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03/04/2024 | FRANCE | N°21/09945

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 03 avril 2024, 21/09945


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 03 AVRIL 2024



(n° 2024/ , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09945 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEYKR



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SENS - RG n° 20/00074



APPELANT



Monsieur [J] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Frédéric F

ORGUES, avocat au barreau de PARIS, toque : E2135



INTIMÉE



Association LA CROIX ROUGE FRANÇAISE

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Camille BRES, avocat au barreau de PA...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 03 AVRIL 2024

(n° 2024/ , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09945 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEYKR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SENS - RG n° 20/00074

APPELANT

Monsieur [J] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Frédéric FORGUES, avocat au barreau de PARIS, toque : E2135

INTIMÉE

Association LA CROIX ROUGE FRANÇAISE

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Camille BRES, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, président de chambre, et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

L'association La croix rouge française a employé M. [J] [P], né en 1970, par contrat de travail à durée déterminée (24 mois) à temps partiel (25 heures) à compter du 9 septembre 1996 en qualité d'aide-comptable. Cinq autres contrats de travail à durée déterminée ont suivi du 9 septembre 1998 au 31 janvier 2000. La relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet signé le 1er février 2000.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la croix rouge française.

M. [P] a été promu responsable administratif, cadre.

Le 10 juillet 2017, M. [P] a signé une lettre de mission établie à l'initiative de l'établissement de [Localité 3] qui prévoit qu'en complément de ses fonctions de responsable administratif, il assurera des missions complémentaires pendant la période du 10 juillet 2017 au 4 août 2017, période d'absence de la direction de l'unité de soins.

Le 23 octobre 2017, M. [P] a signé une nouvelle lettre de mission identique pour la période du 1er octobre 2017 au 9 novembre 2017.

A compter du 28 mai 2018, M. [P] a été placé en arrêt maladie jusqu'au 2 juillet 2018.

Le 28 juin 2018, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de sanction en raison de manquements professionnels fixé au 13 juillet 2018.

Lors de cet entretien, M. [P] a, pour la première fois, fait part de difficultés rencontrées dans l'exécution de son travail.

Le 20 juillet 2018, un avertissement a été notifié à l'encontre de M. [P].

Le 31 août 2018, M. [P] a contesté cette mesure disciplinaire.

Le 19 septembre 2018, le directeur de l'unité de soins a répondu à M. [P] et maintenu la sanction disciplinaire.

Le 28 septembre 2018, le directeur de l'unité de soins a adressé à M. [P] un projet de fiche de poste relatif à la fonction de responsable administratif en vue d'une rencontre prévue le 1er octobre 2018.

Le 1er octobre 2018, le médecin traitant de M. [P] a transmis un certificat médical initial à l'assurance maladie aux fins de reconnaissance d'une maladie professionnelle après avoir diagnostiqué un épuisement professionnel et des troubles anxio-dépressifs.

M. [P] a été en arrêt de travail du 1er octobre 2018 au 30 octobre 2018.

Le 15 novembre 2019, l'assurance maladie a notifié à M. [P] sa décision de refus de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. Cette décision fait l'objet d'un contentieux devant le pôle social du tribunal judiciaire d'Auxerre toujours en cours.

M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Sens le 25 août 2020 d'une action en résolution judiciaire du contrat de travail.

Par courrier du 22 novembre 2021, M. [P] a été licencié pour inaptitude après que le médecin du travail a conclu à son inaptitude et a considéré que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise.

A la date du licenciement, M. [P] avait une ancienneté de 25 ans et 2 mois.

M. [P] a formé finalement les demandes suivantes devant le conseil de prud'hommes :

« A TITRE PRINCIPAL

- Dire et juger que Monsieur [P] a subi un harcèlement moral à compter du changement de direction survenu fin 2017, ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ;

En conséquence,

' Dire et juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [P] doit être prononcée aux torts de l'Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE et doit, du fait du harcèlement moral dont il a été victime, produire les effets d'un licenciement nul conformément aux dispositions de l'article L.1152-3 du Code du travail ;

' Indemnité de licenciement (montant à parfaire à la date la plus proche du jugement à intervenir) : 39 702,12 € ;

' Indemnité compensatrice de préavis (brut) : 9 925,53 € ;

' Congés payés afférents : 992,55 € ;

' Indemnité pour licenciement nul : 79 404,24 € ;

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

' Dire et juger que l'association LA CROIX ROUGE FRANCAISE a commis un manquement grave à ses obligations contractuelles en ne veillant pas à la santé et à la sécurité de Monsieur [P] ;

' Dire et juger que les manquements de l'association LA CROIX ROUGE FRANCAISE justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [P] aux torts exclusifs de son employeur ;

' Dire et juger que cette résiliation judiciaire doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse aux torts de l'association LA CROIX ROUGE FRANCAISE ;

En conséquence

' Indemnité de licenciement (montant à parfaire à la date la plus proche du jugement à intervenir) : 39 702,12 € ;

' Indemnité compensatrice de préavis (brut) : 9 925,53 € ;

' Congés payés afférents : 992,55 € ;

' Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 56 244,67 € ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

' Dire et juger que Monsieur [P] a subi un préjudice moral distinct de la rupture de son contrat de travail, par la faute de l'association LA CROIX ROUGE FRANCAISE du fait de ses conditions d'emploi ;

' Dire et juger que l'association LA CROIX ROUGE FRANCAISE est redevable à Monsieur [P] de l'indemnité compensatrice de congés payés lui revenant au jour de la décision prononçant la résiliation judiciaire, sauf à ce que son contrat ait été rompu à cette date, et sans que ne puissent être déduits les congés payés correspondant à sa période d'arrêt de travail ;

' Dire et juger que l'association LA CROIX ROUGE FRANCAISE est redevable à Monsieur [P] de 59h figurant comme « à récupérer » sur sa dernière fiche de présence de septembre 2018 ;

' Dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, distinct de la rupture de son contrat de travail : 15 000 € ;

' Indemnité compensatrice de congés payés lui revenant au jour de la rupture de son contrat ;

' Dire et juger que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

' Ordonner la remise des documents de fin de contrat, de Monsieur [P], tenant compte de la requalification de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur, s'analysant en un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

' Rappeler le caractère exécutoire des condamnations à caractère salarial ;

' L'ordonner pour le surplus, par application des dispositions de l'article 515 du Code de Procédure Civile ;

' Article 700 du Code de Procédure Civile : 2 200 € ;

' Entiers dépens de l'instance. »

Par jugement du 5 novembre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé des moyens, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« Dit et juge que l'Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE n'a pas commis un manquement grave à ses obligations contractuelles en ne veillant pas à la santé et à la sécurité de Monsieur [J] [P] ;

Dit et juge que l'Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE n'a pas commis de manquement dans l'exécution du contrat de travail de Monsieur [P] du fait de harcèlement moral ;

Déboute Monsieur [J] [P] de ses demandes ;

Déboute l'Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE de ses demandes ;

Dit et juge que Monsieur [P] succombe aux dépens de l'instance. »

M. [P] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 4 décembre 2021.

La constitution d'intimée de l'association La croix rouge a été transmise par voie électronique le 15 décembre 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 19 décembre 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience du 5 février 2024.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 3 mars 2022, M. [P] demande à la cour de :

« Confirmer le jugement contradictoire et en premier ressort rendu le 5 novembre 2021 par le Conseil de prud'hommes de Sens uniquement en ce qu'il a débouté l'association LA CROIX ROUGE FRANCAISE de ses demandes.

Réformer le jugement entrepris pour le surplus, Et statuant à nouveau,

A titre principal,

Dire et juger que Monsieur [P] a subi un harcèlement moral à compter du changement de direction survenu fin 2017, ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel,

En conséquence,

Dire et juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [P] doit être prononcée aux torts de l'Association la CROIX-ROUGE FRANCAISE et, du fait du harcèlement moral dont il a été victime, doit produire les effets d'un licenciement nul conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail,

Dire et juger que l'indemnité de licenciement due à Monsieur [P] devait s'élever à la somme minimale de 39 702,12 €

Réserver les droits de Monsieur [P] de solliciter la condamnation de l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE à lui verser, le cas échéant, le solde d'indemnité de licenciement lui revenant pour atteindre le montant de 39 702,12 € précité,

Condamner l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE à verser à Monsieur [P] les montants suivants :

' 9 925,53 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 992,55 € au titre des congés payés afférents,

' 79 404,24 € à titre d'indemnité pour licenciement nul,

A titre infiniment subsidiaire,

Dire et juger que l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE a commis un manquement grave à ses obligations contractuelles en ne veillant pas à la santé et la sécurité de Monsieur [P],

Dire et juger que les manquements de l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [P] aux torts exclusifs de son employeur,

Dire et juger que cette résiliation judiciaire doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse aux torts de l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE,

Dire et juger que l'indemnité de licenciement due à Monsieur [P] devait s'élever à la somme minimale de 39 702,12 €

En conséquence,

Réserver les droits de Monsieur [P] de solliciter la condamnation de l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE à lui verser, le cas échéant, le solde d'indemnité de licenciement lui revenant pour atteindre le montant de 39 702,12 € précité,

Condamner l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE à verser à Monsieur [P] les montants suivants :

' 9 925,53 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 992,55 € au titre des congés payés afférents,

' 56 244,67 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

Dire et juger que Monsieur [P] a subi un préjudice moral distinct de la rupture de son contrat de travail, par la faute de l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE, du fait de ses conditions d'emploi,

Condamner l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE à verser à Monsieur [P] la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, distinct de la rupture de son contrat de travail,

Dire et juger que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'association,

Ordonner la remise des documents de fin de contrat de Monsieur [P], tenant compte de la requalification de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur, s'analysant en un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

Condamner l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE à verser à Monsieur [J] [P] la somme de 2 200 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance,

La condamner à verser à Monsieur [J] [P] la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamner l'association la CROIX-ROUGE FRANCAISE aux entiers dépens de l'instance. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 25 mai 2022, l'association La croix rouge demande à la cour de :

« ' CONFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Sens du 05 novembre 2021 en ce qu'il a :

' DIT ET JUGE que l'Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE n'a pas commis un manquement grave à ses obligations contractuelles en ne veillant pas à la santé et à la sécurité de Monsieur [J] [P] ;

' DIT ET JUGE que l'Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE n'a pas commis de manquement dans l'exécution du contrat de travail de Monsieur [P] du fait de harcèlement moral ;

' DEBOUTE Monsieur [J] [P] de ses demandes ;

' DIT ET JUGE que Monsieur [P] succombe aux dépens de l'instance.

' REFORMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Sens en ce qu'il a débouté la CROIX ROUGE FRANCAISE de sa demande indemnitaire à hauteur de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' A titre reconventionnel, CONDAMNER Monsieur [P] aux entiers dépens et à indemniser l'Association CROIX ROUGE FRANCAISE à hauteur de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. »

Lors de l'audience, le président rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 3 avril 2024 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC).

MOTIFS

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [P] invoque les faits suivants :

' plusieurs éléments dans le rapport d'enquête administrative établi par l'agent de la CPAM confirment l'existence du harcèlement moral subi par M. [P] depuis l'arrivée du directeur de transition puis celle du nouveau directeur, M. [E],

' la dégradation de l'état de santé a eu lieu avant l'avertissement du 20 juillet 2018, la première constatation médicale de son état datant du 28 mai 2018 ; il ne peut être sous-entendu que M. [P] se prévaut du harcèlement moral en réaction du constat de ses prétendus manquements professionnels,

' la date du 28 mai 2018 est mentionnée par le médecin traitant comme étant la date où il a, pour la première fois, constaté l'existence de troubles anxio-dépressifs en lien avec le travail,

' le lumbago sciatique est une manifestation clinique des troubles anxio-dépressifs,

- les déclarations de ses collègues établissent la réalité des agissements répétés du nouveau directeur qui lui imposait une charge de travail démesurée et adoptait un comportement inapproprié entraînant la dégradation de son état de santé,

' M. [E] a cherché à le déstabiliser en augmentant sa charge de travail tout en diminuant son temps de travail effectif,

' le comparatif opéré par l'association avec d'autres établissements est dénué de sens puisque ses prétendus homologues sont des techniciens administratifs alors qu'il est responsable administratif ce qui montre qu'ils n'avaient pas les mêmes missions ; la comparaison est inopérante,

' M. [E] a eu un comportement dépréciatif envers M. [P] ; les témoignages de plusieurs collègues lors de l'enquête administrative sont corroborés par des attestations,

' il devait soumettre tout son travail à M. [E] pour validation, ce qui ne lui a jamais été imposé auparavant,

' toutes les man'uvres de M. [E] visaient à le pousser à la faute ou à la démission ; la surcharge de travail imposée, l'avertissement, la volonté de lui faire signer une fiche de poste avec des missions trop nombreuses, donc irréalisables, et l'émission d'une offre d'emploi en CDI de gestionnaire en comptabilité afin de le remplacer démontrent cette volonté,

' son départ aurait permis à l'association la croix rouge française de faire des économies et de mutualiser les postes,

' les agissements de l'association La croix rouge française ont eu pour effet la dégradation de son état de santé,

' l'arrêt de travail établi par son médecin traitant évoque un épuisement professionnel avec les constatations suivantes « surmenage au travail, burn out, idée suicidaire, harcèlement au travail conduisant à des troubles anxio-dépressifs en lien avec les conditions de travail »,

' le certificat médical de son psychiatre évoque un « état dépressif majeur sévère » et il « paraît que les raisons sont professionnelles »,

' plusieurs salariés et proches ont constaté la dégradation de son état psychologique,

' le CRRMP a lui-même employé le mot harcèlement au terme de son avis.

Pour étayer ses affirmations, M. [P] invoque et produit les pièces suivantes :

1) Sur la charge de travail imposée à M. [P] par M. [E]

' pièce n°29 : rapport d'enquête administrative maladie professionnelle de la CPAM

' pièce n°18 : lettre d'avertissement du 20 juillet 2018

' pièce n°28 : formulaire de demande de reconnaissance de maladie professionnelle du 2 octobre 2018

' pièce n°33 : attestation de Mme [A] [T]

' pièce n°34 : attestation de Mme [L] [N]

' pièce n°15 : mail de M. [E] à M. [P] du 31 mai 2018 pendant son arrêt de travail du 28 mai au 3 juillet 2018

' pièce n°19 : mail de M. [E] à M. [P] du 20 juillet 2018

' pièce n°20 : mail de M. [E] à M. [P] du 27 juillet 2018

' pièce n°21 : mail de M. [E] à M. [P] du 2 août 2018

' pièce n°35 : entretien professionnel 2014 de M. [P]

2) Sur le comportement dépréciatif de M. [E] envers M. [P]

' pièce n°29 : rapport d'enquête administrative maladie professionnelle de la CPAM (PV de Mmes [T] et [G])

' pièce n°36 : attestation de Mme [M] [H]

' pièce n°33 : attestation de Mme [A] [T]

' pièce n°34 : attestation de Mme [L] [N]

' pièce n°20 : mail de M. [E] à M. [P] du 27 juillet 2018

' pièce n°21 : mail de M. [E] à M. [P] du 2 août 2018

' pièce n°24 : mail de M. [E] à M. [P] du 17 septembre 2018

' pièce n°16 : convocation à entretien préalable du 28 juin 2018

' pièce n°17 : attestation de M. [Z] [I]

3) Sur la volonté de M. [E] de pousser M. [P] à quitter son poste

' pièce n°29 : rapport d'enquête administrative maladie professionnelle de la CPAM (PV de Mme [G])

' pièce n°33 : attestation de Mme [A] [T]

' pièce n°18 : lettre d'avertissement du 20 juillet 2018

' pièce n°38 : annonce d'offre d'emploi de gestionnaire en comptabilité

' pièce n°26 : mail de M. [E] à M. [P] du 28 septembre 2018

4) Sur la dégradation de son état de santé

' pièce n°27 : arrêt de travail en date du 1er octobre 2018

' pièce n°32 : certificat du Docteur [D], psychiatre

' pièce n°36 : attestation de Mme [M] [H]

' pièce n°39 : attestation de Mme [F] [G]

' pièce n°40 : attestation de Mme [C] [X]

' pièce n°41 : attestation de M. [B] [V]

' pièce n°42 : attestation de Mme [S] [R]

' pièce n°30 : avis du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

Il ressort notamment :

' de l'attestation de Mme [T], technicienne administrative : « Il demandait de plus en plus de choses à Monsieur [P], sans se soucier de son temps et de ses impératifs. (') Quand il est revenu de maladie, malgré la charge de travail qu'il devait récupérer on lui demandait de plus en plus de choses, sans se soucier de son état. J'ai fait partie des membres du CODIR au début et je voyais bien comment ça se passait (...) A la sortie de ces réunions quotidiennes de débriefing, Monsieur [P] y revenait complètement dépité et déconcerté, affecté par les agissements répétés qui ont abouti à la dégradation de ses conditions de travail alors qu'avant aucun directeur n'avait jugé ainsi son travail. (') Il subit en permanence des reproches sur sa façon de travailler, des retards qu'il a pris sans se demander pourquoi. Monsieur [P] n'a plus aucune autonomie (') A force de lui répéter sa soi-disant incompétence, il y croyait. »,

(pièce salarié n° 33)

' de l'attestation de Mme [N], élue titulaire au CE : « Ces dernières années l'USSR a connu de nombreux changements au niveau des postes d'encadrement et Monsieur [P] s'est vu attribuer des missions supplémentaires afin de pallier à certaines vacances de postes. Progressivement sa charge de travail s'est alourdie et ses conditions de travail se sont dégradées mais Monsieur [P] tentait, malgré tout, de mener sa mission à bien (...) Monsieur [P] a confié à certains représentants du personnel du CE qu'il faisait l'objet d'un comportement s'apparentant à du harcèlement psychologique de la part de ce directeur (dépréciation répétée de son travail sans proposition de réajustement ou d'évolution) »,

(pièce salarié n° 34),

' du rapport d'enquête administrative de la CPAM dans le cadre duquel plusieurs salariés ont été entendus que « [J] avait beaucoup de travail avec la comptabilité de [Localité 5] et Mr [E] lui en rajoutait », « en septembre je pense qu'il a dû subir tout ça, les réunions tous les jours, il n'y arrivait plus, il était débordé », « Le Directeur actuel imposait des réunions quotidiennes. Cela devait être de petites réunions mais elles s'éternisaient, il pouvait y aller à 9h puis revenir à 11h et même y repartir l'après-midi », « Je ne sais pas comment se passaient leurs réunions mais [J] revenait dépité à chaque fois. », « Il aurait fallu qu'il ait une fiche de poste. ['] Mr [E] lui en a commencé une mais pour moi, le travail était irréalisable. Le travail qui lui incombait, ce n'était pas possible (...) Fin septembre, lorsqu'il est revenu d'une réunion, il n'était pas dans un état normal. Il avait des idées noires, il voulait se foutre en l'air. Je lui ai conseillé d'aller voir un médecin. Et c'est là qu'il s'est arrêté, il était en burn-out. Vous savez, lorsqu'on a une femme enceinte et qu'on parle de se « foutre en l'air », je pense qu'il y a quelque chose qui ne va plus »,

(pièce salarié n° 29),

' de l'attestation de Mme [H] : « M. [J] [P] a subi à plusieurs reprises les pressions, les remarques désobligeantes, les propos dévalorisants de la part du directeur de transition, Monsieur [O], jusqu'en avril 2018 et que le directeur actuel poursuit, suivant certainement les consignes laissées par le directeur de transition.

Un jour, en janvier 2018, je me suis rendue dans son bureau pour lui amener des factures et ce à mon grand étonnement il a éclaté en sanglots et s'est confié un peu à moi, subissant de manière répétée des critiques sur son activité, des reproches devant ses autres collègues, son travail remis systématiquement en cause. Extrêmement affecté par ces agissements, sa dévalorisation permanente »,

(pièce salarié n° 36),

' de l'arrêt de travail établi par son médecin traitant : « surmenage au travail, burn-out, idée suicidaire, harcèlement au travail conduisant à des troubles anxio-dépressifs en lien avec les conditions de travail »,

(pièce salarié n° 27),

' de l'attestation de Mme [G] : « [J] avait très souvent l'air abattu et déprimé depuis l'arrivée du nouveau directeur Monsieur [E] et j'ai été choquée de son amaigrissement soudain et important »,

(pièce salarié n° 39),

' de l'attestation de Mme [H] : « A la sortie des réunions du CODIR, des réunions de debriefing, je croisais Monsieur [P], complètement dépité et décomposé. Celui-ci, croyait ne rien laisser paraître mais il devenait morose, triste ['] un jour il a éclaté en sanglots »,

(pièce salarié n° 36),

' de l'attestation de Mme [X], élue CE : « Après l'arrivée de Monsieur [E], Monsieur [P] a évoqué une pression mise sur lui par sa direction pouvant être qualifiée de harcèlement. Peu à peu, son état de santé s'est dégradé »,

(pièce salarié n° 40),

' de l'attestation de M. [V] (ami) : « Auparavant nos sujets de discussion étaient variés et il restait assez discret sur sa vie professionnelle. Cependant j'ai pu constater qu'à partir de 2018 le sujet principal était l'ambiance très malsaine (réunions de travail qu'il décrivait comme interminables) et une volonté par son directeur de le pousser à l'erreur ['] Son mal-être s'est confirmé par son état physique et moral qui se sont dégradés au fur et à mesure qu'on se voyait, il avait maigri, paraissait souvent fatigué et pessimiste, il ne faisait plus attention à lui. D'ailleurs je lui avais glissé de consulter un médecin car je m'inquiétais pour sa santé, d'autant plus qu'il avait laissé glisser des idées noires, des idées qui n'étaient jamais sorties de sa bouche avant. »

(pièce salarié n° 41),

' de l'attestation de Mme [R] (ancienne compagne et mère de son fils) : « ce dernier a été très affecté par son travail depuis fin 2017 et surtout 2018 qui correspondait à une période complexe de son travail, surtout depuis l'arrivée du nouveau directeur. Je l'ai constaté car cela a eu un impact très négatif sur sa relation avec son fils, effectivement il était souvent irrité et pas bien les fois où il passait voir son fils alors que d'habitude il a toujours donné une image dynamique et du temps à son fils dont il était très proche. J'ai aussi remarqué (avec mon fils, car il s'inquiétait aussi) que l'état de santé de Monsieur [P] [J] allait en se dégradant : amaigri, vide, abattu, négligé, un laisser-aller que je n'ai jamais connu depuis que je le connais. »

(pièce salarié n° 42)

M. [P] présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement à son encontre.

En défense, l'association La croix rouge française fait valoir :

' avant son entretien du 13 juillet 2018, M. [P] n'a jamais fait état auprès de la croix rouge française de difficultés qu'il aurait rencontrées quant à l'exécution de son contrat de travail : il n'a jamais fait état d'une situation de harcèlement moral à son encontre,

' l'avertissement du 20 juillet 2018 est définitif, M. [P] n'ayant pas fait de demande d'annulation devant le conseil de prud'hommes,

' la médecine du travail et les membres du CE n'ont jamais estimé devoir relever une quelconque situation de harcèlement moral à l'encontre de M. [P],

' l'ensemble des pièces produites par M. [P] ne permet en aucune façon de faire présumer quelque harcèlement moral que ce soit à son encontre ni de corroborer ses allégations mensongères,

' le courrier du 23 janvier 2017 informant M. [P] de la mise en 'uvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi et produit par ce dernier ne permet pas de démontrer l'existence d'une situation de harcèlement moral,

' M. [P] cherche à masquer la vacuité de son dossier par des éléments ne concernant pas sa situation personnelle mais celles d'autres salariés comme les pièces relatives à la cellule qualité de vie au travail,

' les déclarations de M. [P] et des autres salariés dont il produit les attestations ne sont corroborées par aucun élément objectif,

' l'attestation de Mme [T] doit être prise avec prudence, cette salariée étant en conflit avec son employeur,

' les courriers de M. [E] envoyés pendant l'arrêt de travail de M. [P] ne laissent pas présumer une quelconque situation de harcèlement moral,

' la charge de travail n'a pas de lien avec l'arrivée de M. [E], cette dernière étant déjà importante en 2014,

' l'offre de poste de gestionnaire en comptabilité datée de juin 2018 ne vise pas à remplacer M. [P] et ne correspond pas à son poste,

' rien ne permet de retenir une surcharge de travail, étant précisé que M. [P] était en charge d'une structure de taille moindre (nombre de lits, effectifs') que celle de plusieurs de ses homologues, la charge de travail étant donc ipso facto moins importante,

' l'autonomie de M. [P] n'a jamais été remise en question, mais en tant que responsable administratif, il est directement sous l'autorité du directeur de l'établissement,

' M. [P] n'a jamais accepté qu'une procédure disciplinaire soit engagée à son encontre alors que l'employeur a constaté que M. [P] avait commis des négligences dans le cadre de la transmission des données financières et comptables à l'ARS et qu'il y avait un défaut d'informations lié à l'absence de reporting et à la rétention d'informations,

' l'arrêt maladie du 18 mai 2018 est un arrêt maladie simple pour lumbago sciatique et n'indique pas de troubles anxio-dépressifs,

' la CPAM n'a pas reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. [P].

A l'appui de ses moyens, l'association La croix rouge française invoque et produit les pièces suivantes :

' pièce n° 14 : courrier croix rouge française / [P] sur le PSE du 23 janvier 2017

' pièce n° 15 : fiche de présence de M. [P] à la réunion information PSE

' pièce n° 16 : réunion d'information des salariés sur le PSE

' pièce n° 17 : guide pratique sur le PSE

' pièce n° 18 : échanges internes avec Mme [W] du 3 novembre 2017

' pièce n° 19 : convocation des membres du CHSCT à la réunion extraordinaire

' pièce n° 20 : document de travail de la réunion du CHSCT du 25 janvier 2018

' pièce n° 21 : courriel interne du 23 avril 2018 (QVT) + Note d'information sur la restitution de la QVT

' pièce n° 22 : courriel interne du 3 mai 2018 (QVT)

' pièce n° 23 : courriel interne du 16 mai 2018 (QVT)

' pièce n° 6 : arrêt de travail pour maladie simple du 28 mai au 29 juin 2018

' pièce n° 24 : courriel [E] / [P] du 28 septembre 2018 avec proposition de fiche de poste.

Comme le rappelle l'association La croix rouge française, il ressort de l'enquête du CRRMP (pièce salarié n° 30) « (') Il apparaît en conclusion que l'existence d'un lien direct et essentiel entre la pathologie présentée par Monsieur [P] [J] (réaction à un acteur de stress sévère et troubles de l'adaptation déclarée comme MP hors tableau le 02/10/2018 sur la foi du certificat médical rédigé le 01/10/2018 et ses activités professionnelles exercées dans la même structure depuis 09/09/1996, à son dernier poste depuis le 01/11/2011, ne peut pas être retenue (') ».

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'association La croix rouge française échoue à démontrer que les faits matériellement établis par M. [P] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; en effet, la cour retient que M. [E] a aggravé la charge de travail déjà importante de M. [P], au point de l'exposer à un risque d'épuisement professionnel et qu'il a exercé sur lui un mode de management excessivement interventionniste en multipliant les demandes de retours, les contrôles et les exigences à son égard sans respecter aucunement son mode de fonctionnement au travail et l'autonomie qui avait été la sienne depuis sa promotion aux fonctions de responsable administratif, 9 années plus tôt : la cour retient aussi que ces comportements managériaux de M. [E] ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail de M. [P] et ont altéré sa santé mentale et compromis son avenir professionnel comme cela ressort du fait qu'il en est tombé malade au point d'avoir été déclaré inapte à tout emploi dans l'entreprise.

Le harcèlement moral est donc établi.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que M. [P] est bien fondé dans sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail pour harcèlement moral.

La date de rupture est fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

En application de l'article L.1152-3 du code du travail, le licenciement pour inaptitude intervenu dans ce contexte est nul.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'association La croix rouge française du fait du harcèlement moral dont il a été victime et statuant à nouveau de ce chef, la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [P] aux torts de l'association La croix rouge française du fait du harcèlement moral dont il a été victime et dit que la date de rupture est fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

M. [P] demande, par infirmation du jugement, la somme de 79 404,24 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ; l'association La croix rouge française s'oppose à cette demande et précise que M. [P] qui bénéficiait d'une ancienneté de 23 ans, ne saurait prétendre qu'à des dommages et intérêts compris entre 3 et 17 mois de salaire, soit entre 3 308,51 € et 56 244,67 € (sic).

Tout salarié victime d'un licenciement nul qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de M. [P] (3 308,51 €), de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de M. [P] doit être évaluée à la somme de 30 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne l'association La croix rouge française à payer à M. [P] la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

M. [P] demande, par infirmation du jugement, les sommes de 9 925,53 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 992,55 € au titre des congés payés afférents ; l'association La croix rouge française s'oppose à cette demande sans faire valoir de moyens sur le quantum.

M. [P], étant cadre, a droit à un préavis de 3 mois ; l'indemnité de préavis doit donc être fixée à la somme de 9 925,53 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande formée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne l'association La croix rouge française à payer à M. [P] les sommes de 9 925,53 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 992,55 € au titre des congés payés afférents.

Sur l'indemnité de licenciement

M. [P] demande, par infirmation du jugement, la somme de 39 702,12 € au titre de l'indemnité de licenciement ; l'association La croix rouge française s'oppose à cette demande sans faire valoir de moyens.

L'indemnité conventionnelle est plus favorable que l'indemnité légale puisque l'article 8.1.6 de la convention collective de la croix-rouge française prévoit que « le salarié cadre qui compte un an continu de travail effectif au sein de la croix-rouge française, en qualité de cadre ou de non cadre, a droit, excepté en cas de licenciement pour faute grave ou lourde, à une indemnité de licenciement égale à :

' ¿ mois de salaire par année d'ancienneté en qualité de non cadre ;

' 1 mois de salaire par année d'ancienneté en qualité de cadre.

Cette indemnité ne pouvant dépasser au total 12 mois de salaire. »

Or, Monsieur [P], employé depuis 23 ans, disposait du statut de cadre depuis l'année 2011, (soit depuis 9 ans) et a précédemment été employé en qualité de non cadre durant 14 ans ; il pourrait donc prétendre à une indemnité de licenciement égale à 16 mois de salaire (1/2 x 14 + 1 x 9). Néanmoins, l'indemnité ne pouvant excéder 12 mois de salaire, lui est dû à titre d'indemnité de licenciement la somme de 3 308,51 x 12 = 39 702,12 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande formée au titre de l'indemnité de licenciement, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne l'association La croix rouge française à payer à M. [P] la somme de 39 702,12 € au titre de l'indemnité de licenciement.

Sur l'application de l'article L.1235-4 du code du travail

Le licenciement de M. [P] ayant été jugé nul pour harcèlement moral, il y a lieu à l'application de l'article L.1235-4 du code du travail ; en conséquence, la cour ordonne le remboursement par l'association La croix rouge française aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [P], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral distinct

M. [P] demande, par infirmation du jugement, la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ; il soutient qu'il a été placé durant plus de deux ans en arrêt de travail du fait d'un « état dépressif majeur sévère » et est toujours actuellement suivi par un psychiatre (pièce salarié n° 32) ; et qu'avant même son arrêt de travail, il était déjà en extrême souffrance psychique et celle-ci se répercutait même physiquement puisque, ainsi qu'en attestent plusieurs de ses collègues et proches, il était extrêmement amaigri (pièces salarié n° 36, 39, 41 et 42)

En défense, l'association La croix rouge française s'oppose à cette demande et soutient que M. [P] ne justifie ni de la réalité d'un tel préjudice ni du quantum de sa demande, et que les éléments sur lesquels il s'appuie pour fonder cette dernière sont strictement identiques à ceux qu'il verse au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et pour laquelle il sollicite la somme de 79 404,24 € à titre de dommages et intérêts.

En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l'existence d'un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d'un lien de causalité entre le préjudice et la faute.

La cour a retenu plus haut que M. [P] a été victime de faits de harcèlement moral du fait desquels il est tombé malade et a fini par être déclaré inapte ; par suite, la cour retient la réalité d'un préjudice moral distinct de la rupture de son contrat de travail ; cependant l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice moral distinct subi par M. [P] doit être évaluée à la somme de 3 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne l'association La croix rouge française à payer à M. [P] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct.

Sur la délivrance de documents

M. [P] demande la remise des documents de fin de contrat rectifiés.

Il est constant que les documents demandés lui ont déjà été remis ; il est cependant établi qu'ils ne sont pas conformes ; il est donc fait droit à la demande de remise de documents formulée par M. [P].

Le jugement déféré est donc infirmé sur ce point, et statuant à nouveau, la cour ordonne à l'association La croix rouge française de remettre M. [P] les documents de fin de contrat, tous ces documents devant être établis conformément à ce qui a été jugé dans la présente décision, dans les deux mois de la notification de la présente décision.

Sur les autres demandes

Les dommages et intérêts alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Les autres sommes octroyées, qui constituent des créances salariales, seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'association La croix rouge française de la convocation devant le bureau de conciliation.

La cour condamne l'association La croix rouge française aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Le jugement déféré est infirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner l'association La croix rouge française à payer à M. [P] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions :

Statuant à nouveau et ajoutant,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [P] aux torts de l'association La croix rouge française du fait du harcèlement moral dont il a été victime et dit que la date de rupture est fixée à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

CONDAMNE l'association La croix rouge française à payer à M. [P] les sommes de :

' 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

' 9 925,53 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

' 992,55 € au titre des congés payés afférents,

' 39 702,12 € au titre de l'indemnité de licenciement,

' 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct.

DIT que les dommages et intérêts alloués à M. [P] sont assortis d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

DIT que les créances salariales allouées à M. [P] sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'association La croix rouge française de la convocation devant le bureau de conciliation,

ORDONNE le remboursement par l'association La croix rouge française aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [P], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

ORDONNE à l'association La croix rouge française de remettre M. [P] les documents de fin de contrat, tous ces documents devant être établis conformément à ce qui a été jugé dans la présente décision, dans les deux mois de la notification de la présente décision.

CONDAMNE l'association La croix rouge française à verser à M. [P] une somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

CONDAMNE l'association La croix rouge française aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/09945
Date de la décision : 03/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-03;21.09945 ?
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