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20/03/2024 | FRANCE | N°21/07353

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 20 mars 2024, 21/07353


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 20 MARS 2024



(n° 2024/ 133 , 18 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07353 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHDL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 mai 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 15/00794





APPELANTS

Madame [F] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Florent HE

NNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222



Syndicat FO EURODEP

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222



INT...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 20 MARS 2024

(n° 2024/ 133 , 18 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07353 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHDL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 mai 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 15/00794

APPELANTS

Madame [F] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

Syndicat FO EURODEP

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

INTIMÉE

S.A.S. EURODEP

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Charles NEGREVERGNE, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Madame Alisson POISSON, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET PROCÉDURE

La société Eurodep a employé Mme [F] [T], par contrat de travail à durée déterminée à compter du 02 juin 2008 puis à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2008 en qualité de préparatrice de commandes, statut employé, coefficient 140.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique.

La société Eurodep occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Mme [T] a été affectée à un nouveau poste en qualité d'employée service retours, coefficient 145.

A l'issue de son congé maternité, Mme [T] a bénéficié d'un congé parental jusqu'au 14 avril 2013.

Par courriers des 25 mars 2013 et 16 avril 2013, Mme [T] a interrogé la direction de la société Eurodep concernant son positionnement conventionnel. Elle a demandé l'application du coefficient 175.

Avec d'autres salariés de l'entreprise, Mme [T] a alerté l'inspection du travail, qui a ensuite adressé un courrier à la société Eurodep le 2 mai 2013.

Le 17 mai 2013, la société Eurodep a attribué à Mme [T] le coefficient 155 avec effet rétroactif à compter du mois de décembre 2009.

Par requête parvenue au greffe le 15 juillet 2015, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux, invoquant une discrimination.

Elle a formé les demandes suivantes :

« - Rappel de salaire au 30 septembre 2020 : 18 479,16 euros

- Congés payés afférents : 1 847,91 euros

- Fixer le salaire de référence, au 30 septembre 2020,

A titre principal

- Dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 1132-1 du Code du Travail : 27 631,00 euros

A titre subsidiaire

- Dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 1222-1 du Code du Travail :
27 631,00 euros

- Rémunération du temps d'habillage : 10 693,77 euros

- Congés payés afférents : 1 069,37 euros

- Rappel de prime semestrielle 2017:1 216,02 euros

- Congés payés afférents : 121,60 euros

- Dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité : 13 816,00 euros

En tout état de cause :

- Bulletin de paie conformes au jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 250 € par jour de retard et par document

- Se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte

- Exécution provisoire du jugement à intervenir dans l'intégralité de ses dispositions, en application de l'article 515 CPC

- Intérêts au taux légal et anatocisme conformément à l'article 1154 du Code Civil

- Anatocisme

- Article 700 du code de procédure civile

- Entiers dépens ainsi qu'aux éventuels frais d'exécution. »

Le syndicat FO Eurodep s'est constitué partie intervenante et a demandé la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

En novembre 2015, Mme [T] est passée au coefficient 165.

Mme [T] a demandé un changement de service, faisant état de conditions de travail dégradées, et s'est positionnée sur un poste vacant. La direction a refusé sa candidature.

Mme [T] a eu la qualité de membre suppléante du CSE à compter du 14 juin 2018.

Mme [T] a été en congé maternité, puis en congé parental à partir du mois d'août 2019 jusqu'au 28 février 2022. Elle a repris son poste le 1er mars 2022, dans son service initial.

Par jugement du 11 mai 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante:

« Condamne la SAS EURODEP à payer à Madame [F] [T] les sommes de :

- 1 216,02 euros à titre de rappel de prime semestrielle

- 121,60 euros à titre de congés payés afférents

ces sommes, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation, soit le 22 juillet 2015,

- 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision ;

ORDONNE la remise des bulletins de paie conformes à la présente décisions sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document sous 30 jours à compter de la notification du présent jugement ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts, le point de départ des intérêts capitalisés devant être fixé au 8 septembre 2020, date à laquelle la SAS EURODEP a été informée de la demande de capitalisation pour la première fois ;

RAPPELLE que selon l'article L. 313-3 du Code monétaire et financier, en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq point à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision ;

ORDONNE l'exécution provisoire de droit selon l'article R. 1454-28 du Code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire étant de 2019,54 Euros ;

CONDAMNE la SAS EURODEP à payer au syndicat FO EURODEP la somme de :

- 100 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession en application de l'article L. 2132-3 du Code du travail,

cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision ;

DEBOUTE Madame [F] [T] du surplus de ses demandes ;

DEBOUTE le SYNDICAT FO EURODEP du surplus de sa demande ;

DEBOUTE la SAS EURODEP de sa demande reconventionnelle et la CONDAMNE aux entiers dépens y compris les honoraires et frais éventuels d'exécution par voie d'huissiers de la présente décision. »

Mme [T] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique les 25 juin, 28 juillet et 10 août 2021.

Le syndicat FO Eurodep s'est portée partie intervenante le 25 juin 2021.

La constitution d'intimée de la société Eurodep a été transmise par voie électronique le 27 septembre 2021.

Le 25 mai 2022, Mme [T] a adressé un courrier à la société Eurodep dans lequel elle rappelait sa situation et formulait plusieurs demandes, notamment la régularisation de sa situation.

Le 1er juin 2022, Mme [T] a pris acte de son contrat de travail aux torts de la société.

Par des dernières conclusions communiquées par voie électronique le 22 janvier 2024, auxquelles la cour fait expressément référence, Mme [T] et le syndicat FO Eurodep demandent à la cour de :

« DECLARER Madame [F] [T] et le syndicat FO EURODEP recevables et bien fondés en leur appel,

CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de MEAUX le 11 mai 2021 en ce qu'il a :

' condamné la société EURODEP à payer à Madame [T] :

- 1 216,02 €, à titre de rappel de prime semestrielle pour 2017,

- 121,60 € de congés payés afférents.

- 500 € au titre de l'article 700 du CPC,

' ordonné la remise des bulletins de paie conforme au jugement sous astreinte de 10 € par jour de retard et par document sous 30 jours à compter de sa notification

' condamné la société EURODEP à payer au syndicat FO EURODEP des dommages et intérêts en application de l'article L. 2132-3 du Code du travail,

INFIRMER le jugement pour le surplus,

STATUER A NOUVEAU

1. PRONONCER l'existence d'une différence de traitement injustifié au préjudice de Madame [F] [T],

PRONONCER l'existence de faits de discrimination au préjudice de Madame [T], sur le fondement de l'article L. 1132-1 du Code du travail,

PRONONCER en tout état de cause l'existence d'une violation par la société de son obligation d'exécution loyale contrat de travail,

EN CONSEQUENCE

CONDAMNER la société EURODEP à attribuer, de manière rétroactive, à Mme [T] le

coefficient suivant :

- 165 au 1er octobre 2010

- 175 au 1er octobre 2012

CONDAMNER la société EURODEP à verser Mme [T] un rappel de salaire de juillet 2010 au 1er juin 2022 à hauteur de 17 598,66 €, ainsi que 1 759,86 € à titre de congés payés afférents,

FIXER le salaire de référence de Mme [T], au 1er juin 2022, à la somme de 2 593,43 € bruts mensuels.

CONDAMNER la société EURODEP à verser à Mme [T] :

- À titre principal : une somme de 31 122 € nets (12 mois) à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1132-1 du Code du travail.

- À titre subsidiaire, une somme de 31 122 € nets (12 mois) à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1222-1 du Code du travail,

2. PRONONCER l'existence d'agissements répétés constitutifs de faits de harcèlement moral, selon l'article L. 1152-1 du Code du travail, au préjudice de Mme [T],

EN CONSÉQUENCE

CONDAMNER la société EURODEP à verser Mme [T] une somme de 15 561 € nets € (6 mois) à titre de dommages et intérêts :

- sur le fondement des articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du Code du travail, compte tenu des faits de harcèlement moral dont M. [P] a fait l'objet,

- en tout état de cause sur le fondement des articles L. 4121-1 et suivant du Code du travail, relatifs à l'obligation de prévention et de sécurité de l'employeur,

- et sur le fondement de l'article L. 1222-1 du Code du travail, ces agissements constituant une exécution déloyale du contrat de travail,

3. PRONONCER la violation par la société EURODEP de son obligation de prévention et de sécurité,

EN CONSEQUENCE

CONDAMNER la société EURODEP à verser à Madame [T] une somme de 15 561 € nets (6 mois) à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention et de sécurité, sur le fondement des articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail.

4. CONDAMNER la société EURODEP à verser à Mme [T] une somme de 9 610,46 €, à titre de rémunération du temps d'habillage, ainsi que 961,04 € de congés payés afférents

5. CONDAMNER la société EURODEP à verser à Mme [T] une somme de 3 302,37 € à titre de rappel sur prime de rendement, ainsi que 330,23 € de congés payés afférents.

6. PRONONCER la violation par la société EURODEP de son obligation de suivi de Mme [T] que ce soit en termes de formation, d'adaptation, ou d'entretien professionnel,

EN CONSEQUENCE

CONDAMNER la société EURODEP à verser à Mme [T] :

- 4 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation sur le fondement de l'article L. 6321-1 du Code du travail

- 4 000 € nets à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 6315-1, L. 6323-13 et R. 6323-3 du Code du travail,

CONDAMNER la société EURODEP à abonder le Compte Personnel Formation (CPF) de Mme [T] à hauteur de 3 000 €, et ce sous astreintes de 250 € par jour de retard

7. PRONONCER et juger que la lettre de prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [T] du 1er juin 2022 est justifiée par l'ensemble des griefs invoqués et emporte à titre principal les effets d'un licenciement nul, sur le fondement des articles L 1132-4 et L. 1152-3 du Code du travail, et à titre subsidiaire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

EN CONSÉQUENCE

CONDAMNER la société EURODEP à verser à Madame [T] les sommes suivantes :

A titre principal : sur la base d'un salaire de référence de 2 593,42 € bruts mensuels

' indemnité compensatrice de préavis, (2 mois) : 5 186,84 €

' congés payés sur préavis : 518,68 €

' indemnité conventionnelle de licenciement : 12 276 €

' indemnité pour violation du statut protecteur (6 mois) : 15 560,56 €

A titre subsidiaire : sur la base d'un salaire de référence de 2 475,04 € bruts mensuels

' indemnité compensatrice de préavis, (2 mois) : 4 950,08 €

' congés payés sur préavis : 495,00 €

' indemnité conventionnelle de licenciement : 11 716 €

' indemnité pour violation du statut protecteur (6 mois) : 14 850,24 €

CONDAMNER la société EURODEP à verser à Madame [T] les sommes suivantes :

' À titre principal : du fait de la nullité du licenciement

une somme de 62 243 € nets (24 mois) à titre d'indemnité pour licenciement nul, sur le fondement des articles L. 1132-4 et L. 1235-3-1 du Code du travail,

' À titre subsidiaire : du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement

une somme de 62 243 € nets (24 mois) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, la Cour écartant le plafond du barème comme contraire à l'article 10 de la convention 158 de l'OIT ratifié par la France le 16 mars 1989 et à l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

8. DEBOUTER la société EURODEP que l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

9. PORTER le montant des dommages et intérêts que la société EURODEP sera condamnée à verser au syndicat FO EURODEP, en application de l'article L. 2132-3 du code du travail, à la somme de 5 000 €

10. CONDAMNER la société EURODEP à délivrer à Madame [T] des bulletins de paie conformes au jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 250 € par jour de retard et par document,

11. SE RÉSERVER le contentieux de la liquidation de l'astreinte,

12. PRONONCER l'application aux condamnations prononcées des intérêts au taux légal, et anatocisme conformément à l'article 1343-2 du code civil, étant précisé que le point de départ des intérêts capitalisés sera fixé à la date de convocation des parties devant le bureau de conciliation,

13. CONDAMNER la société EURODEP à verser à Madame [T] une somme de 5 000 € et au syndicat FO EURODEP une somme de 1500 € au titre de l'article 700 du CPC,

14. CONDAMNER la société EURODEP aux entiers dépens ainsi qu'aux éventuels frais d'exécution. »

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 22 janvier 2024, auxquelles la cour fait expressément référence , la société Eurodep demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de MEAUX du 11 mai 2021 en ce qu'il a condamné la société EURODEP à verser à Madame [T] la somme de 216,02 euros à titre de rappel de prime semestrielle, la somme de 121,60 euros au titre des congés payés y afférents ainsi que la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile, avec intérêts au taux légal ;

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de MEAUX du 11 mai 2021 En ce qu'il a condamné la société EURODEP à verser au Syndicat FO EURODEP la de 100 euros au titre de l'article L. 2132-3 du Code du travail avec intérêts au taux légal ;

CONFIRMER pour le surplus le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de MEAUX du 11 mai 2021 dans l'ensemble de ses dispositions, notamment en ce qu'il a ébouté Madame [T] de ses demandes de rappels de salaires et de dommages et intérêts au titre d'une discrimination, au titre d'un harcèlement moral, au titre d'un manquement à l'obligation de formation ou encore de l'obligation de sécurité,

CONDAMNER Madame [T] à verser à la société EURODEP la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance. »

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 23 janvier 2024.

L'affaire a été appelée à l'audience du 6 février 2024.

MOTIFS

Le conseil de prud'hommes de Meaux ayant été saisi le 15 juillet 2015, la règle de l'unicité de l'instance est applicable au litige.

Sur la discrimination

L'article L1132-1 du code du travail dispose que ' Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L 3221-3 des mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.'

L'article L. 1134-1 du code du travail dispose que 'Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à l'emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

Mme [T] présente les éléments suivants.

Elle a été en congé maternité à compter du mois de juin 2012, puis en congé parental d'éducation jusqu'au 14 avril 2013. Elle a de nouveau été en congé maternité suivi d'un congé parental d'éducation de la fin du mois d'août 2019 jusqu'au 28 février 2022.

Elle a été élue membre du comité social et économique le 14 juin 2018.

Mme [T] produit la classification de la convention collective qui prévoit trois coefficients pour les 'employés service retour' : 155 pour un employé ayant moins de six mois d'ancienneté dans le poste ; 165 pour un employé ayant plus de six mois d'ancienneté dans le poste ; 175 pour un employé confirmé dont la qualité de travail n'appelle pas d'observation.

Les bulletins de paie de Mme [T] indiquent qu'elle exercé comme 'employé service retour' avec le coefficient 145 depuis le mois d'avril 2010, au coefficient 155 à compter du mois d'avril 2013 et au coefficient 165 à compter du mois de novembre 2015.

Mme [T] a demandé la régularisation de sa situation à plusieurs reprises, ce qui lui a été refusé.

Deux autres salariées occupant les mêmes fonctions qu'elle sont passées au coefficient 160 au mois de janvier 2013.

Une autre salariée a été embauchée le 29 octobre 2012 comme 'employée service retour' au coefficient 155, qui lui a été immédiatement appliqué.

Par mail du 30 octobre 2018, le responsable du service retours a demandé à la direction que six salariés bénéficient du coefficient 175, parmi lesquels Mme [T]. Il précise dans son message 'Ces derniers sont employés service retour confirmé dont la qualité du travail n'appelle pas d'observation depuis plusieurs années.'

Mme [T] a demandé à changer de service, pour aller au service ADV. Malgré l'avis conforme de son supérieur direct et du responsable du service ADV, le responsable des ressources humaines s'est opposé à son changement de service au mois de novembre 2016, au motif du comportement de la salariée.

Une autre salariée du service retour a indiqué dans son attestation 'Il y a de la discrimination entre les employés du service retour, certains ont le droit de faire des choses que d'autres n'ont pas le droit.'

Pris dans leur ensemble, ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination en raison de sa situation de famille ou de sa grossesse, et de ses activités syndicales.

La société Eurodep explique Mme [T] a été avisée au mois de mai 2013 qu'une régularisation du coefficient serait opérée pour qu'elle bénéficie du coefficient 155, avec un rappel de salaire dès la fin du mois de mai. Cette décision résulte bien du courrier qui a été adressé à cette date à la salariée et du bulletin de paie correspondant. L'intimée souligne que Mme [T] est ensuite passée au coefficient 165 au mois de novembre 2015.

La société Eurodep fait valoir que Mme [T] ne justifie pas qu'elle devait bénéficier du coefficient 175, qui est attribué aux employés confirmés 'dont la qualité du travail n'appelle pas d'observation', et ce malgré le mail de son responsable qui indique pourtant que c'était son cas. L'employeur ne verse aux débats aucun élément contraire à ce propos du supérieur de l'appelante, notamment des entretiens d'évaluation ou autre élément relatif à ses qualités professionnelles.

La société Eurodep explique que Mme [T] avait le même traitement salarial que les autres employés du service et produit pour en justifier les bulletins de salaire de deux autres salariées qui indiquent qu'au mois de décembre 2013 elles avaient le coefficient 155, sans élément concernant la date à partir de laquelle celles-ci en ont bénéficié.

La situation des autres personnes qui exerçaient dans le service n'est pas justifiée par l'employeur, alors qu'il résulte des éléments produits, notamment du mail du responsable du service en question, qu'en plus des salariées qui ont saisi l'inspecteur du travail il y avait d'autres salariés.

La société Eurodep produit un document constitué d'une liste de personnes du service retours, avec plusieurs indications relatives à leur situation, notamment leurs dates d'embauche et coefficients, document dont on ne connaît pas la provenance et sans élément qui en assurerait la sincérité. Cette pièce ne démontre pas que la liste des personnes correspond à l'ensemble des salariés du service concerné et que les indications seraient exactes.

La société Eurodep n'apporte pas de justification à la décision de ne pas faire droit à la demande de changement de service de Mme [T], alors que les responsables des services concernés par son départ et par son arrivée y étaient tous deux favorables.

Faute pour l'employeur de prouver que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la discrimination est établie.

Il sera fait droit à la demande d'attribution des coefficients 165 et 175 faite par Mme [T].

Mme [T] demande un rappel de salaires résultant des coefficients qu'elle revendique.

La société Eurodep fait valoir que l'appelante n'a pas subi de préjudice, expliquant qu'il n'y a pas de grille salariale dans l'entreprise et que les salaires qui ont été versés à Mme [T] étaient supérieurs aux minima prévus par la convention collective.

Mme [T] produit cependant plusieurs éléments qui démontrent l'existence de grilles de salaires dans l'entreprise. Elle verse aux débats une grille issue d'un accord collectif du 19 avril 2023 ainsi que le compte rendu de la réunion avec les représentants du personnel du 21 janvier 2010 qui indique à la quatrième question des délégués du personnel 'Grille des salaires avec correspondance des postes : la direction remettra à la prochaine réunion la mise à jour de cette grille avec l'ensemble des coefficients', ce qui démontre bien qu'il existait une grille de rémunérations, avant cette date. Enfin, lors de la réunion des délégués du personnel du 10 mai 2017 les représentants des salariés ont demandé la communication des grilles salariales en vigueur, qui leur ont été communiquées par la direction pour les années 2016 et 2017.

L'examen des bulletins de paie démontre que le coefficient attribué au salarié déterminait le salaire de base, à partir duquel les primes étaient calculées. A chaque changement pour un coefficient plus important, Mme [T] a perçu un salaire de base plus important, avec une augmentation corrélative des primes qui lui ont été versées.

Quand bien même le salaire dans l'entreprise était supérieur au minimum conventionnel, Mme [T] a en conséquence subi un préjudice caractérisé par le versement d'une rémunération moins importante que celle qu'elle aurait dû percevoir si le coefficient exact lui avait été appliqué.

La société Eurodep propose un calcul erroné des éléments salariaux, en ce qu'il est fondé sur des données de la convention collective qui ne correspondent pas aux éléments dont il est établi qu'ils étaient en vigueur dans l'entreprise.

L'appelante détaille quant à elle les éléments de calcul en fonction des grilles salariales qui ont été communiquées à un délégué du personnel par le service des ressources humaines de l'entreprise. Il sera fait droit à la demande de rappel de salaire formée par Mme [T] à hauteur de 17 598,66 euros outre 1 759,86 euros au titre des congés payés afférents.

La société Eurodep sera également condamné à payer à Mme [T] la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice subi en raison de la discrimination dans le cadre de son exercice professionnel.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur le harcèlement moral

Mme [T] forme une demande de dommages-intérêts au titre d'un harcèlement moral, puis en raison de l'absence de prévention du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail.

L'article 1152-1 du code du travail dispose que :

'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'

En application de l'article L. 1154-1 du code du travail, alors applicable, il incombe au salarié qui l'invoque de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Dans cette hypothèse, il incombera à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [T] expose avoir subi de nombreuses réflexions désagréables avec des propos humiliants de sa supérieure directe, à la suite de sa saisine du conseil des prud'hommes. Elle indique qu'elle a alors demandé à changer de service, un poste étant vacant dans un autre, mais que cela lui a été refusé.

Elle produit plusieurs attestations de salariés. Un responsable de l'entreprise atteste que son mal-être en raison du conflit avec sa supérieure était connu et que le refus de la direction avait été ressenti par tous comme une sanction. Une salariée fait état du dénigrement de Mme [T] par sa supérieure directe, du contrôle particulier de ses activités et des propos irrespectueux qui lui étaient tenus par celle-ci. Le compagnon de Mme [T] atteste de son malaise ressenti dans sa vie personnelle, et des conséquences sur son état de santé.

La responsable de service qui souhaitait accueillir Mme [T] a indiqué au délégué du personnel que lorsque le responsable des ressources humaines avait refusé la demande de changement de poste, il lui avait indiqué 'je m'occupe personnellement de ce cas mais elle ne bougera pas du service retours.'

Mme [T] a fait l'objet d'un arrêt de travail du 15 au 31 décembre 2016.

Pris dans leur ensemble, ces éléments de fait laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

La société Eurodep explique que le caractère professionnel de l'accident du travail du 15 décembre 2016 déclaré par Mme [T] n'a pas été reconnu par la CPAM, que l'enquête de la CPAM a conclu à l'absence de caractère professionnel alors que Mme [T] reliait cet accident au harcèlement moral de sa supérieure directe et du responsable des ressources humaines. Cependant, l'employeur ne produit pas d'élément en ce sens.

La société Eurodep expose que Mme [T] avait des relations conflictuelles avec sa responsable, dont elle contestait l'autorité et à laquelle elle répondait de façon agressive, ce qui n'est établi par aucun élément.

Faute pour l'employeur de justifier que les décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que les agissements invoqués par Mme [T] ne sont pas constitutifs d'un harcèlement, le harcèlement moral est établi.

La société Eurodep sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Il sera ajouté au jugement.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité

L'article L. 4121-1 du code du travail dispose que 'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adéquation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'

L'article L.4121-2 du contrat de travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2012-954 du 6 août 2012, dispose que:

« L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »

Il résulte de ces textes que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Toutefois, l'employeur ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un manquement à son obligation de sécurité, a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.

Mme [T] expose que l'employeur a manqué à son obligation de prévention en ne mettant pas à jour le document unique d'évaluation des risques, ne respectant pas son obligation de formation à l'utilisation et aux risques liés à l'utilisation des équipements de travail.

La société Eurodep explique que ce contentieux relève des juridictions de sécurité sociale et que le caractère professionnel de l'accident n'a pas été reconnu par la sécurité sociale. Elle soutient que le document unique d'évaluation des risques de la société est à jour, outre que Mme [T] ne démontre aucun préjudice. Elle ajoute que la salariée a suivi des formations à la sécurité.

La demande de dommages-intérêts formée par l'appelante au titre d'un manquement à l'obligation de sécurité n'est pas liée à l'indemnisation d'un accident du travail. Contrairement à ce que soutient l'intimée elle relève de la compétence de la juridiction prud'homale.

Mme [T] produit le compte rendu du CHSCT du 19 mars 2015 qui indique que le DUER n'était pas à jour, le représentant de la direction expliquant qu'un travail était alors en cours. Le compte rendu du CHSCT du 23 décembre suivant confirme que ce document n'était toujours pas adapté, l'inspecteur du travail le soulignant lors de la réunion.

La société Eurodep produit un document qui porte la date du 17 août 2016. Mme [T] explique que les données concernant son service qui y sont mentionnées sont inexactes, sans contestation de l'employeur sur les points relevés.

Les démarches effectuées par la société Eurodep postérieurement à la prise d'acte de la salariée sont sans portée sur le manquement de l'employeur à son égard.

La société Eurodep justifie par les feuilles de présence signées par les salariés que Mme [T] a régulièrement suivi des formations, dont plusieurs comportaient des thèmes liés à la santé et la sécurité.

Enfin, alors que des salariés expliquent que le mal-être de Mme [T] dans son service était connu de tous, qu'elle a fait l'objet d'un arrêt de travail après la décision de refus de changement de service, l'employeur ne justifie d'aucune mesure la concernant.

En considération de l'absence de mise à jour du DUER et de toute mesure prise par la société Eurodep concernant les difficultés de Mme [T] dans son service, le manquement à l'obligation de sécurité est caractérisé. Il est à l'origine d'un préjudice subi par Mme [T], qui faute d'élément démontrant une ampleur plus importante, sera réparé par la condamnation de la société Eurodep à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le temps d'habillage

Mme [T] demande un rappel de rémunération, expliquant être tenue de porter des vêtements et que la société met des vestiaires à la disposition des salariés, invoquant la motivation de jugements du conseil de prud'hommes de Meaux du 21 avril 2023.

L'article L. 3121-3 du code du travail dispose que 'Le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, fait l'objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière.'

Comme le soutient la société Eurodep, si les salariés doivent porter leur tenue de travail à leur poste, la convention collective, l'accord collectif et le règlement intérieur ne prévoient pas qu'ils ont l'obligation de s'habiller et de se déshabiller dans les locaux de l'entreprise, ni le contrat de travail de Mme [T].

Les conditions de l'article L. 3121-3 du code du travail n'étant pas remplies, Mme [T] sera déboutée de sa demande et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la prime semestrielle

Mme [T] demande un rappel de prime semestrielle pour l'année 2017, expliquant ne pas l'avoir perçue. Elle conteste les conditions de versement de la prime.

La société Eurodep explique que les bulletins de paie indiquent que Mme [T] a perçu une prime semestrielle pour la période revendiquée, que pour la détermination de celle-ci il faut tenir compte de ses absences, conformément à l'accord applicable dans l'entreprise.

Le contrat de travail à durée indéterminée et l'avenant en date du 15 avril 2013 prévoient tous deux le versement de deux primes semestrielles versées en juin et en décembre 'selon les dispositions en vigueur dans l'entreprise'.

La société Eurodep justifie des règles de versement de la prime par l'accord collectif dans le groupe, et de leur diffusion dans l'entreprise, par un compte rendu de séance 'CE/DP' du 21 janvier 2010 qui joint une fiche explicative à en-tête de cette société.

La prime est destinée à favoriser le temps de présence dans l'entreprise et subit un abattement proportionnel au temps d'absence, à l'exclusion des absences dues à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Des règles de franchise de jours et d'abattement sont également précisées dans le document.

Le bulletin de paie du mois de juin 2017 mentionne le versement d'une prime semestrielle de 98,40 euros et celui du mois de décembre 2017 le versement de 988,13 euros à ce titre. Au mois de décembre 2016 Mme [T] avait perçu un montant plus important, de 1 023,32 euros

Les absences mentionnées au cours des mois antérieurs aux dates de versement de la prime contestée portent la mention 'AT' ; le versement d'indemnités IJSS pour accident du travail est mentionné. Ce motif d'absence est cependant expressément exclu pour diminuer le montant de la prime versée au salarié.

Dans le développement de ses conclusions relatif au manquement à l'obligation de sécurité, la société Eurodep indique que le caractère professionnel n'a pas été reconnu par la caisse d'assurance maladie, ce qui n'est pas établi.

Ainsi, l'employeur ne justifie pas du motif pour lequel Mme [T] a perçu des montants de prime semestrielle nettement inférieurs aux mois de juin et de décembre 2017. Il ne produit pas d'élément pour contester la demande de la salariée, qui est basée sur les montants versés l'année précédente.

Le jugement qui a condamné la société Eurodep à un rappel à ce titre sera confirmé de ce chef.

Sur la prime de rendement

Mme [T] demande un rappel de la prime de rendement qui lui était versée, faisant valoir que les montants étaient aléatoires, sans aucune justification. Les bulletins de paie confirment la grande variabilité de cette prime.

Le compte rendu de la réunion CE/DP de janvier 2010 indique que l'étude du mode de calcul de cette prime n'est pas satisfaisante et que la direction va élaborer un autre mode de calcul.

La salariée produit un décompte établi mois par mois qui indique le montant qui a été perçu et celui qui est sollicité au regard du montant le plus important alloué au cours de la période annuelle.

La société Eurodep n'a pas formulé d'observation sur ce point, et ne produit pas d'élément relatif aux montants de la prime de rendement versée à Mme [T].

Lorsque le versement de la rémunération varie en fonction d'éléments détenus par l'employeur, notamment le résultat ou la productivité, il incombe à l'employeur de les produire. La société Eurodep ne versant aux débats aucune pièce en ce sens, elle sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 3 302,37 euros au titre de la prime de rendement et celle de 330,23 euros au titre des congés payés afférents.

Il sera ajouté au jugement entrepris.

Sur le manquement à l'obligation formation

Mme [T] forme des demandes de dommages-intérêts, exposant ne pas avoir bénéficié de formations au sein de l'entreprise permettant l'adaptation à son emploi. Elle conteste la portée de celles qui lui ont été dispensées.

La société Eurodep produit les attestations de formation, ou les feuilles de présence, qui démontrent que Mme [T] a régulièrement suivi des formations en lien avec son poste en juin 2010, mai et novembre 2011, mars et juillet 2012, mars, avril et octobre 2014, mars, juin, octobre et novembre 2015, novembre 2017 et novembre 2018. Les sujets étaient divers et en lien avec l'activité du service dans lequel elle exerçait, notamment sur la règlementation, les pratiques ou la sécurité.

La société Eurodep ayant respecté son obligation de formation et d'adaptation, Mme [T] sera déboutée de sa demande.

Il sera ajouté au jugement entrepris.

Sur l'absence d'entretien professionnel

L'article L. 6315-1 du code du travail dispose que : 'I. - A l'occasion de son embauche, le salarié est informé qu'il bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi. Cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l'expérience, à l'activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l'employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle.

Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l'issue d'un congé de maternité, d'un congé parental d'éducation, d'un congé de proche aidant, d'un congé d'adoption, d'un congé sabbatique, d'une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l'article L. 1222-12, d'une période d'activité à temps partiel au sens de l'article L. 1225-47 du présent code, d'un arrêt longue maladie prévu à l'article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l'issue d'un mandat syndical. Cet entretien peut avoir lieu, à l'initiative du salarié, à une date antérieure à la reprise de poste.

II. - Tous les six ans, l'entretien professionnel mentionné au I du présent article fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cette durée s'apprécie par référence à l'ancienneté du salarié dans l'entreprise.

Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d'apprécier s'il a :

1° Suivi au moins une action de formation ;

2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;

3° Bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle.

Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque, au cours de ces six années, le salarié n'a pas bénéficié des entretiens prévus et d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2, son compte personnel est abondé dans les conditions définies à l'article L. 6323-13.'

L'article L. 6321-2 du code du travail dispose que : 'Toute action de formation qui conditionne l'exercice d'une activité ou d'une fonction, en application d'une convention internationale ou de dispositions légales et règlementaires, constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l'entreprise de la rémunération.'

La société Eurodep ne justifie d'aucun entretien professionnel organisé avec Mme [T] concernant son parcours professionnel.

Au cours de ses années d'exercice professionnel Mme [T] a bénéficié de formations qui ne conditionnaient pas l'exercice de son activité ou de sa fonction, parmi lesquelles : saisie informatique des retours produits le 25 juin 2015 ; bonnes pratiques de distribution le 23 novembre 2015 ; formation excel les 21 et 24 novembre 2017 ; formation à la manipulation des extincteurs le 21 juin 2018 ; les bonnes pratiques de distribution le 06 novembre 2018.

En conséquence, la salariée ayant bénéficié de formations distinctes de celles qui conditionnaient son activité, la demande d'abondement du compte personnel de formation de Mme [T], prévue par l'article L. 6315-1 du code du travail, doit être rejetée.

Mme [T] ne justifie d'aucun préjudice consécutif à l'absence d'entretien professionnel, qui n'est pas explicité dans le développement consacré à cette demande. Elle sera déboutée de celle-ci.

Il sera ajouté au jugement entrepris.

Sur la prise d'acte

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail est l'acte par lequel le salarié met un terme à son contrat de travail en raison de manquements qu'il impute à son employeur. Si les manquements sont établis et justifiaient la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut elle produit les effets d'une démission.

La charge de la preuve des manquements incombe au salarié.

La juridiction doit se prononcer sur l'ensemble des griefs invoqués par le salarié.

Mme [T] a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 1er juin 2022. Dans son courrier elle explique sa décision par plusieurs manquements qu'elle impute à la société Eurodep :

- l'attribution d'un coefficient erroné depuis de nombreuses années, malgré plusieurs démarches en ce sens,

- une discrimination au regard de sa qualité de représentante du personnel, de son congé maternité et du congé parental d'éducation,

- le non-respect de l'obligation de sécurité et de l'obligation de formation et d'adaptation,

- le rappel de la prime semestrielle et la rémunération du temps d'habillage,

- la dégradation des conditions de travail.

Elle rappelle avoir sollicité son employeur sur ces points par courriers du 25 mai 2022 en lui demandant de lui répondre avant la fin du mois de mai, sans réponse à celui-ci.

La juridiction retient la discrimination de Mme [T], incluant dans celle-ci l'application d'un mauvais coefficient, ainsi que le manquement à l'obligation de sécurité . La cour retient également le non-paiement par l'employeur de la totalité de la prime semestrielle. Ces manquements sont ainsi établis.

La société Eurodep fait valoir que les relations de travail étaient satisfaisantes, Mme [T] ayant demandé la reprise anticipée de la fin de son congé parental par courrier du 14 janvier 2022, à laquelle il a été fait droit à compter du 1er mars par courrier du 21 janvier.

Comme le souligne l'appelante, sa demande de reprendre son activité professionnelle est expressément expliquée dans le courrier par une diminution importante des ressources de son foyer.

L'instance prud'homale était toujours en cours et Mme [T] y avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle a adressé un courrier à son employeur pour exprimer son désaccord et le saisir d'une demande de prise en compte de sa situation, sans réponse à celui-ci.

Les manquements de l'employeur ont ainsi persisté jusqu'à la date de la prise d'acte. Ils sont suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

La prise d'acte formée en raison d'une discrimination produit les effets d'un licenciement nul.

Il sera ajouté au jugement.

Sur les conséquences financières

Mme [T] forme plusieurs demandes en conséquence de la prise d'acte, sur lesquelles la société Eurodep n'a pas formulé d'observation quant à leur évaluation.

En prenant en compte le salaire de base résultant du positionnement au coefficient 175 et les primes devant être versées, le salaire mensuel brut de Mme [T] était de 2 593,42 euros.

La durée du préavis étant de deux mois, la société Eurodep sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 5 186,84 euros outre 518,68 euros au titre des congés payés afférents.

L'indemnité de licenciement prévue par la convention collective est égale à 3/10eme de mois par année de présence. La société Eurodep sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 10 892,36 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

L'article L. 1235-3-1 du code du travail dispose que : 'L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d'une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.'

Si le mandat de membre du CSE arrivait à son terme au moment de la prise d'acte, Mme [T] est fondée à demander le salaire pour la totalité de la période de protection, ce qui correspond à la période de six mois qui suivait la fin du mandat.

La société Eurodep sera en conséquence condamnée à payer à Mme [T] la somme de 15 560,56 euros au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur.

Compte tenu de l'ancienneté de Mme [T], de son âge, de sa situation et des circonstances de la rupture la société Eurodep sera condamnée à payer à Mme [T] la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul.

En application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail la société Eurodep doit être condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de six mois.

Il sera ajouté au jugement entrepris.

Sur l'action du syndicat FO Eurodep

En application de l'article L. 2132-3 les syndicats professionnels peuvent exercer les actions concernant les faits qui portent un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession.

Les statuts du syndicat sont produits à l'instance.

La juste application de la grille salariale dans l'entreprise, la discrimination et le manquement à l'obligation de sécurité portent préjudice à l'intérêt de la profession.

La société Eurodep sera en conséquence condamnée à payer au syndicat FO Eurodep la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la remise des documents

La remise d'un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision est ordonnée. La situation ne justifie pas le prononcé d'une astreinte.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour celles qui étaient échues et à compter de leur date d'échéance pour celles qui sont échues postérieurement, et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil par année entière.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Eurodep qui succombe supportera les dépens et sera condamnée à verser à Mme [T] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et celle de 500 euros au syndicat FO Eurodep.

Par ces motifs,

La cour,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes, sauf en ce qu'il a : débouté Mme [T] de sa demande au titre du temps d'habillage, condamné la société Eurodep au paiement d'un rappel de prime semestrielle et des congés payés afférents, condamné la société Eurodep à payer au syndicat FO Eurodep la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Attribue à Mme [T] les coefficients 165 à compter du 1er octobre 2010 et 175 à compter du 1e octobre 2012,

Juge que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul,

Condamne la société Eurodep à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- 17 598,66 euros à titre de rappel de salaire en raison des coefficients alloués et 1 759,86 euros au titre des congés payés afférents,

- 8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi en raison de la discrimination dans le cadre de son exercice professionnel,

- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le harcèlement moral,

- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le manquement à l'obligation de sécurité,

- 3 302,37 euros au titre de la prime de rendement et celle de 330,23 euros au titre des congés payés afférents,

- 5 186,84 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 518,68 euros au titre des congés payés afférents,

- 10 892,36 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 15 560,56 euros au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 20 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

Déboute Mme [T] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'adaptation,

Déboute Mme [T] de sa demande d'abondement du compte personnel de formation de Mme [T],

Déboute Mme [T] de sa demande de dommages-intérêts pour absence d'entretien professionnel,

Ordonne à la société Eurodep la remise à Mme [T] d'un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision et dit n'y avoir lieu à astreinte,

Dit que les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour celles qui étaient échues et à compter de leur échéance pour celles qui sont échues postérieurement et les dommages-intérêts alloués à compter de la présente décision, avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne à la société Eurodep de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [T] , du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois des indemnités versées,

Condamne la société Eurodep aux dépens,

Condamne la société Eurodep à payer à Mme [T] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Eurodep à payer au syndicat FO Eurodep la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/07353
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-20;21.07353 ?
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