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04/04/2024 | FRANCE | N°21/09601

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 04 avril 2024, 21/09601


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 04 AVRIL 2024



(n° 2024/ , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09601 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEWCB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/1135





APPELANTE



SA REGY

[Adresse 2]

[Locali

té 3]

Représentée par Me Stéphane BRUSCHINI-CHAUMET, avocat au barreau de PARIS, toque : B 761





INTIMEE



Madame [R] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Nicolas BORDACA...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 04 AVRIL 2024

(n° 2024/ , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09601 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEWCB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/1135

APPELANTE

SA REGY

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane BRUSCHINI-CHAUMET, avocat au barreau de PARIS, toque : B 761

INTIMEE

Madame [R] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Nicolas BORDACAHAR, avocat au barreau de PARIS, toque : D1833

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre et de la formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er septembre 2016, la société Regy (ci-après la société) a embauché Mme [R] [B] en qualité de gestionnaire de copropriété, catégorie cadre, niveau C1, moyennant un salaire forfaitaire brut de 48 100 euros soit un salaire de 3 700 euros bruts par mois versé sur treize mois « indépendamment du nombre d'heures de travail réellement effectué ». Il est précisé que la prime de 13e mois sera versée pour un douzième chaque mois.

Le contrat stipule que, « compte tenu de la nature de ses fonctions, de son niveau de responsabilité et de son degré d'autonomie dans l'organisation de son emploi du temps », la salariée n'est pas soumise à l'horaire collectif et que « sa durée forfaitaire de travail est fixée à 218 jours par an ».

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale de l'immobilier, administrateurs de biens, sociétés immobilières, agents immobiliers, etc. du 9 septembre 1988 et employait moins de onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Par lettre remise en main propre le 17 avril 2019, la société a convoqué Mme [B] à un entretien préalable à une rupture conventionnelle fixé au 18 avril 2019.

La rupture conventionnelle a été signée le 5 juillet 2019 et le contrat de travail a pris fin le 15 août 2019.

Estimant ne pas être remplie de tous ses droits, Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 20 décembre 2019.

Par jugement du 15 octobre 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- condamné la société à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

* 24 048 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu'au jour du paiement ;

- rappelé qu'en vertu de l'article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et fixé cette moyenne à la somme de 4 008 euros ;

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la remise des documents sociaux conformes ;

- débouté Mme [B] du surplus de ses demandes ;

-débouté la société de sa demande reconventionnelle et la condamner au paiement des dépens.

Par déclaration du 22 novembre 2021, la société a régulièrement interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 juillet 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- ordonner que l'action engagée est recevable, bien fondée et y faire droit ;

- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- annuler le jugement ;

et statuant à nouveau,

à titre principal,

- ordonner qu'il n'y a pas travail dissimulé ;

à titre subsidiaire,

- ramener l'indemnité pour travail dissimulé à 1 000 euros ;

en tout état de cause,

- condamner Mme [B] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, incluant la procédure de première instance et la procédure devant la cour ;

- condamner Mme [B] aux entiers frais d'exécution, lesquels comprendront ceux de la présente décision et les sommes retenues par les dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 ;

- condamner Mme [B] aux dépens, dont distraction, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, au profit de Me Stéphane Bruschini-Chaumet, avocat aux offres de droit.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 avril 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [B] demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

* 24 048 euros d'indemnité pour travail dissimulé ;

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour versement tardif du salaire ;

et statuant à nouveau,

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 500 euros de dommages-intérêts pour versement tardif du salaire ;

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la prise en charge des éventuels dépens de l'instance par la société appelante au visa des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- ordonner la remise d'un bulletin de paie conforme à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 septembre 2023.

MOTIVATION

La société sollicite l'annulation du jugement. Toutefois, elle n'explicite pas cette demande dans les motifs de ses conclusions et se borne, à l'occasion de la contestation du chef de jugement l'ayant condamnée à verser une indemnité pour travail dissimulé, à conclure que le jugement sera annulé sans préciser la cause de nullité du jugement. Partant, eu égard aux articles 458 et 562 du code de procédure civile, la demande d'annulation du jugement sera rejetée.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

La société demande qu'il soit « ordonné » qu'il n'y a pas eu de travail dissimulé et reproche aux premiers juges d'avoir considéré qu'il y en avait eu un par le biais de paiement d'indemnités kilométriques à la salariée alors que celle-ci disposait d'un titre de transport en commun mensuel. La société expose que, lorsque le salarié doit utiliser son véhicule personnel pour les besoins de son activité professionnelle, l'employeur peut lui verser pour l'indemniser des allocations forfaitaires qui peuvent être exonérées de cotisations sociales dans la limite des montants fixés par le barème fiscal des indemnités kilométriques. La société précise que ce barème fiscal est fixé annuellement et couvre les véhicules de 3 à 7 CV et que ce plafonnement s'applique en matière sociale. La société expose encore que le salarié peut être également remboursé de ses frais professionnels sur la base de justificatifs, en prouvant les kilométrages privés et professionnels.

La société fait valoir qu'en l'espèce, lorsque Mme [B] assurait la tenue des assemblées générales entre mai et juin, elle était amenée à rentrer chez elle tard dans la soirée et qu'à ce titre, elle utilisait son véhicule personnel pour rentrer à son domicile à [Localité 4] (77).

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour considérerait qu'il y a eu travail dissimulé, la société demande que le montant de l'indemnité soit ramené à la somme forfaitaire de 1 000 euros en l'absence de préjudice démontré.

Ce à quoi Mme [B] réplique que ses relevés bancaires révèlent que l'employeur lui versait, à titre de complément de salaire, des « indemnités kilométriques » sans que les sommes ne soient mentionnées sur ses bulletins de paie et sans qu'elles soient déclarées par la société. Mme [B] conteste avoir utilisé son véhicule personnel à des fins professionnelles et fait valoir qu'elle utilisait les transports en commun, ce dont l'employeur était informé. Mme [B] fait également valoir que la société ne verse aux débats aucune pièce justifiant de prétendus trajets avec son véhicule personnel pour des besoins professionnels, notamment lors de la tenue des assemblées générales de copropriétaires. Mme [B] fait encore valoir que ce subterfuge lui cause un préjudice au regard des cotisations retraite.

Selon l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 du code du travail prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Le fait pour un employeur de verser à sa salariée un complément de rémunération par le biais du versement de prétendus frais kilométriques caractérise un travail dissimulé et l'intention de se soustraire au paiement du salaire et des charges sociales afférentes est également caractérisée.

En l'espèce, l'examen des relevés bancaires de Mme [B] fait apparaître l'existence de virements aux dates suivantes par l'employeur pour des indemnités kilométriques :

* 7 novembre 2016 : 1 722 euros

* 4 septembre 2017 : 1 700 euros ;

puis sans précision sur le motif des sommes versées, les virements suivants :

* 3 octobre 2017 : 1 700 euros ;

* 2 août 2017 : 1 701 euros ;

* 4 avril 2017 : 1 601,78 euros ;

* 2 juillet 2018 : 1 901,27 euros ;

* 31 juillet 2018 : 1 708 euros ;

* 4 septembre 2018 : 1 756 euros.

L'ensemble de ces virements s'ajoutaient au paiement du salaire mensuel.

Or, la société, qui soutient que ces sommes correspondaient au paiement d'indemnités kilométriques, ne produit aucun élément en ce sens tels que les demandes de paiement émanant de Mme [B], un décompte et les justificatifs de la salariée à l'appui de la prétendue utilisation de son véhicule personnel à des fins professionnelles.

Dans ces conditions, ces sommes apparaissent comme constituant un supplément de rémunération non exonéré de cotisations sociales et devant figurer sur les bulletins de salaire. En l'absence d'accomplissement des diligences requises aux 2° et 3° de l'article L. 8221-5 du code du travail, le travail dissimulé est caractérisé et l'intention frauduleuse résulte sans équivoque du choix d'une qualification inappropriée dispensant l'employeur du versement des cotisations sociales dans la limite du barème fiscal applicables en matière d'indemnités kilométriques.

Partant, la société sera condamnée à payer à Mme [B] l'indemnité forfaitaire de six mois prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail soit la somme de 24 048 euros. La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur la remise d'un bulletin de paie conforme à la décision

La société devra remettre à Mme [B] un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les dommages-intérêts pour versement tardif du salaire

Mme [B] rappelle que le contrat de travail s'exécute de bonne foi et expose que la société, qui s'était engagée à lui régler la somme de 850 euros à titre d'impayé en août 2019, ne lui avait pas réglé cette somme lors de la remise du solde de tout compte et ne la lui a payée que le 24 septembre 2019 à la suite d'une mise en demeure. Mme [B] fait valoir que cette situation d'attente lui a causé un préjudice financier dont elle demande réparation.

Suivant l'article 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Aux termes de l'article 1236-1 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.

En l'espèce, la cour relève que l'obligation de payer à la salariée la somme de 850 euros à titre de rappel de salaire intervenue le 24 septembre 2019 n'est pas contestée en son principe et que ladite somme a été réglée par l'employeur sans mention dans le solde de tout compte.

Néanmoins, Mme [B] qui, du seul fait de ce retard, peut prétendre au versement de l'intérêt au taux légal à titre de dommages-intérêts, ne justifie d'un préjudice distinct pouvant alors être indemnisé par des dommages-intérêts distincts de l'intérêt au taux légal.

Par conséquent, Mme [B] sera déboutée de sa demande et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens en appel, la décision des premiers juges étant confirmée sur les dépens.

La société sera également condamnée à payer à Mme [B] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant confirmée sur les frais irrépétibles.

Enfin, la société sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

Rejette la demande d'annulation du jugement ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Ordonne à la société Régy de remettre à Mme [R] [B] un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision ;

Condamne la société Régy à payer à Mme [R] [B] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Régy aux dépens en appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09601
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;21.09601 ?
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