Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRÊT DU 22 MARS 2024
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15250 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIHSC
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Août 2023 -Président du TJ de BOBIGNY - RG n° 22/01122
APPELANTES
S.C.I. DEAL'S, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 8]
S.A.R.L. GROUPE D=RIDO SARLU, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Henri ROUCH de la SELARL WARN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0335, présent à l'audience
INTIMÉ
M. [S] [G]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Ayant comme avocat postulant Me Emmanuelle FARTHOUAT - FALEK, avocat au barreau de PARIS, toque : G097, représenté à l'audience par Me Fabienne MOUREAU-LEVY
PARTIE INTERVENANTE :
S.E.L.A.R.L. AJASSOCIES, prise en la personne de Me [I] [V], en qualité d'administrateur provisoire de la SCI DEAL'S, désigné à cette fonction par ordonnance du TC de Bobigny en date du 16 août 2023
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Béatrice HIEST NOBLET de la SCP HYEST et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0311
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Florence LAGEMI, Présidente de chambre
Rachel LE COTTY, Conseillère chargée du rapport
Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
La SCI Deal's a été constituée le 25 septembre 2011, à égalité de participation entre M. [S] [G] et la société Groupe Derido (devenue en septembre 2019 Groupe D=rido), dont M. [R] [G] est le seul associé et son épouse, Mme [P], la gérante.
Par un acte de cession du 25 octobre 2011, M. [S] [G] a cédé 45 parts sociales à la société Groupe D=rido, de sorte que la répartition du capital social était la suivante : 95 parts sociales à la société Groupe D=rido et 5 parts sociales à M. [S] [G], la société Groupe D=rido étant la gérante de la SCI.
Par acte du 27 novembre 2013, enregistré le 27 décembre 2013, une nouvelle cession de parts sociales est intervenue, la société Groupe D=rido ayant cédé 45 parts à M. [S] [G], conduisant à un rééquilibrage des parts à égalité entre les associés. Les formalités de publication et de signification postérieures à la cession n'ont toutefois jamais été réalisées par la société Groupe D=rido.
La SCI Deal's a comme activité principale la location de terrains et d'autres biens immobiliers. Elle est propriétaire d'un bien immobilier unique situé au [Adresse 4] à [Localité 11], constitué de deux bâtiments dont l'un a été loué jusqu'en 2021 à des sociétés gérées par M. [S] [G], les sociétés Etoile K et Etoile K26.
La SCI Deal's a initié deux procédures à l'encontre de ces sociétés pour non règlement des loyers et charges.
Parallèlement, une procédure a été engagée par la société Etoile K à l'encontre de la SCI Deal's pour non paiement de redevances liées à la rupture anticipée de son bail commercial.
Par acte du 9 juin 2022, M. [S] [G] a assigné la SCI Deal's et la société Groupe D=rido devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de désignation d'un administrateur provisoire pour la SCI Deal's.
Par ordonnance contradictoire du 16 août 2023, le juge des référés a :
désigné la SELARL AJassociés,[Adresse 2]i, [Localité 10], prise en la personne de Maître [V], administrateur judiciaire, en qualité d'administrateur provisoire de la SCI Deal's, pour une durée de 12 mois avec mission de :
gérer et administrer la SCI Deal's avec tous les pouvoirs du gérant et prendre toutes les mesures qu'imposent l'urgence et la nécessité, notamment :
se rendre au siège social de la société D=rido comme gérante de la société Deal's ;
procéder à la convocation d'une assemblée générale extraordinaire qui aura pour objet la mise en conformité des statuts avec la répartition réelle du capital social entre les deux associés, avec la retranscription de la cession du 27 novembre 2013 ;
se faire remettre :
la copie des bilans détaillés complets avec comptes de résultats, annexes et situation des comptes courants des associés pour les exercices 2020, 2021, 2022 ;
la situation comptable récente concernant l'exercice 2023 en cours ;
l'intégralité des relevés bancaires et des justificatifs comptables de paiements ;
la copie de tous les baux en cours de validité engageant la SCI Deal's ;
dresser un état du bien dont est propriétaire la SCI Deal's, [Adresse 4] à [Localité 11] ;
rechercher toute solution éventuelle permettant la protection des actifs sociaux et leur partage équitable entre les associés, avec notamment la mise en vente de l'immeuble situé [Adresse 4] à [Localité 11] ;
dresser un rapport de sa mission ;
dit qu'en cas de difficulté, il en sera référé au juge des référés ;
dit que la rémunération de l'administrateur provisoire sera à la charge de la SCI Deal's ;
dit que M. [S] [G] versera à titre de provision entre les mains de l'administrateur la somme de 1.500 euros et que cette somme lui sera remboursée par l'administrateur si la société dispose des fonds nécessaires à sa rémunération ;
débouté chaque partie de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 11 septembre 2023, la SCI Deal's et la société Groupe D=rido ont interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 29 janvier 2024, elles demandent à la cour de :
juger leur appel recevable en la forme et bien fondé au fond ;
en conséquence,
infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
constater que M. [S] [G] ne démontre aucunement, d'une part, un fonctionnement anormal de la SCI Deal's, d'autre part, la menace d'un péril imminent ;
en conséquence,
juger n'y avoir lieu à statuer en référé sur la désignation d'un administrateur provisoire ;
débouter M. [S] [G] de l'ensemble de ses demandes ;
condamner M. [S] [G] à leur payer, à chacune, la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [S] [G] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de la SELARL Warn Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 février 2024, M. [S] [G] demande à la cour de :
déclarer les sociétés Deal's et D=rido infondées en leur appel et les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;
en conséquence,
confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
y ajoutant,
condamner la société Groupe D=rido, associée et gérante de droit de la SCI Deal's, à lui payer une indemnité de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société D=rido aux entiers dépens de la procédure, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître [K] dans les conditions légales.
Par conclusions du 6 décembre 2023, la SELARL Ajassociés, prise en la personne de Maître [V], administrateur provisoire de la SCI Deal's, est intervenue volontairement à l'instance.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 30 janvier 2024, elle demande à la cour de :
lui donner acte de son rapport à justice sur le mérite de l'ordonnance attaquée ;
statuer ce que de droit quant aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR,
Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En application de ces textes, la désignation judiciaire d'un administrateur provisoire d'une société est possible en référé sous réserve que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent, s'agissant d'une mesure exceptionnelle (Com., 29 septembre 2009, pourvoi n° 08-19.937, Bull. 2009, IV, n° 118).
Les appelantes soutiennent que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, M. [S] [G] ne démontre ni un fonctionnement anormal de la SCI Deal's ni la menace d'un péril imminent, la société Groupe D=erido ayant été régulièrement désignée en qualité de gérante de la SCI depuis plus de dix ans, désignation qui n'a jamais été contestée, la réparation des parts sociales (95%/5%) excluant tout risque de blocage en assemblée des associés et les locaux étant tous loués pour une durée de neuf années, sans difficulté, le chiffre d'affaires de la SCI étant confortable et régulier et son compte bancaire étant créditeur de 147.000 euros en avril 2023.
Cependant, il résulte de l'article 1856 du code civil que les gérants de sociétés civiles doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés et que cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues.
Les statuts de la SCI Deal's reprennent cette obligation légale en stipulant à l'article 24 que « Les gérants doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues ».
L'article 25 des statuts prévoit également que « chaque année, il doit être réuni, dans les six mois de la clôture de l'exercice, une assemblée générale ordinaire ».
L'article 37 prévoit, s'agissant des documents comptables, qu' « il est tenu, par les soins de la gérance, une comptabilité régulière et constamment à jour des recettes et dépenses intéressant la société » et qu' « à la clôture de chaque exercice, la gérance dresse l'inventaire, le compte d'exploitation générale, le compte de résultats ainsi que le bilan de la société ».
Enfin, les articles 38 et 39 stipulent que :
« Les bénéfices nets sont constitués par les produits nets de l'exercice, sous déduction des frais généraux, et autres charges de la société, en ce compris toutes provisions. Le bénéfice distribuable est constitué par le bénéfice net de l'exercice, diminué des pertes antérieures et augmenté des reports bénéficiaires ».
et que :
« S'il résulte des comptes de l'exercice, tels qu'ils sont approuvés par l'assemblée générale, l'existence d'un bénéfice distribuable, l'assemblée décide soit de le distribuer, soit de le reporter à nouveau, soit de l'inscrire à un ou plusieurs postes de réserve dont elle règle l'affectation et l'emploi. Les sommes distribuées sont réparties entre les associés au prorata de leurs droits respectifs dans le capital social ».
Or, ainsi que l'expose M. [S] [G], le fonctionnement normal de SCI Deal's est rendu totalement impossible par la mésentente entre les associés et les carences de la gérante puisque, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, aucune assemblée générale ne s'est tenue depuis des années, les comptes sociaux des années 2021, 2022 et 2023 n'ont pas été établis et communiqués à M. [S] [G] en dépit de ses demandes, aucune reddition de compte par la gérance n'a eu lieu depuis plusieurs années et aucun bénéfice n'a été distribué au cours des dernières années sans aucune explication sur l'existence ou non d'un bénéfice distribuable.
La circonstance, alléguée par les appelantes, selon laquelle M. [S] [G] aurait régulièrement été informé des comptes annuels de la SCI, qu'il validait lui-même par mail, et qu'il ait exercé la gestion de fait de la société jusqu'en 2021, ne dispense nullement la gérante du respect de ses obligations légales et statutaires, lesquelles sont à l'évidence méconnues.
De même, le reproche formulé par les appelantes selon lequel M. [S] [G] se servait lui-même librement dans la trésorerie de la SCI Deal's, raison pour laquelle la société Groupe D=rido aurait repris la gestion de la société, ne dispense pas celle-ci, bien au contraire, de la tenue d'une comptabilité régulière et transparente et ce, d'autant moins que les deux associés se reprochent mutuellement des fautes et anomalies de gestion, voire des abus de bien social.
De plus, en l'absence de toute production de document comptable, les affirmations des appelantes selon lesquelles le chiffre d'affaires de la SCI serait confortable et son fonctionnement serait normal sont invérifiables. La seule pièce produite est un relevé de compte datant de près d'un an puisqu'il remonte à avril 2023 alors que, depuis cette date, l'un des locataires a été placé en redressement judiciaire.
A cet égard, il est établi que, depuis le départ des sociétés Etoile K et Etoile K26, seuls deux lots sont occupés et loués actuellement sur les quatre lots détenus par la SCI, dont l'un en vertu d'un bail précaire venant à échéance en avril 2024. Les deux autres lots sont, pour l'un occupé par M. [R] [G] sans aucun versement de loyers et charges, pour l'autre vacant à la suite du départ de la société Flink, qui a été placée en redressement judiciaire le 5 juin 2023 et a quitté les lieux selon l'attestation de M. [Y] du 31 janvier 2024 versée aux débats.
Aucun état précis des locataires et des loyers effectivement réglés n'est produit par la SCI Deal's pour étayer ses affirmations de « bonne santé financière ».
Si la mésentente entre les associés ne peut suffire à elle seule à justifier la désignation d'un administrateur provisoire, il ressort des éléments du dossier qu'au cas présent, non seulement la société n'est pas gérée mais la paralysie liée au conflit entre associés menace celle-ci d'un péril imminent, dès lors que tous les lots dont elle est propriétaire ne sont plus loués.
Les loyers constituant ses seuls revenus, le risque que la SCI se trouve confrontée à l'impossibilité de rembourser son emprunt bancaire de 5.619,59 euros par mois (selon l'acte de prêt versé aux débats) et de régler ses charges d'exploitation est réel. Au demeurant, la gérante proposait elle-même, dans une lettre du 28 avril 2022, la vente du bien immobilier, seule solution envisageable selon elle au regard « de la dégradation des relations ».
Pour ces raisons, la décision de désignation d'un administrateur provisoire sera confirmée.
Sur la mission de l'administrateur provisoire
Le premier juge a, notamment, donné pour mission à l'administrateur provisoire de procéder à la convocation d'une assemblée générale extraordinaire ayant pour objet la mise en conformité des statuts avec la répartition réelle du capital social entre les deux associés, avec retranscription de la cession du 27 novembre 2013.
Il a, en ce sens, suivi la position de M. [S] [G] selon laquelle le Groupe D=rido se serait abstenu, à tort, de faire procéder aux formalités nécessaires à la cession de parts sociales à la suite de l'acte du 27 novembre 2013.
Celui-ci a en effet demandé en vain, le 8 avril 2022, à la gérante de la SCI Deal's de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour actualiser les statuts à la suite de la dernière cession du 27 novembre 2013.
Cependant, la validité de cette cession est contestée par les appelantes et il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de l'apprécier. Ainsi que le relèvent ces dernières, la question de la modification des statuts ne peut relever que du juge du fond.
En tout état de cause, la convocation d'une assemblée générale extraordinaire aux fins de modification des statuts est vaine en l'état, au regard de la répartition actuelle des parts sociales.
Enfin, cette difficulté ne rend pas impossible le fonctionnement normal de la société et ne la menace pas d'un péril imminent.
Ce chef de mission de l'administrateur provisoire sera donc supprimé, l'ordonnance entreprise étant confirmée pour le surplus.
Sur les frais et dépens
M. [S] [G] ne formulant pas de demande de condamnation au titre des frais et dépens à l'égard de la SCI Deal's, la société Groupe D=rido, également appelante et partie perdante, sera seule tenue aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toute ses dispositions l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle donne pour mission à la SELARL AJassociés, prise en la personne de Maître [V], désignée en qualité d'administrateur provisoire de la société Deal's, de procéder à la convocation d'une assemblée générale extraordinaire ayant pour objet la mise en conformité des statuts avec la répartition réelle du capital social entre les deux associés, avec retranscription de la cession du 27 novembre 2013 ;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Rejette la demande de M. [S] [G] tendant à ce que soit confiée à l'administrateur provisoire désigné la mission de procéder à la convocation d'une assemblée générale extraordinaire ayant pour objet la mise en conformité des statuts avec la répartition réelle du capital social entre les deux associés, avec retranscription de la cession du 27 novembre 2013 ;
Condamne la société Groupe D=rido aux dépens d'appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître [K] ;
La condamne à payer à M. [S] [G] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT