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03/04/2024 | FRANCE | N°21/22210

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 5, 03 avril 2024, 21/22210


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5



ARRET DU 03 AVRIL 2024



(n° /2024, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/22210 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3YM



Décision déférée à la Cour : jugement du 16 novembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 19/15113







APPELANTE



Madame [X] [F]

[Adresse 4]

[Local

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Représentée et assistée à l'audience par Me Sandrine ZALCMAN de la SELEURL CABINET SANDRINE ZALCMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0485







INTIMEE



S.C.C.V. [Adresse 7] pri...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5

ARRET DU 03 AVRIL 2024

(n° /2024, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/22210 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3YM

Décision déférée à la Cour : jugement du 16 novembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 19/15113

APPELANTE

Madame [X] [F]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée et assistée à l'audience par Me Sandrine ZALCMAN de la SELEURL CABINET SANDRINE ZALCMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0485

INTIMEE

S.C.C.V. [Adresse 7] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Emmanuelle CHOUAIB-MARTINELLI de la SELAS ORATIO AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ludovic JARIEL, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Ludovic Jariel, président de chambre

Mme Sylvie Delacourt, présidente faisant fonction de conseillère

Mme VIviane Szlamovicz, conseillère

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre DARJ

ARRET :

- contradictoire.

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Ludovic JARIEL, président de chambre et par Manon CARON, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 16 février 2017, la société [Adresse 7] a, dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement, consenti à Mme [F] une réservation portant sur un appartement de trois pièces et une place de stationnement dans un groupe d'immeubles à construire sur un terrain sis [Adresse 2] et [Adresse 1] à [Localité 8], moyennant un prix de 323 000 euros TTC.

L'article 3.4 de ce contrat fixait le délai prévisionnel de livraison dans le mois qui suit l'achèvement prévisionnel des travaux, prévu au 4ème trimestre 2018. Il précisait que ce délai serait suspendu du double de nombre de jours de retards pouvant être justifiés s'il survient un cas de force majeure et/ou une cause légitime de suspension du délai de livraison.

A la requête de la société [Adresse 7], le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a, suivant décision du 1er juin 2017, ordonné une expertise et désigné M. [R] avec pour mission de donner un avis, notamment, sur l'incidence possible du projet de construction sur l'état des bâtiments voisins.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 13 octobre 2017, la société [Adresse 7] a informé Mme [F] que " les travaux de construction de votre immeuble débuteront à la fin du mois d'octobre pour une durée totale de 18 mois. En conséquence, la date prévisionnelle d'achèvement de votre résidence a été recalée à la fin du 1er trimestre 2019. La date de livraison de votre logement sera donc également reportée d'autant. "

Le 26 décembre 2017, la société [Adresse 7] a vendu en l'état futur d'achèvement à Mme [F] les biens, objet du contrat de réservation, pour un prix de 323 000 euros, exigible en fractions échelonnées, au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

L'acte de vente fixait l'achèvement des travaux au plus tard le 31 mars 2019 et la livraison dans le mois suivant, soit au plus tard le 30 avril 2019, sauf survenance d'un cas de force majeure et ou plus généralement d'une cause légitime de suspension du délai de livraison.

Mme [F] a financé son acquisition au moyen d'un prêt consenti par la Banque populaire rives de Paris pour un montant de 328 680 euros.

Par lettre en date du 2 août 2018, la société [Adresse 7] a informé Mme [F] qu'elle subissait des contraintes techniques, liées à la présence d'eau sur le terrain, qui retardaient l'avancement du chantier et rendaient incertaine la date de livraison annoncée.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 décembre 2018, la société [Adresse 7] a indiqué à Mme [F] que " [elle avait] élaboré un nouveau planning des travaux, et nous estimons une livraison de votre bien au deuxième trimestre 2020 ", justifiant le retard par deux causes de suspension de délai.

Par lettre en date du 10 janvier 2019, la société [Adresse 7] a informé Mme [F] de l'achèvement des travaux de fondations et a demandé le règlement de la somme de 16 150 euros, correspondant au stade achèvement des fondations.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 janvier 2019, Mme [F], estimant son préjudice lié au retard de livraison à la somme de 58 209 euros, a demandé à la société [Adresse 7] une compensation.

Dans sa réponse en date du 22 février 2019, la société [Adresse 7] a proposé de prendre en charge le remboursement des intérêts du prêt bancaire et de l'assurance liée au prêt immobilier de Mme [F], soit 34,24 euros par mois, pour la période comprise entre le 30 avril 2019 et la livraison de son bien.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 24 septembre 2019, le conseil de Mme [F] a mis en demeure la société [Adresse 7] de régler à sa cliente la somme de 75 009,30 euros, au titre de l'indemnisation de son préjudice.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 23 octobre 2019, la société [Adresse 7] a rappelé que le retard de livraison du bien était justifié par deux causes légitimes de suspension de délai et formulé une proposition d'indemnisation de Mme [F].

Par acte en date du 23 décembre 2019, Mme [F] a assigné la société [Adresse 7] en condamnation à lui verser la somme de 75 009,30 euros à titre de dommages et intérêts.

Pendant l'instance, la société [Adresse 7] a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 16 juin 2020, informé Mme [F] d'un nouveau retard pris dans l'avancement du chantier en raison des mesures prises dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19.

L'immeuble ayant été achevé en août 2020, la livraison à Mme [F] a été effectuée le 28 septembre 2020.

Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :

Dit que la société [Adresse 7] est responsable de retard dans la livraison du bien immobilier de Mme [F] ;

Condamne la société [Adresse 7] à payer à Mme [F] la somme de 479,30 euros au titre du remboursement des intérêts du crédit immobilier et des frais d'assurance y afférents ;

Rejette les autres demandes de Mme [F] comme étant non fondées ;

Rejette la demande reconventionnelle de la société [Adresse 7] comme étant non fondée ;

Condamne la société [Adresse 7] aux dépens ;

Condamne la société [Adresse 7] à payer à Mme [F] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure ;

Ordonne l'exécution provisoire.

Par deux déclarations en date du 15 décembre 2021, Mme [F] a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la société [Adresse 7].

Par ordonnance en date du 8 mars 2022, le conseiller de la mise en état a joint les deux procédures.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 juillet 2022, Mme [F] demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré abusive la clause de suspension légitime du délai de livraison relative à la présence d'eau, et juger responsable la société [Adresse 7] dans le retard de livraison ;

En conséquence,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [F] de ses demandes au titre de l'indemnisation du retard de livraison, des loyers non perçus et des gains non perçus du fait de l'absence de défiscalisation ;

Statuant à nouveau,

Condamner la société [Adresse 7] au paiement de la somme de 76 446,90 euros à titre de dommages et intérêts ;

Débouter la société [Adresse 7] de toutes ses demandes fins et conclusions y compris de ses demandes reconventionnelles au titre de la clause pénale et de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société [Adresse 7] aux dépens dont le montant pourra être recouvré conformément à l'article 699 du code de procédure civile et au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, la société [Adresse 7] demande à la cour de :

Infirmer le jugement rendu le 16 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :

- dit que la société [Adresse 7] était responsable de retard dans la livraison du bien immobilier de Mme [F] ;

- condamné la société [Adresse 7] à payer à Mme [F] la somme de 479,30 euros au titre du remboursement des intérêts de son crédit immobilier et des frais d'assurance y afférents ;

- rejeté la demande reconventionnelle de la société [Adresse 7] comme étant non fondée ;

- condamné la société [Adresse 7] aux dépens ;

- condamné la société [Adresse 7] à payer à Mme [F] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirmer le jugement rendu le 16 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :

- rejeté les autres demandes de Mme [F] comme étant non fondées ;

Statuant à nouveau :

A titre principal :

Débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'égard de la société [Adresse 7] ;

A titre subsidiaire :

Réduire à de plus justes montants le quantum de l'indemnisation octroyée à Mme [F] au titre du retard de livraison de son bien ;

A titre reconventionnel :

Condamner Mme [F] à verser à la société [Adresse 7] la somme de 4 202,98 euros à titre de pénalités de retard de paiement du prix de vente ;

En conséquence,

Ordonner la compensation judiciaire entre les condamnations éventuellement prononcées à l'encontre de la société [Adresse 7] et les pénalités de retard de paiement du prix de vente dues à cette dernière par Mme [F] ;

Dans tous les cas,

Condamner Mme [F] à verser à la société [Adresse 7] la somme de 14 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [F] aux entiers dépens de l'instance.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 6 février 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 14 février 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur la validité de la clause de suspension du délai de livraison

Moyens des parties

Mme [F] soutient que c'est de mauvaise foi que la société [Adresse 7] se prévaut de la clause de suspension tenant à la résurgence d'eau alors que, dans sa lettre du 23 octobre 2019, elle reconnaissait qu'un rapport de la société Geolia de juin 2017 avait relevé l'existence d'un risque géotechnique fort d'inondation par submersion.

Elle en déduit, qu'en application de l'article L. 212-1 du code de la consommation, cette clause relative au sous-sol, dont la société [Adresse 7] savait qu'elle allait nécessairement se déclencher, est abusive.

En réponse, la société [Adresse 7] fait valoir que la clause de suspension du délai de livraison est validée en jurisprudence.

Elle relève, qu'au cas d'espèce, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle a, antérieurement à la signature de l'acte de vente, entrepris des actions afin de purger le risque d'inondation dû à la présence d'eau qu'avait révélé la société Géolia, et, qu'en tout état de cause, aucun des sondages réalisés avant le démarrage du chantier ne permettait de prévoir les difficultés réelles rencontrées lors de la réalisation des travaux.

Elle en infère que la clause de suspension tirée de la découverte d'anomalies du sous-sol telle que la présence ou résurgence d'eau n'est pas abusive et, souligne, qu'elle n'a aucunement fait preuve de mauvaise foi dès lors qu'elle avait transmis l'ensemble des informations en sa possession relativement à ce risque.

Réponse de la cour

Selon l'article 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.

Il est établi que la clause d'un contrat de vente en l'état futur d'achèvement conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur qui stipule qu'en cas de cause légitime de suspension du délai de livraison du bien vendu, justifiée par le vendeur à l'acquéreur par une lettre du maître d''uvre, la livraison du bien vendu sera retardée d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier n'a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et, partant, n'est pas abusive (3e Civ., 24 octobre 2012, pourvoi n° 11-17.800, Bull. 2012, III, n° 152 ; 3e Civ., 23 mai 2019, pourvoi n° 18-14.212, publié au Bulletin).

Au cas d'espèce, aux termes du III de l'article 1er du chapitre 3 de l'acte de vente en l'état futur d'achèvement relatif au délai d'exécution des travaux, " Le VENDEUR s'oblige à mener les travaux de telle manière que les ouvrages et les éléments définis ci-dessus soient achevés au plus tard le TRENTE ET UN MARS DEUX MILLE DIX-NEUF (31 mars 2019) et livrés dans le mois suivant, soit au plus tard le TRENTE AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF (30 avril 2019) sauf survenance d'un cas de force majeure et ou plus généralement d'une cause légitime de suspension du délai de livraison.

Seront considérées comme causes légitimes de suspension du délai de livraison les événements suivants :

- les intempéries dûment constatées par une attestation du maître d''uvre en charge de la direction des travaux et suivant le récapitulatif des journées d'intempéries, relevées auprès de la station météorologique la plus proche du chantier,

(')

- la découverte de zones de pollution ou de contaminations des terrains d'assiette de l'opération ou d'anomalies du sous-sol telles que notamment présence ou résurgence d'eau, nature hétérogène du terrain aboutissant à des remblais spéciaux ou à des fondations spécifiques ou à des reprises en sous 'uvre des immeubles voisins et plus généralement tous éléments dans le sous-sol susceptibles de nécessiter des travaux non programmés complémentaires et nécessitant un délai complémentaire pour leur réalisation,

(')

- les troubles résultant d'hostilité, attentats, cataclysme, incendie, inondations ou accidents de chantier, et d'une manière générale, les causes et difficultés ne pouvant être imputées à la faute du VENDEUR ;

(')

Pour l'appréciation des événements ci-dessus évoqués, les parties, d'un commun accord, déclarent s'en rapporter dès à présent à un certificat établi par le maitre d''uvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus ci-dessus.

S'il survenait un cas de force majeure ou une cause légitime de suspension de délai de livraison, l'époque prévue pour l'achèvement des biens serait différée du double du temps égal à celui pendant lequel l'évènement considéré aurait mis obstacle à la poursuite des travaux. "

Si une telle clause n'est pas en soi de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, elle peut toutefois le devenir au regard des circonstances entourant sa conclusion.

Au cas présent, dans sa lettre adressée le 23 octobre 2019 au conseil de Mme [F], la société [Adresse 7] a relevé que, contrairement à ce qui lui était reproché, elle avait bien procédé, préalablement aux travaux, à des sondages par un géotechnicien pour connaître la nature des sols.

Détaillant les opérations ainsi réalisées, elle précisait avoir, en novembre 2015, fait appel à Georisk et, en juin 2017, à Geolia.

Du premier rapport, il était ressorti, selon elle, que des adaptations étaient prévues afin, d'une part, de terrasser hors d'eau et assurer la protection du sous-sol en phase définitive, d'autre part, d'adapter le système de fondation à l'hétérogénéité des sols d'assises et à leur relative faiblesse mécanique.

Du second rapport, il était ressorti, selon elle, l'existence d'un risque géotechnique fort d'inondation par submersion.

Pour les premiers juges, faute pour la société [Adresse 7] d'établir avoir supprimé ledit risque antérieurement à la conclusion de l'acte de vente, la clause l'intégrant dans les causes légitimes de suspension créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Autrement dit, la connaissance de l'existence du risque aurait pour effet de déséquilibrer la relation contractuelle et la validité de la clause dépendrait donc de son imprévisibilité.

Or, c'est faire ainsi de l'imprévisibilité, l'un des critères de la force majeure, une condition de la cause légitime de suspension alors qu'elle est pourtant une notion juridique distincte.

De plus, c'est l'objet même d'une telle clause que de prémunir le vendeur en l'état futur d'achèvement de la survenance d'événements qu'il sait susceptibles de se réaliser.

Il n'en serait différemment que s'il était établi que l'évènement en cause ne risquerait pas de se produire mais s'était, au jour de la conclusion de l'acte de vente, déjà réalisé.

Une telle preuve n'étant pas rapportée en l'occurrence, il y a lieu de considérer que la clause litigieuse n'a pas créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, de sorte qu'elle n'est pas abusive.

Par ailleurs, Mme [F] ne rapporte pas la preuve que la société [Adresse 7] aurait usé de mauvaise foi de cette clause.

Sur l'application de la clause de suspension du délai de livraison

Moyens des parties

La société [Adresse 7] soutient que le délai de livraison ayant, conformément aux stipulations contractuelles, été suspendu de 392 jours ouvrés, la livraison devait intervenir au 19 novembre 2020 au plus tard, de sorte qu'aucun retard ne saurait lui être imputé.

En réponse, Mme [F] fait valoir, qu'une fois retirées les anomalies en sous-sol pour 118 jours de suspension, il ne reste que 45 jours de suspension doublé à 90 jours, soit, comme l'ont retenu les premiers juges, un retard de 426 jours.

Réponse de la cour

Il a été convenu à l'acte de vente que l'achèvement des travaux devait intervenir, au plus tard, le 31 mars 2019 et la livraison dans le mois suivant, soit, au plus tard, le 30 avril 2019.

Or, l'immeuble n'ayant été achevé qu'en août 2020, la livraison à Mme [F] n'a été effectuée que le 28 septembre 2020.

La société [Adresse 7] se prévaut toutefois de la survenance de plusieurs causes de suspensions légitimes du délai de livraison et produit, en ce sens, deux attestations du maître d''uvre respectivement en date des 7 novembre 2018 et 28 mai 2020.

De l'examen de la première au regard des stipulations contractuelles, il résulte, en effet, que le retard pris est justifié à hauteur de 163 jours en raison, d'abord, de la découverte, lors des terrassements-voiles par passes, de débords des fondations de l'immeuble mitoyen (10 jours ouvrés), ensuite, de la découverte d'anomalies du sous-sol lors des travaux de voiles par passes en limites des fonds voisins avec d'importantes résurgences d'eau (118 jours ouvrés), enfin, des intempéries ayant interrompu le chantier suivant relevés météorologiques de la station de Villacoublay (35 jours ouvrés).

De l'examen de la seconde au regard des stipulations contractuelles, il résulte, en effet, que le retard pris est justifié à hauteur de 33 jours ouvrés en raison des mesures prises dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 tenant, d'abord, à l'interruption totale du chantier dans l'attente de la fourniture des équipements sanitaires conformes aux prescriptions de l'OPPBTP et de la reprise d'activité des fournisseurs et entreprises (23 jours ouvrés), ensuite, à la mise en conformité avant reprise d'activité, sur une durée de 2 jours ouvrés, des installations du chantier aux préconisations gouvernementales (2 jours ouvrés), enfin, à la perte de productivité liée à la réduction des effectifs sur site pour respecter les mesures sanitaires applicables (8 jours ouvrés).

En application de la clause relative au délai d'exécution des travaux, l'époque prévue pour l'achèvement des biens a donc été différée du double du temps égal à celui pendant lequel l'évènement considéré a mis obstacle à la poursuite des travaux, soit, en l'occurrence, au 19 novembre 2020 ([(163+33) x 2] = 392 jours ouvrés).

Par suite, en livrant son bien à Mme [F] avant ce terme, la société [Adresse 7] n'a donc pas manqué à ses obligations.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les pénalités au titre du retard dans le paiement du prix

Moyens des parties

La société [Adresse 7] soutient que, en méconnaissance de l'échéancier convenu au contrat de vente en l'état futur d'achèvement, Mme [F] a, malgré les relances qui lui ont été adressées, acquitté en retard le prix correspondant aux phases d'avancement des travaux.

Elle ajoute que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le retard dans l'exercice d'un droit ne saurait valoir renonciation définitive de son titulaire à s'en prévaloir, de sorte que sa demande est légitime.

Mme [F] n'a pas répliqué sur ce point, de sorte qu'elle s'est appropriée les motifs des premiers juges.

Réponse de la cour

A titre liminaire, la renonciation à un droit ne se présumant pas, la cour relève que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le fait que la société [Adresse 7] n'ait pas, préalablement à l'introduction de l'instance, sollicité le paiement d'indemnités de retard ne saurait établir qu'elle y aurait renoncé.

Selon l'article 2 du chapitre III relatif aux modalités de paiement du contrat de vente, le prix est, en application de l'article R. 216-14 du code de la construction et de l'habitation, exigible en fractions échelonnées.

Selon l'article 5 du même chapitre, toute somme formant partie du prix qui ne serait pas payée à son exacte échéance serait, de plein droit et sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure, passible d'un intérêt d'un pour cent par mois de retard, prorata temporis.

Au cas d'espèce, il résulte de l'examen de l'ensemble des pièces versées aux débats que, malgré les relances à elle adressées, Mme [F] n'a pas réglé à leurs échéances les appels de fonds correspondant au stade :

-achèvement des fondations (4 mois et 25 jours après l'échéance fixée) ;

-achèvement des travaux de plancher bas du rez-de-chaussée (2 mois et 13 jours après l'échéance fixée) ;

-achèvement des travaux du plancher bas du 2ème étage (5 mois après l'échéance fixée) ;

-achèvement des travaux de mise hors d'eau et de mise hors d'air (26 jours après l'échéance fixée) ;

-achèvement des cloisons (7 jours après l'échéance fixée).

Une fois appliqué le taux de 1 % par jour de retard au pourcentage du prix dû, il en est résulté une pénalité contractuelle de 4 202,98 euros, au paiement de laquelle sera condamnée [F].

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [F], partie succombante, sera condamnée aux dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare que la clause de suspension du délai de livraison convenue entre les parties dans l'acte de vente du 26 décembre 2017 n'est pas abusive ;

Rejette la demande de Mme [F] en condamnation de la société [Adresse 7] à l'indemniser du préjudice découlant du retard dans la livraison de son bien ;

Condamne Mme [F] à payer à la société [Adresse 7] la somme de 4 202,98 euros au titre des pénalités de retard dans le paiement du prix de vente ;

Condamne Mme [F] aux dépens ;

Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, Le président de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/22210
Date de la décision : 03/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-03;21.22210 ?
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