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27/03/2024 | FRANCE | N°21/06367

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 27 mars 2024, 21/06367


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 27 MARS 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06367 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEB7F



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Mars 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09700



APPELANTE



Madame [W] [G]

[Adresse 1]

[Localité 4]
r>Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056



INTIMEE



S.A.R.L. SOCIÉTÉ OCCURRENCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

R...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 27 MARS 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06367 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEB7F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Mars 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09700

APPELANTE

Madame [W] [G]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

INTIMEE

S.A.R.L. SOCIÉTÉ OCCURRENCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M.Stéphane MEYER, président

M.Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [W] [G] a été engagée par la société Occurrence, pour une durée indéterminée à compter du 1er décembre 2010, en qualité de directrice d'étude, avec le statut de cadre. Elle a été promue directrice générale par avenant du 14 août 2014.

La relation de travail est régie par la convention collective " Syntec "

Madame [G] a fait l'objet d'un congé de maternité de janvier à mai 2019

Par lettre du 19 août 2019, Madame [G] était convoquée pour le 30 août à un entretien préalable à son licenciement et était mise à pied à titre conservatoire. Son licenciement lui a été notifié le 5 septembre suivant pour cause réelle et sérieuse, caractérisée par une inobservation des procédures internes de l'entreprise, mettant celle-ci en difficulté, un manque d'implication aboutissant à une baisse de résultats, un comportement inadéquat à l'égard de ses collaborateurs, un espionnage de ces derniers sur la messagerie interne " slack ", suivi d'un refus de continuer à travailler avec eux, une remise en cause systématique des décisions de la direction et des critiques publiques à son encontre.

Le 29 octobre 2019, Madame [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement nul ou à défaut, sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 29 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, après avoir estimé le licenciement non pas nul mais sans cause réelle et sérieuse, à condamné la société Occurrence à payer à Madame [G] 50 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité pour frais de procédure de 1 000 €, les dépens et l'a déboutée de ses autres demandes.

Madame [G] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 13 juillet 2021, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 janvier 2024, Madame [G] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et forme les demandes suivantes :

A titre principal :

' déclarer le licenciement nul ;

' ordonner sa réintégration au sein de l'effectif de la société, dans l'emploi qui était le sien avant son éviction ou dans un emploi équivalent ;

' condamner la société Occurrence au versement de la somme de 8 400 € bruts par mois à titre de rappel de l'intégralité des salaires dus entre la date de son départ de l'entreprise et sa réintégration effective, sous réserve de la revalorisation du point d'indice de la convention collective applicable et de l'intéressement dû sur la période concernée, majorés d'intérêts de retard au taux légal prenant comme point de départ la fin de chaque mois où le salaire aurait dû être versé, avec anatocisme ;

A défaut, si la réintégration était impossible :

' condamner la société Occurrence au versement de dommages et intérêts pour licenciement nul, égaux au produit de son dernier salaire brut mensuel par le nombre de mois écoulés entre le départ de l'entreprise et le prononcé d'un jugement définitif, majorés d'intérêts de retard au taux légal prenant comme point de départ la fin de chaque mois où le salaire aurait dû être versé, avec anatocisme, soit une somme de 154 543,14 € (à parfaire) ;

A titre subsidiaire, confirmation de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et condamnation de la société Occurrence à lui payer :

' dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 75 600 € ;

En toute hypothèse, elle demande, outre le confirmation du jugement en ce qui concerne les frais de justice, la condamnation de la société Occurrence à lui payer les sommes suivantes :

' dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire : 75 600 € ;

' dommages et intérêts pour discrimination salariale : 154 543,14 € ;

' dommages et intérêts pour harcèlement moral : 75 600 € ;

' dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité : 75 600 € ;

' dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 75 600 € ;

' rappel de salaires pour heures supplémentaires : 39 312 € ;

' indemnité de congés payés afférente : 3 931,20 € ;

' dommages et intérêts pour préjudice moral : 30 000 € ;

' indemnité pour frais de procédure : 10 000 € ;

' les intérêts au taux légal ;

' Madame [G] demande également que soit ordonnée la remise des documents de fin de contrat, conformes, sous astreinte de 100 € par jour et par document.

Au soutien de ses demandes et en réplique à l'argumentation adverse, Madame [G] expose que :

' elle a exercé son droit d'alerte à la suite de sa découverte de propos répréhensibles sur la messagerie " slack ", ce qui a déclenché des représailles de la part de la direction de l'entreprise, puis son licenciement ;

' son licenciement est nul, tant en application de la loi " Sapin 2 ", applicable même en l'absence de délit, qu'en raison des faits de harcèlement moral dont elle a été victime, en particulier de la part du directeur général adjoint, ;

' à titre subsidiaire, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a estimé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la lettre de licenciement étant imprécise et les faits allégués n'étant pas établis ;

' son licenciement présentait un caractère brutal et vexatoire ;

' la politique salariale au sein de l'entreprise était discriminatoire en raison de son genre ;

' l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et a exécuté le contrat de travail de façon déloyale ;

' elle a effectué des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées, alors que, malgré l'apparence entretenue par le titre qui lui avait été conféré, elle n'exerçait pas en réalité des fonctions de cadre dirigeant ;

' l'entreprise a porté atteinte à sa réputation, lui causant un préjudice moral.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 novembre 2023, la société Occurrence demande l'infirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées, le rejet des demandes de Madame [G] et sa condamnation à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 6 000 €. Elle fait valoir que :

' la lettre de licenciement énonce précisément les griefs au soutien du licenciement, lesquels sont établis, Madame [G] s'étant peu à peu désinvestie de ses missions au profit d'engagements extérieurs et a commis de nombreux manquements, jusqu'à rendre impossible la poursuite de la relation de travail ;

' Madame [G] n'est pas fondée à se prévaloir du statut de lanceuse d'alerte, les propos qu'elle dénonce, qui n'ont été tenus qu'entre un nombre réduit de personnes, n'étant pas constitutifs de crimes ou de délits ; le licenciement n'est en tout état de cause pas fondé sur cette dénonciation ;

' Madame [G] ne fait état d'aucun fait précis laissant supposer l'existence d'un quelconque harcèlement ;

' pour le cas où une réintégration serait ordonnée, il conviendrait de déduire de la demande de rappel de salaire les revenus perçus par Madame [G] ;

' le grief de discrimination n'est pas fondé, Madame [G] étant la salariée la mieux rémunérée de l'agence ;

' Madame [G] avait, en droit et en fait, la qualité de cadre dirigeant, ce qui exclut la possibilité d'obtenir paiement d'heures supplémentaires, pour lesquelles elle ne fournit aucun justificatif ;

' ses autres griefs ne sont pas davantage fondés ;

' Madame [G] ne justifie pas des préjudices allégués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 janvier 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement et ses conséquences

Aux termes de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.

Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte.

Il résulte des dispositions de l'article L.1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige, qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte des dispositions de l'article L.1132-4 du même code, que le licenciement prononcé en méconnaissance de ces dispositions est nul.

En l'espèce, Madame [G] soutient que son licenciement, notifié par lettre du 5 septembre 2019 après convocation du 19 août à entretien préalable, a pour origine sa dénonciation par courriel du 14 juillet 2019, de messages internes à l'entreprise.

La société Occurrence soutient tout d'abord que les dispositions susvisées ne s'appliquent qu'aux crimes et délits, (hors les cas de violation d'un engagement international ou d'un acte unilatéral d'une organisation internationale, qui ne sont pas en cause en l'espèce), alors que les propos dénoncés par Madame [G] ne seraient susceptibles que de caractériser des contraventions, en l'absence de caractère public.

Cependant, c'est à juste titre que Madame [G] répond que le statut de lanceur d'alerte ne se limite pas à la dénonciation de crimes et de délits au sens strict de la loi pénale française.

En effet, les dispositions relatives à la protection des lanceurs d'alerte doivent être interprétées au regard de celles de l'article 10 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, la juridiction saisie devant mettre en balance le droit des salariés de dénoncer un comportement illégal ou un acte illicite commis au sein de l'entreprise, avec le droit de cette dernière à la protection de sa réputation et de ses intérêts commerciaux.

En l'espèce, les propos et dessins dénoncés le 14 juillet 2019 par Madame [G] sur un forum de discussion du réseau social d'entreprise " Slack " sont les suivants :

' un dessin représentant, sur la gauche, le personnage de fiction " Catwoman ", accompagné du mot " SadoMasoChiste " et sur la droite, une photographie d'une femme de forte corpulence, accompagnée du vocable " SodaMayoChips ", ce dessin étant accompagné de commentaires de trois salariés se voulant comiques, concernant, d'une part, " PC ", dont il n'est pas contesté qu'il désigne l'un des directeurs de pôle de la société, qui serait connu pour son homosexualité et d'autre part, " CM " initiales de Madame [G], laquelle, de corpulence plutôt forte, rentrait de congé de maternité ;

' un échange de messages, faisant allusion à l'âge d'une autre salariée : " en même temps quand tu vois [F] taper sur son clavier tu as des doutes sur son utilisation des nouvelles technologies " et plaisantant en employant les termes de " gérontophilie " et de " gérontophobie " ;

' des photographies d'Adolphe Hitler, accompagnées de plaisanteries sur le ghetto et la Shoah (" ça va faire Führer ", " il va y avoir de l'eau dans le gaz ", " You're getting gassed ") et désignant une salariée de l'entreprise sous le pseudonyme " adolphette ".

Ces propos sont susceptibles de recevoir les qualifications d'injure non publique, telle que prévue et réprimée par l'article R.621-2 du code pénal, ou de provocations, diffamation ou injures non publiques à caractère raciste ou discriminatoire ou d'outrage sexiste, telles que prévues et réprimées par les articles R.625-7 et suivants du même code.

Si ces infractions constituent des contraventions et non des crimes ou délits, elles ont néanmoins pour objet de protéger l'honneur des personnes susceptibles d'en être victimes, ainsi que, de façon plus générale, le droit à l'égalité, de sorte que leur dénonciation justifie que soit mise en 'uvre la protection des laceurs d'alerte, sans qu'il soit pour autant porté atteinte de façon disproportionnée aux intérêts légitimes de l'employeur.

Aux termes d'un courriel envoyé le 14 juillet 2019 à Monsieur [T], président de la société, Madame [G] exposait qu'à la suite du transfert sur sa boîte mail de la messagerie d'une ancienne salariée de l'entreprise, elle avait reçu une notification de la messagerie " Slack ", que ses initiales étant citées, elle a été intriguée et a donc accédé aux messages qu'elle décrivait et dénonçait, écrivant : " [']cette affaire est sérieuse et il faut la traiter en profondeur et de manière institutionnelle. Elle constitue une mise en cause grave de l'intérêt général d'Occurrence. Elle constitue aussi une atteinte à sa réputation, au moment où nous investissons dans une ligne anti-harcèlement. Elle représente aussi un aveu explicite de déloyauté vis-à-vis de l'employeur et un détournement des ressources de l'entreprise à des fins qui lui sont hostiles ['] D'un point de vue social, tout cela mérite une sanction. Ce n'est pas non plus anodin du point de vue du droit pénal [']". Elle concluait en préconisant des sanctions à l'encontre des salariés concernés.

Ces éléments de fait permettent de présumer que Madame [G] a relaté des faits constitutifs d'infractions, aucun élément ne permettant de considérer que cette dénonciation aurait été commise de mauvaise foi ou de manière intéressée, la société Occurrence ne fournissant d'ailleurs aucune explication sur ce point.

Conformément aux dispositions susvisées, il incombe donc à la société Occurrence de prouver que sa décision de licencier Madame [G] était justifiée par des éléments objectifs étrangers à cette dénonciation.

Or, la lettre de licenciement du 5 septembre 2019 reproche notamment à Madame [G] son attitude à l'égard de ses collaborateurs et comporte le grief énoncé comme suit :

" Cette attitude a connu une évolution particulièrement déplaisante, par l'incident du fil Slack que vous avez initié sur la base d'interprétations hasardeuses et entièrement à charge, après avoir utilisé, sciemment et donc indûment, les identifiants de la collaboratrice précitée démissionnaire du cabinet afin d'y accéder et vous y maintenir, pendant une durée de cinq heures pour, de votre propre aveu, espionner et relever les propos de nos collaborateurs. Vous avez délibérément tenté pendant votre absence maladie de vous connecter une nouvelle fois à Slack, aux mêmes fins. Cette manière de faire contrevient une nouvelle fois à nos procédures internes, en l'occurrence notre charte informatique, mais elle révèle surtout un manque de loyauté et de respect à l'égard de nos collaborateurs qui n'est conforme ni aux valeurs du cabinet ni aux exigences de votre fonction. Après cet incident vous avez décrété ne plus vouloir travailler à votre place pour ne plus être en contact avec eux. Un tel positionnement n'est pas admissible et en votre qualité de directrice d'une structure de 25 personnes, vous ne pouvez envisager d'être maintenue dans vos fonctions en refusant de travailler avec les collaborateurs, de leur apporter un réel support et de leur accorder un minimum de confiance. "

Il résulte clairement de ce grief que l'employeur reprochait notamment à Madame [G] d'avoir pris connaissance, puis dénoncé les propos et images échangés sur " Slack ".

A titre surabondant, il convient d'ajouter que, c'est par des motifs justifiés en droit et exacts en fait, qui ne sont pas utilement contredits par la société Occurrence et qu'il convient donc d'adopter, que le conseil de prud'hommes a estimé qu'aucun de ses griefs n'était fondé, alors que, ni le compte-rendu d'entretien d'évaluation du 17 décembre 2018, ni celui du 3 juin 2019 ne font état du moindre grief, que Madame [G] était absente pour congé de maternité de janvier à mai 2019, et qu'elle n'avait reçu aucun avertissement ou aucune lettre de mise en garde hormis celle du 29 juillet 2019 lui reprochant son courriel du 14 juillet précédent.

Il résulte de ces considérations que la société Occurrence manque à son obligation probatoire et que le licenciement de Madame [G] est, au moins pour partie, la conséquence de sa dénonciation de faits constitutifs d'infractions au sein de l'entreprise et, de façon plus générale, de l'expression de sa liberté d'expression, droit fondamental garanti par l'article 10 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, sans qu'aucun abus dans l'exercice de ce droit ne soit établi, ce dont il résulte que le licenciement doit être déclaré nul, contrairement à ce qu'a estimé le conseil de prud'hommes.

Par conséquent, Madame [G] est fondée à obtenir sa réintégration au sein de l'entreprise, dans l'emploi qui était le sien avant son éviction ou dans un emploi équivalent.

Madame [G] est donc fondée en sa demande de condamnation de l'employeur à lui payer l'intégralité des salaires dus entre la date de son départ de l'entreprise et sa réintégration effective, soit la somme mensuelle de 8 400 € bruts, augmentée de la revalorisation du point d'indice de la convention collective " Syntec " et de l'intéressement dû sur la période concernée, sommes majorées des intérêts de retard au taux légal prenant comme point de départ la fin de chaque mois où le salaire aurait dû être versé, avec anatocisme.

Les dispositions susvisées ayant pour objet de garantir la liberté d'expression, qui constitue une liberté fondamentale, les revenus que Madame [G] a pu percevoir pendant cette période ne doivent pas être déduits de ces sommes, contrairement à ce que prétend la société Occurrence

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire

Madame [G] ne produit aucun élément au soutien de cette demande et le seul fait qu'elle a indûment fait l'objet d'une mise à pied conservatoire est insuffisant à caractériser un licenciement brutal et vexatoire

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires

Pour s'opposer à cette demande, la société Occurrence argue de la qualité de cadre dirigeant de Madame [G].

Aux termes de l'article L. 3111-2 du code du travail, sont exclus de la réglementation de la durée du travail, les cadres dirigeants, définis comme les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l'entreprise ou leur établissement.

Si les trois critères fixés par ce texte impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise, il n'en résulte pas que la participation à la direction de l'entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux.

En l'espèce, Madame [G] a été promue directrice générale par avenant du 14 août 2014, fonction mentionnée sur ses bulletins de paie à compter de cette date et percevait la rémunération la plus élevée au sein de l'entreprise.

Elle soutient cependant que ses conditions réelles d'emploi ne correspondaient pas à la qualification de cadre dirigeant, au motif qu'elle partageait un même local avec six autres salariés.

Cependant, la société Occurrence établit qu'outre le fait que Madame [G] percevait la rémunération la plus élevée au sein de l'entreprise, elle était autonome dans la gestion de son emploi du temps, prenait des décisions engageant la société de façon autonome (engagement de sous-traitants, achats de matériels, participation aux échanges relatifs à la revente de parts de filiales, convocations des réunions avec le président , gestion des missions, signature de documents engageant l'agence) et qu'elle participait aux Comités de Direction.

Au demeurant, la société Occurrence produit une feuille de route datée du 31 octobre 2016, établie par Madame [G] elle-même, mentionnant que son rôle consistait à participer à l'élaboration de la stratégie de l'entreprise et à sa gouvernance, à diffuser et " impulser " des " niches d'innovation ", au service du " développement réputationnel et commercial du cabinet " et à piloter les comptes clients.

Les conditions réelles d'emploi de Madame [G] correspondaient donc à la qualification de cadre dirigeant, de dont il résulte que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes l'a déboutée de sa demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires et de congés payés afférents.

Sur l'allégation de discrimination

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable au litige, aucun salarié ne peut être licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son sexe.

L'article L. 1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, Madame [G] expose que l'entreprise a poursuivi une politique salariale discriminatoire à son préjudice, en raison de considération de genre, sa rémunération ayant été inférieure à celle d'un autre salarié ayant les fonctions de Directeur général adjoint et qui aurait théoriquement dû lui être subordonné.

Elle ne fournit toutefois aucun élément précis concernant ce grief.

Au surplus, la société Occurrence établit que s'il est vrai que, lors de son embauche en qualité de directrice d'études en 2010, Madame [G] percevait une rémunération plus faible (soit 54 000 € par an) que celle de Monsieur [Z] (soit 79 200 € par an), alors directeur général adjoint, cette différence s'expliquait d'une part par son niveau de responsabilité inférieur et d'autre part par une importante différence d'ancienneté, Monsieur [Z] ayant été embauché en 2002.

La société Occurrence établit également que la rémunération de Madame [G] a rapidement rattrapé celle de Monsieur [Z] au gré de nombreuses et importantes revalorisations, qu'elle l'a même dépassé en 2015, par suite de sa nomination en tant que directrice générale et qu'elle était, en dernier lieu, la salariée la mieux rémunérée de l'agence.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur l'allégation de harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

Aux termes de l'article L. 1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.

En l'espèce, Madame [G] fait valoir qu'elle a dû affronter tout au long de sa présence dans les effectifs de l'entreprise, des actes de violences morales et psychologiques, en particulier de la part du directeur général adjoint, Monsieur [Z], sans qu'à aucun moment, la société n'ait cherché à y remédier.

Cependant, Madame [G] ne présente pas d'éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de les contredire utilement.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur le manquement allégué à l'obligation de sécurité

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l'article L 4121-2, il met en 'uvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

En l'espèce, au soutien de sa demande, Madame [G] fait valoir que la société Occurrence a manqué à son obligation de sécurité en ne lui assurant pas l'effectivité dont elle était censée être dotée en sa qualité de directrice générale, en la laissant sans prendre la moindre mesure, effectuer de très nombreuses heures supplémentaires et en l'exposant à des faits de harcèlement.

Cependant, il résulte des considérations qui précèdent qu'aucun de ces griefs n'est fondé.

Au surplus, Madame [G] ne fournit aucune explication relative aux conséquences de ces manquements allégués sur son état de santé.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Au soutien de cette demande, Madame [G] fait valoir que l'employeur a fait preuve de duplicité à son égard, en lui confiant des responsabilités sans lui conférer les prérogatives nécessaires à leur mise en 'uvre, en prétendant à tort que ses objectifs n'étaient pas atteints et en faisant de ses engagements extérieurs de prétendus obstacles à la bonne exécution du contrat de travail, alors qu'il en tirait bénéfice.

Elle ne produit cependant aucun élément probant au soutien de ces griefs, ni ne justifie, d'ailleurs, du préjudice qui en aurait résulté

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

Au soutien de cette demande, Madame [G] expose que son licenciement brutal l'a privée de la possibilité de communiquer sur son départ de l'entreprise, alors que cette dernière l'a dénigrée auprès du public et de leur éditeur commun.

Elle ne produit toutefois aucun élément au soutien de ces griefs.

Madame [G] produit par ailleurs un article de presse du 8 octobre 2019, mentionnant qu'elle été licenciée pour des motifs professionnels et non pas pour des motifs liés à ses convictions personnelles, ainsi qu'une page wikipedia, créée le 5 avril 2020, mentionnant : " Elle est directrice générale associée chez Occurrence jusqu'à son licenciement en 2019, dans un contexte de crise politique impliquant le cabinet Occurrence, son dirigeant le justifiant pour des motifs professionnels ", alors qu'elle avait saisi le conseil de prud'hommes depuis octobre 2019.

En laissant ainsi clairement sous-entendre publiquement que Madame [G] avait failli sur plan professionnel, la société Occurrence a causé à Madame [G] un préjudice de réputation qu'il convient d'évaluer à 5 000 euros, faute d'élément probant permettant de retenir un montant supérieur. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.

Sur les frais hors dépens

Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Occurrence à payer à Madame [G] une indemnité de 1 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [W] [G] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, pour discrimination salariale, pour harcèlement moral, pour manquement à l'obligation de sécurité, pour exécution déloyale du contrat de travail, ainsi que de ses demandes de rappel de salaires pour heures supplémentaires et d'indemnité de congés payés afférente ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Occurrence à payer à Madame [W] [G] une indemnité pour frais de procédure de 1 000 euros et les dépens ;

INFIRME le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ;

DECLARE nul le licenciement de Madame [W] [G] ;

ORDONNE la réintégration de Madame [W] [G] au sein de l'effectif de la société Occurrence, dans l'emploi qui était le sien avant son licenciement ou, à défaut, dans un emploi équivalent ;

CONDAMNE la société Occurrence à payer à Madame [W] [G] la somme de 8 400 euros bruts par mois à titre de rappel de salaires entre le 5 septembre 2019 et le jour de sa réintégration effective, somme augmentée de la revalorisation du point d'indice de la convention collective " Syntec " et de l'intéressement dû sur la période concernée, outre les intérêts de retard au taux légal à compter de chaque fin de chaque mois concerné, ces intérêts étant capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

CONDAMNE la société Occurrence à payer à Madame [W] [G] 5 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Y ajoutant ;

CONDAMNE la société Occurrence à payer à Madame [W] [G] une indemnité pour frais de procédure de 2 500 euros ;

DEBOUTE Madame [G] du surplus de ses demandes ;

DEBOUTE la société Occurrence de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel ;

CONDAMNE la société Occurrence aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 21/06367
Date de la décision : 27/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-27;21.06367 ?
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