REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 26 MARS 2024
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08520 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEPZJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/02001
APPELANT
Monsieur [J] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
né le 05 Septembre 1951 à [Localité 6]
Représenté par Me Sebastien TO, avocat au barreau de PARIS, toque : 13
INTIMEE
S.A. AEROPORTS DE [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Isabelle LECOQ CARON Présidente de chambre
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre
Monsieur Daniel FONTANAUD, Magistrat honoraire
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Isabelle LECOQ CARON, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle LECOQ CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [J] [R], né en 1951, a été engagé par la S.A. Aéroports de [Localité 5] (ci-après l'ADP) par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 1992 en qualité d'administrateur en chef. Il exerçait en dernier lieu depuis 2013 comme secrétaire général de la société Aéroports de [Localité 5] (cadre dirigeant).
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises au statut du personnel d'Aéroports de [Localité 5].
Le 29 novembre 2017, la société ADP a notifié à M. [R] une mise à pied à titre conservatoire, sans suspension de la rémunération et l'a convoqué à un 1er entretien préalable à un licenciement. La mise à pied a été levée le 19 décembre 2017.
Le 14 décembre 2017, M. [R] a été désigné conseiller prud'hommes au sein du collège employeur du conseil de prud'hommes d'Argenteuil.
Il a été dispensé d'activité à compter du 21 décembre 2017.
Par courrier du 3 janvier 2018, l'ADP a sollicité l'autorisation de licencier M. [R] auprès de l'inspection du travail.
Le 23 février 2018, l'inspection du travail a rejeté la demande d'autorisation de licenciement.
Par courrier du 9 mars 2018, l'ADP a convoqué M. [R] à un 2nd entretien préalable fixé au 20 mars 2018.
Le 12 avril 2018, la société ADP a demandé l'autorisation de licencier M. [R], salarié protégé. A la suite de l'autorisation de licencier délivrée par l'inspection du travail 14 juin 2018, la société a notifié à M. [R] son licenciement pour faute grave par courrier du 29 juin 2018.
Le 18 janvier 2019 la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique exercé par M. [R] contre la décision de l'inspecteur du travail.
Par jugement du 15 juin 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande d'annulation de la décision du 18 janvier 2019 de la ministre du travail.
Par arrêt du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de M. [R].
Par arrêt du 17 juillet 2023, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi de M. [R].
Entre temps, M. [R], par courrier du 15 juin 2018 a informé l'employeur de son souhait de faire valoir ses droits à la retraite.
Souhaitant voir requalifié en prise d'acte son départ à la retraite, contestant la légitimité de la rupture de son contrat de travail, et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, M. [R] a saisi le 14 juin 2019 le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 28 juillet 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
- se déclare compétent pour connaître du litige,
- déboute M. [R] de l'ensemble de ses demandes,
- déboute la société Aéroports de [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- dit que les dépens seront partagés, supportés solidairement par M. [R] et la société Aéroports de [Localité 5].
Par déclaration du 14 octobre 2021, M. [R] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 28 septembre 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 mai 2023, M. [R] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel de M. [R],
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 28 juillet 2021 en ce qu'il a :
- débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes,
- dit que les dépens seront partagés, supportés solidairement par M. [R] et la société Aéroports de [Localité 5],
- confirmer le jugement pour le reste,
En conséquence,
In limine litis,
- se déclarer compétente matériellement pour statuer sur le présent litige,
Au fond,
- dire et juger recevables et bien fondées les demandes de M. [R] à l'encontre de la société Aéroports de [Localité 5],
- dire et juger irrecevables les demandes non chiffrées de la société Aéroports de [Localité 5],
- dire et juger infondées les demandes de la société Aéroports de [Localité 5] à l'encontre de M. [R],
- débouter la société Aéroports de [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes,
A titre principal,
- requalifier la décision de départ en retraite de M. [R] en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Aéroports de [Localité 5],
- dire et juger que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul,
En conséquence,
- condamner la société Aéroports de [Localité 5] à régler à M. [R], avec intérêts au taux légal à compter de la présente saisine, les sommes suivantes :
- 1.048.182,12 euros au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur,
- 465.858,72 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la nullité de son licenciement,
- 315.425,17 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 77.643,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 7.764,31 euros au titre des congés payés y afférents,
- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison des conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail,
- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des faits constitutifs d'un harcèlement subi par M. [R],
- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la violation de l'obligation de sécurité de résultat de la société Aéroports de [Localité 5],
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la décision de départ en retraite de M. [R] produit tous ses effets,
- constater que la notification de son licenciement en date du 29 juin 2018 est sans objet,
- condamner la société Aéroports de [Localité 5] à régler à M. [R], avec intérêts au taux légal à compter de la présente saisine, les sommes suivantes :
- 168.144 euros au titre de son indemnité de départ à la retraite,
- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison des conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail,
- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des faits constitutifs d'un harcèlement subis par M. [R],
- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la violation de l'obligation de sécurité de résultat de la société Aéroports de [Localité 5],
A titre infiniment subsidiaire,
- prononcer le sursis à statuer de la présente affaire dans l'attente d'une décision définitive sur les demandes formées par M. [R] devant les juridictions administratives, actuellement devant le Conseil d'état,
En toute hypothèse,
- débouter la société Aéroports de [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Aéroports de [Localité 5] à publier la décision à intervenir dans le journal interne de la société sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
- condamner la société Aéroports de [Localité 5] à organiser à ses frais un « pot de départ » à M. [R] sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
- condamner la société Aéroports de [Localité 5] à régler à M. [R] la somme de 30.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Aéroports de [Localité 5] aux dépens d'instance.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 11 décembre 2023, la société Aéroports de [Localité 5] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny en date du 28 juillet 2021 en ce qu'il a débouté la société aéroports de [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;
- confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Bobigny en date du 28 juillet 2021 en ce qu'elle a débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;
En conséquence et statuant à nouveau du chef de jugement critiqué ;
- débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner M. [R] à la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [R] aux dépens ;
- dire que ceux d'appel seront recouvrés par Me Audrey Hinoux, SELARL Lexavoue [Localité 5] [Localité 7] conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 février 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture du contrat de travail
Pour infirmation de la décision entreprise, M. [R] soutient que son courrier du 15 juin 2018 informant l'employeur de sa volonté de faire valoir ses droits à la retraite est une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail qui doit produire les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur ; que le licenciement prononcé postérieurement à la prise d'acte est non avenu, peu important que la procédure de licenciement ait été engagée avant la prise d'acte et que l'autorisation de licenciement ait été donnée par l'inspection du travail avant cette prise d'acte ; qu'il n'est établi aucun abus de droit ni aucune fraude à son encontre ; que son départ à la retraite était équivoque ; que la prise d'acte est justifiée par des manquements graves de l'employeur, à savoir la restriction de ses missions, des pressions nuisant à ses conditions de travail et à son état de santé, des procédures et des mesures disciplinaires injustifiées.
L'ADP réplique que la demande de qualification de la demande de départ à la retraite de M. [R] en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail ne saurait être accueillie compte tenu de la carence du salarié à fournir la preuve des faits qu'il allègue, de l'absence de faits d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et du contrôle préalable opéré par l'inspection du travail pour autoriser le licenciement d'un salarié protégé ; que ni la légalité ni la portée de la décision administrative d'autorisation de licenciement du 14 juin 2018 ne sont affectées par la demande de départ à la retraite du 15 juin 2018 et par la demande de qualification en prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; que la demande de départ à la retraite étant équivoque, elle ne peut produire que les effets d'une démission.
Il est de droit que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite.
En l'espèce, M. [R] a rédigé le 15 juin 2018 sa demande en vue de faire valoir ses droits à la retraite ainsi qu'il suit :
« Je vous informe de ma volonté de faire valoir mes droits à la retraite. Après 25 ans de services dans l'entreprise, ma situation actuelle n'est plus supportable. Les deux procédures en 6 mois de mise à pied menées à mon encontre nuisent gravement à mon état de santé. Ma décision de départ à la retraite me ferait quitter l'ADP à l'issue du préavis au 30 septembre 2018' ».
La référence à une situation devenue insupportable et aux procédures disciplinaires diligentées à l'encontre du salarié caractérise l'existence d'un différend. La volonté de mettre fin au contrat de travail étant équivoque, il convient d'examiner les manquements reprochés par M. [R] étant rappelé que son écrit du 15 juin 2018 ne fixe pas les limites du litige.
M. [R] reproche à son employeur :
- le retrait de missions à compter de juillet 2017, notamment des fonctions éthiques et déontologiques confiées à la déléguée générale de la Fondation Aéroport de [Localité 5] ainsi que le retrait de son rôle de représentant d'ADP au sein de l'association Planèt'Airport et du fonds de dotation ADIFE ;
- la multitude de procédures disciplinaires constitutive de harcèlement et le caractère discriminatoire de la demande d'autorisation de licenciement
L'ADP s'oppose à l'examen des manquements qui lui sont reprochés par le salarié au motif que les décisions successives relatives à l'autorisation de licenciement ont examiné la matérialité des faits et leur gravité.
La lecture des décisions relatives à l'autorisation de licencier M. [R] révèle que :
L'inspecteur du travail s'est prononcé sur la faute reprochée au salarié, considérant que les faits reprochés étaient établis, imputables à M. [R], d'une particulière gravité de nature à justifier une mesure de licenciement et que la demande d'autorisation de licenciement ne présentait pas de lien avec le mandat exercé par l'intéressé ;
Sur le recours hiérarchique, le directeur général du travail pour la ministre du travail a examiné la régularité de la procédure, la matérialité des faits reprochés au salarié ainsi que la gravité de ces faits ;
Le tribunal administratif a également statué sur l'existence de la faute et de sa gravité ainsi que sur l'absence de lien avec le mandat de conseiller prud'homme ;
La cour d'appel administrative a comme le tribunal administratif, après avoir répondu à M. [R] qui soutenait que l'inspecteur du travail et la ministre du travail étaient incompétents pour prendre les décision attaquées, que la procédure de licenciement menée par l'ADP était irrégulière, que les faits qui ont été reprochés étaient prescrits et n'étaient pas constitutifs d'une faute de nature à justifier son licenciement, que son licenciement présentait un lien avec son mandat de conseiller prud'homme, que les décisions étaient entachées d'un détournement de pouvoir motivées par les liens qu'entretient la ministre chargée du travail avec le président du groupe Aéroports de [Localité 5], retenu la matérialité des faits reprochés au salarié et leur gravité eu égard au niveau de responsabilités de M. [R], l'absence de détournement de pouvoir, l'absence de lien entre le licenciement et son mandat.
Enfin, le Conseil d'Etat n'a pas admis le pourvoi de M. [R].
Sauf le caractère discriminatoire de la demande d'autorisation de licenciement, la cour déduit de ces décisions que contrairement à ce que soutient l'ADP les différentes autorités et juridictions n'ont pas examiné l'ensemble des manquements de la société allégués par le salarié au soutien de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail de telle sorte que la cour est fondée à les analyser sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs.
Sur le 1er grief, c'est à tort que M. [R] soutient que l'employeur ne pouvait étendre la mise à pied conservatoire du 15 février 2018 à son rôle de représentant de l'ADP au sein de l'association Planèt'Air et du fonds de dotation ADIFE dont l'ADP est membre fondateur au motif selon le salarié que ses fonctions seraient juridiquement sans lien avec son contrat de travail alors que comme le souligne à juste titre l'ADP, il résulte des statuts de l'association Planèt'Air et des délibérations de la fondation ADIFE que M. [R] y siégeait en qualité de représentant de l'ADP et qu'en conséquence, ses fonctions au sein de Planèt'Air et de ADIFE étaient bien en lien avec son contrat de travail de telle sorte que l'employeur n'a pas outrepassé son pouvoir de direction.
En outre, alors que la charge de la preuve des manquements graves pèse sur le salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail, M. [R] ne produit aux débats aucune pièce établissant que des missions et responsabilités ont été retirées au cours de l'exécution de ses fonctions de secrétaire général et notamment qu'en cette qualité, il était chargé des fonctions éthiques et déontologiques, fonctions qui lui auraient été retirées.
La cour ne retient donc pas ce grief.
S'agissant du 2ème grief, aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1152-3 du même code précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
A l'appui de sa demande, M. [R] présente les éléments suivants :
La convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire du 29 novembre 2017 ;
Un avis d'arrêt de travail du 29 novembre au 20 décembre 2017 pour récidive de douleur thoracique chez un patient ayant une cardiopathie (ATLD Infarctus) ;
La suspension de la mise à pied et la demande de M. [R] de bénéficier d'une dispense d'activité à compter du 21 décembre 2017, accordée par le groupe ADP ;
La demande d'autorisation de licenciement du 3 janvier 2018 formulée par l'ADP auprès de l'inspection du travail et le courrier de M. [R] adressé à l'inspection du travail le 5 janvier 2018 par lequel il « souhaite s'associer à la demande de la société Aéroport de [Localité 5] et de bien vouloir lui accorder l'autorisation de procéder à [son] licenciement », précisant qu'assisté de son conseil, il est parvenu à un accord amiable ;
La décision de rejet de la demande d'autorisation de l'inspection du travail en date du 23 février 2018 retenant que « le motif pour lequel la rupture du contrat de travail est envisagée n'est pas clairement identifié et ne peut pas plus être déduit ; qu'en effet, il ressort de la demande que la rupture peut être fondée soit sur un motif disciplinaire, soit sur une mésentente, soit sur une perte de confiance ou encore sur une rupture conventionnelle ; que toutefois, la nature et l'étendue du contrôle réalisé par l'administration du travail est fonction du motif pour lequel le licenciement est envisagé ; que par suite, cette demande en tant qu'elle ne précise pas suffisamment clairement le motif pour lequel la rupture est envisagée ne permet pas à l'inspecteur du travail de réaliser son office. »
La convocation à un 1er entretien avec mise à pied à titre conservatoire du 15 février 2018 et la convocation à un 2ème entretien préalable à un éventuel licenciement du 9 mars 2018 ; la demande d'autorisation de licenciement et l'autorisation accordée par l'inspecteur du travail le 14 juin 2018.
La cour retient que l'ADP a obtenu le 14 juin 2018 l'autorisation de licencier M. [R] au motif que la faute grave était constituée et que le licenciement n'était pas en lien avec le mandat de conseiller prud'hommes ; que les différents recours contre cette autorisation ont été rejetés de telle sorte que le licenciement prononcé à l'issue de la 2ème procédure est définitivement acquis ; que si la matérialité de la 1ère procédure est établie, il n'en demeure pas moins que le salarié, cadre dirigeant, a écrit à l'inspecteur du travail pour s'associer à la demande de licenciement et que de surcroît, en l'absence d'agissements répétés, le harcèlement moral ne peut être retenu.
La cour en déduit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un départ volontaire à la retraite et que c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes subséquentes. La décision sera confirmée de ce chef.
En outre, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté M. [R] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Sur la demande subsidiaire de M. [R]
M. [R] fait valoir que par courrier du 15 juin 2018, il a notifié à son employeur son souhait de rompre immédiatement son contrat de travail ; que la rupture est donc intervenue à cette date ; que le 29 juin 2018, l'ADP a cru devoir lui notifier son licenciement alors que le contrat était déjà rompu à cette date ; que la notification du licenciement était sans objet ; que la décision de départ à la retraite doit produire ses effets ; qu'il est donc bien fondé à solliciter le versement de l'indemnité de départ à la retraite.
L'ADP réplique que la demande de départ à la retraite ne peut pas produire d'effet compte tenu de son caractère équivoque ; qu'elle produit les effets d'une démission ; qu'en outre, elle constitue un abus de droit dont l'objet est de faire obstacle au droit de licenciement obtenu le 14 juin 2018 ; qu'en tout état de cause, la rupture ne prend effet qu'à l'issue du préavis et ce n'est qu'à cette date que naît le droit à indemnité de départ qui s'analyse comme un complément de rémunération et non comme une indemnité de rupture ; qu'ayant agi sur le fondement de l'autorisation administrative de licenciement du 14 juin 2018, M. [R] a été licencié pour faute grave le 29 juin 2018 avant l'expiration du préavis fixé au titre de la demande de départ à la retraite ; que le licenciement pour faute grave entraînant la rupture immédiate sans préavis ni indemnité, du contrat de travail, le préavis a été interrompu la date de la notification du licenciement et le contrat de travail a pris fin à cette date avant que la demande de départ à la retraite ne puisse produire l'ensemble de ses effets.
L'article L. 1237-9 du code du travail dans sa version applicable dispose que tout salarié quittant volontairement l'entreprise pour bénéficier d'une pension de vieillesse a droit à une indemnité de départ à la retraite.
L'article L. 1237-10 du code du travail précise que le salarié demandant son départ à la retraite respecte un préavis dont la durée est déterminée conformément à l'article L. 1234-1.
Il est constant que la demande de départ à la retraite peut être révoquée d'un commun accord entre le salarié et l'employeur.
Il est admis que le droit à l'indemnité de départ à la retraite ne prend naissance qu'à la date de ce départ ; qu'en outre, le droit à une indemnité de départ à la retraite n'est ouvert que si le salarié qui a décidé de quitter l'entreprise en vue de faire liquider ses droits à pension de vieillesse en a effectivement demandé la liquidation.
En l'espèce, le contrat de travail de M. [R] a été valablement rompu le 29 juin 2018 alors que le délai de préavis n'expirait que le 30 septembre 2018 et qu'il n'a sollicité la liquidation de ses droits que le 25 juillet 2018, de telle sorte que sa demande de départ volontaire à la retraite du 14 juin 2018 n'a pas pu produire l'ensemble de ses effets et qu'il doit donc être débouté de sa demande d'indemnité de départ à la retraite.
La décision sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire
M. [R] soutient que les sanctions disciplinaires injustifiées l'ont particulièrement affecté après plus de 25 ans de service et que la rupture a eu lieu dans des conditions vexatoires.
La cour retient que M. [R] ne justifie pas des conditions prétendument vexatoires de la rupture et c'est à juste titre que les premiers juges l'ont débouté de sa demande. La décision sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité
Au soutien de sa demande, le salarié se prévaut du comportement de l'entreprise qui aurait multiplié selon lui les initiatives afin de déstabiliser un salarié déjà fragilisé.
La cour n'a pas retenu les manquements de l'employeur dont le salarié s'est prévalu à l'appui de sa demande de prise d'acte de la rupture du contrat de travail et M. [R] ne précise aucun grief précis à l'appui de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité. Il convient donc de débouter à ce titre. La décision sera confirmée.
Sur les frais irrépétibles
Partie perdante, M. [R] sera condamné aux entiers dépens et devra verser à l'ADP la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE M. [J] [R] aux entiers dépens ;
CONDAMNE M. [J] [R] à verser à la SA Aéroport de [Localité 5] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.