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27/03/2024 | FRANCE | N°22/19206

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 27 mars 2024, 22/19206


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS









COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 27 MARS 2024



(n° 14, 26 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 22/19206 (appel) - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGWDZ auquel est joint le RG 22/19208 (recours)



Décisions déférées : Ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS





Procès-verbal de visite en date du 18 nouvembre 2022 clos à 14H30 pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du T...

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 27 MARS 2024

(n° 14, 26 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/19206 (appel) - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGWDZ auquel est joint le RG 22/19208 (recours)

Décisions déférées : Ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Procès-verbal de visite en date du 18 nouvembre 2022 clos à 14H30 pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article 450-4 du code de commerce ;

Assisté de Véronique COUVET, Greffier présent lors des débats et du prononcé ;

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par M. Stephen ALMASEANU, Substitut général.

Après avoir appelé à l'audience publique du 13 décembre 2023 :

EURIAL S.A.S.

Prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n° 353 543 358 00280

Élisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 13]

[Localité 10]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477

Assistée de Maîtres Marie-Cécile RAMEAU et Yohann CHEVALIER de la SAS BREDIN PRAT, avocats au barreau de PARIS, toque T 12

APPELANTE ET REQUÉRANTE

et

L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Prise en la personne de son Rapporteur général

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentée par Mme [I] [LO], dûment mandatée

INTIMÉE ET DÉFENDERESSE AU RECOURS

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 13 décembre 2023, les conseils de l'appelante et le représentant du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ;

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 13 décembre 2023, M. Stephen ALMASEANU, substitut général, en son avis.

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 13 mars 2024 pour prononcé en audience publique puis prorogée au 27 mars suivant, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 462 du Code de procédure pénale.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Par ordonnance du 14 novembre 2022, au visa de l'article L. 450-4 du code de commerce, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux des entreprises suivantes :

- SODIAAL UNION, [Adresse 4], [Localité 11], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse, ci-après " SODIAAL " ;

- GROUPE LACTALIS, [Adresse 1] et [Adresse 17], [Localité 7], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après "LACTALIS " ;

- SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES et SAVENCIA, [Adresse 3], [Localité 19], et [Adresse 5], [Localité 12], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, ci-après "SRL" ou "SAVENCIA' ;

- EURIAL, [Adresse 8], [Localité 6], et les sociétés du même groupe sises à la même adresse.

Cette ordonnance faisait suite à une requête en date du 7 novembre 2022 et des pièces qui y sont jointes, du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après ' le rapporteur général') aux fins d'établir si lesdites entreprises se livrent à la pratique prohibée par les articles L. 420-14° du code de commerce et 101-1 c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après ' TFUE ') relevée dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée.

Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 dans les locaux d'EURIAL situés au [Adresse 8], [Localité 6].

Après avoir rappelé, qu'à cette requête, outre la demande d'enquête du rapporteur général du 4 novembre 2022, accompagnée de la copie de la note des rapporteurs, étaient annexés 19 autres documents contenant des pièces communiqués par le rapporteur général, que ces documents ont été recueillis ou reçus par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF en application des articles L. 450-1, L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce, que s'agissant des éléments d'information transmis par la DGCCRF, l'Autorité de la concurrence a pris la direction des investigations sur le fondement de l'article L. 450-5 du code de commerce et que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite puisqu'elles émanent de la consultation d'études, d'avis, de sites Internet et de banques de données électroniques accessibles au public, de l'exercice par la DGCCRF de son droit de communication dont elle semble avoir usé de manière régulière, mais également de la possibilité pour l'Autorité de la concurrence de se voir communiquer les informations ou les documents que la DGCCRF détient ou recueille, le juge des libertés et de la détention a mentionné que dans ladite requête, le rapporteur général fait état d'éléments d'information selon lesquels les entreprises précitées seraient convenues de se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache en violation des dispositions des articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE.

La consultation de ces documents lui a permis de retenir les points suivants :

Comme l'a observé l'Autorité de la concurrence dans son avis relatif au fonctionnement du secteur laitier, ce dernier comporte trois niveaux : la production de lait (qui inclut sa collecte), sa transformation en produits destinés à être consommés ou stockés et la distribution (annexe à la requête n° 18, page 3). Le lait étant une matière première périssable, il est stocké par le producteur sur l'exploitation avant d'être collecté en moyenne tous les deux jours (annexe à la requête n° 18, page 6) et transporté vers un centre de collecte ou une laiterie pour y être transformé au plus tard 72 heures après la traite.

Selon les articles L. 631-24 I et R. 631-7 du code rural et de la pêche maritime, l'achat de lait de vache livré sur le territoire français, quelle que soit son origine, doit faire l'objet de contrats écrits entre producteurs et acheteurs (' contrats d'application '), dont la durée ne peut être inférieure à 5 ans (annexe à la requête n° 2). Selon l'article L. 631-24 II du code rural et de la pêche maritime, lorsque le producteur a donné mandat à une organisation de producteurs reconnue dont il est membre ou à une association d'organisations de producteurs reconnue à laquelle appartient l'organisation de producteurs dont il est membre pour négocier la commercialisation de ses produits sans qu'il y ait transfert de leur propriété, ces contrats sont précédés d'accords-cadres écrits entre organisations de producteurs ou associations d'organisations de producteurs et acheteurs (annexe à la requête n° 2).

Il ressort des éditions 2017, 2021 et 2022 de l'étude intitulée ' L'économie laitière en chiffres ' publiée par le CNIEL que la collecte est passée de 24 milliards de litres de lait de vache en 2016 à 23,5 milliards de litres en 2021 en France alors que selon cette même étude, il existait en 2015 sur le territoire national 61807 exploitations livrant du lait de vache (51656 en 2019 et 50349 en 2020), pour 446 entreprises de collecte (395 en 2019 et 411 en 2020) (annexe à la requête n° 3). En général, l'agriculteur contracte avec un seul acheteur alors que celui-ci s'approvisionne auprès de plusieurs centaines, voire milliers d'exploitants (annexe à la requête n° 3).

Ainsi en 2015, parmi les 446 entreprises de collecte, seules environ 6 % d'entre elles réalisaient 70 % de la collecte et en 2019 et 2020, environ 7 % des entreprises collectrices réalisaient plus de 77 % de la collecte (annexe à la requête n° 3). Le marché de l'approvisionnement de lait de vache se caractériserait par une offre atomisée face à une demande en comparaison concentrée, susceptible de générer un déséquilibre dans le pouvoir de négociation au détriment des producteurs. La puissance de grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, tels que LACTALIS, SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (' SRL '), SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL, serait renforcée par la place également prépondérante qu'ils occupent sur les marchés aval de la transformation et fabrication de produits laitiers (annexe à la requête n° 17).

Dans ce contexte il est souligné que LACTALIS et SRL ont conclu, le 3 juin 2016, un contrat d'achat-vente réciproque de lait de vache départ ferme pour une durée indéterminée à compter du 1er mai 2016 (annexe à la requête n° 4).

Les ventes de lait de vache par les agriculteurs s'effectuent au départ de la ferme et il revient à l'acheteur de se charger de collecter le lait de vache pour l'acheminer vers un centre de collecte ou de transformation.

L'article 1er de ce contrat stipule que LACTALIS et SRL ' s'engagent à se vendre et s'acheter réciproquement du lait entier cru refroidi, départ ferme, de qualité saine, loyale et marchande ' et que le contrat ' repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus et du ramassage pour ordre et compte d'autrui ' et concerne des producteurs de la région Normandie (annexe à la requête n° 4).

Aux termes de l'article 2, il est prévu que ' LACTALIS vendra à SAVENCIA départ ferme, la production laitière de 64 producteurs, désignés en annexe 1. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 522 000 litres. SAVENCIA vendra à LACTALIS, départ ferme, la production laitière des 60 producteurs désignés en annexe 2. La collecte de ces producteurs représente un volume annuel de 27 965 000 litres. (...) ' (annexe à la requête n° 4). Il est en outre précisé que ' les parties conviennent que les listes des producteurs concernés, établies en annexes, ne pourront faire l'objet d'aucune modification sans l'accord exprès de l'autre partie. ' (annexe à la requête n° 4).

L'article 3 du contrat prévoit que ' les ventes de lait réciproques s'effectuant départ ferme, la collecte des quantités de lait est assurée par l'acheteur de ces quantités pour ordre et compte du vendeur. La collecte est assurée toutes les 4 traites pour l'ensemble des producteurs. Les quantités facturées par chaque partie seront les quantités payées (litrage/MG/MP) aux producteurs.' (annexe à la requête n° 4). Cet article ajoute que ' les Parties conviennent expressément que le vendeur conserve la relation avec ses producteurs visés par l'accord, notamment le paiement de la fourniture de lait et la maîtrise de la production laitière ' (annexe à la requête n° 4).

Conformément à l'article 6, les achats et ventes de lait réciproques entre LACTALIS et SRL donnent lieu à des factures établies mensuellement et toutes les obligations de paiement de sommes d'argent qui naissent entre les parties de l'exécution du contrat se compenseront entre elles, le règlement du solde étant effectué une fois par mois (annexe à la requête n° 4). Ainsi, à titre d'exemple, LACTALIS a adressé à SRL plusieurs factures le 31 décembre 2017 correspondant au lait de vache départ ferme collecté par SRL pour ordre et compte de LACTALIS, qui le lui a revendu (annexe à la requête n° 5).

Il ressort de ce contrat que les producteurs de lait ayant un accord avec LACTALIS voient leur lait collecté par SRL et inversement. Les termes de ce contrat à durée indéterminée, en particulier ses articles 2 et 3, signifieraient que LACTALIS s'interdirait de démarcher, contracter et/ou d'acheter du lait de vache auprès des producteurs laitiers ayant conclu un contrat avec SRL (visés en annexe dudit contrat), et réciproquement.

Il est souligné que, derrière l'objectif de rationalisation des coûts de la collecte, le contrat conclu entre LACTALIS et SRL pourrait avoir eu pour objet et/ou effet de répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache entre ces deux entreprises et ainsi d'empêcher les producteurs laitiers de contracter avec l'un des concurrents de leur acheteur actuel. En outre, un tel accord qui repose sur les principes de l'équilibre des volumes achetés et vendus par les parties, serait également susceptible de figer les volumes de lait produits par les producteurs visés en annexe dudit contrat.

Il est donc affirmé que ce contrat pourrait être le support ou révéler une entente entre LACTALIS et SRL prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce.

MM. [H] [FR], [W] [R], [GV] [K] et [T] [Z], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL, ont déclaré le 10 avril 2018 :

' Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le Poitou Charentes). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement) : nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un ' prix d'échange' il correspond à un prix ' moyenne nationale ', valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités ' (annexe à la requête n°6).

Il est indiqué qu'il s'évince de ces déclarations que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur.

Dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [J] [BM], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une ' probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait'. Selon ses dires, 'il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente '. Il a à ce sujet indiqué que 'jusqu'en 1998-2000, un producteur de lait mécontent de sa relation avec sa laiterie, prenait contact avec une laiterie concurrente et, dans les semaines suivantes, c'est cette nouvelle entreprise qui venait acheter son lait. Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche, aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte ' ; ' parmi les acheteurs concernés, il a désigné ' Lactalis, Savencia, ' (annexe à la requête n° 7).

Mme [V] [X] et MM. [UX] [IA] et [TS] [G], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 :

' FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...)

Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune.' (annexe à la requête n° 9).

Mme [B] [YL], conjointe de M. [C] [YL], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 15] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 :

' La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de [Localité 14] (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 18] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 18], et le lait part sur [Localité 14], mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents' (annexe à la requête n° 8).

M. [M] [CS], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 19] en Normandie, a déclaré le 13 septembre 2018 : ' Je suis exploitant agricole depuis 1989. J'exploite 17 hectares en céréales. Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 19]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. BONGRAIN [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. BONGRAIN al' désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 19] ; Je n'ai pas le choix.' (annexe à la requête n° 10).

Il est souligné que cette déclaration fait état de l'existence entre SRL (SAVENCIA) et EURIAL, filiale d'AGRIAL, d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre SRL et LACTALIS.

M. [O] [PD], producteur laitier en Seine-et-Marne, président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de Seine-et-Marne et président de l'établissement régional de l'élevage d'Ile-de-France, a déclaré le 13 novembre 2018 :

' Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique ' (annexe à la requête n° 11).

Cette déclaration fait également état de l'existence entre LACTALIS et SODIAAL d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre LACTALIS et SRL.

Il apparaît ainsi que des contrats d'achat-vente de lait de vache similaires à celui conclu entre SRL et LACTALIS (annexe à la requête n° 4) auraient de la même manière été conclus par les grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, qui leur permettraient de se répartir les producteurs laitiers.

Il est encore mentionné que ces différentes déclarations concordent avec celles d'autres producteurs laitiers figurant dans la presse et avec des articles de presse publiés sur le sujet. Un article intitulé ' Producteurs de lait : Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie' publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [S] [P], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon :

'Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels.' (annexe à la requête n° 12).

Un autre article intitulé 'Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre ', publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : ' Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance. Il est quasiment impossible de changer de laiterie ', indique [N] [D], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1 500 éleveurs. ' La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien... " (annexe à la requête n° 13).

Un dernier article intitulé ' La course infernale des producteurs de lait ' publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : ' Le ' bas de la chaîne ' ' n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : ' Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [CC] [E]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [A] et [Y] sont ' chez Lactalis' comme leurs pères, et que MM. [E] et [F] [U] sont ' chez Sodiaal ' comme les leurs. ' Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [Y].' (annexe à la requête n° 14) ;

Dans le cadre d'un reportage audio intitulé ' Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8: La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels ' diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission ' Les Pieds sur Terre ' de la radio France Culture, M. [EL] [L], producteur laitier en Maine-et-Loire, a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet :

' Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire : Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres '. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non concurrence, il faut l'appeler comme ça.'(annexe à la requête n° 15).

L'ordonnance attaquée énonce qu'il ressort de ces différents éléments d'information que les grands groupes d'approvisionnement en lait de vache semblent avoir mis en place un système de fonctionnement tel que les producteurs laitiers ne seraient pas en position de choisir librement l'entreprise qui va procéder à la collecte et que cette répartition des sources d'approvisionnement entre collecteurs pourrait également avoir des conséquences négatives sur le prix payé aux producteurs de lait de vache.

Il est constaté que la mesure de vérification demandée par le rapporteur général aura pour objectif de confirmer ou d'infirmer l'existence de tels agissements décrits et analysés ci-dessus, ainsi que leurs auteurs dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache.

Il est donc considéré que l'ensemble de ces agissements semble constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes à dimension nationale visant à se répartir les sources d'approvisionnement en lait de vache, susceptible de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-1 4° du code de commerce. Si la pratique illicite présumée examinée peut toucher potentiellement l'ensemble ou une partie du territoire national, elle est également susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre États membres et de relever ainsi de l'application de l'article 101-1 c) du TFUE.

Le juge des libertés et de la détention a considéré que la portée de ses présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues aux articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du TFUE et que la recherche de la preuve de cette pratique apparaît justifiée. L'énumération des agissements pour lesquels il existe des présomptions d'entente n'est probablement pas exhaustive, ceux mentionnés dans sa décision n'étant que des illustrations de la pratique prohibée dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné.

Il est relevé que rien n'interdit de retenir, comme éléments de présomptions des faits non prescrits, des documents ou des éléments d'information datant de plus de 5 ans (annexe à la requête n° 20).

Il est affirmé que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.

Dans ces conditions, il est considéré que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du code de commerce constitue le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché alors que les opérations de visite et de saisie sollicitées n'apparaissent pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre puisque les intérêts et droits des entreprises concernées sont garantis dès lors que les pouvoirs des agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce sont utilisés sous son contrôle.

Il est rappelé que le juge peut, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, autoriser des visites et saisies en tous lieux dès lors qu'il constate que des documents se rapportant à des pratiques anticoncurrentielles présumées sont susceptibles de s'y trouver (annexe à la requête n° 19).

Aux termes de la requête qui lui a été présentée, le juge des libertés et de la détention considère qu'il est vraisemblable que les documents et les supports d'information utiles à l'apport de la preuve recherchée se trouvent dans les locaux des entreprises LACTALIS, SRL, SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL et qu'il est nécessaire de permettre aux agents mentionnés à l'article L. 450-1 du code de commerce d'intervenir simultanément afin d'éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels de preuve.

La requête du rapporteur général apparaissant fondée, il y a été fait droit.

LA PROCÉDURE

EURIAL a interjeté appel de cette ordonnance le 25 novembre 2022 et et exerçait un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie le même jour.

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 13 décembre 2023.

Sur l'appel (RG n° 22/ 19206)

La SAS EURIAL, par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 14 novembre 2023, au visa des articles L. 450-4, alinéa 2, L. 420-1 du code de commerce, de l'article 101, paragraphe 1er, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- À titre principal, d'annuler l'ordonnance n° 2022/03 du 14 novembre 2022 du Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris ;

- À titre subsidiaire, de réformer l'ordonnance précitée et de rejeter la demande d'autorisation du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence de procéder à des opérations de visites et saisies dans les locaux d'Eurial sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce ;

En toutes hypothèses de :

- juger que les opérations de visites et saisies qui se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 dans les locaux d'Eurial sur le fondement de l'Ordonnance précitée sont nulles de plein droit ;

- ordonner à l'Autorité de la concurrence de restituer à Eurial l'ensemble des documents saisis sous format électronique et papier lors des opérations de visites et saisies qui se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 dans ses locaux situés au [Adresse 8], [Localité 6], ainsi que la suppression définitive des éventuelles copies ;

- condamner l'Autorité de la concurrence à verser la somme de 20 000 euros à Eurial, en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

L'Autorité de la concurrence dans ses observations récapitulatives en date du 16 octobre 2023, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ;

- rejeter la demande de restitution, par voie de conséquence, des pièces saisies dans les locaux d'Eurial le 17-18 novembre 2022 ;

- condamner Eurial au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le ministère public dans son avis reçu au greffe de la cour le 8 décembre 2023, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de rejeter l'appel de la SAS EURIAL et de confirmer l'ordonnance entreprise.

Sur le recours (RG n° 22/19208)

La SAS EURIAL, par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de PARIS le 14 novembre 2023, au visa des articles L. 450-4, alinéa 2, L. 420-1 du code de commerce, de l'article 101, paragraphe 1er, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

À titre principal :

- d'annuler les opérations de visite et saisie qui se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 au sein des locaux d'Eurial situés au [Adresse 8] à [Localité 6] ;

À titre subsidiaire de :

- annuler la saisie de l'ensemble des correspondances avocat-client visées en Pièce n° 5 ;

- annuler la saisie des documents, visés en Pièce n° 6, qui sont dénués de tout lien avec l'objet des opérations de visite et saisie autorisées par l'ordonnance n° 2022/03 du 14 novembre 2022 du JLD près le Tribunal judiciaire de Paris ;

En toutes hypothèses de :

- ordonner la restitution immédiate de l'ensemble des documents dont la saisie a été annulée ;

- ordonner la destruction immédiate par l'Autorité de la concurrence des copies des documents dont la saisie a été annulée et de tout document élaboré à partir des documents dont la saisie a été annulée ;

- interdire à l'Autorité de la concurrence de faire un quelconque usage de ces documents et de leur contenu, en original ou en copie ;

- condamner l'Autorité de la concurrence à verser la somme de 20 000 euros à Eurial, en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

L'Autorité de la concurrence dans ses observations reçues au greffe de la cour le 11 décembre 2023, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- rejeter les demandes, à titre principal, d'annulation des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées du 17 au 18 novembre 2022 dans les locaux d'Eurial et de restitution de l'ensemble des documents saisis ;

- rejeter la demande, à titre subsidiaire, d'annulation des 94 documents prétendument couverts par le secret de la correspondance avocat-client listés en pièces adverses n° 51 et 5-2 et produits en pièce adverse n° 8-1, pour défaut de justification et motivation des allégations de la requérante pour chacun d'entre eux du lien avec l'exercice des droits de la défense, à l'exception des 5 éléments portant les n° 25, 28, 37 et 45 (document en double dans la pièce adverse n° 8-1) dans la pièce adverse n° 5-1 ;

- rejeter la demande, à titre subsidiaire, d'annulation des 93 documents prétendument hors objet de l'enquête listés en pièce adverse n° 6-1 et produits en pièce adverse 8-2, pour défaut de justification et motivation pour chacun d'entre eux ;

- condamner la société Eurial au paiement de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le ministère public dans son avis reçu au greffe de la cour le 8 décembre 2023, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris d'annuler la saisie des documents ne concernant que le lait de chèvre, sauf s'il est démontré in concreto par l'Autorité de la concurrence que certains d'entre eux peuvent être utile à l'enquête.

MOTIVATION

SUR LA JONCTION

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient en application de l'article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 22/19206 et RG 22/19208 qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

SUR L'APPEL (RG n° 22/19206)

L'autorisation était donnée par une ordonnance signée le 14 novembre 2022, et les opérations de visites domiciliaires et saisies étaient effectuées dans les locaux d'EURIAL situés au [Adresse 8] [Localité 6], les 17 et 18 novembre 2022, opérations dont il était dressé procès-verbal le 18 novembre 2023 à 01 h 30. Dans les locaux, étaient notamment saisis près de 1 760 pages de documents papiers qui se trouvaient dans six bureaux différents et plus de 2 331 481 éléments informatiques contenus dans six ordinateurs, trois espaces partagés, deux disques durs externes et plusieurs clés USB.

EURIAL demande l'annulation de l'ordonnance du 14 novembre 2022 en raison de la violation alléguée de l'article L. 450-4 du code de commerce par le juge des libertés et de la détention, qui n'aurait pas vérifié le bien-fondé de la requête (1). À titre subsidiaire, elle fait valoir que, selon elle, les opérations de visites et de saisies ont été autorisées sur la base d'une requête radicalement infondée (2), et qu'en tout état de cause la mesure d'enquête autorisée par le juge des libertés et de la détention n'était ni nécessaire, ni proportionnée à l'objectif recherché (3).

1. Le juge des libertés et de la détention n'aurait pas vérifié le bien-fondé de la requête :

EURIAL, dans ses conclusions récapitulatives en date du 14 novembre 2023 (§ 15 à § 43), soutient que l'ordonnance du 14 novembre 2022 doit être annulée car le juge des libertés et de la détention a méconnu l'exigence légale de l'article L. 450-4 alinéa 2 du code de commerce en ne se livrant pas à l'analyse du bien-fondé de la requête. Il est soutenu que le juge des libertés et de la détention n'aurait pas analysé lui-même les pièces annexées à la requête, se bornant à reprendre au mot près la présentation des indices faites dans la requête et sans en analyser la pertinence des éléments fournis.

Selon EURIAL, le rapporteur n'a produit aucune pièce, ni aucun élément concernant la société EURIAL qui permettrait de présumer qu'elle se serait livrée à des pratiques anticoncurrentielles. Il est ainsi soutenu que les pièces numérotées 1, 6, 8 et 9 ne concernent pas directement EURIAL, mais AGRIAL s'agissant des pièces 6, 9, sans être conclusives et que la pièce n° 17 concerne une étude générale du Xerfi sur la fabrication de produits laitiers. L'annexe n° 10 à la requête, s'agissant d'une simple déclaration d'un agriculteur selon laquelle ' BONGRAIN a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte ', qui ne contiendrait aucun indice d'un accord entre Eurial et Bongrain (devenue Savencia), ni de la présence d'une clause de non-concurrence, serait insuffisante pour créer la présomption d'agissement anticoncurrentiel à l'encontre d'Eurial.

EURIAL soutient en outre que le juge des libertés et de la détention n'a pas relevé que certains éléments d'informations qui figurent dans les annexes de la requête, mais non cités dans celle-ci, viendraient contredire de manière expresse l'existence d'une collusion entre collecteurs de lait de vache qui impliquerait EURIAL (par exemple, parmi de nombreuses déclarations, celle du 3 janvier 2018 de Madame [B] [YL], conjointe d'agriculteur, expliquant qu'elle possède un réel pouvoir de négociation avec sa laiterie sur le prix du lait).

L'Autorité de la concurrence explique que rien ne permet à la requérante d'affirmer que le juge des libertés et de la détention n'a pas concrètement exercé son contrôle en se démarquant des termes de la requête.

Sur l'allégation selon laquelle les soupçons de l'administration reposeraient uniquement sur un contrat conclu entre Lactalis et Savencia Ressources Laitières (SRL) (annexe à la requête n° 4), l'Autorité de la concurrence rétorque que le juge des libertés et de la détention n'a pas fondé sa décision sur ce seul contrat, mais sur un faisceau d'indices lui permettant d'établir la présomption de l'existence d'une pratique anticoncurrentielle tel qu'il ressort explicitement de l'ordonnance du 14 novembre 2022.

Sur l'argument selon lequel la requête se fonde sur des documents qui ne concernent pas Eurial, il apparaît que différents indices permettent d'identifier l'entreprise Eurial et de lier cette dernière à la pratique anticoncurrentielle suspectée.

Sur l'argument selon lequel Eurial n'est mentionnée que dans une seule pièce, l'annexe à la requête n° 10, soit un procès-verbal de déclaration et de prise de copie de documents de M. [M] [CS], gérant de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de la Greardière, dressé, en application des articles L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce, par une contrôleuse et un inspecteur de la DGCCRF le 13 septembre 2018, l'Autorité de la concurrence soutient qu'Eurial/Agrial apparaît dans 7 annexes à la requête (annexes à la requête n° 1, 6, 8, 9, 10, 16 et 17), parmi lesquels quatre témoignages et une étude sur la fabrication des produits laitiers.

L'Autorité de la concurrence rappelle en toute hypothèse qu'un seul indice suffirait et le seul fait qu'Eurial paraisse impliquée dans la pratique suspectée est suffisant pour permettre d'autoriser les opérations de visite et saisie. Dès lors, quand bien même le nom d'Eurial n'apparaîtrait que dans un seul document, cela ne ferait pas obstacle à l'autorisation des opérations de visite et saisie.

Sur l'argument selon lequel l'ordonnance reprendrait mot pour mot la requête, l'Autorité de la concurrence rappelle qu'il est toujours loisible au juge, s'il entend se démarquer des termes de la requête, d'y substituer d'autres motifs et un autre dispositif et qu'aucun élément ne permet à l'appelante de soutenir qu'il n'y a pas eu un examen attentif par le juge des 20 annexes utiles jointes à la requête afin de s'assurer de l'adéquation entre les pièces produites et les énonciations de l'ordonnance, ainsi que de la pertinence de ces pièces au regard de l'appréciation qu'il doit opérer quant à l'existence d'une présomption d'un système d'ententes.

Le ministère public est d'avis que la requête et l'ordonnance se basent sur un faisceau d'indices (voir notamment pages 4 à 8 de l'ordonnance) faisant présumer l'existence, derrière l'existence d'accords de collecte, de pratiques pouvant être anticoncurrentielles, et mettant en cause l'ensemble des intervenants du secteur de la collecte de lait, dont EURIAL. EURIAL est déterminée comme occupant une position prépondérante dans ce secteur (annexes 8, 10 et 17 de la requête) et elle a conclu au moins un accord de collecte avec SAVENCIA, étant précisé que deux autres annexes, les annexes 6 et 9, font référence à AGRIAL, sa société mère.

Le ministère public considère qu'à ce stade de l'enquête, conformément à une jurisprudence constante, ces indices sont suffisants pour justifier du bien-fondé d'opérations de visites domiciliaires et saisies et donc de l'ordonnance du 14 novembre 2022, peu important au passage que cette ordonnance reprenne les termes de la requête, la pratique de l'ordonnance pré-rédigée, que le juge des libertés et de la détention peut modifier à sa guise avant de signer (ou de ne pas signer bien sûr), ayant été validée à de très nombreuses reprises.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il convient de rappeler qu'au stade de l'ordonnance d'autorisation, qui ne se fonde que sur la réunion de simples indices et non de présomptions précises, graves et concordantes, il n'y a pas lieu de rechercher si les éléments constitutifs de telle ou telle infraction sont réunis. Le juge doit se limiter à apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont fournis, il existe des présomptions simples d'agissements prohibés sans qu'il soit nécessaire d'exiger une preuve suffisante de chacun d'eux pris isolément (Cass. crim. 8 novembre 2017, n° 16-84525 ; n° 16-84531).

Il est constant qu'il suffit au juge des libertés et de la détention de ne retenir qu'un seul indice laissant apparaître de simples présomptions d'agissements prohibés pour lui permettre de délivrer une ordonnance d'autorisation de visite et de saisie.

En l'espèce, EURIAL, société faîtière de la branche lait d'AGRIAL, contrôlée selon ses propres écritures par la société coopérative agricole AGRIAL, collectant du lait de vache notamment auprès des producteurs adhérents d'AGRIAL, est visée dans la requête et l'ordonnance comme une société occupant une place prépondérante dans ce marché (cf. annexes 8, 10 et 17) alors que d'autres annexes font référence à sa maison mère AGRIAL (annexes n° 6 et 9).

L'enquête sous-jacente à la demande d'autorisation accordée vise à établir ou non des soupçons de pratiques anticoncurrentielles à l'encontre des entreprises et coopératives laitières développant l'activité la plus significative sur ce marché très concentré comme l'atteste l'annexe n° 17 à la requête reprise par l'ordonnance dans sa motivation. Il ressort ainsi de l'ordonnance entreprise qu'elle se réfère à cette annexe à la requête n° 17 qui concerne bien EURIAL et selon laquelle ' Il ressort des éditions 2017, 2021 et 2022 de l'étude intitulée ' L'économie laitière en chiffres' publiée par le CNIEL que la collecte est passée de 24 milliards de litres de lait de vache en 2016 à 23,5 milliards de litres en 2021 en France alors que selon cette même étude, il existait en 2015 sur le territoire national 61807 exploitations livrant du lait de vache (51656 en 2019 et 50349 en 2020), pour 446 entreprises de collecte (395 en 2019 et 411 en 2020) (annexe à la requête n° 3). En général, l'agriculteur contracte avec un seul acheteur alors que celui-ci s'approvisionne auprès de plusieurs centaines, voire milliers d'exploitants (annexe à la requête n° 3). Ainsi en 2015, parmi les 446 entreprises de collecte, seules environ 6% d'entre elles réalisaient 70 % de la collecte et en 2019 et 2020, environ 7 % des entreprises collectrices réalisaient plus de 77 % de la collecte (annexe à la requête n° 3). Le marché de l'approvisionnement de lait de vache se caractériserait par une offre atomisée face à une demande en comparaison concentrée, susceptible de générer un déséquilibre dans le pouvoir de négociation au détriment des producteurs. La puissance de grands groupes laitiers présents sur le secteur de l'approvisionnement en lait de vache, tels que LACTALIS, SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (' SRL'), SODIAAL et EURIAL, la branche lait du groupe AGRIAL, serait renforcée par la place également prépondérante qu'ils occupent sur les marchés aval de la transformation et fabrication de produits laitiers.'

Il ressort de l'annexe à la requête n°17, soumise au juge des libertés et de la détention, qu'" Eurial est la principale entité de la branche. L'entreprise Eurial concentre près de la moitié de l'activité du pôle laitier d'Agrial. Elle s'appuie sur 16 laiteries et fromageries sur le territoire français et 4 plate-formes logistiques pour assurer la distribution de 650 000 tonnes de produits par an. La filiale Eurial Ultra Frais est la société de la branche dédiée à la fabrication de produit laitier ultra-frais pour marques de distributeurs (qui représente un tiers de l'activité laitière d'Agrial). Leader en France au sein de ce segment, elle produit chaque année quelque 390 000 tonnes de yaourts, crèmes, desserts lactés et fromages frais. Détruite par un incendie en février 2020, la reconstruction de la fromagerie de [Localité 16] (85) a respecté son planning en 2021 et est opérationnelle depuis le printemps 2022. L'usine va monter progressivement en puissance pour atteindre une production de 24 000 tonnes de mozzarella, représentant plus de 200 millions de litres de lait transformés. "

En outre, l'ordonnance attaquée se réfère dans sa motivation à l'annexe à la requête n° 10, soit une déclaration de M. [M] [CS], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 19] en Normandie, qui a déclaré le 13 septembre 2018 : ' Je suis exploitant agricole depuis 1989. J'exploite 17 hectares en céréales. Je suis producteur de lait de vache, avec un troupeau de 80 vaches laitières et une production annuelle 673 000 de litres, collectés au centre de collecte d'AGRIAL [Localité 19]. SAVENCIA a un accord avec AGRIAL concernant la collecte. (...). Pour l'historique, l'Union laitière Normande a fait faillite. BONGRAIN [aujourd'hui SAVENCIA Fromage & Dairy] a racheté cette coopérative à hauteur de 14 %, le reste des capitaux étaient privés. BONGRAIN a désormais une convention avec EURIAL pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte. LACTALIS a également des conventions pour optimiser les coûts de collecte. (...). Si je souhaitais changer de laiterie, je ne pourrais pas, car les laiteries ne sont pas en recherche de nouveaux fournisseurs. Elles demandent à leurs fournisseurs actuels d'augmenter leur nombre de litres. Toutes les laiteries veulent gérer leur propre organisation de producteurs. La livraison de ma collecte est destinée au centre de collecte de [Localité 19] ; Je n'ai pas le choix.'.

Le juge des libertés et de la détention souligne ainsi à bon droit que cette déclaration fait état de l'existence entre SRL (SAVENCIA) et EURIAL, filiale d'AGRIAL, d'un contrat d'achat/vente réciproque de lait de vache similaire à celui conclu entre SRL et LACTALIS. Il ressort ainsi des pièces annexées à la requête n° 10 et 17 qu'Eurial occupe une position prépondérante dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache et a conclu au moins un accord de collecte avec un concurrent Savencia (anciennement Bongrain), accord similaire à celui visé en annexe à la requête n°4.

En outre, en l'espèce, il ressort des annexes n° 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 (soit notamment les déclarations de producteurs et de professionnels du secteur recueillies) et 17 auxquelles l'ordonnance se réfère, que le parallélisme des comportements des acteurs du secteur de l'approvisionnement en lait de vache visés par l'autorisation est susceptible de constituer une présomption sérieuse de comportement anticoncurrentiel.

Ainsi, l'analyse du juge se fonde également sur les autres annexes à la requête, notamment les auditions des producteurs de lait de vache et les autres représentants des organisations professionnelles entendus (annexes à la requête précitées n° 6, 7, 9,10, 11,12, 13, 14 et 15) qui viennent corroborer son analyse du risque anticoncurrentiel que présentent les accords de collecte entre les entreprises visées par l'ordonnance :

C'est ainsi que MM. [H] [FR], [W] [R], [GV] [K] et [T] [Z], respectivement directeur gestion finances, chef comptable, directeur ressources laitières du bassin ouest et responsable du contrôle de gestion et de la facture de lait de l'entreprise SRL confirment la pratique généralisée par les entreprises chargées de l'approvisionnement en lait de vache, dont SRL de la conclusion d'accord d'échanges de collecte. Ils ont déclaré le 10 avril 2018 : ' Nous achetons notre lait aux producteurs qui sont regroupés en OP (ainsi que 2 indépendants), soit à des coopératives (Agrial pour l'Ouest et Terra Lacta pour le Poitou Charentes). Tout ce qui est poudre est acheté par une autre filiale. Nous avons des échanges de lait avec Lactalis et Sodiaal (principalement): nous collectons le lait de certains producteurs Lactalis et Sodiaal et inversement, de façon à optimiser les tournées de collecte. Cela représente 15 à 20 % de notre collecte (...) Le prix du lait retenu avec Lactalis et Sodiaal est un ' prix d'échange' il correspond à un prix ' moyenne nationale ', valable sur tout le territoire. Nous avons un contrat avec chacune de ces 2 entités ' (annexe à la requête n°6).

Partant c'est à juste titre que le juge des libertés et de la détention déduit de ces déclarations ' que SRL aurait conclu un accord similaire avec SODIAAL, que les comportements observés ne seraient pas circonscrits à LACTALIS et SRL et qu'une répartition similaire des sources d'approvisionnement en lait de vache pourrait avoir été convenue entre SRL et SODIAAL. Ces soupçons d'agissements illicites seraient corroborés par plusieurs déclarations de producteurs laitiers et représentants d'organisations de producteurs laitiers indiquant se trouver dans l'impossibilité de changer d'entreprise de collecte du lait, du fait notamment, d'accords passés entre les différentes entreprises actives dans ce secteur.'.

C'est ainsi que dans un courriel adressé le 7 août 2017 au ministère de l'économie et des finances, M. [J] [BM], société TMCE (Technique Minérale de Culture et d'Elevage) a dénoncé une ' probable entente illicite entre industriels du lait depuis environ 17 ans aux dépens des producteurs de lait '. Selon ses dires, ' il ne serait désormais plus possible à un producteur de changer de laiterie et de signer un contrat avec une laiterie concurrente '. (...) ' Depuis 2000-2002, un producteur peut tenter la même démarche (changer de laiterie et signer un nouveau contrat avec une laiterie concurrente), aucune nouvelle laiterie n'accepte de venir collecter son lait. Le producteur n'a plus aucune possibilité de faire jouer la concurrence. (...) Les laiteries ont gelé la répartition de la ressource lait entre elles et toutes respectent ce pacte ' ; Le juge souligne que ' parmi les acheteurs concernés, il a désigné ' Lactalis, Savencia, ' (annexe à la requête n°7).

Mme [V] [X] et MM. [UX] [IA] et [TS] [G], respectivement prestataire en secrétariat, co-président et responsable des relations commerciales avec SRL et co-président et responsable des relations commerciales avec LACTALIS de l'association de producteurs France Milkboard (FMB) Normandie, et d'autres zones géographiques depuis 2014, ont déclaré le 6 juillet 2018 : ' FMB bassin normand traite avec 4 industriels : SAVENCIA, LACTALIS, FLECHARD (début de négociation depuis 2018) et MILLERET (fromagerie en France Comté, rédaction du contrat cadre, négociation en septembre prochain). (...). Un éleveur laitier n'a pas le choix de sa laiterie, selon son lieu géographique et son historique. On peut quitter sa laiterie, mais aucune autre laiterie ne nous reprendra. Avec la signature du contrat d'application, le producteur est main et poing liés avec la laiterie, car le volume est lié au contrat. Le jour où vous n'avez plus de contrat, vous n'avez plus de volumes. Il faut retrouver un autre contrat, et c'est impossible car il y a une entente entre eux. La seule exception est l'installation d'un jeune.' (annexe à la requête n° 9).

Mme [B] [YL], conjointe de M. [C] [YL], exploitant céréalier et producteur laitier à [Localité 15] en Normandie, a déclaré le 4 juillet 2018 : ' La production laitière annuelle est d'environ 230 000 litres collectés par la fromagerie de [Localité 14] (groupe SAVENCIA /EURIAL), et payé SAVENCIA RESSOURCES LAITIERES (SRL) du centre de [Localité 18] (...). Je n'ai pas eu le choix sur le lieu géographique du centre de collecte, je dépends de [Localité 18], et le lait part sur [Localité 14], mais il peut partir vers d'autres laiteries du groupe ou de concurrents ' (annexe à la requête n° 8).

M. [O] [PD], producteur laitier en Seine-et-Marne, président de l'Association des Eleveurs Producteurs de Lait de Seine-et-Marne et président de l'établissement régional de l'élevage d'Ile-de-France, a déclaré le 13 novembre 2018 : ' Les producteurs peuvent difficilement changer d'acheteur car il y a les accords de collecte notamment entre SODIAAL et LACTALIS. C'est un frein au changement lorsqu'il n'y a qu'une seule société qui collecte. La collecte est stratégique dans notre secteur de production car le produit devient rapidement non commercialisable. Il me semble que LACTALIS maintient ses producteurs dans un état de dépendance économique ' (annexe à la requête n° 11).

Un article intitulé ' Producteurs de lait : ' Nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie' publié par le journal Ouest France, le 31 janvier 2017, relate les déclarations de M. [S] [P], président de l'association des producteurs de lait de la Laiterie nouvelle de l'Arguenon : ' Cette année, le prix moyen annuel payé aux producteurs étant largement inférieur à la valorisation de l'entreprise, le différentiel ne revient qu'aux coopérateurs. Cette situation est forcément subie, car nous n'avons pas la liberté de changer de laiterie, à cause d'accords de collecte entre industriels.' (annexe à la requête n° 12).

Un autre article intitulé ' Lactalis : les éleveurs ne veulent plus compter pour du beurre ', publié par le journal Les Echos, le 24 janvier 2018, précise : ' Dans tous les cas, les producteurs ont intérêt à ce que Lactalis conserve sa place de leader et maintienne sa croissance. ' Il est quasiment impossible de changer de laiterie ', indique [N] [D], coordinatrice de l'OPLGO (Organisation de producteurs laitiers du Grand Ouest) qui regroupe 1 500 éleveurs. La concentration de ce secteur industriel permet rarement aux éleveurs de modifier leurs conditions de livraison. ' La gestion des flux pour le ramassage du lait dans les fermes est organisée à partir d'ententes entre industriels. Les producteurs sont donc pieds et poings liés avec leur laiterie, sauf dans des bassins en tension, comme dans le sud-ouest et le centre de la France où le nombre des éleveurs ne cesse de se réduire, ce qui permet à ceux qui restent de plus facilement négocier avec les laiteries. Un mal pour un bien... " (annexe à la requête n° 13).

Un dernier article intitulé ' La course infernale des producteurs de lait ' publié par le journal Le Monde diplomatique, le 1er février 2021, mentionne : ' Le ' bas de la chaîne ' ' n'a d'autre choix que d'accepter les conditions des collecteurs de sa région, qu'une main invisible semble harmoniser : ' Moi, je suis Sodiaal, et mon voisin Lactalis, mais c'est le même camion qui nous ramasse, s'amuse M. [CC] [E]. Ils s'arrangent entre eux. Ça me fait bien rigoler ; ce n'est pas de la concurrence. Sur les prix aussi, ils sont pareils, au centime près.' Mais gare à celui qui s'aviserait de changer de laiterie : C'est dangereux, car personne ne te prendra en face ! Les groupes s'accordent en effet pour s'épargner une coûteuse lutte de captation de producteurs. C'est ainsi que MM [A] et [Y] sont ' chez Lactalis' comme leurs pères, et que MM. [E] et [F] [U] sont ' chez Sodiaal ' comme les leurs. ' Quand tu reprends une ferme, tu reprends ses quotas et sa laiterie résume M. [Y].' (annexe à la requête n° 14) ;

Dans le cadre d'un reportage audio intitulé ' Journal Breton - Saison 2 ; Episode 8 : La fabrique du silence : les agriculteurs sous pression des industriels ' diffusé le 29 janvier 2018 par l'émission ' Les Pieds sur Terre ' de la radio France Culture, M. [EL] [L], producteur laitier en Maine-et-Loire, a expliqué avoir tenté de trouver une nouvelle entreprise pour collecter le lait de vache qu'il produit à la suite de la dénonciation par LACTALIS du contrat qui les liait et il a précisé à ce sujet :

' Mais ce qui a été le plus dur pour moi à accepter c'est d'entendre certaines secrétaires vous dire :

Oh mais normalement on n'a pas le droit, c'est interdit par les lois, mais nous, on a des accords avec Lactalis, donc on ne touche pas à leurs producteurs et puis eux ils ne touchent pas aux nôtres '. Et ça, c'est royalement interdit mais ça se pratique quasiment tout le temps. C'est des accords de non concurrence, il faut l'appeler comme ça.' (annexe à la requête n° 15).

L'annexe n° 10, dans le cadre des éléments apportés par l'annexe n° 17, corroborées par les annexes 4 à 15 précitées, permet d'établir un lien entre EURIAL, SAVENCIA/SRL et la pratique des contrats d'échange de collecte de lait. Au stade de la démonstration de l'existence de simples indices de mise en 'uvre de pratiques anticoncurrentielles, est de nature à justifier l'autorisation de visite et de saisie concernant EURIAL.

En outre, les motifs et le dispositif de l'ordonnance d'autorisation sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, peu important que l'ordonnance reprenne comme en l'espèce les termes de la requête (Cass. crim. 11 juillet 2017, n° 16-8104).

Ce moyen sera écarté.

Sur l'absence d'indices laissant présumer des pratiques anticoncurrentielles :

La société EURIAL soutient qu'aucun élément n'est produit permettant de faire le lien entre les pratiques prohibées présumées et ses activités. Il est affirmé qu'en ce qui concerne Eurial que le seul indice documentaire mentionnant Eurial ne permet pas de présumer qu'elle aurait conclu un contrat similaire au contrat Lactalis / SRL visé dans la Requête, que le seul fait d'être un ' grand groupe laitier' ne constitue nullement un indice suffisant pour créer une présomption d'agissement anticoncurrentiel, que le seul contrat annexé à la requête, conclu entre Lactalis et SRL (qui ne concerne donc pas Eurial), ne suffit pas à matérialiser le moindre agissement anticoncurrentiel et que les déclarations des quelques producteurs auditionnés ne constituent en aucun cas des indices crédibles et convergents de l'existence d'une entente impliquant Eurial. EURIAL fait ainsi valoir que la seule mention d'Eurial dans la déclaration d'un unique producteur (Monsieur [CS]), à savoir que 'BONGRAIN a désormais une convention Eurial pour la collecte afin d'optimiser les coûts de collecte' ne peut suffire à présumer d'une quelconque pratique anticoncurrentielle mise en 'uvre par Eurial.

L'Autorité de la concurrence réplique que le juge des libertés et de la détention a pu se fonder sur de nombreux éléments concernant EURIAL, filiale d'AGRIAL (annexes n° 1, 6, 8, 9, 10, 16 et 17) pour déterminer qu'il existait contre elle des présomptions suffisantes pour légitimer des opérations de visites domiciliaires et saisies (Ordonnance du 14 novembre 2022, pages 4 à 10).

Le ministère public considère qu'au stade de la demande d'autorisation d'opérations de visites domiciliaires et saisies, s'il n'est pas question de demander à l'Autorité de la concurrence la preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles contre toutes les entreprises concernées, elle doit en revanche, conformément à une jurisprudence bien établie présenter des indices aboutissant à une ou plusieurs présomptions de pratiques prohibées, un seul indice pouvant du reste être suffisant. Le ministère public est d'avis que les différents témoignages des producteurs ne sont pas les seuls fondements de la requête, qui vise une vingtaine d'autres pièces, notamment des analyses du secteur, des enquêtes journalistiques et des avis de l'Autorité de la concurrence comme d'autorités étrangères. Tous ces éléments établissent un faisceau d'indices pouvant laisser présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles et légitimant l'ordonnance du 14 novembre 2022.

Sur ce, le magistrat délégué :

Ce moyen formulé à titre subsidiaire reprend en fait les arguments développés au soutien du premier moyen auquel il a déjà été répondu précédemment. Il sera référé aux motifs y répondant.

Ce moyen sera donc écarté pour ces mêmes motifs.

2) Sur la proportionnalité de la mesure :

La société EURIAL soutient que le juge des libertés et de la détention s'est abstenu de procéder à un contrôle de proportionnalité de la mesure, car son ordonnance se borne pour justifier le recours à des opérations de visites et de saisies dans les locaux de la société Eurial, c'est-à-dire à une enquête dite lourde, à recourir à une formule générale et abstraite. Il est soutenu que ce juge n'a pas procédé à un contrôle de la nécessité entre le but poursuivi et les moyens utilisés avant d'autoriser les opérations de visites et saisies litigieuses, et partant a violé les exigences de l'article 8 paragraphe 2 de la CESDH.

L'appelante soutient que les soupçons de l'Autorité de la concurrence portaient, non pas sur une entente secrète, mais sur des clauses de non-concurrence qui seraient contenues dans des contrats d'achat-vente réciproque de lait de vache conclus entre laiteries pour optimiser leurs tournées de collecte chez les producteurs.

L'Autorité de la concurrence rappelle qu'il a été jugé tant par les juridictions nationales qu'européennes que les visites domiciliaires prévues à l'article L. 450-4 du code de commerce sont respectueuses des principes de nécessité et de proportionnalité. Elle rappelle en outre que la procédure prévue par cette disposition n'est pas subsidiaire à celle de l'enquête simple de l'article L. 450-3 du code de commerce et que la procédure a été en l'espèce proportionnée aux agissements complexes et secrets recherchés.

Le ministère public considère qu'au vu de la gravité des comportements anticoncurrentiels présumés, à une échelle nationale et sur un marché très important, des investigations comportant des opérations de visites domiciliaires et saisies étaient nécessaires et proportionnées. Il rappelle qu'aux termes d'une jurisprudence constante et souvent réitérée, qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve ; ' Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements constitutif d'infraction, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne de l'entreprise ou relatifs à l'organisation interne, que les représentants des entreprises n'ont pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique (')'.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il convient de rappeler qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuve. L'enquête lourde n'est pas subsidiaire et devient inévitable lorsque les pratiques anticoncurrentielles qui sont présumées procèdent d'agissements complexes et secrets comme il est allégué en l'espèce.

Il est en effet de jurisprudence établie en matière d'opérations de visite et de saisie diligentées par l'administration qu'aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres procédures moins intrusives (Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-70.509).

Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements constitutifs de pratiques anti- concurrentielles, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve de ces agissements et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne de l'entreprise ou relatifs à l'organisation interne, que les représentants des entreprises n'ont pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique. Du reste, le juge des libertés et de la détention dans sa décision précise à bon droit en l'espèce que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons. En effet, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui ont pour objet ou effet de se répartir les sources d'approvisionnement sont établies suivant des modalités secrètes, de sorte que les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont vraisemblablement détenus et conservés en des lieux et sous des formes qui facilitent leur dissimulation, destruction ou altération en cas de vérification.

Sur l'absence de proportionnalité alléguée par l'appelante, il convient en effet de rappeler que les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce prévoient que les agents des administrations visées à l'article L. 450-1 du même code disposent d'un droit de visite et de saisie, soit dans le cadre d'une enquête demandée comme en l'espèce par l'Autorité de la concurrence, soit visant à conforter les indices selon lesquelles une entité aurait commis une infraction aux dispositions du livre IV du même code. Cette mesure, prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce est encadrée par des règles de fond et procédurales et, notamment, ces visites sont autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui même si rendue non contradictoirement, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel, de même que le déroulement des opérations de visite et de saisie. La décision du premier président de la cour d'appel pouvant faire l'objet d'un pourvoi.

Il convient de rappeler qu'en exerçant son contrôle in concreto sur le dossier présenté par l'autorité administrative indépendante, le juge des libertés et de la détention exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'autorité requérante à avoir recours à d'autres moyens d'enquête moins intrusifs (par exemple enquête simple...). En autorisant les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ce mode d'investigations plus intrusifs en fonction de la requête présentée. Le juge des libertés et de la détention en prenant sa décision a donc bien procédé à un contrôle de proportionnalité.

En l'espèce, en effet, conformément à la jurisprudence constante en matière d'opérations de visite et de saisie, et ainsi que cela a été évalué lors de la réponse au moyen précédent, le juge des libertés et de la détention s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par le rapporteur général et a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux, visés à l'article L. 450-4 du code de commerce.

Si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) énonce que ' Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ', c'est sous réserve qu' ' Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.'.

Il a été jugé par la Cour de cassation que ' Les dispositions de l'article L. 450-4 ne contreviennent pas à celles des articles 6, 8 et 13 de la CEDH dès lors qu'elles assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et que les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis, tant par l'intervention du JLD qui vérifie le bien-fondé de la requête de l'administration que par le contrôle exercé par la Cour de cassation.' (Cass. crim. 11 juillet 2017, n° 16-81065).

En l'espèce, il s'infère donc de ce qui précède qu'il n'y a pas eu violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH et que la mesure ordonnée conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce précité était nécessaire et n'a pas été disproportionnée eu égard au but poursuivi rappelé ci-dessus.

Ce moyen sera rejeté.

L'ordonnance rendue le 14 novembre 2022 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de PARIS sera donc confirmée en toutes ses dispositions.

SUR LE RECOURS (RG n° 22/19208)

Sur le moyen selon lequel ni EURIAL, ni les enquêteurs n'auraient pris connaissance de l'intégralité des documents avant leur saisie :

EURIAL rappelle que les opérations de visite et de saisie se sont déroulées les 17 et 18 novembre 2022 dans ses locaux situés à [Localité 6], au [Adresse 8] [Localité 6] et qu'au cours de ces opérations, les enquêteurs ont notamment saisi près de 1760 pages de documents papier qui se trouvaient dans six bureaux différents, plus de 2 331 481 éléments informatiques contenus dans six ordinateurs, trois espaces partagés, deux disques externes et des clefs USB.

EURIAL soutient qu'aux termes de l'article L. 450-4 alinéa 8 du code de commerce, l'entreprise qui fait l'objet des opérations de visite et de saisie a le droit de prendre connaissance des documents ' avant leur saisie ' par les enquêteurs de l'Autorité.

La requérante soutient qu'en l'espèce elle n'a pas été en mesure de prendre connaissance des 1 760 pages de documents papier avant leur saisie définitive ; Les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence ayant sélectionné des documents qu'ils ont inventoriés et photocopiés, puis placé immédiatement sous scellés. S'agissant des fichiers informatiques, la requérant affirme qu'elle n'a pas non plus été en mesure d'en prendre connaissance avant leur saisie définitive arguant de ce que les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence lui ont déniée ainsi qu'à ses conseils la possibilité de prendre connaissance des fichiers au moment de leur sélection dans une salle dédiée qui avait été mise à leur disposition dans les locaux d'Eurial. Elle soutient que ce refus a empêché ses conseils de contrôler si les documents consultés et saisis entraient ou non dans le champ de l'ordonnance et s'ils étaient protégés au titre de la confidentialité des correspondances avocat-client.

EURIAL ajoute que l'article L. 450-4 précité du code de commerce impose également aux enquêteurs eux-mêmes de vérifier avant toute opération de saisie que les documents saisis entrent dans le champ de l'autorisation de l'ordonnance du magistrat. Elle soutient que les conditions dans lesquelles se sont déroulées les opérations de visite et de saisie et au vu du volume des saisies pratiquées le jour même, excluent que les enquêteurs aient été en mesure de prendre connaissance individuellement de chacun des documents ; partant les enquêteurs eux-mêmes n'ont pas non plus vérifié que les documents saisis entraient tous dans le champ de l'autorisation accordée par l'ordonnance.

L'Autorité de la concurrence rappelle que selon la jurisprudence, la prise de connaissance des documents retenus par les rapporteurs comme entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire est une possibilité, et non pas une obligation, prévue pour l'occupant des lieux ou son représentant.

S'agissant des documents papier, l'Autorité de la concurrence affirme que l'occupant des lieux et ses représentants lors de la visite de l'entreprise Eurial ont été en mesure de les consulter préalablement à leur saisie définitive. Elle indique que le représentant de l'occupant des lieux a reçu une copie intégrale des documents papier sélectionnés par les rapporteurs comme entrant dans le champ de l'enquête, après leur cotation et leur inventaire, ces opérations ayant lieu avant la constitution des scellés définitifs. L'Autorité de la concurrence affirme donc que la requérante a ainsi été mise en mesure de s'assurer que les documents papier sélectionnés par les rapporteurs en raison de leur pertinence pour l'enquête entraient dans le champ de l'autorisation judiciaire et n'étaient pas couverts par la confidentialité des correspondances avocat-client et elle n'a pas soulevé de contestation sur des documents papier identifiés préalablement à la saisie intervenue le 18 novembre 2022.

S'agissant des fichiers informatiques, l'Autorité de la concurrence soutient qu'en l'absence de constitution d'un scellé fermé provisoire, la requérante ayant formellement déclaré aux rapporteurs, par le biais de la représentante de l'occupant des lieux qu'aucune correspondance protégée en lien avec l'exercice des droits de la défense ne figurait parmi les fichiers retenus et décliné ainsi l'invitation à protéger les fichiers sélectionnés qui seraient couverts par la protection de la correspondance avocat-client, les rapporteurs ont placé ces fichiers sous scellé après en avoir réalisé une copie pour l'entreprise et une copie de travail.

L'Autorité de la concurrence rappelle que le procès-verbal du 17-18 novembre 2022 relate qu'une copie complète des fichiers informatiques saisis a été remise au représentant de l'occupant des lieux, avant la clôture des opérations. Elle soutient qu'à compter de cette remise, l'entreprise Eurial a eu toute liberté pour disposer de ces fichiers, les remettre à ses conseils, en l'espèce, présents dans les locaux de l'entreprise et exercer le recours prévu par l'alinéa 12 de l'article L. 450-4 du code de commerce, ce qu'elle a fait. L'Autorité en conclut donc que la requérante et ses conseils ont pu sans difficulté examiner les fichiers informatiques et qu'en définitive, la requérante a été mise en mesure de prendre connaissance de la totalité des documents papier et fichiers finalement appréhendés.

Le ministère public rappelle que la prise de connaissance des documents saisis n'est pas une expression du principe du contradictoire, inapplicable à ce stade de la procédure, mais de l'exigence primordiale de loyauté dans la recherche de la preuve, sous le contrôle effectif de l'officier de police judiciaire, puis du juge des libertés et de la détention et du premier président en cas de recours. Le ministère public est d'avis, qu'en l'espèce, il n'a nullement été démontré par la requérante que les enquêteurs auraient mis en 'uvre des procédés déloyaux pour recueillir des éléments d'information. La requérante n'a en outre nullement été privée de son droit à un contrôle juridictionnel effectif, comme le prouvent le présent recours et les demandes y afférentes.

Sur ce, le magistrat délégué :

Les opérations de visite et saisie se sont déroulées du 17 au 18 novembre 2022 dans les locaux d'Eurial situés [Adresse 8] [Localité 6] et ont fait l'objet d'un procès-verbal de visite et saisie et d'un inventaire.

L'Autorité de la concurrence a procédé à l'exploitation des saisies informatiques réalisées le 17-18 novembre 2022 et transmis le 6 décembre 2023, à Eurial, une sélection de 41 275 documents dans le champ de l'autorisation judiciaire selon Annexe B.

Si l'alinéa 8 de l'article L. 450-4 du code de commerce énonce que ' les agents mentionnés à l'article L. 450-1 du même code, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire (...) peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie', il ne s'agit nullement d'une obligation (Cass. crim. 21 mars 2018, n° 16-87193).

En outre, la prise de connaissance des documents retenus ne signifie pas que l'occupant des lieux et son conseil aient le droit de visualiser la totalité des documents au fur et à mesure de leur consultation par les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence ; la prise de connaissance des pièces ne concerne que ceux des documents que les rapporteurs s'apprêtent à saisir à la fin des opérations de fouille, de tri et de sélection opérées (CA PARIS 11 décembre 2019, n° 17/20112, CSN, ADSN et ses filiales c/ Autorité de la concurrence).

Les opérations de visite et de saisie ne sont pas soumises au principe du contradictoire, les articles L. 450-4 et suivants ne prévoient donc pas que la présence de l'avocat permette à ce dernier de valider une saisie effectuée. Il ne saurait en effet s'instaurer de débat contradictoire sur chaque pièce pour déterminer si celle-ci entre ou non dans le champ d'application de l'ordonnance avant d'être cotée (')

En l'espèce, il ressort du procès-verbal dressé les 17 et 18 novembre 2022 dans les locaux de la société requérante que les opérations de visite et de saisie se sont déroulées de manière conforme aux dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce. L'ordonnance du juge des libertés et de la détention a été notifiée à l'occupante des lieux et les trois conseils de la requérante ont pu assister à tour de rôle à partir de 12h20 aux opérations de visite et de saisie. Les rapporteurs ont sélectionné les documents entrant dans le champ de l'autorisation donnée et les opérations se sont déroulées en présence constante du représentant de l'occupante des lieux et de l'officier de police judiciaire. Des copies des fichiers saisis ont été réalisées dont un remis à EURIAL. Une copie du procès-verbal et de l'inventaire des documents sur format papier et informatique saisis ont été remis au représentant de l'occupante des lieux.

La remise par les enquêteurs à l'occupante des lieux, à l'issue des opérations de visite et de saisie, d'une copie de l'ensemble des fichiers et des documents saisis l'a mise en mesure d'en prendre connaissance et de contester, comme elle l'a fait, la juridiction du premier président de la cour d'appel, sous le contrôle de la Cour de cassation, le bien-fondé des saisies. Par suite, le fait de ne pas pouvoir identifier ces documents préalablement à leur saisie na pas pour effet de causer à l'occupante des lieux une atteinte à ses droits issus de l'article L. 450-4 du code de commerce. Il n'a pas été démontré par la requérante que lors des opérations de visite et de saisie les rapporteurs aient mis en 'uvre des procédés déloyaux pour recueillir des éléments d'informations.

Ce moyen sera écarté.

EURIAL sollicite en outre l'annulation de la saisie et la restitution de documents saisis dont elle allègue, soit qu'ils bénéficient de la protection accordée aux correspondances entre un avocat et son client, soit qu'ils sont dénués de tout lien avec l'objet des opérations de visites et de saisies autorisées par le juge des libertés et de la détention.

Sur l'annulation de la saisie et la restitution des documents couverts par le secret des correspondances entre un avocat et son client :

EURIAL soutient qu'en l'espèce, les enquêteurs ont notamment saisi 56 correspondances avocat-client relatives à des procédures contentieuses dans lesquelles elle est mise en cause. Elle argue que ces correspondances se rattachent indéniablement à l'exercice des droits de la défense d'Eurial, dès lors qu'elles concernent l'élaboration de sa défense dans le cadre de procédures contentieuses. La requérante ajoute que parmi les fichiers informatiques saisis figurent des courriels internes dans lesquels des juristes d'Eurial récapitulent des arguments et voies de droit discutés avec les conseils d'Eurial dans le cadre de litiges mettant en cause ses intérêts. Elle soutient que de tels documents émanant des juristes de l'entreprise visitée qui reprennent la stratégie de défense mise en place par l'avocat pour son client relèvent également de la protection accordée à la correspondance avocat-client. Elle explique que les documents saisis protégés par la confidentialité des correspondances avocat-client sont listés dans deux tableaux produits en Pièce n° 5 : un tableau recensant les 56 correspondances avocat-client concernées par la demande de protection ainsi qu'un tableau Excel dans lequel sont indiqués les emplacements de ces correspondances avocat-client dans les saisies informatiques et que ces 56 documents sont également versés aux débats (Pièce n° 8). Elle soutient qu'il s'agit bien de correspondances échangées avec un avocat ou d'échanges internes à Eurial et sa société mère Agrial qui reproduisent in extenso ces correspondances, comme elle en a justifié, pièce par pièce, dans le tableau communiqué en pièce n° 5. Elle ajoute que le caractère confidentiel de ces courriels et des fichiers qu'ils contiennent le cas échéant est confirmé par le libellé de l'objet de ces correspondances et donne quelques exemples pour certains courriels des termes de leur objet.

L'Autorité de la concurrence rappelle que selon les textes applicables et la jurisprudence, une correspondance avocat-client n'est insaisissable qu'à la double condition qu'elle soit couverte par le secret professionnel de la défense et du conseil et qu'elle relève de l'exercice des droits de la défense. Elle soutient donc, en analysant la jurisprudence dont se prévaut la requérante, qu'en l'espèce les échanges entre les juristes internes à l'entreprise et/ou les salariés de la requérante ne sont pas protégés par le secret des correspondances avocat-clients.

L'Autorité de la concurrence souligne en outre que la société Eurial, qui a renoncé à présenter une demande de suppression de documents prétendument protégés lors de l'ouverture du scellé fermé provisoire qui lui a été proposé et qu'elle a refusé, ne saisit pas non plus le Premier président de demande motivée relative à l'annulation de documents prétendument protégés par le secret de la correspondance avocat-client en lien avec l'exercice des droits de la défense qui seraient contenus dans les fichiers définitivement saisis le 18 novembre 2022, rendant sa prétention sans objet.

L'Autorité de la concurrence prend acte de ce que la requérante argue que les enquêteurs auraient saisi 56 courriels (ou leurs pièces jointes pour certains), listés dans des tableaux produits en pièce adverse n° 5 (n° 5-1 et 5-2), prétendument protégés au titre de la correspondance avocat-client, dont elle demande l'annulation. L'Autorité de la concurrence soutient que l'analyse des tableaux produits permet de constater que la requérante ne motive sérieusement pour aucun des courriels (ou leurs pièces jointes pour certains) son lien avec l'exercice des droits de la défense. Il est indiqué que si la requérante a produit aux débats avec ses conclusions récapitulatives 94 éléments en pièce adverse n° 8-1, elle n'apporte pas la preuve qui lui incombe et ne saisit pas le Premier président d'allégations motivées que des correspondances avocat-client en lien avec l'exercice des droits de la défense auraient été saisies dans ses locaux. L'Autorité de la concurrence considère par conséquent que la requérante n'établit pas la réalité de la protection qu'elle invoque pour chaque document listé et produit et ne permet pas au Premier président de la Cour de céans d'effectuer son contrôle in concreto.

Le ministère public rappelle que si la correspondance entre un avocat et son client est protégée et est insaisissable, à certaines conditions, selon la jurisprudence, rien n'empêche les enquêteurs de se livrer à un examen sommaire des documents pour déterminer s'ils entrent manifestement dans le cadre de cette protection. Le ministère public souligne qu'en l'espèce aucune déclaration de l'occupant des lieux sur la présence potentielle de documents protégés par le secret des correspondances entre un avocat et son client n'a été faite lors de la saisie informatique. La représentante de l'occupant des lieux a déclaré qu'il n'y avait pas de documents protégés.

Le ministère public rappelle qu'il est de jurisprudence constante que la présence, dans les documents saisis ou remis, de documents protégés par le secret des correspondances entre un avocat et son client n'entraîne pas l'invalidation de la totalité des opérations de visites et de saisies. Le ministère public est d'avis que la saisie des documents provenant ou destinés à un avocat indépendant et concernant l'exercice des droits de la défense de l'entreprise devra être annulée, à l'exclusion des documents internes issus du service juridique.

Sur ce, le magistrat délégué :

Un document n'est insaisissable qu'aux deux conditions cumulatives qu'il soit couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, d'une part, et qu'il relève de l'exercice des droits de la défense.

Il n'est pas interdit aux agents de l'Autorité de la concurrence de prendre connaissance de manière sommaire des documents afin de décider s'ils doivent ou non les saisir ; cette connaissance se justifiant par la nécessité de vérifier s'ils entrent manifestement, explicitement et véritablement dans le cadre de la protection alléguée pour être écartés ou, le cas échéant annulés. C'est ainsi que la simple lecture d'un échange avocat-client ne peut avoir pour effet l'annulation de l'ensemble de la saisie et seule sa saisie aurait pour effet d'entraîner l'annulation du document relevant de la protection légale de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée (CA Paris 1er février 2017, n° 16/05170).

Le seul fait vérifié par le juge, qu'une messagerie électronique contienne pour partie seulement des éléments entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire suffit à valider la saisie globale opérée. La saisie, dans ce cadre global, de certains documents personnels à des salariés ou de correspondances avocat-client bénéficiant à ce titre de la protection prévue par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, n'invalide pas la saisie, mais doit conduire l'administration à restituer les documents concernés dès lors qu'ils auront été identifiés par les intéressés.

La jurisprudence établie de la cour suprême considère que : ' Si, selon les principes rappelés par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure qu'elles peuvent notamment être saisies dans le cadre des opérations de visites prévues par le second dès lors qu'elles ne concernent pas l'exercice des droits de la défense. Il résulte de l'article L. 450-4 du code de commerce que le premier président, statuant sur la régularité de ces opérations ne peut ordonner la restitution des correspondances entre l'occupant des lieux visités et un avocat en raison de leur confidentialité que si celles-ci sont en lien avec l'exercice des droits de la défense. Ne justifie pas sa décision le premier président qui ordonne que soient retirées des fichiers saisis les correspondances entre l'occupant des lieux visités et ses avocats, alors qu'il résulte de l'ordonnance attaquée que la société requérante, qui s'est contentée d'identifier les courriers concernés, n'a pas apporté d'éléments de nature à établir que ces courriers étaient en lien avec l'exercice des droits de la défense '. (Cass. crim. 25 nov. 2020, n° 19-84.304).

Il n'est pas suffisamment précis de se référer à l'objet d'un courriel, quand bien même son intitulé pourrait le rattacher à un litige, pour en déduire qu'il est protégé au titre de la correspondance avocat-client et se réfère à l'exercice des droits de la défense. Il appartient aux sociétés requérantes de verser aux débats les pièces contestées en précisant les raisons qui les rendent insaisissables (Cass. com. 5 janvier 2016, n° 14.24-266). La requérante doit ainsi justifier et motiver pour chaque courriel repris à la pièce n° 8 son lien avec l'exercice effectif des droits de la défense.

En l'espèce, EURIAL produit en pièce n° 5 la liste dans un tableau des 56 correspondances avocat-client pour lesquelles elle demande l'annulation de la saisie et elle produit en pièce n° 8-1 ces documents, parmi d'autres documents.

Toutefois, s'agissant de la saisie de correspondances couvertes par le secret professionnel avocat-client, il appartient à la requérante non seulement de produire précisément les pièces qu'elle avait inventoriées, mais d'indiquer pour chacune d'entre elles les raisons qui la rende insaisissable. Il lui appartenait donc d'indiquer en quoi ces documents devaient être exclus de la saisie pour chacun d'entre eux. La référence à un ou des intitulés ou à des expéditeurs ou destinataires s'agissant des documents dont la saisie est contestée n'est pas suffisante pour permettre à cette juridiction d'exercer un contrôle concret et effectif sur les pièces litigieuses et ne met pas cette juridiction en mesure de décider contradictoirement si les documents visés dans la liste précitée se rattachent à la confidentialité des échanges avocat-clients protégée par le secret professionnel résultant de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, conformément à la jurisprudence établie. Partant, la requérante n'établit pas la réalité de la protection qu'elle invoque.

La demande d'annulation des saisies pratiquées à ce titre sera rejetée.

Sur l'annulation de la saisie et la restitution des documents dénués de tout lien avec l'objet des opérations de visites et de saisies :

EURIAL soutient qu'en l'espèce, l'objet des opérations de visite et de saisie autorisées par le juge des libertés et de la détention était de rechercher la preuve de pratiques de répartition des sources d'approvisionnement en lait de vache prohibées par les articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101, paragraphe 1, point c) TFUE. Les rapporteurs n'ont pas été autorisés à saisir des documents en lien avec le lait de chèvre, puisque l'approvisionnement en lait de chèvre n'entre pas dans le champ de l'ordonnance. Elle souligne que le marché de l'approvisionnement en lait de vache est un marché distinct du marché de l'approvisionnement en lait de chèvre dans la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence et que l'approvisionnement en lait de chèvre ne présente aucun lien de connexité avec l'objet de l'enquête et la pratique recherchée n'implique de surcroît aucune compensation contrairement à ce que prétend l'Autorité.

La requérante fait valoir que les enquêteurs ont saisi 93 documents en lien avec le lait de chèvre, étrangers au champ de l'ordonnance (Pièces n° 6 et n° 8). Elle en réclame la restitution, sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie ni d'en faire usage.

L'Autorité de la concurrence soutient que ses rapporteurs peuvent saisir des documents ou fichiers pour partie utiles à la preuve des agissements dont la recherche a été autorisée par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, s'agissant notamment de fichiers de messagerie par nature composites et insécables, tout comme des agendas, carnets et cahiers de notes.

Sur la restitution des documents listés dans un tableau produit en pièce adverse n° 6-1, qu'elle considère être en dehors du champ de l'ordonnance en ce qu'ils relèvent prétendument du lait de chèvre, l'Autorité de la concurrence soutient que les documents appartenant à un type de lait autre que le lait de vache non visés directement par l'ordonnance ne sont pas exclus par nature du champ de l'autorisation judiciaire. Elle soutient que le juge des libertés et de la détention n'a pas voulu exclure du champ des investigations les marchés de toutes prestations liées au secteur de l'approvisionnement en lait, car il n'est pas rare qu'il puisse exister un jeu de compensations réciproques, au niveau national, régional ou départemental, entre les différentes entreprises impliquées à la même époque sur différents marchés individualisés ayant un lien de connexité évident. Elle affirme qu'au stade de l'enquête préalable, l'ordonnance précitée vise un secteur économique et non un marché pertinent préalablement identifié, la collecte de lait de chèvre étant à l'évidence connexe de celle du lait de vache, produit phare de l'approvisionnement, quand bien même ces deux produits appartiendraient à des marchés pertinents distincts.

L'Autorité de la concurrence soutient que seule l'instruction en cours permettra de connaître avec l'examen des documents saisis lors des investigations la véritable motivation de la requérante et l'existence ou non de la pratique prohibée d'entente entre collecteurs de lait, quel que soit le ou les marchés pertinents impactés.

L'Autorité de concurrence soutient enfin que la requérante ne précise pas le contenu et ne justifie pas en ne motivant pas pour chacun son insaisissabilité les 93 documents qu'elle produit devant la cour comme relevant du marché du lait de chèvre en pièce adverse n° 8-2.

Le ministère public, s'agissant des documents dénués de tout lien avec l'objet des opérations de visites et de saisies autorisées par le juge des libertés et de la détention, est d'avis qu'en l'espèce, la saisie des documents ne concernant que le lait de chèvre doit être annulée, sauf s'il est démontré in concreto par l'Autorité de la concurrence que certains d'entre eux peuvent être utiles à l'enquête en cours.

Sur ce, le magistrat délégué :

L'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 novembre 2022 fait suite à une requête en date du 7 novembre 2022 et des pièces qui y sont jointes, du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence aux fins d'établir si lesdites entreprises se livrent à la pratique prohibée par les articles L. 420-1 4° du code de commerce et 101-1 c) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après ' TFUE ') relevée dans le secteur de l'approvisionnement en lait de vache. La requête et l'ordonnance ont développé des présomptions sur des pratiques anticoncurrentielles qui pourraient exister sur le marché de la collecte du lait cru. L'ensemble des annexes jointes à la requête ont trait au marché du lait de vache. Le marché du lait de chèvre est donc un marché distinct se situant en dehors du champ de l'autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention qui a trait à l'approvisionnement en lait de vache.

L'Autorité de la concurrence ne justifie pas in concreto en quoi les éléments saisis et afférents au lait de chèvre sont utiles dans le cadre de l'enquête précitée et du champ d'application de l'ordonnance, étant précisé que le fait qu'ils mentionneraient pour certains d'entre eux, s'agissant notamment des produits comportant des mélanges, le lait de vache de manière incidente, ne suffit pas à une telle démonstration.

L'annulation des saisies effectuées et la restitution à EURIAL des 93 documents en lien avec le lait de chèvre sera donc ordonnée (documents listés dans un tableau en pièce n° 6 et versés aux débats en pièce n° 8-2 sur clé USB versée aux débats).

Pour le surplus, les opérations de visite et de saisie effectuées les 17 et 18 novembre 2022 dans les locaux de la société EURIAL situés [Adresse 8] à [Localité 6] seront donc déclarées régulières.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :

Les circonstances de l'espèce justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société EURIAL SAS qui succombe en ses demandes sur son appel et en partie sur son recours.

Les circonstances de l'espèce justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'Autorité de la concurrence qui succombe pour partie en ses demandes sur le recours.

SUR LES DÉPENS :

Chacune des parties succombant pour partie sur ses prétentions, la charge des dépens sera partagée par moitié entre elles.

PAR CES MOTIFS :

Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 22/19206 et RG 22/19208 et disons que l'instance se poursuivra sous le numéro RG le plus ancien, soit le numéro de RG 22/19206.

Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris rendue le 14 novembre 2022,

Déclarons irrégulière et annulons la saisie des 93 documents en lien avec le lait de chèvre ; documents listés dans un tableau en pièce n° 6 de la requérante et versés aux débats en pièce n° 8-2,

Ordonnons la restitution à la société EURIAL SAS de l'ensemble de ces documents, sans possibilité pour l'Autorité de la concurrence d'en garder copie, ni d'en faire usage,

Déclarons pour le surplus régulières les opérations de visite et de saisie effectuées les 17 et 18 novembre 2022 dans les locaux de la société EURIAL situés [Adresse 8] à [Localité 6],

Rejetons les demandes formées par la société EURIAL SAS et l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejetons toute autre demande,

Disons que la charge des dépens de l'instance sera partagée entre la société EURIAL SAS et l'Autorité de la concurrence.

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

Olivier TELL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 22/19206
Date de la décision : 27/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-27;22.19206 ?
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