Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 26 MARS 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09616 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEWFO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRÉTEIL - RG n° F18/01595
APPELANTE
Madame [N] [H] [P] Épouse [L]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : 629
INTIMEE
S.A.R.L. H&M HENNES & MAURITZ
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Jérôme WATRELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0100
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [N] [H] [P] épouse [L] née en 1973, a été engagée par la S.A.R.L. Hennes & Mauritz (H&M), par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 septembre 2009 en qualité de vendeuse à temps partiel.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des maisons à succursale de vente au détail d'habillement.
Le 1er décembre 2009, Mme [H] [P] épouse [L] a signé un avenant pour un temps complet.
A compter du 5 novembre 2012, Mme [H] [P] épouse [L] a exercé les fonctions de responsable de département junior, puis a été promue au poste de responsable de département, statut cadre, catégorie 1, niveau 2.
Mme [H] [P] épouse [L] a été placée en arrêt maladie à compter du mois de mai 2015.
Le 4 février 2016, le médecin du travail l'a déclarée apte avec les préconisations suivantes: 'possibilité de s'asseoir régulièrement durant ses heures de travail afin de soulager la station debout'.
Elle a travaillé en mi-temps thérapeutique à compter du mois de décembre 2016 jusqu'au mois d'octobre 2017.
A l'issue de la visite de reprise en date du 4 mai 2018, Mme [H] [P] épouse [L] a été déclarée définitivement inapte à son poste dans les termes suivants : " inapte à son poste, contre-indication au travail en station debout prolongée, pourrait occuper un poste majoritairement assis sédentaire ou en télétravail, éventuellement avec formation préalable".
Mme [H] [P] épouse [L] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 juillet 2018, avant d'être licenciée par courrier en date du 7 août 2018 pour inaptitude d'origine professionnelle avec impossibilité de reclassement.
A la date du licenciement, Mme [H] [P] épouse [L] avait une ancienneté de 8 ans et 11 mois, et la société H&M occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant son licenciement et réclamant diverses indemnités, Mme [H] [P] épouse [L] a saisi le 6 novembre 2018 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 4 octobre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
- condamne la société H&M à payer à Mme [H] les sommes de :
- 8 912 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 6 684 euros à titre d'indemnité de préavis et 668 euros à titre de congés payés,
- condamne la société H&M à payer la somme de 1300 euros à Mme [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- n'assortit pas la décision de l'exécution provisoire,
- déboute les parties du surplus.
Par déclaration du 23 novembre 2021, Mme [H] [P] épouse [L] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 4 novembre 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er novembre 2023 Mme [H] [P] épouse [L] demande à la cour de:
- statuer sur la demande formulée par la salariée relative à l'inconventionnalité du barème Macron,
en conséquence :
- juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention oit n°158, ainsi que l'article 6§1 de la CEDH,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a considéré que le licenciement prononcé était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de l'absence de consultation régulière des délégués du personnel mais également en raison du défaut de reclassement faisant suite à l'inaptitude de la salariée,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes quant au quantum alloué à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en conséquence :
- condamner la société H&M à verser à Mme [H] [P] épouse [L] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 26 736 euros sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail en tenant compte de son préjudice réel,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société H&M à verser à Mme [H] [P] épouse [L] la somme de 6684 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis avec congés payés sur préavis à hauteur de 668 euros,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société H&M à verser à Mme [H] [P] épouse [L] la somme de 1300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner enfin la société H&M à verser à Mme [H] [P] épouse [L] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 mars 2022 la société H&M demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 octobre 2021 par le conseil de prud'hommes de Créteil,
en conséquence,
- débouter Mme [H] [P] épouse [L] de ses demandes,
- la condamner à verser à la société H&M la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner en tous les dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 8 février 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour retient qu'il n'est interjeté appel que du chef de jugement ayant condamné la société H§M à verser à Mme [L] la somme de 8 912 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour infirmation du chef de jugement critiqué, Mme [L] soutient en substance que le barème de l'article L. 1235-3 du code du travail ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi ; que l'article 17 de la convention 158 de l'OIT et l'article 24 de la Charte sociale européenne garantissent au salarié le droit de recevoir une indemnité adéquate ; que ces normes internationales ont une autorité supérieure à la loi en application de l'article 55 de la Constitution et sont directement invocables par les particuliers conformément à la décision du Conseil d'Etat du 14 novembre 2018 et aux deux avis rendus par le comité européen des droits sociaux qui veille au respect de la Charte sociale européenne par les Etats membres du Conseil de l'Europe ; que l'instauration du barème d'indemnisation est une atteinte au droit à l'accès au juge et à un procès équitable ; que la somme allouée ne répare pas le préjudice subi.
La société H§M réplique que la Cour de cassation a, par avis d'Assemblée plénière en date du 17 juillet 2019, définitivement tranché ce débat en estimant que le barème d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compatible avec l'article 10 de la convention 158 de l'OIT ; que la salariée est donc mal fondée à demander à voir écarter le barème ; qu'en outre, le préjudice dont elle se prévaut n'est pas démontré.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre un minimum et un maximum de mois de salaire au regard de l'ancienneté du salarié.
Les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.
Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
L'article 24 relatif au droit à la protection en cas de licenciement de la Charte sociale européenne ratifiée le 7 mai 1999 dispose que :
'En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :
a) Le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;
b) Le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.'
L'article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en oeuvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d'employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d'autres moyens appropriés. »
L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il « est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »
La Cour de cassation en a déduit que les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en 'uvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
En l'espèce, eu égard à l'ancienneté de la salariée, le montant de l'indemnisation du licenciement sans cause réelle est sérieuse doit être compris entre 3 mois de salaire et 8 mois de salaire.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée (2 228 euros) non discuté, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, par infirmation de la décision entreprise, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige.
Sur les frais irrépétibles
La société H§M sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à Mme [L] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, la condamnation prononcée à ce titre en 1ère instance étant confirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
INFIRME le chef de jugement critiqué en ce qu'il a condamné la S.A.R.L. Hennes & Mauritz (H&M) à verser à Mme [N] [L] la somme de 8912 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la S.A.R.L. Hennes & Mauritz (H&M) à verser à Mme [N] [L] la somme de 15 000 euros d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;
CONDAMNE la S.A.R.L. Hennes & Mauritz (H&M) aux entiers dépens ;
CONDAMNE la S.A.R.L. Hennes & Mauritz (H&M) à verser à Mme [N] [L] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.