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04/04/2024 | FRANCE | N°21/09739

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 04 avril 2024, 21/09739


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 04 AVRIL 2024



(n° 2024/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09739 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXBE



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 17/05572





APPELANTE



Madame [P] [O] épouse [I]

[Adr

esse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Paola PEREZ ZARUR, avocat au barreau de PARIS, toque : G 591, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Sven RAULINE, avocat au barreau d...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 04 AVRIL 2024

(n° 2024/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09739 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXBE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 17/05572

APPELANTE

Madame [P] [O] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Paola PEREZ ZARUR, avocat au barreau de PARIS, toque : G 591, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Sven RAULINE, avocat au barreau de PARIS, toque C 2402

INTIMEE

ASSOCIATION APF FRANCE HANDICAP

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Stéphane PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1367

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, et par Madame Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein du 1er juillet 2015, l'Association des Paralysés de France (ci-après l'association) a embauché Mme [P] [I] à compter du 1er juillet 2015 en qualité de directrice de la maison d'accueil spécialisé (MAS) située à [Localité 5] (92), moyennant une rémunération brute mensuelle de 4 660,09 euros.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 et l'association employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Par avenant temporaire « pour mission d'intérim confiée à un directeur » en date du 10 mai 2016, à effet du 3 juin suivant et jusqu'au 31 décembre 2016, Mme [I] a accepté d'assurer l'intérim de direction du SAVS-SAMSAH APF à [Localité 6] (92) durant l'absence de la directrice en titre, moyennant, en plus de son salaire « habituel », une prime d'intérim forfaitaire mensuelle brute égale à 20% de la rémunération de base de la personne remplacée.

Le 26 août 2016, l'association a reçu le rapport de l'Association régionale de Santé (ARS) faisant à sa visite du 19 juillet 2016 à la MAS.

Le même jour, Mme [I] a été victime d'un accident de trajet à la suite duquel elle a présenté un arrêt de travail sans discontinuité.

Par lettre recommandée du 20 octobre 2016, l'association a convoqué Mme [I] à un entretien préalable fixé au 3 novembre suivant. Cet entretien a été reporté au 15 novembre 2016 à la demande de Mme [I] qui n'était pas en état de se déplacer. A la réception du courrier l'informant du report, Mme [I] a informé l'association de son impossibilité physique de se rendre à cet entretien.

Dans une lettre recommandée datée du 16 novembre 2016, l'association lui a donc présenté les griefs retenus à son encontre à laquelle Mme [I] a répondu le 21 novembre suivant.

Par lettre recommandée en date du 2 décembre 2016, l'association a notifié à Mme [I] son licenciement pour faute grave.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 13 juillet 2017.

Par jugement du 20 septembre 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté l'association de sa demande reconventionnelle ;

- condamné Mme [I] aux dépens.

Par déclaration du 26 novembre 2021, Mme [I] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 février 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [I] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

en conséquence, réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée des demandes formulées à l'encontre de l'association ;

statuant à nouveau,

- condamner l'association à lui payer les sommes suivantes :

* 21 745,72 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

* 1 540,31 euros à titre de rappel d'indemnité légale de licenciement ;

* 32 618,58 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 3 261,85 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire ;

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la remise par l'association de l'attestation Pôle emploi, des bulletins de paye et du certificat de travail, sous astreinte de 50 euros par jour de retard 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner l'association aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 mai 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'association nouvellement dénommée APF France Handicap demande à la cour de :

sur la rupture du contrat de travail :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement pour faute grave bien fondé ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] des sommes suivantes :

* 21 745,72 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif ;

* 1 540,31 euros à titre d'indemnité légal de licenciement ;

* 32 618,58 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 3 261,85 euros au titre des congés payés afférents ;

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande au titre de la remise de l'attestation Pôle Emploi conforme, des bulletins de paie et du certificat de travail sous astreinte de 50 euros par jours de retard ;

en conséquence,

- débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail ;

sur les autres demandes :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau,

- débouter Mme [I] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première comme en deuxième instance ;

- condamner Mme [I] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance ;

- condamner Mme [I] à lui verser la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en instance d'appel ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [I] aux dépens ;

- condamner Mme [I] aux dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 septembre 2023.

MOTIVATION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :

« (') Nous vous avons régulièrement convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave prévu le 3 novembre 2016 à 18 h.

Par courrier du 25 octobre 2016 vous nous avez demandé de reporter la date de cet entretien ce que nous avons accepté par courrier du 3 novembre 2016. L'entretien préalable a été fixé au 15 novembre 2016, à 18 h.

Cependant, vous nous avez informés par courrier du 7 novembre 2016 que vous ne vous rendriez pas à cet entretien.

Eu égard à la gravité des manquements que nous avons à votre encontre, nous n'avons pas eu d'autres possibilités que de vous présenter nos griefs par courrier du 16 novembre 2016, et ce afin de vous permettre d'y répondre, dans le respect d'une procédure contradictoire.

Par courrier du 21 novembre 2016 vous nous avez transmis vos observations sur nos griefs.

Toutefois, celles-ci ne nous ont malheureusement pas permis de modifier notre appréciation des faits et nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave, pour les motifs rappelés ci-après.

A titre liminaire, il est rappelé que vous avez été engagée à compter du 1er juillet 2015 en qualité de Directrice de la Maison d'Accueil Spécialisée de [Localité 5], établissement en création dont l'ouverture officielle était programmée le 14 septembre 2015.

En qualité de Directrice d'un établissement vous avez notamment la charge de la conduite de la définition et de la mise en 'uvre du projet d'établissement, la gestion et l'animation des ressources humaines, la gestion budgétaire et comptable, la gestion administrative, technique et logistique.

A cet effet, vous êtes titulaire d'une délégation de pouvoirs pleine et entière. De plus, outre votre expérience significative dans le secteur à des postes de Direction, vous disposiez des moyens matériels, humains et financiers nécessaires à l'exercice de vos fonctions. Enfin, et contrairement à vos observations écrites du 21 novembre 2016, le soutien de la Direction Régionale Ile de France a été totale depuis votre prise de poste.

Toutefois, et à notre plus grande consternation, nous avons découvert, après la réception le 26 août 2016 du rapport de l'ARS et dans le cadre de l'intérim mis en place depuis le mois de septembre 2016, que vous aviez orchestré une véritable dissimulation de l'ampleur des dysfonctionnements présents au sein de la Maison d'Accueil Spécialisée.

Vous avez ainsi sciemment occulté la gravité de la désorganisation de l'établissement auprès de la Direction Régionale.

A ce titre, nous avons notamment découvert le 18 octobre, un échange de mail en date du 21 juillet 2016 entre une candidate au poste de chef de service et vous-même où vous sollicitez expressément la modification du rapport réalisé par cette dernière à destination de la Direction Régionale, que vous jugiez à charge contre la Direction de l'établissement. Un tel comportement n'est pas acceptable d'autant qu'il a perduré sur les mois de juillet et août 2016 en présence de Monsieur [D] (responsable régional de l'Offre de service) que vous avez sciemment maintenu, malgré sa présence physique dans l'établissement, à l'écart des réelles difficultés de l'établissement.

Cette dissimulation a ainsi couvert l'ensemble des champs de votre activité pour la MAS de sorte que nous avons découvert, à compter de votre absence, un établissement dangereux pour les personnes accueillies.

Risque sanitaire / Prise en charge des résidents:

Malgré les rapports de l'ARLIN et leurs alertes répétées, l'inspection de l'ARS du 19 juillet 2016, suivie d'un rapport alarmiste et catastrophique réceptionné le 26 août 2016, aucune procédure de soins et d'hygiène n'a été mise en place et a engendré des dysfonctionnements sanitaires inimaginables dans un établissement médico-social. Les règles d'hygiène de base étaient non respectées: (lavage mains, protections, gestion du matériel ...) et ont mis en danger les personnes accueillies.

Gestion des Ressources Humaines :

Pendant votre période d'absence à compter du 26 août 2016, dans le cadre de l'intérim mis en place, nous avons dressé un constat catastrophique de la gestion des Ressources Humaines :

Aucune action de formation ou d'adaptation sérieuse en lien avec les attentes et les besoins de l'établissement mis en lumière par l'ARS et l'ARLIN

Aucun suivi du temps de travail pertinent et efficient mettant ainsi en cause la continuité des soins

Aucun cadre juridique: fonctionnement en mode « libéral » d'un établissement sanitaire : encouragement d'une autogestion par le personnel

Gestion de la sanction disciplinaire défaillante face au comportement inadapté de salarié

Aucun management: Instauration d'un climat « clanique » entre les professionnels notamment de soins et de nursing

Organisation et fonctionnement de la MAS:

La prise en charge des personnes ayant des handicaps importants n'a pas été prise en compte dans l'organigramme de la MAS. Des personnels non qualifiés ont été recrutés et pérennisés en inadéquation totale avec nos obligations légales et règlementaires en la matière.

Aucune procédure d'évacuation d'urgence, de plan canicule, plus généralement une formalisation de protocole quasi inexistante tout comme des fiches de traçabilité qui sont pourtant le B.A.B.A de toute structure.

La transmission de la bactérie BMR/BHRe et la persistance de cette infection ont mis en péril la santé et la sécurité des personnes.

Une telle absence de procédure et d'organisation de la structure est impensable et dangereuse.

Contrairement à vos explications, vous n'avez jamais formalisé, auprès de votre hiérarchie, l'existence d'une situation à ce niveau de désorganisation et de dangerosité pour nos résidents.

Vous continuez d'ailleurs à minimiser la situation en considérant, par exemple, avoir suivi les recommandations de l'ARLIN. Il n'en est rien, le rapport de l'ARS communiqué le 26 août 2016, confirmé par les observations réalisées depuis le mois de septembre 2016, démontre qu'au contraire, l'établissement n'avait aucunement pris en compte les recommandations de l'ARLIN.

La santé et la sécurité des résidents, la pérennité de l'établissement et l'image de l'APF ont été sérieusement ébranlées par votre comportement d'une défaillance extrême

Ces dysfonctionnements majeurs ont risqué une perte de l'agrément de la structure. Nous mettons en 'uvre aujourd'hui un plan d'actions strict avec de nombreux rendez-vous avec l'ARS pour sauvegarder notre agrément.

Une telle situation est totalement inadmissible et irresponsable.

Nous déplorons que vous ayez dissimulé l'ampleur de la désorganisation et des dysfonctionnements mettant en cause la santé, la sécurité des résidents et la pérennité même de l'établissement.

Compte tenu de ce qui précède, nous vous informons que nous avons pris la décision de vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement à la date d'envoi de cette lettre, sans indemnité de préavis, ni de licenciement. (') ».

* sur le bien-fondé du licenciement

Mme [I] observe que, suivant la convention collective, le licenciement d'un salarié victime d'un accident du travail ne peut intervenir au cours des périodes de suspension de son contrat de travail dues à l''accident que si l'employeur justifie d'une faute grave de l'intéressé. Elle soutient que c'est la raison pour laquelle l'association lui a notifié un licenciement pour faute grave.

Mme [I] observe également que l'association a tardé à réagir puisqu'elle a attendu le 20 octobre 2016 pour la convoquer à un entretien préalable alors que l'association se fonde sur un rapport de l'ARS reçu le 26 août 2016 qu'elle qualifie d'« alarmiste et catastrophique ». Elle fait valoir que, même lorsque les faits ne sont pas prescrits, la Cour de cassation exige que la procédure soit mise en 'uvre dans un délai restreint.

Mme [I] observe encore que l'association se garde d'évoquer un point souligné par l'ARS : le cumul de ses fonctions de directrice à la MAS et l'intérim de direction du SAVS-SAMSAH APF à [Localité 6]. Elle fait valoir que l'ARS a rappelé que cette organisation ne pouvait être proposée ni mise en place sans son autorisation et qu'en vertu du procès-verbal de conformité du 29 septembre 2015, Mme [I] devait assurer ses fonctions de directrice de la MAS à temps plein. Mme [I] fait également valoir que ce rappel de l'ARS est de nature à remettre en cause les griefs que l'association lui fait ; que l'accident de trajet survenu le 26 août 2016 ne peut être dissocié de sa surcharge de travail. Elle fait encore valoir que si la faute reprochée au salarié est la conséquence d'un manquement de l'employeur, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Ce à quoi l'association réplique que Mme [I], forte de son expérience professionnelle, avait reçu une « délégation de pouvoir et de signature du directeur général au directeur de structure » à effet du 1er juillet 2015 dans les domaines suivants : « conduite de la définition et de la mise en 'uvre du projet de la ou les structures qu'il dirige » ; « gestion et animation des ressources humaines » ; « gestion budgétaire, financière et comptable » ; « gestion administrative, technique et logistique » ; « coordination avec les institutions et intervenants extérieurs et les représentations de l'APF ».

L'association réplique également que Mme [I] lui a dissimulé l'ampleur des dysfonctionnements majeurs au sein de la MAS à l'origine d'un risque pour la santé et la sécurité des résidents ainsi que pour la pérennité de l'établissement ; qu'elle ainsi violé son obligation de loyauté. L'association réplique encore que Mme [I] a été défaillante dans l'organisation et la gestion de la MAS et qu'elle n'a pas pris les mesures qui s'imposaient et qu'il lui incombait de prendre en sa qualité de directrice titulaire de la délégation de pouvoir.

L'association fait valoir qu'elle a découvert la situation chaotique au sein de la MAS à la réception du rapport de l'ARS le 26 août 2016 et qu'elle n'avait pas été informée des alertes de l'Agence Régionale de Lutte contre les Infections Nosocomiales (ARLIN) remontant à février 2016.

En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail, la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

Tout d'abord, la cour relève que Mme [I] ne soulève pas la prescription des faits qui lui sont reprochés. La salariée considère néanmoins que la réaction de l'employeur a été tardive. Or, il ressort des pièces versées aux débats que :

- le directeur général de l'association, M. [R] [N], a informé l'ARS le 30 août 2016 d'une mission d'audit interne pour mener un plan d'action de correction ;

- M. [G] [J], directeur de transition de la MAS, a rendu compte les 28 et 30 septembre 2016 des actions effectuées au cours de ce mois de septembre pour prendre la mesure en interne des dysfonctionnements ;

- l'ARS a notifié à M. [N] en date du 28 septembre 2016 reçue le 5 octobre suivant les injonctions et prescriptions qui avaient été exposées en août 2016 sous forme de propositions ;

Il ressort encore des éléments de la cause que Mme [I] a été victime d'un accident de trajet le jour de la réception par l'association du rapport de l'ARS et que, placée en arrêt de travail, elle n'a jamais repris ses fonctions.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la cour conclut qu'il ne peut être reproché à l'association d'avoir agi tardivement en convoquant Mme [I] à un entretien préalable le 20 octobre 2016 soit deux semaines après la notification par l'ARS des injonctions et prescriptions.

* sur les dysfonctionnements constatés par l'ARS au sein de la MAS

Dans sa lettre datée du 19 août 2016 reçue le 26 août suivant par l'association, le directeur général de l'ARS Ile de France a porté à la connaissance de M. [N] le rapport de la mission d'inspection qui s'était déplacée à la MAS le 19 juillet 2016 et l'existence de « non-conformités et manquements susceptibles d'avoir des conséquences graves et immédiates sur la santé, la sécurité, et le bien-être physique ou moral des personnes hébergées ». Elle l'a également informé des propositions d'injonctions et de prescriptions classées par ordre de priorité de mise en 'uvre pour rétablir au sein de la structure « des conditions d'organisation et de fonctionnement garantissant la qualité et la sécurité des prises en charge des personnes hébergées ».

Au rang des injonctions qui sont au nombre de onze, cinq sont assorties d'un délai de mise en 'uvre « immédiat » :

- la première de ces cinq injonctions consiste à « mettre en place un protocole de soins spécifique qui sera affiché dans les chambres des résidents porteurs de BMR ou de BHRe. Ce protocole concerne les soins d'hygiène à réaliser et les précautions à prendre » ;

- la deuxième consiste à « revoir l'organisation des chambres pour qu'aucun matériel de soins ne soit au sol. Le matériel de soins (alimentation/respiration) doit être conservé dans des conditions d'hygiène satisfaisantes » ;

- la troisième consiste à « mettre en place la procédure nettoyage / désinfection dans les salles d'activité (') et afficher au mur la feuille de traçabilité » ;

- la quatrième consiste à « conserver les vaccins et autres produits devant être conservées à basse température, notamment les insulines, dans le réfrigérateur dédié à l'infirmerie (qui doit fonctionner) » ;

- la cinquième consiste à « mettre en place une procédure de nettoyage / désinfection des salles de soins et des chariots de soins, et afficher au mur une feuille de traçabilité (') ».

Les injonctions étaient suivies par des prescriptions dont la cinquième assortie d'un délai de mise en 'uvre « immédiat » consiste à « assurer une traçabilité en permanence de la dispensation des médicaments ».

Il ressort du rapport de la mission d'inspection de l'ARS que :

- la MAS a ouvert le 14 septembre 2015 avec une capacité de 30 places pour accueillir des hommes et des femmes souffrant de handicap moteur sévère et présentant des déficiences neuro-respiratoires et/ou post-traumatiques importantes, âgées d'au moins 18 ans ;

- l'inspection « inopinée » a été diligentée à la suite de plusieurs signalements portant sur de « graves dysfonctionnements dans la prise en charge des patients, notamment sur les aspects hygiène et qualité des soins », notamment celui de l'ARLIN en date du 5 juillet 2016 parce que cinq résidents sur 30 étaient porteurs de BHRe, que le premier cas identifié remontait à décembre 2015 et ce, après des audits sur l'organisation et les soins dans les différentes unités de vie de la structure intervenus les 5 février, 13 et 15 juin 2016 ;

- malgré les recommandations et l'accompagnement actif de l'ARLIN, les mesures mises en place n'ont pas été jugées suffisantes au regard des attentes, compte tenu du risque de contamination ;

- à la suite de la première visite de l'ARLIN le 5 février 2016, quelques points critiques à risque infectieux avaient été repérés et des recommandations sur des actions à mettre en place avaient été transmises au cadre infirmier et à la direction ;

- outre le signalement de l'ARLIN, un résident de la structure avait fait une réclamation le 4 février 2016 et, en mars 2016, dans le cadre d'un événement lié à la sécurité incendie, un agent de la Croix-Rouge qui intervenait avec le SAMU92 avait fait état de « DASRI » dont l'entreposage n'était pas conforme et d'un délai de réactivité de la directrice inadapté à la situation d'urgence.

Ces éléments qui se rapportent au risque sanitaire et à la prise en charge des résidents visés dans la lettre de licenciement constituent une violation par Mme [I] des obligations résultant de son contrat de travail et de la délégation de pouvoir.

* sur la dissimulation des dysfonctionnements à l'employeur

L'association démontre qu'elle n'a pas eu connaissance de la situation et de sa gravité avant le 26 août 2016 de sorte que le grief est caractérisé.

S'il est exact que l'ARS a désapprouvé l'intérim qui a été confié à Mme [I] à compter du 3 juin 2016 en sus de ses fonctions de directrice à temps plein de la MAS, la période à partir de laquelle ce cumul a eu lieu est postérieure de plusieurs mois à la première visite de l'ARLIN et n'a commencé que deux semaines avant l'audit de juin 2016 de sorte que le lien de causalité entre la surcharge de travail de Mme [I] qui a pu résulter de ce cumul et la persistance des dysfonctionnements en juin et juillet 2016 n'est pas caractérisé.

Dans ces circonstances, les deux griefs retenus par la cour sont suffisants et d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien de la salariée dans l'établissement et nécessite son départ immédiat sans indemnité ' sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs tirés de la gestion des ressources humaines et de l'organisation et du fonctionnement de la MAS et visés dans la lettre de licenciement.

Le licenciement pour faute grave est donc fondé et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur les conséquences du licenciement

Le licenciement pour faute grave étant fondé, corollairement, Mme [I] sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement abusif, de ses demandes d'indemnités légale de licenciement et de préavis ainsi que des congés payés afférents. Partant, la décision des premiers juges sera confirmée à ces titres.

Mme [I] sera également déboutée de sa demande relative à la remise des documents de fin de contrat. La décision des premiers juges sera également confirmée à ce titre.

Sur les autres demandes

* sur les dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire

Mme [I] se borne à soutenir, dans ses conclusions, qu'elle a été licenciée dans des conditions brutales et vexatoires sans démontrer en quoi les conditions étaient telles.

L'association réplique qu'elle a reporté la date de l'entretien préalable à la demande de Mme [I] et qu' en l'absence de la salariée à cet entretien, malgré le report, elle lui a présenté par écrit les griefs qu'elle lui faisait. L'association réplique également que Mme [I] ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué.

En l'espèce, Mme [I] ne présentant pas d'argumentaire à l'appui de son appel de ce chef de jugement, la décision des premiers juges qui l'a déboutée de cette demande sera confirmée.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

Mme [I] sera condamnée aux dépens en appel, la décision des premiers juges étant confirmée sur les dépens.

Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles, la décision des premiers juges les ayant déboutées toutes les deux de leurs demandes à ce titre étant confirmée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [P] [I] aux dépens en appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09739
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;21.09739 ?
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