter leurs observations, y répondre point par point dans un rapport définitif, et remettre son rapport au greffe et aux parties dans les quatre mois de sa saisine ;

RAPPELLE que si l'expert ne dépose pas son rapport dans le délai prévu au premier alinéa du présent article, il peut être dessaisi de sa mission par le président de la chambre sociale à moins qu'en raison de difficultés particulières, il n'ait obtenu de prolongation de ce délai ;

DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis devra verser directement à M. [X] [Y] la majoration de rente allouée ;

CONDAMNE la société [8] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis toutes les sommes dont cette dernière sera tenu de faire l'avance à M. [X] [Y] en application des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, ainsi que le coût de l'expertise ;

CONDAMNE la société [8] à payer à M. [X] [Y] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [8] aux dépens d'appel ;

ORDONNE le renvoi de l'affaire à l'audience du :

Lundi 04 novembre 2024 à 09h00

en salle Huot-Fortin, 1H09, escalier H, secteur pôle social, 1er étage,

DIT que la notification du présent arrêt vaudra convocation des parties à cette audience.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/10029
Date de la décision : 12/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-12;19.10029 ?
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