REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 26 MARS 2024
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08983 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESHV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/06141
APPELANT
Monsieur [I] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
né le 14 Juin 1964 à Algérie
Représenté par Me François BRUNEL, avocat au barreau de BAYONNE, toque : 130
INTIMEE
S.A.S. FACILITESS
[Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 709 800 015
Représentée par Me Catherine FAVAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1806
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Isabelle LECOQ CARON, Présidente de chambre
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre
Monsieur Daniel FONTANAUD, Magistrat honoraire
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Isabelle LECOQ CARON, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle LECOQ CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [I] [W], né en 1964, a été engagé par la SAS Facilitess, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 octobre 2010 en qualité d'agent polyvalent, statut employé, niveau 1, coefficient 120 en application de la convention collective de prestataires de service du secteur tertiaire.
Par un avenant en date du 18 octobre 2010, M. [W] a été affecté sur le site de la RATP, société cliente, à [Localité 9].
Le 11 décembre 2012, par avenant, M. [W] a accédé au coefficient 130, avec un taux horaire de 9,70 euros brut.
Par avenant en date du 10 avril 2013, M. [W] a été promu au poste de chef d'équipe coefficient 170, avec un salaire brut horaire de 10,20 euros. Dans le cadre de cette promotion, il a bénéficié d'une formation professionnalisante de 160 heures.
Par avenant en date du 20 février 2015, M. [W] a bénéficié d'une nouvelle promotion en qualité de chef d'équipe, accédant au statut d'agent de maîtrise, coefficient 200, niveau 4, et un salaire horaire de 11,09 euros brut. Aux termes de cet avenant, une période probatoire d'une durée de 3 mois a été convenue.
Par courrier du 13 mai 2015, M. [W] a été informé qu'il réintégrait le poste d'adjoint au chef d'équipe par courrier du 18 mai 2015.
Fin novembre 2016 a été organisée une réunion extraordinaire par le CHSCT afin d'évaluer les conditions de travail de M. [W] et de déclencher une enquête sur sa souffrance au travail.
Par courrier en date du 27 janvier 2017, M. [W] a été convoqué à un entretien prévu le 2 février 2017, entretien reporté au 1er mars 2017 au vu de l'arrêt maladie du salarié.
Lors de cet entretien, un avenant en date du 3 mars 2017 à effet du 13 mars 2017 pour un poste de chef d'équipe dit " groupe SNCF " a été soumis à l'accord de M. [W]. Cette nouvelle promotion ne comportait pas de période probatoire.
A compter du 1er mai 2007, le salaire de M. [W] a été porté à 11,45 euros brut.
Par mail du 2 mai 2017, M. [W] a dénoncé une pression hiérarchique.
Par courrier du 11 août 2017, la société Facilitess a convoqué M. [W] à un entretien fixé au 1er septembre 2017, auquel il ne s'est pas rendu pour des raisons de santé.
Par courrier du 7 septembre 2017, M. [W] s'est vu remettre un avertissement.
Par mail du 18 septembre 2017, M. [W] a contesté cet avertissement.
Du 9 octobre 2017 à début avril 2018, M. [W] a été placé en arrêt maladie.
Par lettre du 8 octobre 2019, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 18 octobre 2019 avec mise à pied conservatoire, notifiée le 10 octobre 2019 avant d'être licencié pour faute grave par courrier du 20 octobre 2019.
A la date du licenciement, M. [W] avait une ancienneté de 9 ans, et la société Facilitess occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des rappels de salaire et des dommages et intérêts pour discrimination, harcèlement moral, et non-respect de l'obligation de sécurité de l'employeur, M. [W] a saisi le 28 août 2020 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 23 juillet 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
- déboute M. [W] de l'ensemble de ses demandes,
- déboute la société Facilitess de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laisse les dépens à la charge de M. [W].
Par déclaration du 28 octobre 2021, M. [W] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 29 septembre 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 janvier 2022, M. [W] demande à la cour de :
- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,
- laissé les dépens à la charge de M. [W],
Statuant à nouveau, il est demandé à la cour de :
- condamner la société Facilitess à verser à M. [W] la somme de 10.660 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de la discrimination,
- condamner la société Facilitess à verser à M. [W] la somme de 40.000 euros en réparation du préjudice professionnel et moral subi du fait de la discrimination,
- condamner la société Facilitess à verser à M. [W] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,
- condamner la société Facilitess à verser à M. [W] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de sécurité de résultat,
A titre principal, juger nul son licenciement et condamner la société Facilitess à verser à M. [W] la somme de 26.627 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de son licenciement,
A titre subsidiaire,
- juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement,
- condamner la société Facilitess à verser à M. [W] la somme de 26.627 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement,
En tout état de cause,
- condamner la société Facilitess à verser à M. [W] les sommes suivantes :
- indemnité compensatrice de préavis : 3.550 euros
- indemnité légale de licenciement : 3.994 euros
- rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 1.139 euros et 113 euros au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Facilitess à verser à M. [W] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire du contrat de travail,
- condamner la société Facilitess aux entiers dépens et à verser à verser à l'avocat de M. [W], la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 2° du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 mars 2022, la société Facilitess demande à la cour de :
- confirmer purement et simplement le jugement entrepris,
- statuant à nouveau, condamner M. [W] au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 novembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 février 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral
Pour infirmation de la décision déférée, M. [W] fait valoir qu'il a été victime de nombreux faits qui ont dégradé ses conditions de travail et qui constituent du harcèlement moral, à savoir sa rétrogradation injustifiée en 2015, le fait d'avoir été contraint de former à son ancien poste son remplaçant, d'avoir subi des pressions du véritable chef d'équipe sur le site de la SNCF, les affectations en surplus depuis 2017, les affectations sanctions, les convocations successives et l'avertissement non justifié.
La société Facilitess conteste les faits et exclut tout fait de harcèlement.
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1152-3 du même code précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
A l'appui de sa demande, M. [W] présente les éléments suivants :
- L'avenant n°4 à son contrat de travail le nommant à compter du 2 mars 2015 chef d'équipe, catégorie agent de maîtrise coefficient 200 niveau 4 avec une période probatoire de 3 mois ;
- La notification le 13 mai 2015 de la fin de la période probatoire, le salarié retrouvant son poste d'adjoint au chef d'équipe coefficient 170 niveau 3 ;
- La dénonciation par le salarié auprès de la directrice de la société de fait de harcèlement de la part du client dont le mécontentement est à l'origine de la rupture de la période probatoire;
- L'avertissement du 7 septembre 2017 pour avoir commis de nombreuses erreurs dans l'accomplissement de ses tâches quotidiennes auprès du client SNCF ;
- Le courriel du salarié en date du 3 octobre 2017 à M. [J] délégué du personnel et membre du CHSCT dénonçant les difficultés rencontrées lors de son affectation sur le site de la SCNF et le harcèlement de son prédécesseur ;
- Une notification de changement d'affectation du 30 avril 2019 prévoyant à compter du 6 mai 2019 une nouvelle affectation sur 6 sites différents selon un planning ([Localité 7], [Localité 8], [Localité 11], [Localité 10], [Localité 6]) ;
- La notification de changement d'affectation du 19 juin 2019 sur le site de Véolia à [Localité 5] à compter du 28 juin 2019 et un courriel du 2 juillet 2019 relatif à une affectation sur le site de Capgemini à [Localité 7] ;
- L'attestation de Mme [F] selon laquelle M. [W] a été affecté sur le site de Capgemini du 6 au 31 mai 2019 en tant qu'agent polyvalent ;
- Les arrêts maladie et des certificats médicaux.
Au vu des éléments présentés, la cour retient que les pressions alléguées par le salarié sur le site SNCF ne sont pas matériellement établies pas plus que le comportement du client qui serait à l'origine de la rupture de la période probatoire en qualité de chef d'équipe ; qu'en effet, M. [W] se prévaut seulement de mails, au demeurant très imprécis quant aux faits dénoncés, qu'il a envoyés à la directrice de la société ou au délégué syndical. Ces faits ne peuvent donc pas être retenus.
Les autres faits présentés par le salarié, à savoir la rupture de la période probatoire, les différentes affectations, les documents médicaux, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Il appartient donc à l'employeur de démontrer que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
A cet effet, la société Facilitess fait valoir que le salarié n'a pas fait l'objet d'une rétrogradation mais que la période probatoire dont il bénéficiait a été rompue eu égard aux doléances émises par le client, la RATP et aux difficultés du salarié à assurer le management de 15 agents ; que M. [P], supérieur hiérarchique de M. [W] a confirmé devant le CHSCT que la période probatoire avait été décidée au vu des "très grandes difficultés" du salarié à assurer le management d'une équipe de plus de 15 agents; qu'elle produit le compte rendu de réunion avec le client (la RATP) selon lequel " la SEDP nous fait part qu'il trouvait que le nouveau chef d'équipe (ancien chef adjoint) au centre de tri de la maison de la RATP n'avait pas le niveau pour gérer le centre de tri et l'équipe actuelle ", précisant qu'il était de bonne volonté et connaissait très bien les tâches à effectuer mais pour un poste d'adjoint et non de chef d'équipe ; que les différentes convocations manifestent l'attention portée à la situation du salarié ; que la sanction du 7 septembre 2017 est parfaitement justifiée.
Au vu des pièces produites, la cour retient que si le salarié a été nommé en qualité de chef d'équipe sous réserve de la réalisation d'une période probatoire de trois mois et si celle-ci a été rompue motifs pris des doléances du client, il n'en demeure pas moins que la société Facilitess ne justifie pas des moyens mis en place pour que M. [W] réussisse sa période probatoire, notamment en termes de management d'équipe.
En outre, alors que le médecin du travail avait préconisé le 9 janvier 2019 notamment " si possible envisager un site de travail à courte distance de son domicile ", la société ne donne aucune explication sur la multiplicité des sites d'affectation à compter du 30 avril 2019, à plus d'une heure du domicile du salarié, puis du changement le 2 juillet 2019 pour le site d'[Localité 7] alors que le salarié était sur le site d'[Localité 5] à 25 minutes de chez lui selon la notification du 19 juin 2019 ; qu'eu égard aux échanges produits, l'employeur ne pouvait ignorer la souffrance de M. [W].
La cour en déduit que les faits de harcèlement sont établis et qu'au vu des éléments médicaux produits, par infirmation de la décision déférée, la société Facilitess sera condamnée à verser à M. [W] la somme de 3 000 euros de dommages intérêts.
Sur la discrimination
Pour infirmation de la décision entreprise, M. [W] soutient en substance que d'origine algérienne, de confession musulmane, souffrant d'une grave maladie de peau, reconnu comme travailleur handicapé, il a subi une discrimination et fait valoir à ce titre des faits de harcèlement, la stagnation de sa rémunération au minima conventionnel, la stagnation de sa carrière, la rétrogradation en 2015, des propos méprisants et humiliants. Il demande la réparation du préjudice financier et du préjudice moral.
La société conteste toute discrimination.
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'action, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.
L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Une différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés de la même entreprise et exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.
A l'appui de sa demande, M. [W] présente les éléments suivants :
- Les faits de harcèlement ;
- Ses bulletins de salaire ;
- Le procès-verbal du comité d'entreprise du 23 avril 2018 précisant que les anciennetés moyennes dans l'entreprise par catégorie professionnelle sont de 3 ans et 6 mois pour les agents de courrier, de 4 ans et 4 mois pour les agents de reprographie, de 5 ans pour les agents de maintenance ;
- Un tableau de données NAO 2017 mentionnant la moyenne des salaires par catégorie professionnelle ;
- Le procès-verbal du CHSCT du 1er décembre 2016 ;
- Le rapport du CHSCT du 15 mai 2017 sur la souffrance au travail du salarié concluant que pendant l'enquête, l'employeur a accordé à ce dernier un poste et le statut de chef d'équipe sans période d'essai à la SNCF ainsi qu'une augmentation de 2% qu'il a refusé, que le salarié n'a pas reçu le rappel de salaire pour la période antérieure et n'a pas reçu d'explication objective sur l'absence d'augmentation de 3 ou 5% comme les autres salariés en application des accords NOA;
- Son licenciement pour faute grave.
Au vu des pièces produites par le salarié, la cour retient que pris dans leur ensemble, les éléments présentés laissent supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'état de santé du salarié et de ses convictions religieuses.
Il appartient donc à l'employeur de prouver les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
A cet effet, l'employeur prétend que le licenciement de M. [W] et justifier et qu'il n'y a aucune discrimination salariale.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
" Les explications que vous avez fournies lors de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits, ce pourquoi nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave pour le motif suivant :
- Le 1 er octobre, une de vos collègues était charge de relever les références des chaussures de sécurité présentes dans vestiaire des hommes aux alentours de15H30, elle a donc toqué à la porte du vestiaire pour vérifier que personne n'était présent à l'intérieur. N'ayant aucune réponse, elle est donc entrée dans le vestiaire afin d'effectuer sa mission. C'est alors qu'elle vous a vu faire votre prière sans grande discrétion par terre à côté des casiers.
Lors de l'entretien vous avez reconnu la totalité des faits.
- Le 2 octobre 2019, cet incident nous a été remonté par votre responsable de comptes, Mme [K] [R]. Celle-ci nous a donc indiqué que vous faisiez pendant votre temps de travail effectif, votre prière dans le vestiaire des hommes.
- Ce que vous avez d'ailleurs reconnu par mal envoyé à votre responsable de comptes le 4 octobre 2019 en indiquant " bonjour [K], il m'arrive très souvent à part le vendredi de prendre une pause de 5 à 10 minutes maximum pour faire ma prière au vestiaire (entre 15H30-16H) 'désolé de ne pas vous avoir mis au courant, ai-je votre autorisation de la faire ' ". Dès lors, vous avez seulement demandé cette autorisation à votre responsable de comptes lorsqu'une collègue vous a surpris en train de prier dans les vestiaires des hommes. Votre responsable de comptes ne vous a jamais donné cette autorisation.
- En parallèle, votre chef de poste a averti votre responsable de comptes que vous vous absentiez presque tous les jours de votre poste de travail vers 15H30 pendant 15 à 20 minutes. A la demande de [K] [R], le chef de poste vous a questionné concernant vos absences répétées à votre poste. Vous lui avez alors précisé que vous vous absentiez pour prier dans le vestiaire. Votre chef de poste vous a alors expliqué que vous ne pouviez pas faire cela sur le site du client.
Lors de l'entretien, vous avez reconnu faire votre prière pendant votre temps de travail effectif.
Vous nous avez expliqué que vous pensiez que cela était autorisé car vous aviez l'habitude de prier sur les autres sites sur lesquels vous aviez été affecté. En ajoutant que vos anciens Responsables de Comptes le savaient et qu'ils vous ont tous autorisé à prier sur site.
Or, il s'avère que l'intégralité de vos précédents Responsables de Comptes n'ont jamais eu connaissance de vos pratiques religieuses sur site pendant votre temps de travail effectif. Par conséquent, ils ne pouvaient donc pas vous autoriser à prier sur les différents sites clients.
Nous vous avons donc interrogé pour savoir pourquoi vous n'aviez pas demandé à votre Responsable de Comptes l'autorisation de prier sur site dès votre arrivée sur le site Veolia. Vous nous avez alors répondu être en tort de ne pas l'avoir fait avant que votre collègue vous surprenne en train de prier dans le vestiaire. Vous nous avez dit avoir demandé à votre Chef de poste qui vous aurait donc autorisé à prier mais seulement dans les toilettes. Cependant, votre Chef de poste ne vous a jamais autorisé à prier pendant votre temps.de travail effectif sur le site du Client, quel que soit l'endroit.
Vous nous avez également expliqué ne prendre qu'une pause de 10 minutes pour prier. Or, il faut déjà 6 minutes pour faire l'aller-retour entre votre poste de travail et le vestiaire des hommes dans lequel vous aviez l'habitude de prier. Des lors, il est évident que vous ne pouviez pas faire une pause non autorisée de seulement 10 minutes pour vaquer à vos obligations personnelles dans le vestiaire des hommes.
Votre attitude est inadmissible et ne saurait être tolérée au sein de Facilitess.
Le mécontentement exprimé par notre client, peut engendrer des conséquences non négligeables sur la pérennité de notre contrat commercial et nuire à l'image de marque de Facilitess.
En effet, votre comportement a nui à la bonne continuité de notre prestation de service.
De plus, selon l'article L3121-1 du code du travail "la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnels ".
L'article 2.2 du règlement intérieur de notre société énonce également que conformément à la législation en vigueur, la durée du travail s'entend du travail effectif ; ceci implique que chaque salarié se trouve à son poste aux heures fixées pour le début et pour la fin du travail.
En l'espèce, à la place de travailler vous effectuiez vos prières dans le vestiaire des hommes. Vous n'étiez donc pas à votre poste de travail pendant votre temps de travail effectif. Des lors, vous ne respectez pas vos horaires de travail.
La Cour d'appel de Paris a plusieurs fois approuvé le fait de reprocher à un salarié de faire la prière sur son temps de travail. (CA Paris 17 juin 2014, n° S10/01020 et CA Paris 11 octobre 2017 n° 16/01757).
Ainsi, ce n'est pas le fait de prier pendant le temps travail qui est sanctionné mais le fait que vous ne fournissez pas la prestation convenue et pour laquelle vous êtes rémunéré.
En outre, vous ne pouvez pas vaquer à vos occupations personnelles pendant votre temps de travail effectif. Vous avez l'obligation de respecter vos horaires de travail.
- Le 9 octobre 2019, suite à la réception de votre convocation à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement, vous vous êtes énervé sur site et vous avez crié en expliquant que :
Vous en avez marre d'être pisté
Vous ne dites rien, encaissez et après vous explosez
Vous allez traiter directement avec la DG de Facilitess
Vous avez un statut handicapé et que vous avez été affecté à titre définitif sur Véolia donc vous n'avez peur de rien.
Une de vos collègues a même eu peur de votre attitude. [K] [R], votre Responsable de Comptes a dû la rassurer car le climat sur le site Veolia devenait anxiogène au sein de l'équipe Facilitess.
Vous avez reconnu avoir été en colère ce jour-là, mais que vous n'aviez pas crié, ni élevé la voix, ni même tenu ces propos. Vous nous avez expliqué avoir été énervé car on vous aurait demandé de laver la machine à café alors que ce n'était pas à vous de le faire en raison de vos problèmes médicaux.
Or, il s'avère que plusieurs de vos collègues était présents et ont confirmé que vous vous étiez énervé en raison de la réception de votre convocation au siège. De plus, après vérification, il vous a bien été confié une mission concernant les machines à café mais celle-ci remonte à fin août. Madame [K] [R] l'a d'ailleurs adapté en amont à vos problèmes médicaux comme indiqué dans son mail du 29 août 2019. D'ailleurs, le 30 août 2019, vous avez répondu à son mail en lui indiquant " Bonjour [K], bien pris en compte, cordialement ". Vos explications ne nous ont donc pas convaincu.
Votre comportement est inadmissible et ne saurait être toléré au sein de Facilitess.
En effet, selon l'article VII de votre contrat de travail en date du 18/10/2010, vous vous engagez à respecter scrupuleusement les règles de politesse et de bienséance avec vos collègues. En l'espèce, ce n'est pas le cas.
En outre, vous devez respecter vos obligations contractuelles. Cependant, il est évident que vous ne respectez ni les règles de politesse et de bienséance, ni vos horaires de travail.
Ce ne sont d'ailleurs pas vos premiers faits fautifs. En effet, vous avez déjà fait l'objet d'un avertissement en date du 7 septembre 2017 en raison d'une exécution approximative de vos différentes taches en tant que Chef d'Equipe.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise est impossible. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement.
Vous avez au préalable, fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée le 10 octobre 2019. Dès lors, la période non travaillée du 10 octobre au 29 octobre 2019 ne sera pas rémunérée.
Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé' "
Il est donc reproché à M. [W] de ne pas avoir travaillé durant son temps de travail effectif et de ne pas avoir fourni la prestation convenue et pour laquelle il était rémunéré pour ainsi vaquer à des occupations personnelles dans les vestiaires, à savoir prier sur le temps de travail.
Ces faits ne sont pas contestés par M. [W] qui reconnaît qu'il prenait sur son temps de travail entre 15H30 et 16H pour faire sa prière dans les vestiaires. Il est établi qu'il n'a sollicité aucune autorisation préalable alors que durant le temps de travail il ne peut pas vaquer à des occupations personnelles et doit se conformer aux directives de son employeur et rester à la disposition de celui-ci. Les faits reprochés à M. [W] sont donc établis et la décision de licencier celui-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
S'agissant de l'inégalité de traitement dont se plaint le salarié, la cour retient que selon les constatations du CHSCT, l'employeur a accordé une augmentation de 2% à M. [W] qui n'a pas reçu le rappel de salaire pour la période antérieure à sa nomination en qualité de chef d'équipe et n'a pas reçu d'explication objective sur l'absence d'augmentation de 3 ou 5% comme les autres salariés en application des accords NAO. Le salarié présente ainsi des éléments laissant supposer l'existence d'une inégalité de traitement.
C'est en vain que l'employeur oppose que le tableau NAO ne constitue pas une analyse suffisamment fine des rémunérations moyennes perçues par catégorie professionnelle alors qu'il lui appartient en cas de litige d'établir que le requérant, en l'espèce M. [W], perçoit un salaire identique aux salariés de la même catégorie professionnelle placés dans une situation identique. Or à cet égard, l'employeur procède par simples allégations et ne produit aucune pièce.
L'inégalité de traitement est donc établie.
Au vu des bulletins de salaire produits et du tableau NAO 2017 mentionnant un taux horaire brut de 12,85 euros pour un agent de maîtrise, et sans élément opposant de l'employeur quant aux modalités de calcul, par infirmation de la décision déférée, la cour condamne la société à verser au salarié la somme de 10 660 euros au titre du préjudice professionnel, outre la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral, soit la somme totale de 13 660 euros.
Sur le non-respect de l'obligation de sécurité
En application de l'article L.4121-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,
2° Des actions d'information et de formation,
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Il résulte des éléments versés au dossier ci-dessus développés que M. [W] n'a pas bénéficié de la mise en place de moyens adaptés pour réussir sa période probatoire comme chef d'équipe en mars 2015, que le CHSCT s'est inquiété de la souffrance exprimée par le salarié et a ordonné une enquête qui a révélé une inégalité salariale sans que l'employeur ne s'explique ni ne régularise la situation, que ces faits ont entraîné une dégradation de la santé du salarié sans que l'employeur ne justifie des mesures mises en place pour protéger sa santé.
La cour dispose des éléments suffisants pour condamner la société à verser à M. [W] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi.
Sur le licenciement
La cour a retenu que les faits reprochés à [W], à savoir ne pas avoir travaillé durant son temps de travail effectif et de ne pas avoir fourni la prestation convenue et pour laquelle il était rémunéré pour vaquer à des occupations personnelles dans les vestiaires, étaient établis.
C'est en vain que le salarié oppose que le fait de se rendre aux vestiaires pour prier était couramment pratiqué dans l'entreprise, ce que, au demeurant, il ne démontre pas, alors que le courriel envoyé après la découverte des faits établit bien qu'il n'avait aucune autorisation pour vaquer à des occupations personnelles durant son temps de travail.
Ces faits présentent une gravité de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail compte tenu de leur caractère habituel.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de ses demandes relatives à son licenciement.
Sur les circonstances de la rupture
M. [W] n'établit pas que les circonstances de la rupture étaient humiliantes ou vexatoires étant relevé que la mise à pied à titre conservatoire n'établit pas le caractère vexatoire de la procédure de licenciement et que le courrier du 13 novembre 2019 adressé par la directrice générale de la société en réponse à celui du salarié du 3 novembre 2019 demandant des explications, ne contient aucun propos humiliant ou vexatoire.
C'est donc à juste titre que le salarié a été débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les frais irrépétibles
La société Facilitess sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à M. [W] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 2° du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;
CONFIRME le jugement en ce qu'il a débouté M. [I] [W] de ses demandes relatives à son licenciement et à sa demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire;
INFIRME le jugement pour le surplus ;
CONDAMNE la SAS Facilitess à verser à M. [I] [W] les sommes suivantes :
- 3 000 euros de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral ;
- 13 660 euros de dommages-intérêts au titre de la discrimination ;
- 3 000 euros au titre de l'obligation de sécurité ;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;
CONDAMNE la SAS Facilitess aux entiers dépens ;
CONDAMNE la SAS Facilitess à verser à M. [I] [W] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 2° du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.