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28/03/2024 | FRANCE | N°23/13313

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 10, 28 mars 2024, 23/13313


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10



ARRÊT DU 28 MARS 2024

(n°176, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général

N° RG 23/13313 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CICI3



Décision déférée à la cour

Jugement du 05 juillet 2023-Juge de l'exécution d'Evry-RG n°20/00328



APPELANT



Monsieur [O] [U]

[Adresse 1]

[Localité 9]



représenté par Me Martial JEAN de la SELARL NABONNE-BEMME

R-JEAN, avocat au barreau de l'ESSONNE



INTIMÉES



Madame [Y] [U] épouse [K]

[Adresse 3]

[Localité 9]



représentée par Me Kathrin ULLMANN, avocat au barreau de l'ESSONNE



S.A. CRÉDIT FON...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10

ARRÊT DU 28 MARS 2024

(n°176, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général

N° RG 23/13313 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CICI3

Décision déférée à la cour

Jugement du 05 juillet 2023-Juge de l'exécution d'Evry-RG n°20/00328

APPELANT

Monsieur [O] [U]

[Adresse 1]

[Localité 9]

représenté par Me Martial JEAN de la SELARL NABONNE-BEMMER-JEAN, avocat au barreau de l'ESSONNE

INTIMÉES

Madame [Y] [U] épouse [K]

[Adresse 3]

[Localité 9]

représentée par Me Kathrin ULLMANN, avocat au barreau de l'ESSONNE

S.A. CRÉDIT FONCIER DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée par Me Thierry-xavier FLOQUET de la SCP FLOQUET-GARET-NOACHOVITCH, avocat au barreau de l'ESSONNE

TRÉSOR PUBLIC, représenté par le Comptable des Finances publiques d'[Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 8]

n'a pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 février 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre

Madame [Y] LEFORT, conseiller

Madame Valérie Distinguin, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Valérie Distinguin, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT

-réputé contradictoire

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*****

Par acte notarié en date du 14 septembre 2010, le Crédit Foncier de France a consenti à Mme [F] veuve [U] [B] [C] [X] un prêt viager hypothécaire de la somme de 299 000 euros.

Cette créance est garantie par une inscription d'hypothèque conventionnelle publiée le 11 octobre 2010 portant sur un bien acquis par M. [U] [G] et Mme [F] veuve [U] [B] sis [Adresse 1].

Mme [B] [F] veuve [U] est décédée le [Date décès 5] 2016, laissant pour héritiers M. [O] [U] et Mme [Y] [U] épouse [K].

Par actes du 26 juin 2017, le prêt viager notarié valant titre exécutoire leur a été signifié.

S'agissant d'un prêt viager hypothécaire, il est arrivé à son terme au décès du dernier vivant des coemprunteurs et les héritiers disposaient d'un délai de six mois pour régler les sommes restant dues en principal, intérêts et frais.

Le Crédit Foncier de France a fait délivrer à M. et Mme [U] un premier commandement aux fins de saisie-vente le 12 octobre 2017, puis un second le 11 octobre 2019.

La créance d'un montant de 501 254,78 euros au 11 mai 2020 n'ayant pas été remboursée dans le délai, le Crédit Foncier de France a fait signifier aux deux héritiers un commandement de payer valant saisie immobilière, dénoncé à Mme [E], l' épouse de M. [O] [U], par acte du 8 juillet 2020.

Par acte d'huissier de justice du 30 octobre 2020, le Crédit Foncier de France a fait assigner M. [O] [U] et Mme [Y] [U] épouse [K], devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry en vue de la vente forcée du bien saisi, l'assignation étant dénoncée le 5 novembre 2020 au comptable des finances publiques d'Etampes, créancier inscrit.

Par jugement en date du 05 juillet 2023, le juge de l'exécution a :

débouté le Crédit Foncier de France de sa demande visant à voir déclarer l'action de M. [O] [U] irrecevable,

déclaré les actions (sic) de M. [U], concernant la nullité du prêt viager, prescrite,

débouté Mme [Y] [U] de sa demande de sursis à statuer,

déclaré l'action de M. [U], concernant l'existence d'un taux d'usure, prescrite,

débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes,

mentionné la créance du Crédit Foncier de France au titre d'un acte notarié contenant prêt viager en date du 14 septembre 2010 reçu par Me [Z] [H] à hauteur de 501.254,78 euros, avec intérêts au taux de taux légal à compter du 12 mai 2020 sur la somme de 484.878,73 à compter du 11 mai 2020 et jusqu'à complet paiement,

ordonné la vente forcée du bien saisi à l'audience d'adjudication du tribunal judiciaire

d'Evry sur la mise à prix de 503.000 euros, fixée par le Crédit Foncier de France,

déterminé les modalités de la vente à intervenir.

Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a considéré qu'en application de l'article 768 alinéa 3 du code de procédure civile, l'exception de nullité soulevée par M. [U] dans ses dernières conclusions et après avoir conclu au fond, est recevable.

Il a considéré ensuite que le point de départ de la prescription biennale de l'action en paiement du Crédit Foncier de France était la date de signification du titre à l'héritier, soit le 25 juin 2017, et que les commandements de saisie-vente des 12 octobre 2017 et 11 octobre 2019 et de saisie immobilière du 8 juillet 2020 avaient valablement interrompu la prescription.

S'agissant de la prescription de l'action pour non-respect du délai de rétractation lors de la souscription du prêt viager et non-respect des dispositions de l'article L.314-1 du code de la consommation qui veut que l'hypothèque soit prise sur un bien à usage exclusif d'habitation, il a constaté que l'action avait été ouverte le 14 septembre 2010 pour se terminer le 14 septembre 2015, pour en conclure qu'elle était prescrite. Il a adopté le même raisonnement s'agissant de la prescription de l'action fondée sur le taux usuraire du prêt pour accueillir la fin de non-recevoir et déclarer l'action de M. [U] irrecevable.

Il a ensuite écarté la demande de nullité de la signification du titre exécutoire en relevant que si l'acte ne précise pas que M. [U] est visé en qualité d'héritier de l'emprunteur, celui-ci ne caractérise pas le grief subi. Par ailleurs, il a observé que si l'acte ne faisait pas mention de l'état civil du défunt, force était de constater qu'en annexe le Crédit Foncier avait pris soin de joindre l'acte de prêt pour lequel feu Mme [U] s'était engagée, si bien qu'il n'y avait aucun doute quant à la succession visée pour le destinataire de la signification.

S'agissant de la nullité des commandements aux fins de saisie-vente, le juge a relevé qu'il était annexé aux deux actes un décompte précis des sommes dues et que l'acte du 11 octobre 2019 comportait bien la date de sa signification.

Quant à l'absence d'expertise en vue d'une estimation de la dette, dénoncée par M. [U], le juge a rappelé que cette expertise n'était prévue que dans certaines hypothèses et qu'au cas présent elle n'était pas un préalable nécessaire.

Concernant la critique de M. [U] portant sur le taux effectif global, le juge de l'exécution a considéré qu'il ne démontrait pas que ce taux serait erroné.

Le jugement a été signifié à Mme [Y] [U] le 4 août 2023 et à M. [O] [U] le 9 août 2023.

Par jugement en date du 22 août 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry a ordonné la rectification du jugement d'orientation rendu le 5 juillet 2023 afin qu'il soit mentionné que le trésor public, représenté par le comptable des finances publiques d'Etampes, est créancier inscrit sur le bien immobilier saisi.

Le jugement rectificatif d'une erreur matérielle a été signifié à Mme [Y] [U] le 18 septembre 2023 et à M. [O] [U] le 20 septembre 2023.

M. [O] [U] a interjeté appel à l'encontre à la fois du jugement du 5 juillet 2023 et du jugement rectificatif du 22 août 2023 par déclaration d'appel en date du 24 août 2023 à l'encontre du Crédit Foncier de France et de Mme [Y] [U] et par déclaration d'appel en date du 30 août 2023 à l'encontre du trésor public, représenté par le comptable des finances publiques d'[Localité 8].

Après y avoir été autorisé par une ordonnance du 1er septembre 2023, M. [U] a fait assigner à jour fixe devant la cour, le Crédit Foncier de France, Mme [Y] [U] et le trésor public, représenté par le comptable des finances publiques d'[Localité 8], et demande de :

le déclarer recevable et bien fondé en ses deux appels,

les joindre, pour une bonne administration de la justice,

y faisant droit,

réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

A titre principal,

1- Annuler la signification de titre à héritier en date du 26 juin 2017 à tout le moins la dire inopposable au concluant,

en conséquence,

ordonner la mainlevée de toutes les mesures d'exécution pratiquée par le Crédit Foncier jusqu'au 14 août 2022, notamment le commandement de payer valant saisie immobilière,

condamner le Crédit Foncier à supporter les frais de radiation du commandement de payer valant saisi,

renvoyer le Crédit Foncier à ce mieux pourvoir,

2- annuler le commandement de payer aux fins de saisie-vente régularisé le 12 octobre 2017 par l'Etude de Me [T] ; le dire nul et de nul effet,

- annuler le commandement de payer aux fins de saisie-vente régularisé en 2019 par l'étude HDJ91 et le dire nul et de nul effet,

- annuler le commandement de payer valant saisie du 8 juillet 2020 ; le dire nul et de nul effet,

En conséquence,

déclarer prescrite l'action en recouvrement du Crédit Foncier de France, le renvoyer à mieux se pourvoir.

ordonner en conséquence la mainlevée du commandement de payer valant saisie immobilière, s'il n'était pas annulé,

condamner le Crédit Foncier de France à supporter les frais de radiation dudit commandement auprès du service de la publicité foncière,

A titre subsidiaire,

annuler le prêt viager hypothécaire signé par feu [B] le 14 septembre 2010 chez Me [H], notaire à [Localité 10] ; le dire nul et de nul effet,

débouter en conséquence le Crédit Foncier (idem)de l'ensemble de ses demandes,

ordonner la mainlevée du commandement de payer valant saisi immobilière,

ordonner la radiation de l'hypothèque prise sur le bien de Mme [U] située à [Localité 9] sur la base de l'acte notarié du 14 septembre 2010,

condamner le Crédit Foncier à supporter les frais de radiation dudit commandement auprès du service de la publicité foncière,

en tout état de cause,

débouter le Crédit Foncier de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

condamner le Crédit Foncier à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts, outre la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner le crédit foncier en tous les dépens.

 

Au soutien de son appel, M. [U] relève que le Crédit Foncier ne lui a fait sommation d'opter que le 14 juin 2022 et que n'ayant pas répondu, il est depuis cette date réputé avoir accepté purement et simplement la succession de sa mère. Il en déduit qu'avant cette date, il n'était pas successeur de l'emprunteur mais uniquement successible. Il ajoute que la signification du titre à l'héritier doit mentionner la qualité d'héritier et qu'à l'inverse de ce qu'a dit le premier juge, l'annexion du prêt à la signification n'a aucune portée. Il soutient qu'il subit un grief qu'il décrit comme une désorganisation de la défense puisqu'il a cru qu'il était tenu personnellement sans recours possible quand bien même il n'avait pas encore exercé son option.

Selon lui, la nullité de la signification du titre à héritier entraîne celle des commandements aux fins de saisie-vente du 12 octobre 2017 et du 11 octobre 2019 ainsi que du commandement de payer valant saisie immobilière du 8 juillet 2020 puisqu' il y figure comme héritier alors qu'il n'était que successible n'ayant pas opté.

Il ajoute que les commandement des 12 octobre 2017 et 11 octobre 2019 comportent des irrégularités formelles qui l'empêchent de se défendre et lui causent donc un grief.

Il oppose ensuite au Crédit Foncier une fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale de son action en paiement, affirmant que le point de départ du délai se situe à la date à laquelle le prêteur a connaissance de l'identité des héritiers de l'emprunteur. Il prétend que le Crédit Foncier avait connaissance du nom des successibles dès le 14 septembre 2010, date de signature de l'acte authentique. Selon lui, le délai de prescription a commencé à courir le jour où le Crédit Foncier a appris le décès de l'emprunteur, soit le 1er août 2016, de sorte que la prescription était acquise le 1er août 2018 et que la signification de titre à héritier n'a pas d'effet rétroactif.

Il considère enfin que son action tendant à obtenir la nullité du prêt n'est pas prescrite, la prescription ne pouvant courir à l'encontre de l'héritier avant le décès du de cujus dès lors que ce n'est qu'au jour où cet événement survient qu'il devient, sous réserve de son option, débiteur du prêteur. Sur le fond, son action est bien fondée puisque le Crédit Foncier a obtenu une hypothèque sur des parcelles correspondant pour partie à un bâtiment religieux, des champs, des bois et un lac. Selon lui, le Crédit Foncier aurait dû cantonner son hypothèque aux biens strictement nécessaires et à usage exclusif d'habitation, seuls biens qu'il pouvait hypothéquer.

Sa demande indemnitaire à hauteur de 20 000 euros de dommages intérêts est parfaitement justifiée compte tenu de la tentative de captation du patrimoine de sa mère effectuée par le Crédit Foncier.

Par conclusions signifiées le 27 février 2024, Mme [Y] [K] demande à la cour de débouter le Crédit Foncier de France de l'ensemble de ses demandes et de statuer ce que de droit quant aux dépens. Elle se joint aux demandes de M. [U].

Par dernières conclusions n°3 signifiées le 27 février 2024, le Crédit Foncier de France (CFF) demande à la cour de :

- voir déclarer irrecevable l'appel de M. [O] [U] à l'encontre des jugements du 5  juillet 2023 et du 22 août 2023 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry,

Subsidiairement sur le mal fondé de l'appel,

- voir infirmer le jugement du 5 juillet 2023 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry,

en ce qu'il n'a pas déclaré irrecevable l'exception de nullité de la signification du 26 juin 2017,

- voir la cour déclarer irrecevable l'exception de nullité de la signification du 26 juin 2017,

- voir la cour déclarer mal fondée l'exception de nullité de la signification du 26 juin 2017,

- voir en conséquence débouter M. [U] de sa demande de mainlevée de toutes les mesures d'exécution pratiquées jusqu'au 14 août 2022, notamment du commandement de payer valant saisie,

- voir la cour confirmer le jugement du 5 juillet 2023 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry, en toutes ses dispositions,

Ainsi,

- voir débouter M. [U] de toutes ses demandes à savoir :

' annuler le commandement de payer aux fins de saisie-vente régularisé le 12 octobre 2017 ;

'annuler le commandement de payer aux fins de saisie-vente régularisé en 2019 ;

' annuler le commandement de payer valant saisie du 08 juillet 2020 ;

' déclarer prescrite l'action en recouvrement du CFF ;

' annuler le prêt viager hypothécaire du 14 septembre 2010,

- Voir valider la saisie pratiquée,

- Voir mentionner sa créance au 11 mai 2020, à la somme de 501 254,78 euros, outre les intérêts au taux légal sur 484 878,73 € à compter du 12 mai 2020,

- voir ordonner la vente forcée, sur la mise à prix de 503 000 euros,

- voir condamner M. [O] [U] à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles devant la cour d'Appel.

- voir condamner la partie saisie aux dépens de première instance et d'appel qui seront employés en frais privilégiés de vente puis de distribution.

En réplique, le CFF soulève deux fins de non-recevoir, l'une tendant à voir juger l'appel irrecevable,  M. [U] n'ayant pas interjeté appel du jugement du 5 juillet 2023 à l'encontre du trésor public dans le délai d'appel de 15 jours, l'autre aux fins d'irrecevabilité de la demande de nullité de la signification du titre à héritier en date du 26 juin 2017 dans la mesure où M. [U] n' a évoqué ce moyen devant le juge de l'exécution pour la première fois que dans ses dernières conclusions.

Ensuite, il fait valoir que l'absence de mention de sa qualité d'héritier sur l'acte est sans lien avec le grief qu'il invoque à savoir le fait qu'il aurait pu croire qu'il était tenu personnellement à la dette sans recours possible. Il précise que le titre exécutoire n'a pas été signifié à M. [U] avant qu'il n'ait la qualité d'héritier puisque lorsque le titre lui a été signifié, en application de l'article 724 code civil et du fait de l'effet rétroactif de l'exercice de l'option au jour de l'ouverture de la succession, M. [U] avait déjà accepté la succession.

Il ajoute que le commandement du 12 octobre 2017 n'est affecté d'aucun vice de forme puisque le décompte comporte le montant des intérêts, du taux d'intérêt et que M. [U] ne démontre aucun grief ; le commandement de saisie de vente du 11 octobre 2019 comporte bien une date, de sorte qu'il n'y a pas de vice de forme et M [U], sommé devant la cour de produire le commandement, ne l'a pas produit.

Pour les mêmes motifs que ceux développés pour la validité de la signification du titre à héritier du 26 juin 2017, il considère que les commandements des 12 octobre 2017 et 11 octobre 2019 ne sont pas affectés d'un vice de fond, pas plus que ne l'est le commandement de payer aux fins de saisie immobilière.

Il estime que sa créance n'est pas prescrite soulignant qu'il était dans l'impossibilité d'agir contre les héritiers tant qu'il n'avait pas connaissance de la dévolution successorale, que si l'on retient la date à laquelle il a eu connaissance du décès de Mme [U], le 1er août 2016 , ou bien celle du [Date décès 6] 2016, soit six mois après le décès, délai offert aux héritiers pour régler la dette, dans les deux cas la prescription n'est pas acquise car il s'est écoulé moins de deux ans entre ce point de départ et le 1er commandement de payer du 12 octobre 2017 qui a valablement interrompu la prescription.

Il soutient que la demande subsidiaire en nullité du prêt est irrecevable car prescrite, le délai ayant commencé à courir à l'encontre du de cujus et ne pouvant pas revivre au profit des héritiers.

Quant à la demande en nullité du prêt, il prétend qu'elle est mal fondée car s'il est exact que le prêt viager hypothécaire est « garanti par une hypothèque constituée sur un bien à usage exclusif d'habitation, c'est pour exclure expressément les biens immobiliers affectés à l'usage professionnel ou mixte, ce qui n'empêche pas de donner d'autres biens en garantie.

MOTIFS :

En application de l'article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

La déclaration d'appel en date du 24 août 2023 à l'encontre du Crédit Foncier de France et de Mme [Y] [U] épouse [K] a été enregistrée par le greffe de la cour sous le n° RG 23/13313 et celle formée le 30 août 2023 à l'encontre du trésor public, créancier inscrit, sous le n° RG 23/13631.

Compte tenu du lien indivisible entre les deux instances, il y a lieu de prononcer leur jonction.

Sur la recevabilité de l'appel :

Au cas présent, le jugement du 5 juillet 2023 ayant été signifié à M. [O] [U] le 9 août 2023, le délai d'appel expirait le 24 août 2023.

Il est exact que l'appel n'a été interjeté à l'encontre du Trésor public que le 30 août 2023.

Pour autant, l'appel formé à l'encontre d'un créancier inscrit, n'en est pas moins recevable dès lors qu'il est justifié du placement au greffe le 19 février 2024 de l'assignation à jour fixe délivrée au trésor public le 9 octobre 2023, soit avant la date d'audience fixée au 28 février 2024.

M. [U] a, par ailleurs, régulièrement interjeté appel du jugement du 5 juillet 2023 et du jugement rectificatif du 22 août 2023 par déclaration d'appel en date du 24 août 2023 à l'encontre du Crédit Foncier de France et de Mme [Y] [U] épouse [K].

En conséquence, la cour rejette la fin de non-recevoir et déclare l'appel recevable.

Sur la recevabilité du moyen de nullité de la signification du titre exécutoire à héritier

Le CFF soutient que ce n'est que dans ses conclusions signifiées le 20 septembre 2022 devant le juge de l'exécution que M. [U] a demandé pour la première fois la nullité de la signification du titre à héritier en date du 26 juin 2017.

Ce moyen est cependant inopérant dès lors que M. [U] soulève le moyen in limine litis aux termes de son assignation à jour fixe devant la cour.

L'exception de nullité de la signification du titre exécutoire à héritier est donc parfaitement recevable.

Au fond, sur la nullité de la signification du titre exécutoire à héritier :

Aux termes de l'article 771 du code civil, « l'héritier ne peut être contraint à opter avant l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de l'ouverture de la succession.

A l'expiration de ce délai, il peut être sommé, par acte extrajudiciaire, de prendre parti à l'initiative d'un créancier de la succession, d'un cohéritier, d'un héritier de rang subséquent ou de l'Etat. »

Le dernier alinéa de l'article 772 du même code dispose qu' « à défaut d'avoir pris parti à l'expiration du délai de deux mois ou du délai supplémentaire accordé, l'héritier est réputé acceptant pur et simple. »

L'article 773 précise qu' « à défaut de sommation, l'héritier conserve la faculté d'opter, s'il n'a pas fait par ailleurs acte d'héritier et s'il n'est pas tenu pour héritier acceptant pur et simple en application des articles 778, 790 ou 800 »

Au cas présent, le décès du de cujus est intervenu le [Date décès 5] 2016 et le CFF en a été informé le 1er août 2016.

Par acte d'huissier du 14 juin 2022, le CFF a fait sommation à M. et Mme [U] de prendre parti et d'exercer l'option successorale dans le délai de deux mois à compter de la date portée en tête de l'acte, celui-ci reproduisant par ailleurs l'article 771 susvisé.

La sommation leur rappelle explicitement qu'il ne se sont pas manifestés pour faire connaître leur position par rapport à la succession, « ce qui a pour effet de bloquer son règlement ''.

N'ayant pas répondu, M. et Mme [U] sont, depuis le 14 août 2022, réputés avoir accepté purement et simplement la succession de feue [B] [U].

Il est donc incontestable qu'avant la date du 14 août 2022, M. [U], pas plus que Mme [Y] [U] épouse [K] n'avaient la qualité d'héritier de leur mère et ne pouvaient être tenus des engagements de celle-ci.

La signification litigieuse du titre exécutoire du 26 juin 2017 leur a d'ailleurs été faite à titre personnel sans aucune référence à leur qualité d'héritier.

Il se déduit de ces constatations que M. et Mme [U] n'avaient pas qualité pour recevoir signification du titre exécutoire constitué par l'acte notarié du 14 septembre 2010 contenant prêt viager hypothécaire.

Le CFF oppose toutefois aux appelants les dispositions des articles 724 et 776 du code civil pour en déduire qu'au jour où le titre lui a été signifié, M. [U], par l'effet rétroactif de la sommation d'opter à laquelle il n'a pas répondu, était réputé avoir accepté la succession depuis l'ouverture de la succession.

Le premier de ces textes dispose que « les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt » et le second que « l'option exercée a un effet rétroactif au jour de l'ouverture de la succession ».

Cependant, l'effet rétroactif au jour du décès se limite aux dispositions patrimoniales et ne peut en aucun cas s'étendre à une procédure d'exécution dont la validité doit s'apprécier au jour où elle est mise en 'uvre. Ainsi, l'option aura un effet rétroactif sur la consistance du patrimoine, ou encore sur la vocation des héritiers à jouir à compter du décès de tous les biens composant la succession, mais elle n'aura aucun effet sur les voies d'exécution entreprises avant qu'elle n'ait été exercée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la signification par acte d'huissier de justice du 26 juin 2017 du titre exécutoire a été faite de manière prématurée, M. [O] [U] et Mme [Y] [K] n'étant pas encore héritiers puisqu'ils n'avaient pas accepté la succession, ni été sommés d'opter, de sorte qu'ils n'avaient pas qualité pour recevoir ledit acte.

Il apparaît ainsi que la signification du titre à héritier est affectée d'un vice de fond de sorte qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'annulation de l'acte.

Il s'ensuit que les commandements aux fins de saisie-vente et de saisie immobilière signifiés à l'encontre des appelants avant le 14 juin 2022 en vertu de l'acte de prêt notarié, sont irréguliers dès lors qu'ils l'ont été sans signification préalable d'un titre exécutoire.

Il sera donc fait droit à la demande d'annulation des commandements aux fins de saisie-vente des 12 octobre 2017 et 11 octobre 2019 ainsi que celle du commandement de payer valant saisie immobilière du 8 juillet 2020, le CFF devant supporter les frais de radiation auprès du service de la publicité foncière.

L'issue du litige rend sans objet l'examen des autres demandes portant sur les irrégularités formelles des actes, sur la prescription de l'action en recouvrement du CFF, sur la nullité du prêt viager et la radiation de l'hypothèque conventionnelle.

Sur la demande de dommages et intérêts :

M. [U] estime avoir subi un préjudice en raison des multiples commandements délivrés, soutenant que les biens qui devraient lui être dévolus par succession ont fait l'objet d'une tentative de captation par le CFF.

Cependant, il ne démontre aucun préjudice causé par la délivrance du commandement de payer valant saisie et des deux commandements aux fins de saisies-vente, étant observé qu'il a été en mesure d'exercer son option successorale et qu'il a hérité du patrimoine de sa mère.

Sa demande à titre de dommages et intérêts doit être rejetée.

Sur les demandes accessoires

L'appelant prospérant en son appel, le CFF devra supporter les dépens de première instance et d'appel.

En revanche, il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

ORDONNE la jonction du dossier n° RG 23/13631 au dossier n° RG 23/13313,

DECLARE l'appel de M. [O] [U] recevable,

INFIRME le jugement du 5 juillet 2023 rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'exception de nullité de la signification du titre exécutoire soulevée par M. [U] et en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [U],

Statuant à nouveau,

PRONONCE l'annulation de l'acte de signification du titre à héritier du 26 juin 2017,

PRONONCE l'annulation des commandements aux fins de saisie-vente des 12 octobre 2017 et 11 octobre 2019,

PRONONCE l'annulation du commandement de payer valant saisie immobilière du 8 juillet 2020,

DIT que le Crédit Foncier de France supportera les frais de radiation du commandement de payer valant saisie immobilière auprès des services de la publicité foncière,

DEBOUTE le Crédit Foncier de France de ses demandes,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE le Crédit Foncier de France aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 23/13313
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;23.13313 ?
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