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21/03/2024 | FRANCE | N°24/04048

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 7, 21 mars 2024, 24/04048


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 7



ORDONNANCE DU 21 MARS 2024



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04048 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJACK



Ordonnance sur demande de récusation



DEMANDEUR





SARL INVESTITEL

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Benjamin DONAZ, avocat au barreau de PARIS
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COMPOSITION :



Madame Marie SALORD, Présidente de chambre, statuant en tant que délégataire du Premier Président.



Assistée de Mme Sonia DAIRAIN, greffier.





MINISTERE PUBLIC :



Le Parqu...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 7

ORDONNANCE DU 21 MARS 2024

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04048 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJACK

Ordonnance sur demande de récusation

DEMANDEUR

SARL INVESTITEL

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Benjamin DONAZ, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION :

Madame Marie SALORD, Présidente de chambre, statuant en tant que délégataire du Premier Président.

Assistée de Mme Sonia DAIRAIN, greffier.

MINISTERE PUBLIC :

Le Parquet général près la cour d'appel de Paris a adressé le 8 mars 2024 des observations écrites.

ORDONNANCE :

- rendue par mise à disposition.

- signée par Madame Marie SALORD, Présidente de chambre et par Mme Sonia DAIRAIN, greffier.

Procédure

Vu la requête intitulée 'requête en suspicion légitime' en date du 4 mars 2024, déposée par la société Investitel, représentée par son gérant, M. [T] [N], visant :

- à titre principal à ordonner le remplacement de M. Christian Wiest, juge consulaire au tribunal de commerce de Paris, pour cause de suspicion légitime et ordonner la réouverture des débats et la convocation des parties pour plaider à une prochaine date,

- et à titre subsidiaire, à ordonner le dépaysement de l'affaire devant un autre tribunal de commerce,

Vu les observations de M. [H] [Z], président du tribunal de commerce de Paris, adressées à la cour le 6 mars 2024 auxquelles sont jointes les observations de M. Wiest, juge consulaire au tribunal de commerce de Paris,

Vu l'avis de M. Vaissette, avocat général, en date du 8 mars 2024, tendant au rejet de la demande.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la requête

Il convient de relever à titre liminaire que la requête est à tort intitulée 'requête en suspicion légitime'. En effet, elle vise à titre principal à écarter un juge de la connaissance d'un dossier, si bien qu'elle s'analyse en une requête en récusation.

Aux termes de l'article 343 du code de procédure civile, à l'exception des actions portées devant la Cour de cassation, la récusation ou le renvoi pour cause de suspicion légitime peut être proposé par la partie elle-même ou par son mandataire lequel doit être muni d'un pouvoir spécial. La requête est formée par avocat devant les juridictions où celui-ci a seul qualité pour représenter les parties.

L'article 344 du code de procédure civile dispose que la demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime est portée devant le premier président de la cour d'appel et doit, à peine d'irrecevabilité, indiquer les motifs de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime et être accompagnée des pièces justificatives.

Aux termes de l'article 853 du code de commerce, les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat devant le tribunal de commerce. Le litige dans lequel la société Investitel est défenderesse porte sur des demandes supérieures à 10.000 euros et le ministère d'avocat est donc obligatoire.

En l'espèce, la requête a été formée par avocat. Y est joint un "mandat spécial de dépôt et de représentation" signé par M. [T] [N], gérant de la société Investitel.

La requête de la société Investitel a été régulièrement portée devant M. le premier président de la cour d'appel de Paris. Elle indique précisément les motifs de la récusation sollicitée et des pièces y sont jointes.

En vertu de l'alinéa 2 de l'article 342 du code de procédure civile, la demande de récusation ne peut être formée après la clôture des débats.

La société Investitel, partie défenderesse, a été convoquée le 18 janvier 2024 à l'audience du 21 février 2024 devant la 3ème chambre du tribunal de commerce de Paris pour plaider devant M. Christian Wiest, juge chargé d'instruire l'affaire enrôlée sous le numéro RG 2022058139. La société de droit belge [O] avait assigné la requérante et la société Gritec par actes du 30 septembre 2022.

Il ressort des observations de M. Wiest, qui ne sont pas contredites par la note de l'avocat de la requérante dans la procédure commerciale, qu'il a indiqué en début d'audience que les plaidoiries seraient limitées à l'exception d'incompétence soulevée par la société Gritec. L'avocat de la société Investitel a alors demandé que le fond du dossier soit aussi plaidé, ce que le juge consulaire a refusé. Au début de sa plaidoirie, il a réitéré sa demande et indiqué 'en cas de refus, faire appel à un huissier pour qu'il constate un déni de juste ou appeler le bâtonnier et saisir le président du tribunal'. Le juge consulaire a répondu à l'avocat qu'il partait 'dans une très mauvaise direction' et devant 'son obstination' a mis l'affaire en délibéré sans entendre sa plaidoirie et a levé l'audience.

L'avocat de la société Investitel a rapporté l'incident au bâtonnier et, à son invitation, a pris attache auprès du président du tribunal de commerce. Dans une note remise au président du tribunal de commerce, la requérante a sollicité la réouverture des débats pour plaider sur l'exception d'incompétence et sur le fond et un remplacement du juge consulaire.

Dans sa 'décision du 26 février 2024 relative à l'incident d'audience intervenu le 21 février 2024" le président du tribunal de commerce indique que 'les manifestations d'humeur de l'avocat et du juge n'ayant pas, selon elles, outrepassé les usages qu'il convient de respecter au sein d'un tribunal, nous considérons qu'il n'y a ni déni de justice, ni manquement à l'impartialité du juge de nature à justifier sa récusation. Par conséquent, nous dirons n'y avoir lieu à réouverture des débats ni à envisager la récusation du président Wiest et il appartient à Me [C], s'il le souhaite, de porter une demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime devant le premier président de la cour d'appel'.

La demande de récusation est fondée sur le refus du juge consulaire d'entendre les plaidoiries sur le fond du dossier et son attitude à l'audience alors qu'il a déjà jugé une affaire identique. La cause de récusation a donc été partiellement découverte à l'audience.

En raison de la clôture des débats avant la plaidoirie de la société Investitel, celle-ci n'a pu, conformément à l'alinéa 2 de l'article 344 du code de procédure civile, former une demande de récusation par déclaration consignée par le greffier dans un procès-verbal, étant relevé que la requérante indique qu'il n'y avait pas de greffier à l'audience.

Il s'ensuit que la requête est recevable.

Sur le bien-fondé de la requête en récusation

La requérante fait valoir que le juge consulaire a indiqué d'emblée qu'il n'entendrait les parties que sur la question de la compétence, sans doute car son avis était déjà tranché puisqu'il avait jugé une affaire identique, opposant les mêmes parties, en se déclarant incompétent au profit des juridictions belges. Selon elle, le juge a révélé avant tout débat son appréciation et son avis personnel.

L'avocat général fait valoir dans son avis que la jonction d'un incident au fond n'est qu'une faculté offerte au juge, que la précédente procédure qui a fait l'objet d'un jugement ne concernait pas les mêmes parties et ne portait pas sur les mêmes faits et que la décision du juge est susceptible de recours.

Selon l'article 341 du code de procédure civile, la récusation d'un juge est admise pour les causes prévues à l'article L.111-6 du code de l'organisation judiciaire.

L'article L.111-6-5° du code de l'organisation judiciaire dispose que la récusation d'un juge peut être demandée s'il a précédemment connu de l'affaire comme juge.

Il ressort des pièces de procédure produites par la requérante qu'elle a loué à des sociétés belges, dont la société [O], des monnayeurs automatiques fournis par la société de droit belge Gritec. Ayant résilié les contrats de location, la société Investitel a assigné le 16 juillet 2021 la société Gritec devant le tribunal de commerce de Paris pour la voir reprendre les loyers impayés et condamner à lui payer des dommages et intérêts. La société Gritec a soulevé l'incompétence territoriale du tribunal de commerce. Par jugement du 10 novembre 2022, la 3ème chambre du tribunal de commerce, dans laquelle siégeait le juge Wiest, s'est déclarée incompétente au profit des juridictions belges.

Suite à une ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce le 4 mai 2021 condamnant la société [O] à payer à la société Investitel les loyers impayés, la société [O] l'a assignée avec la société Gritec devant le tribunal de commerce de Paris pour voir prononcer la résiliation du contrat de location aux torts de la requérante et la caducité du contrat de maintenance conclu avec la société Gritec et la voir condamnée à lui payer des dommages et intérêts au titre du préjudice moral et économique.

Contrairement à ce que soutient la requérante, les litiges n'ont pas le même objet, ni les mêmes parties. En effet, l'action ayant donné lieu au jugement du 10 novembre 2022 porte sur les relations contractuelles entre la requérante et la société Gritec alors que le second litige porte sur les relations entre le client et ces deux sociétés, la société [O] se plaignant de la défaillance des produits et de leur défaut de maintenance. Dès lors, le juge consulaire n'a pas précédemment connu de l'affaire.

Les causes de récusation envisagées par l'article 341 du code de procédure civile et l'article L.111-6 du code de l'organisation judiciaire n'épuisent pas l'exigence d'impartialité de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il convient donc de rechercher s'il existe un risque de défaut d'impartialité du magistrat, même s'il n'a pas connu de la même affaire, au regard d'un doute raisonnable émis par une partie tenant à des circonstances particulières.

En vertu de l'article 76 du code de procédure civile, le fait de statuer à la fois sur la compétence et sur le fond du litige ne constitue qu'une possibilité. La décision du juge chargé de l'instruction de n'entendre les parties que sur l'exception d'incompétence n'est pas de nature à mettre en cause son impartialité car il ne préjuge en rien de la réponse qui sera apportée par la juridiction collégiale à l'exception d'incompétence.

De plus, le comportement et les propos du juge consulaire à l'audience rapportés par la requérante ne portent que sur le fait de ne plaider que sur l'incompétence. Il n'a donc pas manifesté de partialité au regard de la solution juridique qui sera apportée à l'exception d'incompétence et aux demandes au fond.

Concernant la demande formée à titre subsidiaire, le requérant ne donne aucun élément de nature à suspecter la partialité des deux autres membres de la formation de jugement, dont l'identité n'est pas indiquée, pas plus que le fait de savoir s'ils ont siégé dans l'affaire précédente.

En conséquence, il ne sera pas fait droit à la demande de récusation et à titre subsidiaire de renvoi pour cause suspicion légitime formée par la société Investitel.

La requête de la société Investitel ayant été rejetée, elle sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

Par ordonnance susceptible de pourvoi dans un délai de quinze jours,

DÉCLARONS recevable la demande de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime formée par la société Investitel,

Sur le fond,

REJETONS la demande de récusation de la société Investitel à l'encontre de M. Christian Wiest, juge consulaire près le tribunal de commerce de Paris,

REJETONS la demande formée à titre subsidiaire de renvoi pour cause de suspicion légitime,

LAISSONS les dépens à la charge de la société Investitel.

Le Greffier,

La Présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 24/04048
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;24.04048 ?
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