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26/03/2024 | FRANCE | N°19/11611

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 26 mars 2024, 19/11611


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 26 MARS 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11611 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBAFD



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Octobre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 14/01710



APPELANTE



SAS SERVICE D'ENTRETIEN ET DE NETTOYAGE INDUSTRIEL (SEN

I)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Caroline COLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0511



INTIME



Monsieur [P] [W]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Repré...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 26 MARS 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11611 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBAFD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Octobre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 14/01710

APPELANTE

SAS SERVICE D'ENTRETIEN ET DE NETTOYAGE INDUSTRIEL (SENI)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Caroline COLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0511

INTIME

Monsieur [P] [W]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Dominique CECCALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0526

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [P] [W], né en 1974, a été engagé par la S.A.S. Service d'entretien et de nettoyage industriel (SENI), par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2012, avec reprise d'ancienneté à compter du 1er février 2010 en qualité d'agent de service.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective de la propreté.

Lors d'un contrôle en date du 26 mars 2014, il est apparu que M. [W] ne possédait pas de titre de travail l'autorisant à exercer une activité professionnelle.

Par un courrier du 27 mars 2014, la société SENI a convoqué M. [W] à un entretien préalable fixé au 25 avril 2014 avec mise à pied à titre conservatoire.

M. [W] ne s'est pas rendu à cet entretien.

M. [W] a été licencié pour faute grave par lettre datée du 6 mai 2014.

A la date du licenciement, M. [W] avait une ancienneté de 4 ans et 3 mois, et la société SENI occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [W] a saisi le 23 juillet 2014 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 25 octobre 2019, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- dit que le licenciement de M. [W] est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- reconnaît que M. [W] a travaillé sous l'identité de M. [N],

- condamne la société SENI propreté multiservices à payer à M. [W] les sommes suivantes :

- 9939 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1655 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ainsi que 165,50 euros au titre des congés payés afférents,

- 660 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- prononce l'exécution provisoire,

- rappelle que l'exécution provisoire est de droit sur les salaires et accessoires de salaire,

- déboute la société SENI propreté multiservices de ses demandes,

- rejette toutes autres demandes,

- met les éventuels dépens à la charge de la société SENI propreté multiservices.

Par déclaration du 25 novembre 2019, la société SENI a interjeté appel de cette décision, notifiée le 30 octobre 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 février 2020, la société SENI demande à la cour de :

- déclarer la Société SENI recevable et bien fondée en son appel interjeté à l'encontre du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Créteil le 25 octobre 2019,

y faisant droit,

- infirmer le jugement entreprise en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [W] était sans cause réelle et sérieuse, et l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :

- 9.939 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.655 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 165,50 euros au titre de congés payés y afférents,

- 660 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

Vu les causes sus énoncées,

Vu les pièces produites aux débats,

À titre principal,

- dire et juger que M. [W] a usurpé l'identité d'une autre personne afin de tromper son employeur pour la conclusion d'un contrat de travail et que la situation administrative de M. [W] est irrégulière rendant impossible son maintien dans l'entreprise, même pendant le temps de son préavis,

En conséquence,

- dire et juger légitime le licenciement pour faute grave notifié à M. [W],

- débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires.

À titre subsidiaire,

Vu les causes sus-énoncées,

Si par extraordinaire, la cour considérait que le comportement de M. [W] n'est pas constitutif d'une faute grave :

- dire et juger que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- débouter M. [W] de sa demande tendant à l'allocation de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- débouter M. [W] de sa demande à hauteur de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [W] a déposé des conclusions par le réseau privé virtuel des avocats le 27 juin 2022.

Par une ordonnance rendue par la cour d'appel de Paris le 13 décembre 2022, ces conclusions ont été déclarées irrecevables, ayant été déposées au-delà du délai imparti.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 8 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour rappelle qu'aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.

Sur la rupture

La société appelante soutient que le conseil de prud'hommes a méconnu le motif du licenciement ; que le fait pour le salarié de présenter des papiers d'identité sans en être le détenteur légitime lors de son embauche est constitutif d'une faute grave.

Le conseil de prud'hommes a retenu que la société avait bien connaissance le 1er juillet 2012 comme il est indiqué dans le contrat de travail que la validité du titre de séjour de M. [W] se terminait au 15 octobre 2012 ; qu'il appartenait à la SAS Seni Propreté de vérifier périodiquement pendant toute l'exécution du contrat de travail que M. [W] s'était acquitté de ses obligations administratives l'autorisant à exercer une activité salariée en France ; que ce n'est qu'en date du 26 mars 2014 que la société a effectué un contrôle sur le dossier administratif de son salarié bien après l'expiration de son titre de séjour, l'autorisant à travailler en France ; que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes la société ne peut donc un an et dix mois plus tard reprocher à son salarié de ne pas avoir procédé au renouvellement de son titre de séjour puisqu'elle même n'a pas satisfait à son obligation légale en effectuant le contrôle périodique à chaque 'n de validité de 1'autorisation de travail de M. [W] sur le territoire français ; que le licenciement pour faute grave n'est pas justifié, et que le licenciement doit s'analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Il est constant que le juge a le pouvoir de requalifier la gravité de la faute reprochée au salarié en restituant aux faits leur exacte qualification juridique conformément à l'article 12 du code de procédure civile ; qu'en conséquence, si le juge ne peut ajouter d'autres faits à ceux invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement, lorsque celui-ci intervient pour motif disciplinaire, il doit rechercher si ces faits, à défaut de caractériser une faute grave, comme le prétend l'employeur, ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige est ainsi rédigée :

« Lors du contrôle de votre dossier en date du 26 mars 2014 il est apparu que vous ne possédiez pas de titre de travail vous autorisant à exercer une activité professionnelle en France.

En effet il s'est avéré qu'une personne étrangère à la société utilisait les papiers d'identité de Monsieur [N] [D]. Suite à cela, nous vous avons notifié votre suspension de contrat de travail par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 27 mars 2014.

Nous vous avons convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception 21 un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le vendredi 25 avril 2014 à 9h au cours duquel devait être abordés les faits qui vous sont reprochés. Bien que régulièrement convoqués vous n'avez pas cru devoir vous présenter à cet entretien. Comme la loi nous l'autorise nonobstant votre absence, nous avons décidé de poursuivre la procédure à votre encontre.

Après réflexion et analyse de la situation nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave reposant sur les faits fautifs suivant :

Après contrôle des éléments de votre dossier en date du 26 mars 2014- il s'est avéré que vous n'étiez pas le détenteur légitime du titre que vous nous aviez présenté lors de votre embauche et que vous aviez ainsi usurpé l'identité d'une autre personne ceci afin de nous tromper sur la régularité de votre situation et nous déterminer à conclure avec vous un contrat de travail en violation de la réglementation applicable.

Lors de notre entretien informel du 26 mars 2014 vous avez reconnu avoir usurpé l'identité de Monsieur [N] [D]. Par ailleurs votre absence à l'entretien préalable nous permet de considérer que vous ne contestez pas votre comportement fautif à savoir l'usurpation d'identité que vous avez commise ainsi que le caractère irrégulier de votre situation administrative.

De ce fait vous avez été donc l'impossibilité de justifier de votre situation administrative régulière sur le sol français (titre de séjour et/ou autorisation de travail valables).

Cet état de fait qui vient d'être constaté ne nous permet pas de maintenir la relation contractuelle ainsi que le prévoient les dispositions de l'article L.8251-1 -du code du travail.

Au surplus la circonstance que vous ayez utilisé des man'uvres particulièrement déloyales consistant à utiliser les papiers d'une autre personne, ladite usurpation n'ayant pas pu être décelée à l'embauche (ni par nos services ni par ceux de la préfecture concernée interrogés préalablement à la signature du contrat) nous autorise à soutenir que vous avez sciemment enfreint la législation relative aux travailleurs étrangers.

Ce faisant vous nous avez exposé à un risque pénal ce qui constitue une violation caractérisée de vos obligations contractuelles. En considération de ce qui précède votre maintien au sein de notre entreprise se révèle totalement impossible.

En conséquence nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.

Cette mesure prendra donc effet immédiatement à la date d'envoi du présent courrier sans période de préavis, ni indemnité de licenciement.

La période non travaillé jusqu'à la date d'envoi de cette lettre correspondant à la suspension, de votre contrat de travail nécessaire pour conduire la présente procédure de licenciement ne vous sera pas rémunéré... »

Il est donc reproché au salarié de ne pas être le détenteur légitime du titre présenté lors de son embauche et d'avoir ainsi usurpé l'identité d'une autre personne afin de tromper la société sur la régularité de sa situation et la déterminer à conclure avec lui un contrat de travail en violation de la réglementation applicable ainsi que d'avoir utilisé des man'uvres particulièrement déloyales consistant à utiliser les papiers d'une autre personne ladite usurpation n'ayant pas pu être décelée à l'embauche enfreignant ainsi sciemment la législation relative aux travailleurs étrangers.

Il est admis que le contrat de travail litigieux mentionne en qualité de contractants la société SENI et M. [D] [N] né le 1er janvier 1966 à Khemis et que M. [W] a utilisé l'identité de M. [N] pour conclure ce contrat de travail.

La société SENI établit qu'elle a bien sollicité la préfecture le 29 juin 2012 d'une demande d'authentification du titre de séjour de M. [N] en vue de procéder à son embauche et que le 2 juillet 2012, la préfecture lui a répondu que le titre était valide. La société SENI a alors procédé à la déclaration d'embauche du salarié sous l'identité de M. [N].

Il s'ensuit qu'en usurpant l'identité d'un tiers en vue de se faire engager alors que la société encourt une sanction en cas d'embauche d'un étranger en situation irrégulière, le salarié qui, au demeurant, n'établit pas avoir régularisé la situation, a commis une faute d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

C'est en vain que le salarié oppose à la société le fait qu'il appartenait à celle-ci de vérifier périodiquement pendant toute l'exécution du contrat de travail que M. [W], alors M. [N], s'était acquitté de ses obligations administratives l'autorisant à exercer une activité salariée en France étant observé qu'il n'est pas reproché au salarié contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes de ne pas avoir procédé au renouvellement de son titre de séjour, mais bien d'avoir usurpé une identité pour être embauché.

La cour retient donc que la faute grave est établie et par infirmation déboute le salarié de l'ensemble de ses demandes.

Sur les fais irrépétibles

Partie perdante, M. [W] devra supporter les entiers dépens sans qu'il y ait lieu à condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

DEBOUTE M. [P] [W] de l'ensemble de ses demandes ;

Y ajoutant ;

CONDAMNE M. [P] [W] aux entiers dépens ;

DIT n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 19/11611
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-26;19.11611 ?
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