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22/03/2024 | FRANCE | N°21/05616

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 22 mars 2024, 21/05616


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 22 Mars 2024



(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 21/05616 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD44C



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Mai 2021 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 20/02079



APPELANTE

CPAM DES YVELINES

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Camille MACHELE, avocat au ba

rreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901



INTIMEES

S.A.S. [6]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Thomas HUMBE...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 22 Mars 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 21/05616 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD44C

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Mai 2021 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 20/02079

APPELANTE

CPAM DES YVELINES

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

INTIMEES

S.A.S. [6]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305 substitué par Me Julie DELATTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946

S.A.S. [7]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305 substitué par Me Julie DELATTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Décembre 2023, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport, et Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Monsieur Gilles REVELLES, conseiller

Greffier : Madame Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la société [6] d'un jugement rendu le 12 mai 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny

(RG 20-2079) dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Mme [X] [T] était salariée de la société [7] (ci-après désignée 'la Société') depuis le 1er mai 2010 en qualité d'ouvrier non qualifié lorsque, le 17 juillet 2018, elle a informé son employeur avoir été victime d'un accident survenu sur son lieu de travail que celui-ci a déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines (ci-après désigné 'la Caisse') le 23 juillet 2018, en ces termes « faisait le lit ; la victime a ressenti un craquement et une douleur au niveau de l'épaule gauche ; siège des lésions : épaule gauche ; nature des lésions : douleur épaule gauche ».

Le certificat médical initial établi le 17 juillet 2018 par le docteur [V] [O] faisait mention de «cervicalgie » et prescrivait un arrêt de travail jusqu'au 24 juillet 2018.

Par décision du 3 août 2018, la Caisse a notifié à la Société sa décision de prendre en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels, ce que celle-ci a contesté devant la commission de recours amiable.

Par une décision du 14 août 2018, la Caisse a pris en charge, comme étant en lien avec l'accident, la lésion « NCB gauche » figurant au certificat médical établi le 27 juillet 2018 par le docteur [Y].

La Société a contesté l'imputation sur son compte employeur du coût des prescriptions dont a bénéficié sa salariée devant la commission de recours amiable puis, à défaut de décision explicite, a formé un recours contentieux devant le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny.

Par jugement du 12 mai 2021, le tribunal a :

- déclaré inopposable à la société [7] la décision de la caisse primaire d' assurance maladie des Yvelines de prendre en charge les arrêts de travail et des soins prescrits à Madame [X] [T] au titre de son accident du travail du

17 juillet 2018 à compter du 11 septembre 2018,

- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines aux dépens de l'instance.

Le jugement a été notifié aux parties le 19 mai 2021 et la Caisse en a régulièrement interjeté appel devant la présente cour par déclaration enregistrée au greffe le 16 juin 2021.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du 22 mars 2022 puis renvoyée successivement à celles des 25 janvier 2023 et 28 juin 2023 et finalement à l'audience collégiale du 21 décembre 2023 lors de laquelle les parties étaient représentées et ont plaidé.

La Caisse, reprenant le bénéfice de ses conclusions, demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions déclarant inopposables à l'employeur les soins et arrêts de travail à compter du 11 septembre 2018,

- débouter la société [7] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer la prise en charge de l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits au titre de l'accident du travail du 17 juillet 2018 et de les dire opposables à la société [7].

La Société, développe oralement les conclusions qu'elle dépose à l'audience, et demande à la cour de :

- constater la prise en charge indifférenciée des arrêts de travail prescrits au titre du sinistre litigieux malgré l'existence d'une pathologie interférente,

- constater l'absence de démonstration de la continuité des arrêts et symptômes et dire que la présomption d'imputabilité ne pouvait s'appliquer à l'ensemble des lésions, soins et arrêts de travail pris en charge à compter du 11 septembre 2018,

- constater l'existence de lésions sans lien avec le travail et, en conséquence,

- confirmer le jugement du 12 mai 2021 et prononcer l'inopposabilité de la prise en charge des soins et arrêts de travail postérieurs au 11 septembre 2018.

A titre subsidiaire, la Société demande à la cour de :

- ordonner une expertise médicale sur pièces à la charge exclusive de la caisse primaire et, dans cette perspective, faire injonction à la Caisse de communiquer à l'expert mais également au médecin mandaté par la société l'ensemble des pièces médicales en sa possession,

- ordonner à l'expert désigné la communication d'un pré-rapport d'expertise afin de pouvoir recueillir les dires de chacune des parties avant la rédaction du rapport définitif.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 21 décembre 2023 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 22 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au soutien de son appel, la Caisse rappelle que la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale s'étend aux troubles et lésions qui font suite à l'accident du travail, même de manière discontinue, et ce jusqu'à la guérison complète ou la consolidation de l'état de la victime. Dès lors, tant qu'il n'y a pas consolidation ou guérison, toute nouvelle lésion ou toute aggravation de la lésion qui est la conséquence directe de l'accident initial peut être prise en charge au titre de la législation des accidents du travail. Elle souligne en outre qu'elle produit l'ensemble des arrêts de travail prescrits à la salariée, desquels il peut être constaté que du 17 juillet 2018 au 12 juillet 2019,

Mme [T] a toujours bénéficié, successivement ou concomitamment, d'arrêts de travail et/ou de soins. Aussi, il appartient à la Société, qui conteste cette présomption, de la renverser, ce qu'elle ne peut faire qu'en prouvant l'existence d'une cause totalement étrangère au travail qui en serait à l'origine. Or, la Société se contente d'insister sur la durée des arrêts de travail prescrits à sa salariée, qu'elle estime anormalement longue, ce qui n'est pas de nature à remettre en cause la présomption d'imputabilité.

La Caisse s'oppose enfin à la mise en oeuvre d'une expertise, estimant qu'elle ne peut constituer une modalité d'information de l'employeur sur l'état de santé de sa salariée. Elle ne peut être déclenchée sur simple demande d'un employeur qui s'estimerait insuffisamment informé du dossier médical de son salarié mais doit être réservée à des situations où l'employeur fait état d'éléments probants quant à une possible cause étrangère au travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En outre, la Société ne produit aucun élément établissant qu'il existerait un litige d'ordre médical susceptible de justifier le recours à une expertise médicale judiciaire. Pour sa part, elle souligne que son service médical s'est assuré du motif médical et du bien-fondé des arrêts de travail et des soins médicaux prescrits à Mme [T] à raison de la 'Cervicalgie' et de la 'névralgie cervico brachiale gauche' ainsi qu'il résulte des fiches de liaisons médico administratives automatisées qu'elle verse aux débats.

La Société fait valoir que l'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident initial dépend de la preuve de la continuité des symptômes et des soins, preuve qui repose sur la Caisse ce qu'elle ne fait pas. Celle-ci n'apporte pas davantage d'éléments de preuve permettant de justifier l'imputabilité des arrêts de travail au sinistre déclaré le

17 juillet 2018. Au contraire, l'analyse du dossier de l'assurée montre qu'elle souffre d'une maladie professionnelle et que l'ensemble des arrêts de travail aurait dû être pris à ce titre à compter du 11 septembre 2018, date de l'IRM qui a objectivé la pathologie au titre du tableau 57. La Société relève d'ailleurs qu'à compter de cette date, les arrêts de travail mentionnent des 'cervicalgie' et 'névralgie cervico-brachiale gauche' ce qui correspond à la pathologie reconnue au titre de la maladie professionnelle. Elle estime qu'à compter de cette date, les arrêts de travail de Mme [T] ne sont plus en lien avec l'accident du travail du 17 juillet 2018.

Subsidiairement, la Société estime que s'élève en la cause un différent d'ordre médical qu'il convient de résoudre par une expertise médicale judiciaire.

Sur ce,

L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il résulte de ce texte que la présomption d'imputabilité dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial de la maladie professionnelle est assorti d'un arrêt de travail, s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, pendant toute la période d'incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement, aux soins destinés à prévenir une aggravation et plus généralement à toutes les conséquences directes de l'accident, fait obligation à la caisse de prendre en charge au titre de la législation sur les accidents de travail les dépenses afférentes à ces lésions.

Ainsi, et sans que la Caisse n'ai à justifier de la continuité de symptômes et de soins à compter de l'accident initial, l'incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.

En conséquence, l'employeur qui conteste le caractère professionnel de l'accident ou des arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident et pris en charge à ce titre, doit détruire la présomption d'imputabilité s'attachant à toute lésion survenue au temps et au lieu de travail, en apportant la preuve que cette lésion est totalement étrangère au travail.

Sauf à inverser la charge de la preuve, ce n'est donc pas à la Caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l'accident du travail, mais à l'employeur de justifier que ceux-ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l'assuré.

Dans le cadre de la présente procédure, la Caisse verse aux débats le certificat médical initial établi le 17 juillet 2018, faisant mention de « cervicalgie » et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 24 juillet 2018.

Elle produit également une attestation de paiement des indemnités journalières faisant état du versement d'indemnités journalières au titre de l'accident du travail du 17 juillet 2018 sans discontinuer du 18 juillet 2018 au 12 juillet 2019, soit un total de 360 jours d'arrêt de travail, ainsi que l'intégralité des certificats médicaux de prolongation d'arrêts de travail prescrits à Mme [T] correspondant à cette période et qui mentionnent des « cervicalgie» et « NCB gauche ». Il sera alors constaté que le siège et la nature des lésions figurant sur l'ensemble de ces certificats sont identiques à ceux mentionnés sur le certificat médical initial et celui du 27 juillet 2018 révélant une nouvelle lésion.

Elle produit enfin l'avis de son service médical qui a justifié les arrêts de travail et émis un avis favorable quant à la prise en charge au titre de l'accident de l'ensemble des prescriptions soins et arrêts de travail.

En produisant un certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail, la Caisse bénéficie de la présomption d'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail laquelle s'étend à toute la durée de l'incapacité jusqu'à la guérison.

Il appartient donc à l'employeur, qui entend combattre cette présomption, de produire des éléments permettant d'établir, ou à tout le moins de douter, que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte, ou apparue ensuite, et totalement étrangère au travail.

Pour ce faire, la Société verse aux débats :

- une déclaration de maladie professionnelle établie par Mme [T] le 24 mai 2019 faisant état d'une «tendinopathie de la coiffe des rotateurs à l'épaule gauche » et d'un « canal carpien bilatéral »,

- la décision de la Caisse du 30 octobre 2019 prenant en charge, au titre du risque professionnel une «tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche » mentionnant une date de première constatation médicale au 11 septembre 2018,

- une note médico-légale établie par son médecin-consultant, le docteur [G] le 23 février 2021, qui explique que le mouvement décrit comme à l'origine de l'accident est un geste habituel ne dépassant pas la capacité physiologique, que « la prise en charge habituelle est d'environ une semaine » et que «la prolongation de la gêne fonctionnelle témoigne d'une autre pathologie et donc très certainement de cette tendinopathie chronique ». Il rappelle que dès le 7 août 2018, la salariée a été adressée à un rhumatologue et que «c'est probablement suite à ce rendez-vous qu'une demande de reconnaissance de la maladie professionnelle 'tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche' a été faite ». Il conclut de ces éléments que «l'arrêt de travail au titre de l'accident du travail ne saurait excéder le 11 septembre 2018 »,

- le compte-rendu d'un bilan effectué par le chirurgien orthopédiste et traumatologique consulté le 7 mars 2019 par Mme [T], qui indique : « elle se plaint de douleurs de l'épaule gauche depuis un accident de travail le 17/07/2018. Cette douleur est en rapport avec un tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs non rompue » et précise « qu'une infiltration réalisée en octobre 2018 a permis à l'assurée une amélioration de 50% de la symptomatologie initiale ».

Il sera tout d'abord rappelé que le fait qu'il existe un état antérieur ou intercurrent n'exclut pas le jeu de la présomption d'imputabilité des lésions à l'accident du travail dès lors que celui-ci a concouru à l'aggravation de cet état de santé. Ainsi, dans l'hypothèse où un accident du travail est la cause de l'aggravation d'un état pathologique antérieur, c'est néanmoins la totalité de l'incapacité de travail consécutive à cette aggravation qui doit être prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels puisque la présomption d'imputabilité s'étend à toutes les conséquences du fait accidentel. Seule la démonstration que la pathologie prise en charge par la Caisse relèverait exclusivement d'un état préexistant évoluant pour son propre compte ou survenue au cours de l'interruption de travail et totalement étrangère au travail pourrait permettre un renversement de la présomption.

Au cas de Mme [P], la cour constate que les pièces produites par la Société ne permettent d'établir l'existence ni de l'un ni de l'autre.

Tout d'abord, s'agissant l'existence de la pathologie de l'épaule, si le 7 mars 2019, le chirurgien note « qu'elle se plaint de douleurs de l'épaule gauche depuis un accident de travail le 17 juillet 2018 » et précise que « cette douleur est en rapport avec une tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs non rompue », force est de constater que ces observations ne permettent pas de considérer que la NCB, qui à l'évidence n'a pas fait l'objet d'un examen, n'existait plus. Contrairement à ce que plaide la Société et qui a été retenu par le tribunal, ce médecin n'a nullement « rattaché les douleurs ressenties par l'assurée depuis son accident exclusivement à une 'tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs non rompue' et par conséquent à la maladie professionnelle du

11 septembre 2018 ». C'est pourquoi également, malgré la reconnaissance par la Caisse, le 30 octobre 2019, d'une maladie professionnelle à compter du 11 septembre 2018 pour une 'tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche, tableau 57', ces éléments ne permettent pas de remettre en cause la présomption d'imputabilité dès lors qu'il n'est pas démontré, dans le même temps, que les effets de l'accident avaient disparus et que la maladie professionnelle serait à l'origine exclusive de la prescription des arrêts de travail à compter de cette date.

Et force est de constater que le docteur [G] n'indique nullement que les arrêts de travail et les soins prescrits à Mme [T] à compter du 11 septembre 2018, date de première constatation de la maladie professionnelle, relèveraient exclusivement de cette pathologie, le chevauchement de deux lésions n'excluant pas, à défaut d'une démonstration en ce sens, que les conséquences de la maladie professionnelle auraient pris le relai de celles de l'accident du travail. D'ailleurs, ce médecin, en indiquant que « la prolongation de la gêne fonctionnelle témoigne d'une autre pathologie et donc très certainement de cette tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche, prise en charge en maladie professionnelle » ou en concluant que « si les arrêts ont continué à être prescrits en accident de travail, tout laisse penser que l'incapacité de travail était en relation avec la maladie professionnelle », ne fait qu'émettre une hypothèse, qu'il ne confirme par aucune démonstration médicale d'autant qu'il n'a nullement analysé la NCB et ses conséquences.

L'avis du médecin consultant de la Société, qui se limite à indiquer que s'agissant Mme [T], l'arrêt de travail ne peut être justifié au-delà du 11 septembre 2018, est ainsi manifestement insuffisant, à défaut de tout autre élément médical applicable au cas de l'intéressée, pour remettre en cause la présomption d'imputabilité.

De même, l'évocation par l'expert d'une ' disproportion entre les lésions initialement causées par l'accident du 17 juillet 2018 et les arrêts de travail pris en charge par la CPAM au titre de l'accident initial  , au regard d'une pathologie qui « en général nécessite une prise en charge d'une semaine » est manifestement insuffisante à dire les lésions non imputables à l'accident du travail, étant rappelé que les barèmes de durée moyenne des interruptions de travail sont de simples estimations sans appréciation de la situation médicale particulière du patient et sont, dès lors purement indicatifs. Ils ne peuvent donc, à eux-seuls, remettre en cause l'imputabilité des lésions à l'accident d'autant que l'aptitude à la reprise du travail se décide au regard de l'activité professionnelle habituelle du salarié (au cas présent un ouvrier effectuant des tâches de manutention) et non sur la reprise d'un emploi quelconque.

La cour relèvera enfin que le paiement d'indemnités journalières au titre de l'accident du travail s'est effectué jusqu'au 12 juillet 2019 puis au titre de l'assurance maladie du 13 au 17 juillet 2019 et enfin au titre d'une maladie professionnelle. Il peut ainsi en être déduit que ces différences de prises en charge démontrent que le médecin-conseil a fait la différence entre les arrêts qui relevaient de la NCB puis de la tendinopathie.

Il résulte de ce qui précède qu'aucun des documents ci-dessus, pris isolément ou dans leur ensemble, ne constitue au regard de leur généralité, un commencement de preuve d'une cause extérieure aux arrêts qui justifierait le recours à une expertise, étant rappelé que l'expertise médicale doit trancher un différent d'ordre médical quant à l'état de santé de l'assuré, ce qui suppose que la partie qui la sollicite fasse état d'éléments de nature à remettre en cause, ou à tout le moins de douter, de l'exactitude ou de la pertinence du diagnostic posé par le médecin conseil.

En tout état de cause, en vertu des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l'opportunité d'ordonner les mesures d'instruction demandées. Le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté d'ordonner une mesure d'instruction sollicitée par une partie, sans qu'il soit contraint d'y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable pas plus qu'une violation du principe de l'égalité des armes.

En conséquence, la demande d'expertise sera rejetée et la décision de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines de prendre en charge, au titre du risque professionnel, les arrêts de travail et les soins prescrits à Mme [T] à compter du 17 juillet 2018, date de l'accident, jusqu'à la date de la consolidation de ses lésions, est opposable à la Société.

Sur les dépens

La Société, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l'appel formé par la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines recevable,

INFIRME le jugement rendu le 12 mai 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny (RG) en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

JUGE opposables à la société [6], les arrêts de travail et les soins prescrits à Mme [T] à la suite de l'accident du travail dont elle a été victime le 17 juillet 2018 et qui ont été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines au titre du risque professionnel ;

DÉBOUTE la Société de sa demande d'expertise ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la Société aux dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 21/05616
Date de la décision : 22/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-22;21.05616 ?
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