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26/03/2024 | FRANCE | N°21/04445

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 26 mars 2024, 21/04445


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 26 MARS 2024



(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04445 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDWWW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/07038



APPELANTE



Madame [L] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le 26 Février 1977 à [Loca

lité 5] (Algérie)



Représentée par Me Emmanuel JARRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209



INTIMEE



E.P.I.C. COMMISSARIAT A L'ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES (CEA)
...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 26 MARS 2024

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04445 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDWWW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/07038

APPELANTE

Madame [L] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le 26 Février 1977 à [Localité 5] (Algérie)

Représentée par Me Emmanuel JARRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209

INTIMEE

E.P.I.C. COMMISSARIAT A L'ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES (CEA)

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : B77 568 501 9

Représentée par Me Laure DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : D1574

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre

Madame Isabelle LECOQ CARON Présidente de chambre

Monsieur Daniel FONTANAUD, Magistrat honoraire

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [L] [K],ci-après Mme [D] née en 1977, a été engagée par le commissariat à l'énergie atomique et énergies alternatives (C.E.A.), par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 janvier 2003 en qualité de cadre administratif.

A compter du 25 novembre 2011, Mme [D] a été reconnue travailleur handicapé.

Mme [D] a été en arrêt pour maladie non professionnelle du 31 janvier 2014 au 16 février 2015.

Le 17 février 2015, elle a été déclarée apte à reprendre à temps partiel médical jusqu'au 19 avril 2015.

Le 13 avril 2015, le médecin du travail, confirmant l'aptitude de Mme [D], a préconisé un temps partiel à 40% soit deux jours par semaine.

A compter du 1er mai 2015, elle a alors été affectée sur un poste de cadre administratif au sein du Service de Protection contre les Rayonnements (SPR) de [Localité 7].

Le 15 juin 2015, Mme [D] a été placée en invalidité catégorie 1, restreignant sa capacité de travail à 40 % à effet au 1er juillet 2015.

Le 7 mars 2016, Mme [D] a fait une chute sur son lieu de travail et a été placée en arrêt de travail jusqu'au 8 juillet 2016.

Le 10 juin 2016, Mme [D] a déclaré une maladie professionnelle à savoir un syndrome anxieux en lien avec une situation professionnelle conflictuelle depuis 2011 dont la CPAM a refusé de reconnaître le caractère professionnel.

Le 11 juillet 2016, suite à une visite médicale de reprise, le médecin du travail a estimé que l'état de santé de Mme [D] contre indiquait une reprise du travail au poste qu'elle occupait avant son arrêt précisant qu'une « inaptitude était à envisager ». Mme [D] a contesté cet avis d'inaptitude devant l'inspection du travail.

Après étude du poste, le médecin du travail, le 5 septembre 2016, a émis un avis d'inaptitude de Mme [D] à reprendre son poste au SPR ainsi qu'à tous postes existant sur le site de [Localité 7], préconisant un reclassement de l'intéressé sur un poste de type administratif en lien avec ses compétences et compatible avec les restrictions médicales jointes à l'avis tenant à un poste sans mission managériale ni transverse , sur d'autres sites du CEA ou comme salariée travaillant dans une entreprise partenaire et un temps de travail réduit à deux jours par semaine.

Le même jour, Mme [D] a contesté cet avis médical d'inaptitude, démarche qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 6 novembre 2016.

Par courriel du 16 décembre 2016, Mme [D] a sollicité la motivation de cette décision et formé un recours gracieux de cette décision de rejet.

Le 27 décembre 2016, l'inspection du travail a rendu une décision confirmant l'inaptitude de Mme [D] sur le poste précédemment occupé « IMQSE-COP APVR » avec la précision « qu'elle serait apte à un poste strictement administratif, à temps partiel à raison de deux jours par semaine correspondant à ses compétences, qu'elle n'est pas en capacité d'exécuter des tâches relevant de  postes « dits de sécurité » , un poste administratif au BACO ne serait pas adapté, mais un poste administratif dans un bâtiment extérieur à l'enceinte (tels que des chantiers de longue durée du CEA [Localité 7]) ou dans des antennes du CEA à [Localité 7], ou au sein d'entreprises ou institutions partenaires, postes en télétravail pour le CEA [Localité 7], pourraient être privilégiées. Compte-tenu de sa durée hebdomadaire, privilégier des taches sans suivi temporel immédiat mais avec des objectifs à moyen et long termes. Compte-tenu de sa reconnaissance de travailleur handicapé, elle bénéficie d'une réadaptation, d'une rééducation ou d'une formation professionnelle avant toute remise en poste et d'un accompagnement individualisé adapté au poste proposé ».

L'employeur soutient avoir lancé des recherches de reclassement après l'avis du 5 septembre 2016 puis après la décision de l'inspecteur du travail sans qu'aucun poste compatible avec les réserves émises ne puisse être identifié.

Le 13 décembre 2016, les délégués du personnel ont été consultés.

Le conseil conventionnel réuni le 6 juillet 2017, a rendu le 17 juillet 2017 un avis favorable à la proposition de licenciement de Mme [D], laquelle a ensuite a été licenciée pour inaptitude par courrier en date du 21 juillet 2017, en raison de l'impossibilité de la reclasser.

Soutenant à titre principal la nullité de son licenciement et sollicitant sa réintégration et à titre subsidiaire l'absence de cause réelle et sérieuse de celui-ci et réclamant diverses indemnités, et des rappels de salaire, outre l'octroi de dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination, et manquement à l'obligation d'adaptation et de formation, Mme [L] [D] a saisi le 21 septembre 2018 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 1er avril 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- déboute Mme [L] [D] de l'ensemble de ses demandes,

- condamne Mme [L] [D] au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 11 mai 2021, Mme [D] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 13 avril 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 décembre 2023, Mme [D] demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par Mme [D] contre le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 1er avril 2021,

- infirmer le jugement du 1er avril 2021 en ce qu'il a débouté Mme [D] de l'ensemble de ses fins et prétentions,

à titre principal,

- dire et juger que le licenciement est nul pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement d'une salariée protégée compte tenu de son handicap,

- condamner le C.E.A. à payer la somme de 313 568,92 € au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

à titre subsidiaire,

- dire et juger que le licenciement est nul pour harcèlement moral et discrimination,

- condamner le C.E.A. à payer la somme 313 568,91 € au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

à titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner le C.E.A. à payer la somme de 83 156,40 € au titre de l'indemnité pour licenciement abusif,

en tout état de cause :

- condamner le C.E.A. à payer à Mme [D] les sommes suivantes :

- 38 751 € résultant du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité,

- 57 102,88 € pour la réparation de son préjudice résultant de la discrimination de son employeur,

- 38 751 € pour la réparation du préjudice moral résultant du harcèlement moral ainsi que pour la réparation du préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral,

- 10 000 € pour la réparation de son préjudice découlant de l'absence de portabilité,

- 1.225,07€ pour la réparation du reliquat du solde de tout compte,

- 20.000 € pour manquement à l'obligation d'adaptation et de formation,

- 20.000 € pour la réparation du préjudice exceptionnel de menace de mort proférée à l'encontre de son enfant,

- 3.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 décembre 2023, le C.E.A. demande à la cour de :

-Dire et juger Mme [D] mal fondée en son appel,

-Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [D] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens,

Y ajoutant,

-Rejeter des débats les pièces de l'appelante n°14bis, n°14ter, n°65ter et la pièce non numérotée intitulée « certificat de Mme [T], psychologue, du 12.06.16 », visées dans les conclusions de l'appelante du 8 décembre 2023 mais non communiquées à ce jour à l'intimé et non listées, concernant les trois dernières, dans les bordereaux des 16 mai 2023, 8 décembre 2023 et 12 décembre 2023,

-Juger irrecevables les demandes formées par Mme [D] « pour la réparation du reliquat du solde de tout compte », « pour manquement à l'obligation d'adaptation et de formation » et « pour la réparation du préjudice exceptionnel de menace de mort proférée à l'encontre de son enfant », Subsidiairement,

-Juger ces demandes dénuées de tout fondement,

En conséquence,

-Débouter Mme [D] de l'intégralité de ses demandes, La condamner aux entiers dépens, A titre infiniment subsidiaire, Juger que l'indemnité pour licenciement nul à laquelle pourrait prétendre Madame [D] ne saurait excéder la somme de 35.592,79 €, à supposer qu'elle justifie ne pas avoir perçu de revenus de remplacement depuis le 24 octobre 2017, devant venir en déduction de cette somme,

-Ramener à de justes proportions l'indemnité pour licenciement sans cause réelle est sérieuse.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 16 janvier 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR :

Sur la demande tendant à ce que des pièces soient écartées des débats

Par des conclusions notifiées le 12 décembre 2023, le CEA demande à la cour d'écarter des débats les pièces 14 bis, 14 ter et 65 ter ainsi que le certificat médical de Mme [T] du 12 juin 2016 faute d'avoir été communiqués, listés dans les dernières conclusions de l'appelante du 8 décembre 2023 mais pas au bordereau de communication de pièces (sauf s'agissant de la pièce 14bis).

La cour écarte des débats les pièces 14 bis,14 ter et 65 ter visées par le bordereau des conclusions déposées le 8 décembre 2023 dont il n'est pas justifié de la communication en temps utile, les bordereaux étant contradictoires sur ce point, et dit n'y avoir lieu à écarter le certificat de Mme [T] lequel, bien que cité, n'est pas identifié dans les bordereaux produits.

Sur l'irrecevabilité des demandes relatives au préjudice découlant du reliquat du solde de tout compte, au préjudice découlant du manquement à l'obligation d'adaptation et de formation, et au préjudice exceptionnel de menace de mort

Aux termes des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, les parties doivent, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, présenter dès les conclusions mentionnées aux articles 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Cette irrecevabilité peut aussi être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Au constat, que dans les conclusions d'appel notifiées par voie de RPVA le 10 août 2021, l'appelante n'avait pas formé de demandes d'indemnités relatives au préjudice découlant du reliquat du solde de tout compte, au préjudice découlant du manquement à l'obligation d'adaptation et de formation, au préjudice exceptionnel de menace de mort qu'elle n'a présenté que lors de ses écritures n°2 notifiées le 9 mai 2023, c'est à bon droit que le CEA en a soulevé l'irrecevabilité.

Ces demandes sont par conséquent déclarées irrecevables.

Sur le fond

Il n'est pas discuté que Mme [L] [D] a le statut de travailleur handicapé depuis le 25 novembre 2011 et qu'elle a été placée en invalidité catégorie 1, le 15 juin 2015. S'il est constant qu'elle n'a pas le statut de salarié protégé au sens commun du droit du travail notamment lié à un quelconque mandat, il n'en reste pas moins qu'elle bénéficie d'une protection légale instituée à partir de 2016, qui tend à garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés en prévoyant des dispositions à l'égard des employeurs en vue de préserver, et favoriser l'accès à l'emploi pour les salariés handicapés.

Il est acquis aux débats que Mme [D] a été licenciée par lettre datée du 21 juillet 2017 pour inaptitude totale et définitive, constatée par deux avis du médecin du travail rendus les 11 juillet et 5 septembre 2016, confirmée dans son principe par décision de l'inspection du travail et pour impossibilité de son reclassement.

Pour infirmation du jugement déféré, Mme [D] conclut tout d'abord à la nullité de ce licenciement à titre principal pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement en sa qualité de salariée handicapée et protégée et à titre subsidiaire en raison du harcèlement moral et de la discrimination dont elle a été victime.

Au cas où la nullité ne serait pas retenue, elle soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.

En réplique, le CEA conteste tout manquement à son obligation de reclassement ainsi que l'existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination.

Sur la nullité du licenciement

A titre préliminaire la cour observe que la demande de nullité du licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement n'est pas nouvelle et que Mme [D] est en droit d'invoquer même pour la première fois à hauteur de cour, un nouveau moyen à ce titre, à savoir un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement constitutif d'une discrimination.

Sur la nullité du licenciement pour méconnaissance de l'obligation de reclassement et discrimination par défaut de prise de mesures appropriées au maintien de la salariée dans son emploi

Pour infirmation du jugement déféré, l'appelante fait valoir que l'employeur a failli à ses obligations en ne prenant aucune mesure appropriée pour la maintenir dans son emploi. Elle souligne que dans sa recherche de reclassement l'employeur n'a pas joint l'avis de l'inspecteur du travail qui soulignait l'importance de la reclasser en tant que salariée protégée en raison de son statut de travailleur handicapé. Elle indique que l'employeur n'a pas consulté la SAMETH (service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés), ajoutant qu'en 2017 les postes administratifs vacants étaient nombreux et qu'ils ne lui ont pas été proposés. Elle précise que dans sa note de synthèse du 12 avril 2022 l'inspectrice du travail a reconnu l'existence d'une discrimination et qu'elle a aussi reçu le soutien de deux organisations syndicales s'interrogeant sur le sérieux de la recherche de reclassement. Elle en déduit que l'employeur n'a pas voulu la maintenir dans son emploi et qu'elle a été victime d'une discrimination en raison de son état de handicap.

Pour confirmation de la décision, le CEA réplique tout d'abord que le statut de travailleur handicapé de la salariée est en lien avec un grave accident de manège qu'elle a eu dans sa jeunesse et qu'elle n'avait pas pour autant le statut de salarié protégé, indiquant que malgré son placement en invalidité 1ère catégorie elle a pu travailler dans des conditions classiques sans aménagement particulier de son poste. Il soutient que les recherches de reclassement ont été menées loyalement et en toute bonne foi et qu'il n'a reçu que des réponses négatives. Il précise que l'inspecteur du travail saisi sur contestation de l'avis du médecin du travail par la salariée a émis des restrictions médicales très proches de celles émises par le médecin et a confirmé l'inaptitude de celle-ci sur son dernier poste et sur un poste administratif en BACO et qu'il a lancé une seconde recherche sur la base de cette décision et visant tout poste pouvant répondre aux préconisations formulées précisant « moyennant le cas échéant une action d'adaptation, de formation et de reconversion professionnelle », qui s'est toutefois également révélée infructueuse.Il précise que nombre des postes administratifs visés par Mme [D] étaient pourvus ou nécessitaient un travail à temps plein.

***

En vertu de l'article L.1226-10 du code du travail dans sa version applicable au litige et s'agissant comme en l'espèce, d'une inaptitude d'origine professionnelle, le salarié déclaré inapte au poste qu'il occupait précédemment bénéficie d'un droit au reclassement sur un emploi approprié à ses capacités au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. La proposition de l'employeur doit prendre en compte les conclusions écrites du médecin du travail lequel formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'article L1132-1 du code du travail pose le principe général de non-discrimination en raison notamment de l'état de santé ou du handicap d'un salarié et l'article L.1132-4 du même code sanctionne de la nullité toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ce principe.

L'article L.1133 prévoit cependant que les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne sont constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées.

L'article L.1334-1 du code du travail dispose que les mesures prises en faveur des personnes handicapées et visant à favoriser l'égalité de traitement prévues à l'article L.5213-6 ne constituent pas une discrimination.

Enfin l'article L.5213-6 dans sa version applicable au litige énonçait: «Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l'article L. 5212-13 d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.

Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur.

Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3.»

Or, selon l'article L.1134-1 lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

***

La preuve du respect de l'obligation de reclassement du salarié inapte pèse sur l'employeur et les propositions de reclassement par l'employeur doivent être loyales et sérieuses. Il appartient à l'employeur de justifier qu'il n'a pu, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié au termes d'une recherche sérieuse, effectuée au sein de l'entreprise ou d'entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation, en raison des relations qui existent entre elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Au soutien de la preuve du respect de son obligation de reclassement, le CEA expose que dès le 10 octobre 2016 et sans attendre la décision de l'inspecteur du travail saisi des recours de l'appelante à l'encontre des avis du médecin du travail des 11 juillet et 5 septembre 2016, il a lancé la procédure de reclassement auprès de l'ensemble des Directions opérationnelles et fonctionnelles de tous ses centres ainsi qu'auprès de la société AREVA alors liée au CEA par un accord de groupe, faisant observer qu'il n'était pas tenu de préciser qu'elle était une salarié protégée ce qu'elle n'était pas et qu'il avait joint les restrictions formulées par le médecin du travail. Il ajoute qu'après la décision de l'inspecteur du travail du 27 décembre 2016, il a lancé une seconde recherche de reclassement, reprenant les termes de celui-ci et visant notamment la nécessité d'une action d'adaptation ou de formation professionnelle. S'il ne l'a adressée qu'aux chefs de département et chefs de cellule du seul CEA de [Localité 7], c'est en raison du fait que l'inspecteur du travail n'excluait pas un poste administratif sur le site de [Localité 7] (sauf son ancien poste et un poste au BACO) et qu'il avait déjà vainement été tenté de reclasser l'intéressée auprès de tous les centres ainsi qu'auprès du groupe AREVA. Il précise avoir informé le 10 avril 2017, les délégués du personnel que tous ses services administratifs sont situés à l'intérieur de son site et qu'aucun poste en télétravail ne pouvait être proposé à la salariée, puisque les salariés de ces services ne pouvaient travailler totalement seuls, que des tâches sans suivi temporel n'étaient pas envisageables compte-tenu de la nature des activités imposant une réactivité forte et que le seul partenariat dans la région de [Localité 6] était l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) concernait uniquement des postes scientifiques et techniques. Il réplique enfin que les postes administratifs évoqués par la salariée étaient pour partie pourvus ou exigeaient un travail à temps plein.

Mme [D] estime que le CEA n'a en réalité pris aucune mesure appropriée pour la maintenir dans son emploi de sorte qu'elle a été victime d'une discrimination en raison de son handicap.

La cour en déduit qu'elle présente des faits laissant supposer l'existence d'une telle discrimination à charge pour l'employeur de rapporter la preuve d'éléments étrangers à toute discrimination.

Le CEA réplique que les éléments développés plus avant exclusifs de toute discrimination établissent que le reclassement de Mme [D] n'était pas possible.

La cour constate que le CEA justifie avoir consulté les DRH /RRH des directions opérationnelles et fonctionnelles de tous les centres y compris auprès d'AREVA dès le 10 octobre 2016 en vue d'une recherche de reclassement au profit de Mme [D] en raison d'une inaptitude définitive et complète à tous les postes de travail existant au sein de l'établissement de [Localité 7] prononcée par le médecin du travail le 5 septembre 2016 visant différentes réserves médicales et préconisant tout poste administratif compatibles avec ces dernières, en soulignant qu'une organisation en télétravail serait adaptée en lien avec une charge de travail mesurée. Les entités ainsi consultées étaient interrogées sur l'existence de postes susceptibles de correspondre si besoin au moyen d'éventuelles actions d'adaptation ou de formation, aux compétences de l'intéressée et aux réserves émises par le médecin du travail. Cette recherche s'est avérée à ce stade infructueuse au regard des réponses qui ont été renvoyées.

La cour relève également qu'il ressort du dossier que Mme [D] a tenté par tous moyens de préserver son emploi, en contestant les deux avis d'inaptitude, en saisissant l'inspecteur du travail aux fins d'explications et précisions, en sollicitant les organisations syndicales, en formulant cette volonté devant le conseil conventionnel du CEA réuni à ce sujet le 17 juillet 2017 et même en interrogeant l'employeur au moment de l'entretien préalable sur la possibilité de mettre en oeuvre une organisation en télétravail.

A cet égard, la cour relève que l'employeur a déjà été interpellé sur la possibilité d'un recours au télétravail lors de la consultation des délégués du personnel sur l'éventuel reclassement de Mme [D] le 16 décembre 2016 mais aussi lors de la tenue du conseil conventionnel le 17 juillet 2017 qui pour autant a rendu un avis favorable à la proposition de licenciement de Mme [D],.

Si le CEA affirme avoir relancé par courriels du 24 janvier 2017 une nouvelle recherche de reclassement après la décision de l'inspecteur du travail du 27 décembre 2016, il reconnaît toutefois l'avoir limitée auprès des chefs de département et chefs de cellule du CEA /[Localité 7] soutenant que les restrictions émises à cette occasion étaient fort proches de celles qui étaient contestées et que le CEA avait peu avant déjà vainement cherché à la reclasser auprès de tous ses autres centres y compris auprès du groupe AREVA sans succès.

La cour retient ainsi que le faisait observer l'inspecteur du travail dès le 7 juin 2017, après avoir été sollicitée par Mme [D], (pièce 38, salariée)que sa décision du 27 décembre 2017 qui avait pour effet de se substituer à l'avis contesté, n'interdisait pas contrairement à ce dernier, un travail au sein de l'enceinte du centre de [Localité 7] même s'il était préconisé de rechercher prioritairement à l'extérieur, à l'exception d'un poste au BACO (service commercial, qui ne serait pas adapté) et sans exclure un poste au sein du SPR en vue d'une recherche exhaustive de reclassement.

Outre le fait que les recherches n'ont pas été complètes à l'issue de la décision de l'inspecteur du travail (c'est à dire au-delà du centre de [Localité 7])et que le constat de l'impossibilité reclassement est intervenu pas moins de 13 jours après celle-ci, la cour retient que le CEA ne justifie pas, au regard de l'importance de ses effectifs et du nombre de ses métiers, avoir pris des mesures appropriées afin de tenter de maintenir Mme [D] dans un emploi au sens de l'article L.5213-6 précité, au-delà des simples consultations des directions opérationnelles et fonctionnelles de tous les centres y compris auprès d'AREVA, encourageant certes les actions de formation, mais mises en 'uvre en réalité dans tout processus de reclassement notamment par une organisation en télétravail. La cour observe que celle-ci aurait pu être envisagée au sein du centre de [Localité 7] puisque l'inspecteur du travail n'avait pas repris l'inaptitude totale dans cet établissement, voire même dans un centre plus éloigné ou auprès d'organismes partenaires et que le CEA ne justifie pas des raisons qui empêchaient une telle mise en 'uvre même au sein d'un centre relevant de la Direction des applications militaires (DAM) étant rappelé qu'il n'est pas établi que tous les centres en relèvent. En outre le CEA ne s'explique pas sur le fait qu'il n'ait pas été proposé à la salariée d'être repositionnée sur son poste au SPR (sur les missions qualité, gestion documentaire) à [Localité 7], dans les limites de temps imposées par l'inspecteur du travail puisque l'affectation au sein du centre n'était pas impossible. Il n'est pas plus établi au-delà des affirmations du CEA, en l'absence d'élément probant sur ce point, que tous les postes administratifs exigeaient un travail à temps plein et que tous les postes listés par la salariée (pièce 49) étaient pourvus.

La cour retient enfin, ainsi que le fait observer la salariée, même si elle ne l'a pas sollicité avant son licenciement et s'il ne s'agit pas d'un impératif légal, que l'employeur s'est abstenu dans les recherches qu'il prétend avoir effectuées de façon loyale, de consulter l'organisme spécialisé tel le Service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (Sameth) qui aurait pu se révéler utile en l'espèce.

Il se déduit de l'ensemble de ces constatations que l'employeur contrairement à ce qu'il prétend, n'a pas pris les mesures appropriées pour maintenir la salariée dans un emploi, ce dont il résulte ainsi que celle-ci le soutient que son licenciement constitutif de ce fait d'une discrimination à raison de son handicap, par infirmation du jugement déféré, est nul.

Sur les prétentions financières découlant de la nullité du licenciement

Soutenant que sa réintégration au sein du CEA serait possible mais tout en ne la sollicitant pas, Mme [D] s'estime fondée à obtenir la reprise des salaires jusqu'à l'audience du 16 janvier 2024, et réclame le calcul des indemnités de licenciement sur la base d'un salaire à 100% compte tenu de l'absence d'avenant au contrat de travail de la salariée depuis le 1er juillet 2015. Elle revendique par ailleurs une ancienneté remontant au 13 août 2002. Elle réclame ainsi une somme de 313 568,92 euros (rappel de salaire de 268 525,88 euros + 45 043,04 euros d'indemnité de licenciement).

Le CEA conteste les bases de calcul tant du rappel de salaire que de l'indemnité de licenciement.

Aux termes de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, applicable en l'espèce, lorsque le licenciement est nul et que le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Il peut aussi prétendre aux indemnités de rupture.

Sur l'indemnité de licenciement

Pour infirmation du jugement déféré, Mme [D] sollicite une indemnité conventionnelle doublée de 45 043,04 euros qu'elle estime lui être la plus favorable.

Le CEA réplique que la salariée a été remplie de ses droits par le versement d'une indemnité légale de licenciement plus favorable d'un montant de 21 758,85 euros.

C'est à juste titre que la salariée justifiant d'un contrat à durée déterminée ayant précédé de quelques jours son engagement en contrat à durée indéterminée par le CEA revendique une ancienneté au 13 août 2002 et non seulement au 6 janvier 2003.

Aux termes de l'article L.3123-5 du code du travail l'indemnité de licenciement du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces modalités depuis son entrée dans l'entreprise.

Il est constant que le mode de calcul le plus avantageux entre l'indemnité conventionnelle et l'indemnité légale doit être retenu.

En l'espèce l'indemnité légale de licenciement ne peut être inférieure à 1/5 de mois de salaire par année d'ancienneté auquel s'ajoute deux quinzième de mois par année au-delà de 10 ans d'ancienneté. Et par application de l'article L.1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les conditions de l'article L.1226-12 alinéa 2 ouvre droit à une indemnité spéciale de licenciement qui sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9.

Il est de droit que la règle du doublement de l'indemnité de licenciement ne vise, à défaut de dispositions conventionnelles plus favorables, que l'indemnité légale de l'article L.1234-9 et non l'indemnité conventionnelle de licenciement.

L'article 90 de la convention de travail applicable au CEA au moment de la rupture prévoyait que à partir de deux années de présence le salarié licencié a droit sauf faute grave ou lourde à une indemnité calculée en fonction du temps de présence. Il ne prévoit pas de doublement de cette indemnité.

Il s'en déduit qu'en considération de l'ancienneté à retenir à compter du 23 août 2002 jusqu'au 24 octobre 2017, l'indemnité légale de licenciement calculée proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies, s'élève à un montant de 11 430,55 euros, laquelle doublée représente un total de 22 861,10 euros.

Dès lors, l'indemnité conventionnelle non doublée d'un montant de 20 303,19 euros est moins favorable que l'indemnité spéciale de licenciement.

Au constat que la salariée a perçu une indemnité de 21 758,85 euros, elle peut prétendre à un solde de 1 102,25 euros au paiement duquel, par infirmation du jugement déféré, le CEA sera condamné.

Sur l'indemnité pour licenciement nul

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité et que le salarié ne sollicite pas la réintégration, le juge octroie au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.

En l'espèce, au jour du licenciement, Mme [D], âgée de 40 ans, bénéficiait de presque 15 ans d'ancienneté. Elle ne justifie pas de sa situation professionnelle postérieure à la rupture étant rappelé qu'elle était bénéficiaire d'une pension d'invalidité.

Eu égard à ces éléments et vu les bulletins de salaire versés aux débats, la cour alloue à Mme [D] la somme de 30 000 euros d'indemnité au titre du licenciement nul, au paiement de laquelle, par infirmation du jugement déféré, le CEA sera condamné.

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il est ordonné d'office le remboursement par le CEA à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée licenciée dans la limite de 6 mois.

Sur le harcèlement moral

Pour infirmation du jugement déféré, Mme [D] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral qui ont dégradé ses conditions de travail. Elle réclame une indemnité de en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral et de l'absence de prévention par l'employeur de ce harcèlement.

Pour confirmation de la décision, le CEA conteste tout fait de harcèlement moral.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.

En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

A l'appui de sa demande, Mme [D] dénonce les faits suivants :

-trois changements d'affectation en 2011 à son arrivée au centre puis à la suite des agressions dont elle a été victime et enfin en 2015 quand elle a été affectée au SPR.

- des agressions physiques et verbales sans que le CEA ne prenne de mesures pour la protéger en 2011,

- un retard de carrière en 2012,

-des difficultés pour poser ses congés et pour obtenir leur report justifiant l'intervention d'un syndicat,

- des retenues de salaire sans l'en informer la privant de salaire en novembre et décembre 2015,

- les refus abusifs de permutation de ses jours travaillés pour contraintes de santé,

-des modifications de ses jours travaillés pour « besoin de service » au mépris des dispositions de l'article 115 de la convention de travail,

-des interdictions d'accès au centre alors qu'elle était en arrêt de travail mais avait obtenu l'autorisation de la CPAM et de l'inspecteur du travail pour participer à une réunion en vue de la régularisation de son dossier administratif en 2014 mais aussi en 2016,

- des erreurs dans la gestion de sa paie reconnues par l'employeur mais qui n'ont pas été rectifiées,

- la découverte de la photographie vandalisée de sa fille lorsqu'elle est venue consulter son dossier RH pour préparer sa défense dans le cadre de la procédure de licenciement.

- la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.

Elle produit au soutien de ses affirmations :

-les plaintes suites aux agressions des 8 avril 2011 et 16 mai 2011 (pièces 5 et 6) dont elle a informé le médecin du travail et sa hiérarchie, (pièces 8)

- la décision d'affectation à compter du 1er mai 2015 au SPR

- les demandes de report de congés payés à titre exceptionnel en raison de ses contraintes personnelles (en mars et novembre 2015) (pièces 16 et 17)

- les échanges concernant la modulation de ses jours travaillés à la demande de la hiérarchie (pièce 62),

- le PV du CEA du 17 juillet 2017 dans lequel il est reconnu des erreurs dans la gestion de sa paie (pièce 42 CEA),

- la photographie vandalisée de sa fille (pièce 14) et l'enquête de la CPAM (pièce 57)

- les arrêts de travail dont elle a fait l'objet ,

-l'avis d'accident du travail survenu le 7 mars 2016 lorsqu'elle a fait une chute dans les escaliers dans un contexte de stress et d'anxiété dû à son environnement du travail (pièce 23)

- la note de synthèse de l'inspectrice du travail datée du 12 avril 2022 (pièce 66)

- l'avis d'inaptitude qui a fait suite à cet accident du travail du 8 mars 2016 reconnu comme tel par la CPAM.

A l'exclusion des agressions qui ne sont étayées par aucun autre élément que les plaintes de l'intéressée et dont l'authenticité de la mention figurant sur son entretien annuel pour l'année 2012 est contestée ou des affirmations quant à l'interdiction d'accès aux locaux qui ne ressort d'aucune pièce, la cour retient que Mme [D] présente des éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Le CEA réplique qu'il résulte du dossier et plus particulièrement du CR du conseil conventionnel du 17 juillet 2017, qu'il a été évoqué les relations dès l'origine délétères de Mme [D] avec ses collègues ce qui a justifié d'abord qu'elle change de secteur au sein du BACO (service commercial) en 2011 puis qu'elle le quitte pour le SPR qui a été un point de chute (pièce 42, page 10) conformément à la préconisation du médecin du travail qui dans le cadre de son avis d'aptitude préconisait le 17 septembre 2014 un reclassement obligatoire (pièce 4). Il souligne s'agissant de l'évolution de carrière de la salariée que l'avancement en son sein a lieu au choix, qu'il n'est ni automatique, ni périodique mais qu'il ne revêt pour autant aucun caractère arbitraire. Il précise qu'elle n'a subi aucun retard de carrière puisque c'est en fonction de critères conventionnels qu'elle a bénéficié d'un avancement à la valeur minimale de 15 points en juillet 2012 rappelant par ailleurs qu'elle a été en congé de maternité entre octobre 2012 et juin 2013 et en arrêt de maladie à plusieurs reprises en 2014 ce qui n'a pas empêché une augmentation de salaire à la valeur médiane de 30 points le 1er juillet 2014 et une prime de productivité en 2013.S'agissant des difficultés administratives dénoncées par la salariée, le CEA admet que la situation personnelle de la salariée a été complexe à gérer pour le service du personnel. Concernant la gestion des congés payés, le CEA estime avoir fait preuve de compréhension à son égard en lui accordant notamment à titre exceptionnel un ultime report de congés à poser avant le 31 décembre 2015 dans la limite de 12 jours, les 8 jours restants étant placés sur son compte-épargne temps.(pièce 52, CEA, courrier du 24 juillet 2015).S'agissant de la gestion de la paye, le CEA indique avoir proposé à la salariée en juillet 2015 de lui maintenir son salaire avec son accord dans l'attente de la mise en place de la rente complémentaire de la Prévoyance suite à sa mise en invalidité 1ère catégorie, ce qui a entraîné une dette qu'elle s'était engagée à rembourser (pièce 55) ce dont elle avait été informée et c'est avec son accord que le maintien du salaire été suspendu à partir d'octobre 2015. Elle rappelle qu'en accord avec le médecin du travail, les jours de travail de Mme [D] étaient fixés les lundi et mardi et qu'elle avait été invitée à prendre dans la mesure du possible ses consultations médicales en dehors de ces jours et que ce n'est que par deux fois à titre exceptionnel qu'il lui a été demandé de permuter ces deux jours pour les besoins du service.Le CEA estime ne pas être responsable de la dégradation de l'état de santé de la salariée faisant observer que le médecin du travail ne l'a jamais soutenu.Il fait observer que la salariée s'était finalement déclarée satisfaite de son affectation au sein du SPR et qu'il n'est en rien responsable de sa chute dans un escalier du 7 mars 2016 qui a été à l'origine de son inaptitude postérieure.

La cour retient qu'il est établi que les décisions de changement de service de Mme [D] qui relevaient du pouvoir de direction de l'employeur répondaient aux difficultés rencontrées par la salariée dans son service le BACO et à la demande du médecin du travail ayant préconisé son reclassement. A cet égard, la cour observe qu'il ressort du dossier que contrairement à ce qu'elle soutient, l'appelante s'était bien adaptée à son poste au SPR , où elle a été bien accueillie et où elle n'a pas signalé de difficultés particulières jusqu'à son accident du travail du 7 mars 2016 qui certes s'est vu reconnaître un caractère professionnel du fait de sa survenance sur le lieu du travail mais qui ne présente pas de lien avéré avec ses conditions de travail.La cour relève qu'il est établi, même s'il y a pu y avoir des erreurs dans la gestion de la paye, que le CEA a fait preuve contrairement à ce que prétend la salariée, de compréhension tant dans la gestion des congés payés et leur report que dans le maintien du salaire dans l'attente du versement de la rente complémentaire de la Prévoyance, ce qui a nécessairement engendré une dette dont la salariée n'avait peut-être pas mesuré les conséquences. S'il n'est pas contesté que Mme [D] a retrouvé dans ses affaires qui avaient mises de côté dans son ancien bureau une photographie de sa fille, l'auteur de ce fait particulièrement regrettable n'a pas été identifié malgré une enquête de la CPAM et il ressort du dossier que la salariée a été immédiatement prise en charge après son malaise sans qu'aucun manquement ne puisse être imputé sur ce point à l'employeur.

Enfin il est rappelé que les conclusions de l'inspectrice du travail (émises postérieurement selon un courrier du 12 avril 2022 alors qu'elle avait quitté son poste pour d'autres responsabilités et retenant une possibilité de harcèlement moral de la salariée, sous réserve de l'appréciation judiciaire) ne lient pas la cour. Or au vu des éléments relevés, à l'exception du retard de carrière dénoncé en 2012, fait unique retenu à ce stade, la cour retient que les décisions prises par l'employeur sont justifiées par des éléments extérieurs à tout harcèlement moral.A lui seul, un fait unique ne permet pas de retenir l'existence d'un harcèlement moral, lequel en l'espèce n'est pas établi. Par confirmation du jugement déféré, Mme [D] est déboutée de sa demande d'indemnité de ce chef ainsi que pour l'absence de prévention d'un tel harcèlement.

Sur la discrimination

Aux termes de l'article L1132-1 du code du travail dans sa version applicable au litige « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse(...) ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, ( ...) »

Au titre de la discrimination à raison de son état de santé, Mme [D] dénonce :

- un retard de carrière avec minoration de son avancement à 15 points en juillet 2012 selon la fiche de synthèse déposée par la CFTC le 12 octobre 2015 (pièce 21)

- la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé à compter du 25 novembre 2011 concomitante à son retard d'avancement pour 2012 malgré un bon entretien annuel.

- sa mutation sans son accord au poste de SPR un poste technique alors qu'elle avait un profil administratif,

- les moqueries et humiliations répétées en raison de son état de santé en lien avec son handicap ;

- les lettres de soutien de la CFTC et d'alerte à la hiérarchie dénonçant le traitement discriminatoire dont elle faisait l'objet (pièce 36, 24 janvier 2017, pièce 19 courriel du 7 janvier 2016)

-la note de synthèse de l'inspectrice du travail concluant à l'existence de commencements de preuve relatifs à une discrimination relative au handicap, à l'état de santé (pièce 66).

Hormis les moqueries et humiliations dénoncées par Mme [D] sans les établir par des témoignages précis, ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination de la salariée par rapport à son état de santé.

Le CEA qui conteste toute discrimination réplique n'avoir jamais justifié le retard de carrière de la salariée comme elle le prétend, par ses absences en lien avec son état de santé ou par la sanction de sa dénonciation d'agression ou encore par un manque de fiabilité lié à ses problèmes de santé. Il ajoute comme rappelé précédemment, s'être mobilisé pour gérer au mieux sa situation administrative complexe et rappelle que son affectation au poste de SPR s'est imposée au vu de l'avis d'aptitude à temps partiel émis par le médecin du travail.

La cour retient que s'il est constant que l'avancement au sein du CEA se fait notamment au choix et en fonction de critères conventionnels, il n'est pas justifié des raisons pour lesquelles la salariée n'a bénéficié que d'un avancement à la valeur minimale de 15 points en juillet 2012, décision dénoncée en son temps par les organisations syndicales qui l'ont mis en lien avec ses arrêts de travail et qui a contribué à la dégradation des relations de la salariée avec ses collègues (pièce 42, page 10) peu importe qu'elle ait été en congé de maternité postérieurement entre octobre 2012 et juin 2013. La cour en déduit que la décision ponctuelle prise à l'égard de Mme [D], à l'exclusion des prétentions formulées au titre d'écarts de rémunération alléguées et non établies au vu des tableaux illisibles produits aux débats, n'était pas étrangère à son état de santé de sorte que la discrimination est établie. Le préjudice ainsi subi sera évalué à 1 500 euros et le jugement infirmé sur ce point.

Sur la demande d'indemnité pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

Pour infirmation du jugement déféré, Mme [D] soutient que l'employeur n'a pris aucune mesure pour assurer sa santé. Elle s'appuie sur l'enquête de l'inspecteur du travail, sur les différentes interventions syndicales et sur les constatations médicales et enfin sur le dépôt de plainte du 17 juillet 2023 pour harcèlement sexuel contre M. [G] et le fait que les faits de violences sexuelles de la hiérarchie confiées au médecin du travail n'aient fait l'objet d'aucune enquête.

Pour confirmation de la décision, le CEA réplique n'avoir jamais reconnu les agressions verbales et physiques dénoncées par la salariée, n'avoir jamais été alerté de RPS par le médecin du travail, que les différents avis d'inaptitude et d'aptitude à temps partiel ne font pas état de lien avec de mauvaise conditions de travail auxquelles il n'aurait pas remédié. Il souligne au contraire que tout au long de sa carrière l'appelante a fait l'objet d'un suivi assidu par le service de santé au travail du CEA dont il a toujours suivi scrupuleusement les préconisations.

Il ressort du dossier que la salariée a été en effet suivie de près par le service de santé au travail dont les recommandations ont été respectées notamment par les affectations de la salariée sur ses postes successifs sans qu'il soit démontré un signalement RPS dont il n'aurait pas été tenu compte étant observé qu'il n'est pas précisé des suites données à la plainte déposée contre M. [G] de façon fort tardive.

La cour en déduit que l'employeur n'a pas manqué à son obligation de sécurité et que par confirmation du jugement déféré, Mme [D] doit être déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef .

Sur le préjudice résultant de l'absence de portabilité

Pour infirmation du jugement déféré, Mme [D] réclame une indemnité de 10 000 euros pour absence de portabilité de sa garantie frais de santé auprès de la prévoyance Humanis suite à son licenciement suite au refus du CEA de transmettre les documents nécessaires à la constitution de son dossier.

Pour confirmation de la décision, le CEA réplique avoir fait le nécessaire auprès de la Prévoyance et que les difficultés rencontrées par Mme [D] n'étaient pas de son fait mais plutôt en lien avec sa situation compliquée par de nouveaux arrêts de travail.

Si Mme [D] justifie d'échanges avec la Prévoyance Humanis au sujet de la portabilité de ses droits, il n'en résulte pas un manquement identifié de l'employeur au delà de la considération selon laquelle « il serait hors la loi » pas plus qu'un préjudice qui en serait résulté pour l'appelante. C'est à bon droit qu'elle a été déboutée de sa demande de ce chef.Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

Sur les autres dispositions

Partie perdante, le CEA est condamné aux dépens d'instance et d'appel et à verser à Mme [D] une somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

ECARTE des débats les pièces 14 bis,14 ter et 65 ter visées par le bordereau des conclusions déposées le 8 décembre 2023 et dit n'y avoir lieu à écarter le certificat de Mme [T] non visé dans les bordereaux de communication de pièces.

DECLARE irrecevables les demandes de Mme [L] [D] [U] relatives au préjudice découlant du reliquat du solde de tout compte, au préjudice découlant du manquement à l'obligation d'adaptation et de formation et au préjudice exceptionnel de menace de mort.

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnité relatives au harcèlement moral, au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et à l'absence de portabilité.

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

JUGE que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [L] [D] [U] est nul pour méconnaissance par l'employeur de l'obligation de reclassement et discrimination par défaut de prise de mesures appropriées au maintien de la salariée dans son emploi.

CONDAMNE l'EPIC Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à payer à Mme [L] [D] [U] les sommes suivantes :

- 1 102,25 euros à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement.

- 30 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

-1 500 euros d'indemnité pour discrimination à l'état de santé.

DEBOUTE Mme [L] [D] [U] du surplus de ses prétentions.

Et y ajoutant :

ORDONNE d'office le remboursement par l'EPIC Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [L] [D] [U] dans la limite de 6 mois.

CONDAMNE l'EPIC Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ux dépens d'instance et d'appel.

CONDAMNE l'EPIC Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à payer à Mme [L] [D] [U] une somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/04445
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-26;21.04445 ?
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