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21/03/2024 | FRANCE | N°22/15730

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 12, 21 mars 2024, 22/15730


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12



ARRET DU 21 MARS 2024



(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/15730 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGLTO



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Août 2022 - JIVAT du Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 21/09134





APPELANT



Monsieur [H] [J]

[Adresse 4]

[Localité 6]>
né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 9] (Chili)

représenté par Me Aurélie COVIAUX de la SELEURL Cabinet Aurélie Coviaux, avocat au barreau de PARIS, toque : B632, substitué par Me Hugo...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12

ARRET DU 21 MARS 2024

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/15730 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGLTO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Août 2022 - JIVAT du Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 21/09134

APPELANT

Monsieur [H] [J]

[Adresse 4]

[Localité 6]

né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 9] (Chili)

représenté par Me Aurélie COVIAUX de la SELEURL Cabinet Aurélie Coviaux, avocat au barreau de PARIS, toque : B632, substitué par Me Hugo LEMONT, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS

[Adresse 3]

[Localité 7]

représenté par Me Alexandra ROMATIF de la SELARL FABRE & ASSOCIEES, Société d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 5]

défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport et Madame Sylvie LEROY, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre

Madame Sylvie LEROY, Conseillère

Madame Morgane LE DOUARIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Eva ROSE-HANO

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre et par Eva ROSE-HANO, Greffière présente lors de la mise à disposition.

Le 13 novembre 2015, M. [H] [J] a été victime de l'attentat commis au Bataclan à [Localité 8]. Il assistait au concert des Eagles of death metal en compagnie de quatre amis ; il a été pris en otage, avec une dizaine d'autres spectateurs, par deux terroristes et a été libéré après l'assaut final de la brigade de recherche et d'intervention (BRI).

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) lui a versé plusieurs provisions pour un montant total de 111 240 euros.

Le docteur [X] qui a été désigné par le FGTI pour examiner M. [H] [J], a rendu son rapport le 27 mai 2018.

Par jugement du 4 août 2022, la juridiction d'indemnisation des victimes d'attentats terroristes ( la JIVAT) a:

- dit que M. [H] [J] a été victime d'un acte de terrorisme le 13 novembre 2015,

- condamné le FGTI à payer à M. [H] [J] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, provisions non déduites :

- 810 euros au titre des frais divers,

- 25 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

- 21 276 euros au titre de la tierce personne temporaire,

- 21 317,48 euros au titre de la perte de gains actuels,

- 10 730,25 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 60 000 euros au titre des souffrances endurées,

- 50 000 euros au titre du préjudice d'angoisse,

- 38 250 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

- 4 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

- 2 000 euros au titre du préjudice sexuel,

- 30 000 euros au titre du préjudice exceptionnel des actes de vicime de terrorisme,

- dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du jugement,

- débouté M. [H] [J] de ses demandes au titre des pertes de gains futurs,

- condamné le FGTI à payer à M. [H] [J] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le FGTI aux dépens de l'instance,

- limité l'exécution provisoire à hauteur des deux tiers du montant des indemnisations allouées sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.

Par déclaration du 1er septembre 2022, M. [H] [J] a interjeté appel de cette décision ; il a signifié la déclaration d'appel le 18 novembre 2022, par acte remis à personne habilitée, à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8], laquelle n'a pas constitué avocat.

***

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 octobre 2023, les premières ayant été signifiées à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8] le 1er décembre 2022, par acte remis à personne habilitée, M. [H] [J] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu son droit à indemnisation total,

- infirmer le jugement sur la liquidation de ses préjudices,

Statuant à nouveau,

- condamner le FGTI à lui payer, déduction faite de la créance des organismes sociaux, les sommes suivantes évaluées à la date du 27 octobre 2023 et à parfaire :

- 28 966,39 euros au titre des frais divers,

32 408,91 euros au titre de la perte de gains actuels,

- 731 080,54 euros au titre de la perte de gains futurs, et à titre subsidiaire, au titre d'une perte de chance, 571  851,89 euros,

- 100 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

- 11 909,10 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 80 000 euros au titre des souffrances endurées,

- 100 000 euros au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente,

- 38 250 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

- 4 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

- 5 000 euros au titre du préjudice sexuel,

- 30 000 euros au titre du préjudice exceptionnel des actes de vicime de terrorisme,

- condamner le FGTI à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celle allouée par les premiers juges,

- condamner le FGTI aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Aurélie Coviaux, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8].

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2023, les premières ayant été signifiées le 27 février 2023 à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8], par acte remis à personne habilitée, le FGTI qui précise avoir exécuté le jugement dans son intégralité demande à la cour de le confirmer en toutes ses dispositions, et de débouter M. [H] [J] de toutes ses demandes.

La caisse primaire d'assurance maladie de Haute Saône, qui exerce le recours de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8], a fait état, le 4 mai 2021, d'une créance définitive de 4 538,89 euros composée de :

- frais médicaux et pharmaceutiques : 1 597,02 euros

- franchises : - 2 euros

- indemnités journalières versées du 07 décembre 2015 au 12 janvier 2018 : 2 386,62 euros,

- 'dépassement honoraires attentats' du 16 juin 2017 au 17 juillet 2017 : 557,25 euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2023.

CECI ETANT EXPOSE, LA COUR,

Le jugement est confirmé sur ses dispositions relatives au déficit fonctionnel permanent, au préjudice d'agrément et au préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme dont M. [H] [J] sollicite la confirmation après en avoir relevé appel.

Il ressort des éléments médicaux présentés au docteur [X] qui a examiné l'appelant les 15 juin 2016 puis le 23 mai 2018, et du rapport d'expertise, que M. [H] [J], à la suite de l'attentat, a présenté une 'excoriation plus ou moins profonde avec hématome au regard de la face externe de la cuisse gauche', constaté par son médecin généraliste, le docteur [V] [T], le 15 novembre 2015, des douleurs du membre inférieur droit du fait de son exposition au souffle de l'explosion, et des sifflements de l'oreille gauche pendant trois semaines, les examens pratiqués par l'ORL le 17 mai 2016 s'étant révélés normaux avec toutefois un 'petit scotome perceptif gauche de - 20 dB sur 4 000 Hz typique d'un traumatisme sonore' ; sur le plan ORL, il a subi de nombreux examens médicaux et radiologiques et il lui a été prescrit un traitement médicamenteux, le docteur [R] [C], spécialisée en oto-rhino-latyngologie, ayant précisé, dans une attestation du 28 juin 2017, qu'un encéphaloscanner avait 'objectivé un trouble significatif de l'oxygénation cérébrale' ; outre qu'il a souffert de maux de tête, il a essentiellement souffert d'un stress aigu, constaté le 7 décembre 2015 par le docteur [S], interne en psychiatrie à l'Unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu qui a relevé une anxiété majeure avec nombreux symptômes physiques ainsi qu'une hypervigilance anxieuse, un syndrome de répétition et un trouble du sommeil à type de réveils multiples, et il a présenté un état anxio-dépressif majeur, réactionnel et associé à une symptomatologie psychotraumatique chronicisée caractérisée par des flash-back, des troubles du sommeil à type de réveil multiples associés à des cauchemars, une hypervigilance anxieuse, des réactions de sursaut, des troubles de la concentration, des troubles de la sexualité, le désinvestissement de ses activités et de ses liens sociaux, comme précisé dans le rapport, en date du 6 février 2017, de la psychologue, Mme [D] [P], qui a suivi M. [H] [J].

L'expert a indiqué qu'il était 'très probable que la totalité du moment traumatique a été vécue dans un état de dissociation traumatique' avec un 'état de conscience altérée, modifiée, état inconsciemment destiné à soustraire la victime à l'horreur de la situation vécue' ; que son 'comportement a en quelque sorte été hyper adapté (...) fonctionnant comme des barrières lui permettant de se protéger ou des étais lui permettant d'éviter l'effondrement.' Il est en outre précisé que ces moments de dissociation revenaient encore au moment de la première réunion d'expertise.

M. [H] [J] a bénéficié d'une prise en charge psychothérapique adaptée aux victimes d'attentats assurée, à compter du 4 décembre 2015, toutes les semaines pendant les six premiers mois, puis toutes les deux semaines selon certificat du 6 février 2017 dans lequel la psychologue a précisé que le suivi psychologique devait être poursuivi ; l'expert a noté lors du second examen en mai 2018 que M. [H] [J] avait continué de voir la psychologue 'toutes les semaines' jusqu'au mois d'avril 2018.

Le docteur [X] a conclu comme suit :

- Hospitalisation : aucune

- Arrêt total des activités professionnelles imputable : du 13 novembre 2015 au 31 août 2017, puis du 28 décembre 2017 au 12 janvier 2018

- Déficit fonctionnel temporaire total : aucun

- Déficit fonctionnel temporaire partiel :

- 50% du 13 novembre 2015 au 31 août 2017

- 33% du 1er septembre 2017 au 12 janvier 2018

- 25% du 13 janvier 2018 au 17 avril 2018

- Aide humaine : M. [H] [J] a sollicité ses proches, pour leur présence rassurante, pour des échanges nécessaires, pour ce besoin accru d'affection en ce moment tellement difficile (substitution, incitation, présence rassurante, présence affective') ; nous retenons une tierce personne de 3 heures par jour durant la période du 13 novembre 2015 au 31 juillet 2016, et au-delà une tierce personne d'une heure par jour du 1er août 2016 au 31 août 2017,

- Souffrances endurées : 5,5/7 au plan psychiatrique,

- L'angoisse de mort imminente a existé, et pour répondre à notre mission, nous indiquons que le préjudice d'angoisse de mort imminente est considéré comme majeur,

- Consolidation médico-légale : 17 avril 2018

- Déficit fonctionnel permanent : 15%

- Préjudice d'agrément concernant les concerts et toutes les sorties culturelles et de loisirs, puisqu'il indique n'avoir plus le moindre enthousiasme ni plaisir

- Préjudice sexuel : il décrit la survenue d'épisodes extrêmement difficiles angoissants, qui ne sont pas complètement réglés

- Préjudice professionnel : il ne peut pas reprendre son activité antérieure de barman et directeur d'établissement de luxe, l'expert ayant considéré que M. [H] [J], 'du fait de cette modification fondamentale de son rapport aux autres et à l'existence, qui entre dans le cadre du syndrome de Lazare', est 'dans l'incapacité de faire face aux relations avec les autres' et que 'la reconversion dans une activité de photographe est donc imputable'.

Au vu de ces éléments et de l'ensemble des pièces versées aux débats, le préjudice corporel de M. [H] [J], qui était âgé de 23 ans au jour de l'agression et de 26 ans à la consolidation comme étant né le [Date naissance 1] 1992, est indemnisé comme suit,

Préjudices patrimoniaux :

A titre liminaire, il est précisé que contrairement à ce que soutient le FGTI, les demandes tendant à obtenir un complément d'indemnisation sollicité pour la première fois en appel, en particulier s'agissant de l'actualisation de l'indemnité allouée par le premier juge, ne constituent pas une demande nouvelle, irrecevable, dans la mesure où, conformément aux dispositions de l'article 565 du code de procédure civile, elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au tribunal.

Pour s'opposer à l'actualisation de plusieurs postes de préjudices patrimoniaux et à la réévaluation sollicitées par M. [H] [J], le FGTI fait valoir qu'il a libéré des provisions importantes pour permettre à la victime de faire face aux frais engagés de sorte que la demande au titre de la réactualisation ne se justifie pas, d'autant que le jugement de première instance ayant été intégralement exécuté, l'appelant n'a pas eu à souffrir des aléas économiques.

Comme le souligne l'appelant l'actualisation est de droit lorsqu'elle est demandée.

Par conséquent, cette demande doit être accueillie en son principe quand bien même, au regard des provisions versées et de la somme réglée en exécution du jugement, il n'est pas discuté que le FGTI s'est exécuté de la totalité des condamnations prononcées, étant observé que le paiement total des sommes dues est nécessairement intervenu postérieurement au jugement dont appel. Il sera précisé pour chacun des postes de préjudice pour lesquels elle est sollicité, à quelle date cette actualisation est opérée.

* temporaires avant consolidation

Frais divers :

M. [H] [J] qui ne réclame aucune somme au titre des dépenses de santé, sollicite dans le dernier état de ses écritures, l'actualisation, selon le dernier indice Insee en vigueur, paru au JO du 14 octobre 2023, des honoraires versés au médecin-conseil pour le second examen du docteur [X], alloués par les premiers juges à hauteur du montant de la facture de 810 euros.

Compte tenu du règlement par le FGTI des causes du jugement, au regard des provisions déjà versées, il convient d'actualiser la somme de 810 euros, réglée selon facture du 23 mai 2018, selon l'indice Insee des prix à la consommation 'ensemble des ménages hors tabac' de l'année 2022 et d'infirmer le jugement en allouant la somme actualisée de 894,37 euros (810 euros x 113,53 / 102,82)

Tierce personne temporaire :

Contrairement à ce que prétend le FGTI, la demande d'opérer le calcul de ce préjudice sur la base de 412 jours, pour tenir compte des congés payés et des jours fériés, ne s'analyse pas en une demande nouvelle dans la mesure où elle complète l'indemnité sollicitée à ce titre en première instance.

Comme rappelé par l'appelant, le coût de l'aide humaine, en application du principe de la réparation intégrale, ne doit ni être minoré du fait que l'assistance a été effectuée par la famille de la victime ni être subordonné à la production de justificatifs de sorte que la demande de M. [H] [J] est accueillie, avec actualisation sur la base du dernier indice Insee précité en vigueur en octobre 2023, les sommes allouées par la cour étant majorées par rapport à celles retenues par la JIVAT.

Sur la base d'un taux horaire de 18 euros qui correspond au besoin et du calcul détaillé par l'appelant qui reprend le nombre d'heures fixé par l'expert et de jours déjà retenu par les premiers juges, en le majorant pour tenir compte des congés payés et des jours fériés et en actualisant le montant obtenu sur la base de l'indice 2017, comme sollicité, le préjudice s'établit, infirmant le jugement, à la somme réclamée de 28 041,77 euros.

Perte de gains professionnels actuels :

La JIVAT, pour allouer la somme de 21317,48 euros au titre des pertes de gains subies jusqu'à la consolidation, a tenu compte de la moyenne des revenus perçus par M. [H] [J] de 2012 à 2014, soit un revenu annuel de 12 248 euros.

Après avoir relaté son parcours de formation et professionnel, M. [H] [J] distingue deux périodes pour le calcul de ses pertes de gains professionnels actuels :

- une première période du 14 novembre au 31 décembre 2015, sur la base d'un salaire de barman équivalent à un temps plein, soit 1 497,80 euros par mois, expliquant à cet égard que lorsque l'attentat est survenu, s'il n'était déclaré que pour un jour de travail par semaine, il travaillait en réalité cinq jours hebdomadaires, en étant payé en espèces, soit une somme de 2 246,70 euros dont il a été totalement privé puisqu'il n'a perçu aucun autre revenu sur cette période ;

- à compter du 1er janvier 2016, il soutient, attestation à l'appui, qu'il devait être embauché à en qualité de barman et d'assistant manager dans l'établissement le 'Rock'n'roll Circus', dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, au salaire mensuel brut de 1 900 euros ; il demande à la cour de considérer cette embauche comme certaine et de calculer ses pertes de gains, sur la période du 1er janvier 2016 au 31 mars 2018, sur la base du salaire net mensuel qui lui aurait été versé dans l'emploi qu'il n'a pas pu accepter du fait des attentats, soit 1 482 euros mensuels dont il demande la revalorisation selon les indices de revalorisation du SMIC, soit une somme totale de 40 276,07 euros qu'il n'a pas perçue ; après déduction des salaires et indemnités journalières perçus sur cette période pour un total de 10 113,86 euros, il demande à la cour de lui allouer la somme totale de 32 408,91 euros

Le FGTI, pour solliciter la confirmation du jugement, fait valoir en premier lieu que M.[H] [J] ne justifie ni de son activité à temps plein dans le bar qui l'employait à temps partiel ni de son activité d'extra dans un autre bar et qu'en tout état de cause, il est mal fondé à se prévaloir de revenus non déclarés, de sorte que la réparation de ce préjudice doit être fixée au regard de ses seules fiches de paie ; en second lieu, il conteste la force probante de l'attestation versée aux débats pour faire la preuve certaine d'une embauche en contrat à durée indéterminée à compter de janvier 2016 alors qu'elle n'est ni datée, ni signée, ni circonstanciée ni corroborée par aucun élément, ni en outre établie par le dirigeant de la société de sorte qu'il demande à la cour d'adopter le calcul opéré par les premiers juges. Il conclut enfin au rejet de la demande de revalorisation sollicitée par l'appelant faute de preuve que son salaire aurait augmenté de manière constante compte tenu de l'inflation alors même que M. [H] [J] exerçait, lors des attentats, un emploi de barman de manière précaire.

Sur ce,

Le principe des pertes de gains professionnels actuels subies par M. [H] [J] et de leur lien avec le traumatisme provoqué par l'attentat dont il a été victime n'est pas discuté par le FGTI qui a calculé ce préjudice sur la période du 14 novembre 2015 au 17 avril 2018.

* sur la période du 13 novembre 2015 au 31 décembre 2015 :

Il ressort des documents produits que M. [H] [J], âgé de 23 ans lors de l'attentat, après avoir exercé des emplois qu'il qualifie d'alimentaires en 2012 et 2013, a été embauché à compter du 1er mars 2014 en qualité de barman ; les bulletins de salaire qu'il communique, lesquels portent sur la période du 1er février 2015 au 30 novembre 2015, font uniquement état d'un emploi à temps partiel à hauteur de 10 heures par mois. M. [H] [J] n'établit pas qu'il travaillait, non pas un jour par semaine, mais à temps plein comme il le prétend en étant réglé en espèces, les deux attestations qu'il communique et qui émane de deux collègues qui travaillaient dans le même bar que lui en 2015 se limitant à témoigner qu'ils étaient, comme lui, rémunérés 'de façon non déclarée, en liquide'.

Il ne produit par ailleurs aucune pièce pour justifier des sommes perçues au titre de ses missions en qualité d' 'extra', évoquées dans ses écritures.

Dès lors son préjudice sur cette période s'établit à 84,69 euros , au regard des bulletins de salaire communiqués où figure, en novembre 2015, un cumul net imposable de 931,57 euros pour une période de onze mois.

* sur la période du 1er janvier 2016 au 31 mars 2018 :

M. [H] [J] produit de nouveau en appel 'l'attestation', établie par M. [B] [K], 'manager/responsable' du bar exploité par la société 'Le Rockn'roll Circus SARL' à [Localité 8]. Si celle-ci n'est pas datée, il n'est cependant pas discuté qu'elle a été transmise au FGTI, lors de la phase amiable, dans un bordereau de pièces du 22 avril 2016 et que son conseil a alors indiqué que M. [H] [J] avait été 'contraint de refuser un CDI qui lui était proposé après les attentats'.

Si cette attestation n'est pas établie conformément aux dispositions de l'article 202 du code civil, elle est cependant suffisamment circonstanciée pour faire la preuve d'une volonté d'embauche de M. [H] [J] dans la mesure où M. [K] y écrit :

- ' atteste sur l'honneur avoir proposé un poste de barman/assistant manager en CDI à M. [H] [J] ;

- M. [J] avait déjà travaillé pour nous dans le passé, en tant que barman de remplacement, son expérience de la gestion de bar ainsi que son bon contact avec les clients sont les principales raisons pour lesquelles je voulais lui proposer ce CDI  au salaire brut de 1 900 euros par mois ;

- malheureusement, [H], après les événements du 13 novembre 2015, a dû décliner l'offre, ne se sentant plus capable de travailler dans ce quartier comprenant de nombreuses salles de concerts, de bars et de sex shops (...) quelques-uns de nos clients réguliers ont été blessés ou ont péri dans le drame du Bataclan : l'ambiance du bar est indirectement mais à jamais liée aux attentats de [Localité 8] (...)'.

La force probante de ce document ne peut être écartée au motif qu'il n'a pas été établi par le dirigeant de l'établissement constitué en SARL dans la mesure où celui-ci, dirigeant de plusieurs sociétés, déléguait nécessairement l'embauche des salariés de ces différentes entreprises.

Pour autant, dans la mesure où aucune promesse d'embauche ferme n'a été signée entre M. [H] [J] et cette société, il ne peut qu'être retenue l'existence d'une perte de chance pour ce dernier, du fait de l'attentat, d'avoir conclu, à compter du mois janvier 2016, un contrat de travail au salaire mensuel brut de 1 900 euros. Compte tenu des emplois exercés antérieurement par M. [H] [J] dans le même domaine, la cour considère qu'il a perdu une chance haute, qu'elle évalue à 80 % d'accepter l'offre d'embauche proposée, laquelle lui permettait de stabiliser sa situation professionnelle.

A compter du 1er janvier 2016, la perte de salaire s'établit à 14 227,20 euros en 2016 (1 900 euros - 22 % de cotisations, conformément au calcul de M. [H] [J] = 1 482 euros x 12 x 80 %).

Par conséquent, les pertes de gains professionnels actuels, sur la période du 1er janvier 2016 au 31 mars 2018, comme demandé et non subsidiairement contesté, s'établissent, en tenant compte de la revalorisation du salaire de référence sur cette période, sur la base de l'évolution de l'indice du SMIC comme sollicité par l'appelant, à la somme de 32 220,85 euros qui se calcule ainsi :

- du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 14 227,20 euros

- du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2017

14 227,20 x SMIC. 2017 ( 9,76) / SMIC. 2016 (9,67) 14 359,61 euros

- du 1er janvier 2018 au 31 mars 2018

14 359,61 euros x SMIC 2018 (9,88)/SMIC 2017 (9,76) x 3 mois/12 3 634,04 euros

Il est établi que sur cette période M. [H] [J] a perçu comme il l'indique :

- outre une indemnité de congés payés en exécution de son dernier contrat de travail (74,89 euros),

- des salaires qui lui ont été versés dans le cadre de deux emplois de 'chargé de service client' puis d' 'assistant VPC' du 24 juillet au 10 août 2017 et du 15 septembre 2017 au 28 janvier 2018 pour les montants suivants déclarés à l'administration fiscale : 678 euros en 2016, 4 911 euros en 2017 et 1 354 euros en 2018, soit 6 943 euros de salaires,

- les bénéfices nets perçus, entre le 1er février et le 31 mars 2018, de l'activité de photographe, débutée sous le statut de la micro-entreprise, à hauteur de 152 euros,

- les indemnités journalières versées à hauteur de 2 943,87 euros,

soit un total de 10 113,86 euros au titre des revenus effectivement perçus.

Par conséquent, la perte de gains professionnels actuels s'établit jusqu'au 31 mars 2018 à la somme de 22 191,68 euros (84,69 euros + 32 220,85 euros -10 113,86 euros).

* permanents après consolidation

Perte de gains professionnels futurs

Les premiers juges, considérant qu'une perte de gains professionnels futurs ne peut être évaluée qu'à partir des revenus antérieurs déclarés ou de revenus à venir suffisamment certains, ont écarté toute demande au titre de ce préjudice au motif que M. [H] [J] ne justifiait pas qu'il aurait été embauché avec un salaire net mensuel de 1 482 euros.

M. [H] [J] critique le jugement en ce qu'il a estimé qu'il n'apportait pas la preuve que son activité habituelle lors des attentats était celle de barman alors que cet emploi avait été le plus long de sa jeune carrière et constituait son 'projet de carrière' au regard de la 'promesse d'embauche' résultant de l'attestation précitée.

Il fait valoir en premier lieu qu'en conséquence des séquelles constatées par l'expert, il est dans l'incapacité de reprendre son activité de barman et qu'en second lieu il s'est trouvé dans l'incapacité de reprendre une quelconque activité salariée malgré plusieurs tentatives de reconversion, observant qu'il lui a été attribué la qualité de travailleur handicapé en janvier 2020 et que l'expert a relevé que l'abandon de sa dernière activité salariée au sein de la société Lush, avant sa reconversion comme photographe, est en lien avec les troubles anxieux qu'il présente. Il souligne que sa reconversion en qualité de photographe indépendant ne compense pas les pertes de revenus résultant de l'abandon de son activité de barman et de l'impossibilité de pratiquer une activité salariée. Il calcule son préjudice sur la base du salaire annuel net de référence qu'il aurait perçu dans le cadre de l'emploi qu'il n'a pas pu accepter à la suite des attentats (17 784 euros) sur une première période correspondant aux pertes de gains échues, entre le 1er avril 2018 et le 31 décembre 2023 (111 559,16 euros) dont il déduit les revenus effectivement perçus (66 611,52 euros de salaires et bénéfices) puis sur une seconde période à compter du 1er janvier 2024 en calculant cette perte de gains, dont il sollicite la capitalisation viagère, sur le barème de capitalisation de la Gazette du palais 2022 au taux d'intérêt de -1 %, pour tenir compte de l'incidence sur la retraite, sur la base du salaire de référence de 17 784 euros qu'il revalorise sur le dernier indice du SMIC publié en 2023, soit 21 186,32 euros.

A titre subsidiaire, pour le cas où la cour considérerait que son embauche est incertaine, il fait valoir qu'il a subi une perte de chance de 80 % de continuer son emploi de barman et d'évoluer professionnellement dans ce secteur.

Le FGTI observe qu'aucun élément objectif ne permet de démontrer une inaptitude de M. [H] [J], qui a démissionné de son poste de barman le 30 novembre 2015, ou une invalidité constatée médicalement par la médecine du travail ou la sécurité sociale et que ce dernier, contrairement à ce qu'il soutient, était en capacité de retrouver un emploi salarié, comme d'ailleurs il l'a fait en 2017, l'expert ne mentionnant aucune impossibilité de ce chef, à l'exception de l'emploi de barman.

Il ajoute que M. [H] [J] avait également une activité de photographe avant les attentats et que rien ne permet d'affirmer qu'il aurait continué d'exercer le métier de barman tout au long de sa carrière, au regard de son âge et des contraintes induites par cet emploi, difficilement compatible avec des projets personnels et familiaux.

Il soutient en outre qu'entre 2018 et 2022, M. [H] [J] justifie avoir perçu un revenu moyen annuel de 13 796,20 euros alors qu'il justifiait, avant l'attentat, d'un revenu moyen annuel de 12 248 euros de sorte qu'il ne rapporte pas la preuve d'une perte de revenus par rapport à son revenu de référence.

Il expose enfin qu'il n'est pas fondé à invoquer le salaire escompté et revalorisé de barman, qu'il n'a jamais perçu, alors que depuis sa reconversion professionnelle ses revenus n'ont fait que progresser et qu'il n'est pas du tout établi, sur le plan médico-légal, qu'il soit dans l'impossibilité de percevoir des revenus équivalents, voire même bien supérieurs à ceux perçus avant l'attentat, observant que sur le plan médico-légal il n'est pas établi qu'il subirait une impossibilité de gains à hauteur de 10 000 euros par an.

Outre l'indication que M. [H] [J] ne peut pas reprendre son activité antérieure de 'barman et directeur d'établissement de luxe' et que la reconversion dans une activité de photographe est donc imputable, l'expert a également noté que l'appelant, lorsqu'il a repris une activité professionnelle 'alimentaire' de septembre à décembre 2017, a 'présenté une recrudescence anxieuse majeure en décembre, l'obligeant à s'arrêter, dans l'incapacité à faire face aux relations avec les autres, du fait de cette modification fondamentale de son rapport aux autres et à l'existence, qui entre dans le cadre du syndrome de Lazare' ; après un nouvel arrêt de travail jusqu'au 12 janvier 2018, il a repris le 1er février 2018 l'activité professionnelle de photographe, qui était son activité professionnelle première, la cour constatant qu'il l'a très peu exercée à compter de l'obtention de son diplôme.

Au regard du caractère extrêmement violent et dramatique des événements auxquels il a été confronté, M. [H] [J] souffre d'un traumatisme psychologique sévère ( 15 % de déficit fonctionnel permanent sur le plan psychiatrique) qui a modifié en profondeur son rapport aux autres de sorte que la cour considère qu'il s'est trouvé contraint non seulement d'abandonner l'activité professionnelle de barman dans laquelle il s'était engagée dix-huit mois avant le 13 novembre 2015 mais aussi d'envisager un emploi le dispensant des relations imposées dans le cadre d'un emploi salarié, étant relevé par la cour qu'il est justifié que la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) lui a reconnu, selon décision du 14 janvier 2020, la qualité de travailleur handicapé jusqu'au 13 janvier 2025.

Le lien de causalité qu'il allègue entre les séquelles dont il souffre et son incapacité à occuper un emploi salarié régulier, quel qu'il soit, est par conséquent établi.

Il résulte de la lecture des pièces communiquées et des avis d'imposition portant sur les revenus perçus entre 2019 et 2022, qu'à compter de l'année 2019 et, hormis les revenus tirés de son activité indépendante, M. [H] [J] n'a pas bénéficié de revenus salariaux à l'exception d'une seule somme de 4 123 euros déclarée en 2022. Ses autres revenus ont été déclarés au titre des droits d'auteur en lien notamment avec l'écriture d'un livre, récit de son vécu pendant l'attaque du Bataclan et de son parcours jusqu'à son mariage en juin 2018, et l'écriture d'un scénario pour un documentaire de 52 minutes.

Pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus tirés de la perte de chance haute (80 %) d'avoir pu travailler comme barman, le préjudice est liquidé sur la base de 80 % du salaire annuel de référence.

Le préjudice de la victime étant liquidé au jour où la juridiction statue, la cour calcule la perte de gains conformément à la demande, du 1er avril 2018 au 31 décembre 2023 en procédant à la revalorisation, sur la base de la l'évolution de l'indice du SMIC pour tenir compte de l'inflation, puis, à compter du 1er janvier 2024, la capitalise par application du barème de la Gazette du palais 2022, au taux de 0 % qui apparaît le mieux adapté aux données économiques et sociologiques actuelles.

Arrérages du 1er avril 2018 au 31 décembre 2023

Le calcul des revenus que M. [H] [J] aurait dû percevoir s'établit conformément à celui opéré dans ses écritures sur la base du salaire de référence net dont il a été privé ( 1 482 euros x 12, soit 17 784 euros en 2016), revalorisé sur la base de l'évolution de l'indice du SMIC année par année, et auquel est appliqué le pourcentage de perte de chance ; le salaire revalorisé en 2018 s'établit à 18 002,66 euros (17 784 euros x SMIC 2018 (9,88)/SMIC 2017 (9,76), soit après application du coefficient de perte de chance, 14 402,13 euros.

Le total des revenus qui auraient dû être perçus s'établit donc à la somme de 88 424,39 euros, ainsi calculée :

- du 1er avril au 31 décembre 2018 : 14 402, 13 x 9 mois/12 10 801,60 euros

- 2019 : 14 402,13 euros x SMIC 2019 (10,03)/SMIC 2018 (9,88) 14 620,79 euros

- 2020 : 14 620,79 euros x SMIC 2020 (10,15)/ SMIC 2019 (10,03) 14 795,71 euros

- 2021 : 14 795,71 euros x SMIC 2021 (10,48) /SMIC 2020 (10,15) 15 276,75 euros

- 2022 : 15 276,75 euros x SMIC 2022 (11,07) / SMIC 2021 (10,48) 6 136,79 euros

- 2023 : 16 136,79 euros x SMIC 2023 (11,52) / SMIC 2022 (11,07) 6 792,75 euros

dont il est déduit les revenus perçus par M. [H] [J] sur cette période, soit:

- les 'salaires et assimilés' constitués pour l'essentiel de ses droits d'auteur au vu de ses avis d'imposition et des relevés 2023 de la SCAM 15 178,42 euros,

- les revenus nets tirés de son activité indépendante de photographe (revenus industriels et commerciaux reportés sur les avis d'imposition - les cotisations payées à l'Urssaf et pour 2023, les déclarations Urssaf) 51 433,10 euros

Les pertes de revenus pour cette période s'établissent donc à la somme de 21 812,87 euros (88 424,39 euros - 66 611,52 euros)

Période à échoir

A compter du 1er janvier 2024, M. [H] [J] aurait dû percevoir, sur la base du salaire de référence de 2016 après application du coefficient de perte de chance (14 227,20 euros)et revalorisé sur le dernier indice du SMIC publié en 2023 (11,52), un revenu annuel de 16 949,05 euros ( 14 227,20 euros x 11,52 / 9,67 (SMIC 2016).

Pour déterminer sa perte de gains professionnels pour l'avenir, il convient, comme le demande l'appelant de déduire de cette somme les revenus auxquels il peut désormais prétendre ; ils sont cependant évalués par la cour, non pas de 2018 à 2023, mais en faisant la moyenne des revenus qu'il a perçus, à compter de l'année qui a suivi son installation en qualité de photographe indépendant, soit à compter de 2019 jusqu'en 2023 en prenant en compte les revenus qu'il a perçus sur cette période, tirés de son activité de photographe et de ses droits d'auteur, à l'exception des revenus salariaux qui apparaissent exceptionnels car seulement perçus en 2022, soit un total de 56 081,72 euros ( 13 853,36 + 10 394,58 + 11 019,22 + 8 229,14 + 12 585,42 euros) et une moyenne annuelle de 11 216,34 euros.

La perte de revenus annuels nets s'établit donc à la somme de 5 732,71 euros.

Compte tenu de l'âge de M. [H] [J] au 1er janvier 2024 (31 ans ), sespertes de gains futurs, pour tenir compte de l'incidence sur sa retraite, sont capitalisées de façon viagère à la somme totale de 280 782,40 euros selon le calcul suivant :

5 732,71 euros x 48,979, euro de rente viagère pour un homme de 31 ans, sur la base du barème de capitalisation 2022 au taux 0 %, publié par la Gazette du Palais.

La totalité des pertes de gains futurs s'établit par conséquent à la somme de 302 595,27 euros.

Incidence professionnelle

M. [H] [J] estime que l'incidence professionnelle a été majeure dès lors qu'il a été contraint d'abandonner son rêve d'évoluer dans l'activité qui était la sienne lors des attentats, notamment en qualité de 'responsable d'établissement d'hôtellerie restauration de luxe' et de se reconvertir dans une activité de photographe indépendant qu'il avait abandonnée dans le passé, en particulier parce qu'elle ne lui permettait pas de percevoir des revenus réguliers.

Il invoque en outre la pénibilité accrue du fait des troubles en lien avec les séquelles psychiatriques.

Le FGTI qui ne conteste ni la pénibilité accrue subie par la victime ni l'impossibilité d'exercer l'emploi de barman fait valoir que l'appelant, qui sollicitait 25 000 euros en première instance, était barman depuis moins de deux ans et que rien ne permet d'affirmer qu'il aurait continué cette activité tout au long de sa vie, au regard notamment de sa décision de concrétiser un projet de vie de couple.

L'incidence professionnelle a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, tel le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage.

Il n'est pas discuté que M. [H] [J] a été contraint de se reconvertir du fait des traumatismes subis ; s'il a fait le choix de se réorienter vers une activité indépendante de photographe, profession à laquelle il s'était formé en obtenant, à l'âge de 18 ans, un CAP de photographe, après avoir obtenu un BEP électrotechnique, il ressort des éléments communiqués qu'il avait très peu pratiqué cette activité et avait recherché d'autres moyens de subsistance, ainsi qu'il le démontre, pratiquant en dernier lieu l'activité de barman.

Sa reconversion contrainte ne lui assure pas des revenus aussi réguliers qu'un emploi salarié et ne lui offre pas la même sécurité d'emploi ; au regard en outre de la pénibilité dans l'exercice de sa profession, consécutive aux séquelles en lien direct avec les attentats, il est justifié, d'augmenter, au regard de la longue carrière professionnelle à venir pour M. [H] [J], l'indemnité qui lui est allouée ; il convient, infirmant le jugement, de lui allouer la somme de 45 000 euros.

Préjudices extrapatrimoniaux

* temporaires avant consolidation

Déficit fonctionnel temporaire

Les parties ne s'opposent que sur le quantum du taux de déficit fonctionnel temporaire total, appliqué pour calculer l'indemnité allouée de ce chef ; M. [H] [J] sollicite un taux journalier de 30 euros tandis que le FGTI sollicite la confirmation du taux journalier de 27 euros fixé par la JIVAT.

L'incapacité fonctionnelle partielle subie par la victime durant la maladie traumatique pour la période antérieure à la date de consolidation ainsi que sa perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante et la privation de ses activités privées souffertes durant cette même période sont indemnisées, sur la base d'un taux journalier de 30 euros pour un déficit fonctionnel temporaire total, par la somme sollicitée par M. [H] [J] à hauteur de la somme de 11 909,10 euros calculée selon les modalités précisées dans les écritures de l'appelant, sur les périodes déterminées par l'expert.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Souffrances endurées

Elles incluent, comme l'expert l'a précisé, l'intensité traumatique de l'événement et de ses conséquences psychiques jusqu'à la date de consolidation médico-légale ainsi que les contraintes liées aux traitements et au long suivi psychologique poursuivi jusqu'à la consolidation ; au regard de l'extrême violence des faits dont M. [H] [J] a été victime et qu'il a notamment revécue au travers des reviviscences attachées au traumatisme psychique dont il a souffert, les premiers juges ont fait une juste évaluation des souffrances physiques et morales endurées par M. [H] [J] de sorte que le jugement est confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 60 000 euros.

Préjudice d'angoisse de mort imminente :

M. [H] [J] décrit en détail les circonstances traumatisantes dans lesquelles il a vécu l'attaque des terroristes, soulignant en particulier qu'il a fait partie, jusqu'à l'assaut final de la BRI, des onze spectateurs directement pris en otage pendant près de deux heures 30 par deux des terroristes ; il expose qu'au regard de la succession de situations de péril de mort sans commune mesure, dont il avait parfaitement conscience et auxquelles il a survécu en adoptant un comportement d'hyper-adaptation, il a subi, comme constaté par l'expert, un préjudice majeur.

Le FGTI considère qu'au regard des circonstances particulières vécues par M. [H] [J], le jugement doit être confirmé.

Le préjudice d'angoisse de mort imminente indemnise la victime qui, confrontée à un danger mortel, prend conscience de sa possible, voire probable, mort imminente. Ce préjudice, par nature temporaire, s'apprécie in concreto en fonction d'une part de la démonstration de la réalité de la conscience de la victime du péril auquel elle est exposée et de ses conséquences, d'autre part des circonstances objectives dans lesquelles elle a été confrontée à la situation. Il s'agit d'un préjudice distinct des souffrances endurées, donnant lieu à une réparation autonome.

Il ressort des éléments de la procédure pénale, en particulier des auditions de M. [H] [J] et de celles de ses amis également au concert et des autres otages retenus avec lui, et du récit qu'il a écrit des événements, que lorsque l'attaque a commencé, il s'était éloigné quelques instants de ses amis avec lesquels il assistait au spectacle au niveau d'un des balcons ; qu'après avoir vu un terroriste 'tirer à vue sur les gens couchés dans la fosse', il s'est dirigé avec d'autres en rampant vers un couloir où il y avait deux fenêtres donnant sur le passage [Adresse 10] ; qu'ayant compris que le terroriste 'allait venir' les chercher, il s'est suspendu, comme un autre homme, à l'une des fenêtres, située à plus de six mètres de hauteur au dessus du sol ; qu'ayant été découvert par l'un des terroristes qui lui a ordonné de rentrer, il a été emmené avec une dizaine d'autres spectateurs dans un couloir de l'étage où ils ont été séquestrés sous la menace de deux terroristes pendant plus de deux heures ; que ceux-ci qui les ont placés 'comme bouclier autour du couloir' étaient chacun armés de chargeurs et d'une kalachnikov dont ils lâchaient de temps en temps une rafale par une fenêtre ; qu'ils les ont vu tirer sur des blessés qui se trouvaient dans la fosse et ceux-ci ont à plusieurs reprises menacé d'actionner la ceinture d'explosifs dont ils étaient équipés, en particulier quand les policiers ont progressé ; que l'un d'eux a tiré une balle tout près de la tête d'un des otages qui avait esquissé un rire nerveux et a interrogé M. [H] [J] sur ce qu'il pensait du Président de la République.

Il a subi l'assaut final de la BRI à 0h18, au cours de laquelle des grenades défensives ont explosé et un des terroristes a actionné sa ceinture d'explosifs, avant qu'il puisse rejoindre l'extérieur en passant à proximité immédiate de la fosse jonchée des corps ensanglantés des très nombreuses victimes.

Ainsi le préjudice d'angoisse de mort imminente est constitué par le traumatisme subi par M. [H] [J] au cours de ces scènes d'extrême violence qu'il a vécues pendant plus de deux heures, dans un état de dissociation et d'hyperdaptation constaté par l'expert. Resté sous la menace des deux terroristes qu'il avait vu tirer froidement sur de nombreuses victimes et menacer de se faire exploser, il a ressenti une peur intense face à la mort, tant la sienne que celle des autres otages et des victimes qui ont succombé.

Il lui est alloué, au regard de ce traumatisme qui est majeur, comme l'a souligné l'expert, une somme de 70 000 euros.

* permanents après consolidation

Préjudice sexuel

M. [H] [J] fait valoir que l'expert a relevé l'existence d'une atteinte subjective importante en relation avec les faits, avec notamment la persistance de l'intrusion d'images morbides lors de l'accomplissement de l'acte, ce qui, au regard de son âge, altère profondément sa vie de couple avec sa compagne qu'il a épousée le 23 juin 2008.

Le FGTI observe que l'appelant se fonde sur ses propos lors de la réunion d'expertise de 2016, avant la consolidation de son état de santé et qu'il n'est pas certain que ce préjudice soit définitif.

Contrairement aux observations du FGTI, c'est au cours de l'examen du 23 mai 2018, que l'expert a noté, parmi les doléances de M. [H] [J], que 'peu après l'expertise de juin 2016, la relation était difficile, mais il a connu plusieurs épisodes avec des pensées et des images traumatiques, des cadavres, vers le milieu de l'acte et interruption immédiate de l'acte, avec une frustration majeure ....et un accès de pleurs très douloureux. Ceci est encore parfois la situation'. Dans ses conclusions finales, l'expert a constaté la persistance d'intrusion d'épisode 'extrêmement difficiles angoissants'.

Au regard de ces doléances et de l'étendue du syndrome post-traumatique en lien avec les événements tragiques dont il a été victime, l'existence d'un préjudice sexuel persistant au-delà de la consolidation est avérée et réparée, au regard de l'âge de M. [H] [J], en couple depuis plusieurs années, par la somme sollicitée de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau dans les limites des appels,

Alloue à M. [H] [J], en deniers ou quittances, provisions et somme versée en vertu de l'exécution provisoire non déduites, les sommes suivantes :

- 894,37 euros au titre des frais de médecin-conseil,

- 28 041,77 euros au titre de la tierce personne temporaire,

- 22 191,68 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels,

- 302 595,27 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs,

- 45 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

- 11 909,10 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 70 000 euros au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente ,

- 5 000 euros au titre du préjudice sexuel,

Dit que les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,

Confirme le jugement pour le surplus,

Alloue à M. [H] [J] en cause d'appel, la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens d'appel à la charge de l'Etat,

Dit que maître Aurélie Coviaux, avocat, pourra recouvrer directement ceux des dépens dont elle aura fait l'avance dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 22/15730
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;22.15730 ?
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